Les pendants de Turner : 1831-1843
Dans cette seconde période, Turner va utiliser la technique des pendants au service d’éblouissantes démonstrations visuelles, de plus en plus complexes
(article précédent : Les pendants de Turner : 1797-1828)
Turner 1831, Tate Gallery, Londres
Ces deux pendants ont été peints, faute de support plus orthodoxe, sur deux panneaux provenant des portes d’une armoire du château de Petworth, où Turner avait ses habitudes. Le propriétaire en était son patron, Lord Egremont, qui était apparenté aux Percy, les propriétaires précédents.
L’atelier de Watteau
« Watteau apparaît au centre, entouré d’admirateurs et d’oeuvres que Turner connaissait, dont « Les Plaisirs du Bal » (la grande peinture à gauche, maintenant à Dulwich College Gallery) et La Lorgneuse (‘The Flirt’ ) qui appartenait à son ami, le poète Samuel Rogers. » Notice du site de la Tate Gallery.
La visite à Lord Percy
« La peinture montre Henry Percy (assis) et ses filles Lucy (à gauche) et Dorothy (à droite). Elles avaient obtenu sa libération de la Tour de Londres, où il était emprisonné sans preuve depuis seize ans, sous le soupçon d’être impliqué dans la Conspiration des Poudres. L’histoire est rappelée par les peintures sur le mur: une vue de la tour et un grand tableau de l’Ange libérant saint Pierre de prison ». Notice du site de la Tate Gallery.
La logique du pendant
Un personnage principal, masculin, occupe la centre de chaque composition : Watteau debout contre un fauteuil et regardant vers la droite fait écho à Henry Percy assis regardant vers la gauche.
Le décor est conforme aux règles empiriques des Pendants architecturaux :
- deux murs-frontons ferment les bords externes : ici, ils servent à exposer des tableaux dans le tableau ;
- une forme de continuité existe entre les bords internes : ici , elle est assurée par les couples assis près de la fenêtre et les femmes debout près de la porte ;
- une source centrale de lumière éclaire les deux panneaux.
Les « tableaux dans le tableau » rendent hommage aux maîtres que Turner avait ou admiré chez ses amis ou chez son patron : Watteau, représentant la peinture du XVIIIème siècle et Van Dyck celle du XVIIème. Le pendant est également un hommage à la couleur blanche et à la couleur rouge.
Turner avait accompagné le pendant de gauche d’un texte du théoricien de l’Art Charles-Alphonse du Fresnoy, édictant la « règle » suivante :
« Le Blanc tout pur avance ou recule
indifféremment : il s’approche avec du Noir,et s’éloigne sans lui. Mais pour le Noir tout pur,
il n’y a rien qui s’approche davantage. » L’art de peinture de Charles-Alphonse Du Fresnoy,traduit en françois par Roger de Piles, 1668 |
« White, when it shines with unstain’d lustre clear, |
La versification anglaise délaye le texte original latin, tandis que la traduction française le rend presque hermétique à force de concision.
Sans doute Turner veut-il nous faire percevoir que la toile blanche, à cause de la silhouette noire à côté, nous apparaît plus proche que le drap blanc, qui pourtant est situé au premier plan.
Seul le titre du premier panneau fait référence à la « règle de Du Fresnoy » : cependant le second panneau pourrait bien illustrer le passage qui le suit immédiatement dans le texte :
« La lumière altérée de quelque couleur ne manque point de la communiquer aux Corps qu’elle frappe, aussi bien que l’air par lequel elle passe. » | « Whate’er we spy thro’ color’d light or air, A stain congenial on their surface bear, While neihb’ring forms by joint reflection give, And mutual take the dyes that they receive. » |
C’est ainsi que la lumière filtrée par le tissu du rideau teint de rouge tout ce qui l’environne.
Shadrach, Meshach et Abednego dans la fournaise | Le Christ chassant les marchands du Temple (inachevé) |
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Turner, 1832, Tate Gallery [17]
Tandis que les femmes de Nabuchodonosor se prélassent dans le luxe, les trois Hébreux sont plongés dans la fournaise, pour avoir refusé de sacrifier à l’idole païenne visible à l’arrière-plan (ils en ressortiront sans blessures). Le tableau était accompagné par le passage correspondant de la Bible (Daniel, 3,26)
Pour faire pendant avec cette scène de l’Ancien Testament en extérieur , Turner avait commencé une scène de l’Ancien Testament en intérieur, qui se prêtait à la même composition en trois plans : les prostituées, le Christ au milieu des marchands et au fond le Tabernacle.
