1 : Les hommes de l'estran
Ce paysage a été exposé par Monet, lors de sa première participation au Salon, en 1865. Il constitue un hommage à la Normandie de son enfance, et le manifeste artistique, plus ambitieux qu’il n’y paraît, d’un jeune peintre de vingt cinq ans.
Monet La pointe de la Hève à marée basse
(1865), Kimbell Art Museum, Fort Worth
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Une oeuvre réfléchie
Comme dans les autres marines peintes en 1864, Monet s’attache à traduire picturalement les effets de lumière et les aspects changeants de la mer – ici la marée basse. Mais ce tableau, esquissé sur le vif, bénéficie ensuite d’une élaboration en atelier, où sont rajoutés les personnages : les chevaux, puis la charrette.
Les travailleurs de la plage
Les personnages se regroupent au centre, dans la zone de l’estran, isolés, vus de dos, cheminant vers le fond du tableau. Un petit coin de ciel bleu s’ouvre au milieu de l’immensité grise, comme une espérance au delà du travail harassant, au dessus de cet entre-deux froid et humide.
Trois allures
Chacun avance selon son propre mode de locomotion, de telle sorte que le tableau semble avoir pour but d’ illustrer littéralement, de droite à gauche, l’expression « à pied, à cheval, en voiture ».
La carriole
L’homme dans la carriole, à gauche de l’estran, à la limite des vagues, lève son fouet pour faire avancer l’attelage. Comme le montrent les traces de roues dans le sable, la carriole est déjà passée dans l’autre sens, lorsque la mer descendait. Nous sommes maintenant à l’étale, la prospection est terminée, il est temps de rentrer avant que la mer ne remonte.
Les deux chevaux
A droite de l’estran, un cavalier se retourne vers le piéton resté en arrière : tous deux portent la besace et le bâton des ramasseurs de coquillages. Nous comprenons alors qu’il s’agit de deux compagnons, et qu’ils travaillent en équipe avec l’homme de la carriole, dans laquelle ils viennent périodiquement déverser le contenu de leur besace.
Lenteur ou rapidité
A première vue, le tableau renvoie une impression de lenteur, de difficulté, d’isolement : la carriole semble bloquée par les rochers qui affleurent, deux chevaux fourbus marquent l’arrêt, un piéton avance péniblement en s’appuyant sur son bâton.
Mais la réalité est inverse : Monet nous montre l’instantané d’une action parfaitement réglée, d’un cycle qui va se répéter tant que la marée sera basse : un pêcheur descend de cheval tandis que l’autre garde les deux montures, il prospecte avec son bâton, puis ramène sa besace à la carriole. L’isolement apparent cache un travail d’équipe, la marche qui semble contrariée est en fait une course contre la montre.
Ce tableau est malicieux : sous couvert d’un symbolisme appuyé – l’humanité soumise à la malédiction du travail et la marche vers le ciel bleu qui se dérobe – il se révèle à l’analyse d’un naturalisme assumé. Monet nous décrit très précisément une organisation humaine efficace, permettant d’exploiter, à moindre effort, la plus grande surface de grève, pendant le temps limité ou elle est découverte.
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