Le pendant était donc régi par une logique purement visuelle. Mais la vraie motivation pour Turner étant la compétition avec son collègue George Jones, il n’a achevé et exposé que le tableau biblique. Voici, pour comparaison, les oeuvres exposées en concurrence en 1832 à la Royal Academy :
Shadrach, Meshach et Abednego dans la fournaise, Turner | The Burning Fiery Furnace, George Jones |
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On voit bien ici tout l’anticonformisme ironique et la profondeur de Turner : en omettant les personnages principaux de l’histoire (le roi et les trois hébreux), il accorde toute la place aux héros secondaires (les femmes devant et l’idole derrière), donnant ainsi à la fournaise son véritable sens :
l’Enfer sur terre, entre la Luxure et l’Impiété.
Cleveland Museum of Art | Philadelphia Museum of Art |
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L’Incendie de la Chambre des Lords et de la Chambre des Communes le 16 Octobre 1834, Turner 1835
Exposés côte à côte en 1835, les deux tableaux ont été achevés sur les murs mêmes de la Royal Academy, dans les jours frénétiques (varnishing days) qui précédaient l’ouverture au public. Turner travaillait d’après ses esquisses et ses propres souvenirs de l’incendie, dont il avait été témoin depuis la rive sud de la Tamise.
Le pendant se compose d’une vue de loin et d’une vue de près comme si nous remontions la Tamise à la place des steamers qui tentaient vainement d’apporter le matériel de lutte contre l’incendie, empêchés par la marée basse. Le pont de Westminster, vu de face puis de biais, semble pivoter autour des tours de la cathédrale exagérément grandies, points fixes au dessus du chaos et rescapées de la catastrophe. [17a]
L’arc de Constantin, Rome (91,4 x 121,9 cm) | Tivoli, Tobie et l’Ange (90,5 x 121 cm) |
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Turner, vers 1835, Tate Gallery
Ces deux tableaux presque achevés [18] ont été conçus en pendants : l’un montre la ville antique au crépuscule, l’autre la campagne romaine au lever du jour, « christianisée » par la présence des deux voyageurs bibliques, Tobie et son Ange. Il y a manifestement un parallèle entre la rue maintenant vide (où défilaient les armées triomphante) et la rivière cascadante.
Ainsi ce pendant Soir/Matin se complique d’un pendant Guerre/Paix, d’un pendant Temps anciens/Temps Modernes et d’un pendant Paganisme/Christianisme.
La date de ce pendant étant inconnue, on ignore s’il faut y voir un galop d’essai, ou au contraire une somme, des pendants sur ces mêmes thèmes que Turner va désormais décliner jusqu’à la fin de sa carrière.
L’Italie ancienne : Ovide banni de Rome, Collection privée | L’Italie moderne : les Pifferari, Glasgow Art Gallery |
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Turner, 1838
L’idée est ici d’opposer le départ du célèbre poète, dans un paysage marin au soleil couchant, et l’arrivée de ses modestes descendants, dans un paysage campagnard, au soleil levant. Les pifferari étaient des bergers des Abruzzes qui descendaient chaque Noël vers les villes d’Italie centrale, en souvenir des souffrances de Marie ([4], p 211).
Au travers des siècles, le son joyeux de leurs cornemuses fait pour Turner écho à la lyre éteinte du poète. Et l’empilement moyenâgeux des tours et des églises succède à l’étagement majestueux des palais et des temples, comme les ruines après Babel.
La Rome antique : Agrippine accostant avec les cendres de Germanicus, Le Pont Triomphale et le Palis des césars reconstitué, Tate Gallery , [19] | La Rome Moderne : le Campo Vaccino, collection privée |
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Turner, 1839
En 1839, Turner expose à la Royal Academy un pendant Ancien/Moderne dans la même veine comparative que les paysages italiens de l’année précédente, mais focalisés ici sur la ville de Rome.
La mort de Germanicus, sans doute empoisonné sur ordre de l’empereur Tibère, prélude à une fin de règne sanglante et, au delà, à la fin de Rome elle-même. La poème accompagnant le tableau insiste sur cette impression de splendeur au moment des derniers feux :
Le fleuve clair, Aye, le Tibre jaune scintille sous ses rayons, juste lorsque le soleil se couche. |
The clear stream, Aye, the yellow Tiber glimmers to her beam, Even while the sun is setting. |
Dans l’autre pendant, le jour se lève sur les sublimes ruines du Forum, seulement fréquentées par des bergères trayant et faisant paître leurs chèvres : lait chaud et femmes vivantes qui font écho, dans l’autre tableau, aux matrones voilées attendant l’urne près d’une faux.
Le tableau était accompagné de deux vers de Byron :
Le lune est là, et pourtant ce n’est pas la nuit. |
The moon is up, and yet it is not night |
Turner, 1840
Ce pendant est un des plus déconcertant et des plus méconnus de Turner : les deux tableaux ont pourtant été exposés et achetés ensemble (par Thomas Griffith), puis séparés définitivement trois ans après.
Le tableau militant a éclipsé, par sa célébrité (il a appartenu pendant 28 ans à Ruskin), son pendant plus discret ; et l’absence de rapport clair entre les deux sujets a fait que ces deux tableaux ne sont jamais présentés ensemble.
La bateau-négrier
Le tableau était accompagné des vers suivants :
En haut, les gars, amenez les mâts de hune et amarrez-les ; Ce soleil couchant courroucé et les bords de ces nuages farouches Déclarent l’arrivée du Typhon là-bas. Avant qu’il ne balaie vos ponts, jetez par-dessus bord Les morts et les mourants – peu importent leurs chaînes Espoir, Espoir, fallacieux Espoir ! Où est ton marché maintenant ? |
Aloft all hands, strike the top-masts and belay; Yon angry setting sun and fierce-edged clouds Declare the Typhon’s coming. Before it sweeps your decks, throw overboard The dead and dying – ne’er heed their chains Hope, Hope, fallacious Hope! Where is thy market now? |
[hop]
La logique du pendant
L’opposition de couleurs classique chez Turner (soleil couchant / ciel bleu ) fait penser au départ à un pendant purement formel, deux marines par temps de tempête.
Cependant il y a bien un sujet commun : les deux bateaux cherchent à échapper à une menace mortelle : le typhon et les hauts-fonds.
De plus le contraste des technologies (bateau à voile, bateau à vapeur) suggère un pendant Temps anciens / Temps modernes.
Enfin, une symétrie plus cynique est portée par les personnages :
- dans un cas, ceux qui viennent au secours du bateau (du moins dans la logique négrière) sont les morts et le mourants, jetés en mer avec leurs chaînes, et dont l’un est dévoré par les poissons ;
- dans l’autre les sauveteurs sont à l’abri sur la plage, munis de perches (d’où les fusées du titre) et d’une lunette de marine.
Cette charge grinçante contre l’esclavage montre bien son caractère dépassé et absurde (seules les chaînes flottent) . Mais on passe trop souvent sous silence son pendant optimiste, éloge du progrès et de la solidarité humaine.
Glaucus et Scylla, Kimbell Art Museum | L’aube du Christianisme (La fuite en Egypte), Ulster Museum, Belfast |
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Turner, 1841
Bien que peints sur des supports différents (bois et toile), il est certain que les deux tableaux ont été exposés en pendant en 1841, dans des cadres circulaires.
L’opposition entre le Paganisme disparu et le Christianisme naissant est marquée par l’opposition lumineuse entre le crépuscule et l’aube.
Le second tableau était accompagné par ces simples mots :
Cette étoile s’et levée | That star is risen |
La logique du pendant (SCOOP !)
Personne ne sait pourquoi Turner a choisi précisément l’épisode de Glaucus et Scylla, tiré des Métamorphoses d’Ovide, pour illustrer le paganisme [20] .
La raison est simple, presque enfantine, et purement visuelle – ce pourquoi sans doute elle a échappé à l’érudition. Pour une fois, Turner n’a pas opposé une scène de repos et une scène de mouvement, mais deux scènes de mouvement, et plus précisément de fuite :
- la nymphe Scylla fuit Glaucus, transformé en un monstre marin effrayant, incapable de la poursuivre sur terre ;
- la Sainte Famille fuit l’Egypte résumée par le serpent dans l’eau, empêché de les rejoindre par le pont rompu et la falaise.
La Guerre – L’Exil et la bernacle (War. The Exile and the Rock Limpet) |
La Paix -Sépulture en mer (Peace – Burial at Sea) |
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Turner, 1842, Tate Gallery, Londres
La Guerre
« Le tableau … montre Napoléon en exil sur l’île de Sainte-Hélène. Il a été peint l’année du retour des cendres en France. L’image ne diabolise ni n’héroïcise le personnage, mais suggère la futilité des conflits. La sihouette isolée, en uniforme , apparaît incongrue dans son environnement, tandis que la palette rouge rappelle le traumatisme de la bataille. Dans les vers attachés à la toile, Turner compare le coucher du soleil à une «mer de sang». » Notice du site de la Tate Gallery.
Ce commentaire consensuel rend bien peu compte des réactions indignées des contemporains et de l’incompréhension des critiques. Pour comprendre les intentions de Turner, il est indispensable de donner la totalité de ses vers, qui imaginent en ces termes le discours que tient Napoléon à la bernacle
« Ah ! Ta coquille en forme de tente |
« Ah: Thy tent-formed shell is like Turner, Fallacies of Hope |
Donc Napoléon croit voir la tente d’un dernier soldat isolé dans la bataille, et dans sa générosité de vaincu, donne l’autorisation au coquillage de faire retraite vers ses camarades : injonction bien ridicule vu l’obstination naturelle de la bernacle à rester sur son coin de rocher.
Et nous, que voyons nous ?
A droite des châteaux dans les nuages au dessus d’un rivage transformé en champ de bataille. Puis une sentinelle anglaise derrière l’Empereur perdu dans ses chimères – il la dédaigne, mais c’est bien la cruelle réalité. Puis un Napoléon perché sur son propre reflet comme sur des échasses [6]: manière de dire que sa hauteur et sa gloire sont aussi fallacieuses qu’un reflet dans une flaque. Enfin la bernacle, dont la forme triangulaire évoque pour le spectateur non pas une tente imaginaire, mais évidemment le bicorne qui vient compléter le reflet.
Ainsi, la flaque met en évidence un syllogisme spéculaire : si Napoléon est regardé par la sentinelle, et si la bernacle est regardée par Napoléon, alors Napoléon n’est qu’une grande bernacle, incrustée jusqu’à la mort sur son rocher.
La Paix
« La Paix montre la sépulture en mer de l’ami et rival de Turner, le peintre Sir David Wilkie, mort près de Gibraltar à son retour de Terre Sainte sur le vaisseau l’Oriental. « La palette froide et les noirs saturés créent un contraste frappant avec son pendant, Guerre, et traduisent le calme et la dignité de la mort de Wilkie, comparée à la mort en disgrâce de Napoléon. » Notice du site de la Tate Gallery.
Là encore, les vers d’accompagnement ajoutent à la compréhension :
« La torche de minuit luisait sur le côté du steamer |
« The midnight torch gleam’d o’er the steamer’s side |
La mise à la mer eut lieu à 20h30 [7], mais Turner la place symboliquement à minuit, ce qui autorise ce spectaculaire effet de clair-obscur : dans la lueur puissante de la torche de l’autre vaisseau se découpe en ombre chinoise, derrière la roue à aube du steamer, la plateforme d’où sans doute le cadavre a été jeté.
La logique du pendant
Au delà du contraste jour/nuit et du motif turnérien du ciel mélangé à la mer, ce qui unit en profondeur les deux tableaux est le thème de la mort au loin : tandis que la dépouille de Napoléon a été rapatriée en grande pompe, celle de Wilkie a été escamoté à la sauvette.
L’ironie acide de La Guerre venge cette injustice : tandis que les empires terrestres finissent dans la solitude, sur une île aussi infime qu’une coquille, c’est l’immensité de la mer qui accueille les peintres de mérite, dans la fraternité de deux vaisseaux anglais : ce que glorifie la sobriété austère de La Paix.
Turner, 1843, Tate Gallery, Londres
Ombre et obscurité – Le soir du déluge
Une ligne d’oiseaux noirs vole au dessus d’épaves indistinctes
En regardant mieux on distingue deux couples d’animaux (chiens et chevaux), puis une file de couples s’étendant jusqu’à l’horizon et à la silhouette presque indiscernable de l‘arche.
Des vers de Turner explicitent le spectacle :
« La lune lança en vain son malheureux présage ; Mais l’homme coupable dormait; le Déluge enveloppa tout de ses ténèbres profondes, Puis vint le dernier signe : la géante carcasse flotta , Les oiseaux surpris quittèrent en criant leur abri nocturne, Et les bêtes pataugèrent jusqu’à l’arche. » Turner, les Leurres de l’Espérance |
« The moon put forth her sign of woe unheeded; Turner – The Fallacies of Hope |
L’expression « l’homme coupable dormait » désigne le corps nu allongé au premier plan à gauche.
Lumière et couleur (Théorie de Goethe)- Le matin après le déluge – Moïse écrivant le livre de la Genèse
Ici, l’explosion triomphale de lumière célèbre l’alliance de Dieu avec l’homme. Au centre, sous la silhouette de Moïse écrivant, on distingue le serpent d’airain qu’il avait élevé dans le désert pour guérir les Hébreux des morsures des serpents. Au dessous, d’innombrables têtes humaines flottent, prises dans des bulles brillantes. Tandis que l’ensemble du tableau forme également une grande bulle irisée.
Cependant l’opposition entre les deux tableaux est loin d’être manichéenne, comme le montre le poème qui accompagne celui-ci, et sa conclusion pessimiste sur la transience des êtres :
L’arche s’était fixée sur Ararat; Le soleil revenu Faisait s’exhaler des bulles humides de la terre , et émule de la lumière, Reflétait ses formes perdues, chacune en forme prismatique Précurseur de l’espoir, éphémère comme la mouche d’été Qui naît, volette, croît et meurt. | The ark stood firm on Ararat; th’ returning sun Exhaled earth’s humid bubbles, and emulous of light, Reflected her lost forms, each in prismatic guise Hope’s harbinger, ephemeral as the summer fly Which rises, flits, expands, and dies. |
La logique du pendant
Comme l’indique le titre du second tableau, le pendant a clairement un enjeu théorique vis à vis des théories de Goethe sur la Lumière, notamment en ce qui concerne l’origine des couleurs et le contraste émotionnel entre les couleurs froides et et les couleurs chaudes : le bleu et tous ses dérivés, violets et violets suggérant la tristesse et l’abattement ; les rouges, les jaunes et les verts étant associées au bonheur, à la gaieté, à la joie. [23].
Il a également une portée théologique. Selon une expression du prédicateur Samuel Mather, « Le Déluge est l’ombre du Jugement Dernier » [23a]. Le pendant est donc aussi une méditation sur la Lumière comme métaphore de Dieu : de son absence et de son retour.
Enfin, il a une valeur épistémologique. La « Théorie des couleurs » de Goethe faut aussi référence aux « post-images », tâches colorées qui se produisent si on ferme l’oeil après avoir été ébloui par le soleil, et qui prouvent que la rétine n’est pas un simple récepteur passif.
« La vision du soleil qui avait dominé tant de tableaux de Turner, devient maintenant une fusion de l’oeil et du soleil. Par la post-image, le soleil s’intègre au corps, et c’est le corps qui agit comme la source de ses effets. » [24].
Dans ce point culminant de ses expérimentations sur le format circulaire, Turner nous montre les deux scènes, au choix, telles qu’on les verrait au travers de lentilles, ou telles qu’elle sont engendrées par la rétine. Ainsi le pendant esquisse un renversement de la conception du réel, non plus donné externe mais construction par le regard
En définitive, la complexité du pendant tient à la superposition de deux thèmes, dont l’un crée une opposition et l’autre une solidarité entre les deux tableaux :
- opposition des effets optiques de l’ombre et de la lumière, du noir et des couleurs ;
- composition identique :
- au centre un symbole d’espérance (l’arche ou le serpent d’airain, tous deux précurseurs de la Croix et du Salut),
- au dessous des cadavres et des bulles qui dénient cette espérance religieuse, et renvoient au grand cycle naturel de la la création et de la destruction.
Suite et fin de l’article : Les pendants de Turner : 1844-1850
https://www.tate.org.uk/art/artworks/turner-lucy-countess-of-carlisle-and-dorothy-percys-visit-to-their-father-lord-percy-when-n00515
https://www.tate.org.uk/art/artworks/turner-christ-driving-the-traders-from-the-temple-n05474
https://www.tate.org.uk/art/artworks/jones-the-burning-fiery-furnace-n00389
https://www.tate.org.uk/art/artworks/turner-tivoli-tobias-and-the-angel-n02067
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