2 Le perroquet et le chien : seuls
Il existe très peu d’exemples où le perroquet et le chien sont représentés seuls, ou sans interaction avec les humains. Au début, ce sera pour des raisons purement décoratives : dans des fresques ou des natures mortes. Puis nous verrons que quelques artistes mineurs se sont intéressés au dialogue entre ces deux animaux.
Merci à https://parrotmuseum.wordpress.com pour son abondante iconographie.
Giustiniana Giustiniani au balcon
1560-61, fresque de Véronèse, villa Barbaro, Maser
Le chien regarde le perroquet qui se dirige vers la gauche, tandis que la vieille nourrice lève l’index en signe d’avertissement…
…qui s’adresse en fait au petit garçon de l’autre côté de la colonne : n’essaye pas d’attraper le perroquet !
Loggia das l’Appartement des Evêques et des Princes
Alessandro Allori, 1588, Palais Pitti, Florence, Italie
Le chat et le perroquet complètent plaisamment le lavage du chien : chacun sait qu’ils n’aiment pas l’eau !
Groupe de musiciens au balcon
Gerrit van Honthorst, 1622, Getty Museum, Malibu
Dans cette contre-plongée spectaculaire, le perroquet se débrouille doublement pour être au-dessus du chien : il est perché sur la balustrade, mais aussi en haut de la diagonale montante. Les deux manches des instruments, braqués dans sa direction, suggèrent que la sérénade s’adresse à ce beau parleur. L’humble chien, entre les pieds et les balustres, ne comprend rien à la musique.
La Fontaine,
Hubert Robert, Musee Cognacq Jay
Centrée sur la lanterne, la symétrie parfaite de cette architecture est rompue par les quatre figurines vivantes : deux servantes, l’une qui sort de la cuisine fumante en portant un plat, l’autre qui va chercher de l’eau au fleuve ; un perroquet rouge enchaîné à la rambarde ; et un chien à l’arrêt en haut de l’escalier.
A y regarder mieux, une symétrie plus discrète règne aussi au sein des êtres vivants. Car chaque animal mime par sa posture une de deux servantes :
- le perroquet évoque celle de l’escalier du haut, elle-aussi vu de profil devant la rambarde ;
- le chien celle de l’escalier du bas, quasi à quatre pattes au dessus du fleuve.
Voici maintenant quelques apparitions de notre couple dans des natures mortes.
Chien et perroquet
Frans Snyders, vers 1630, Collection privée
En l’absence du maître ou de la maîtresse, et donc de concurrence affective, ces deux-là n’auraient aucune raison de s’opposer : le perroquet adore les fruits qui indiffèrent le chien ; le chien ne goûte pas le perroquet. Ils ont même quelques points communs : les deux se servent de leur voix pour avertir, de leur gueule ou de leur bec pour attaquer.
Ce tableau mineur a pour mérite de nous faire comprendre que s’il y a agressivité, elle résulte d’une incompréhension mutuelle :
- le perroquet harangue le chien, qui lui répond en jappant et en agitant son grelot ;
- l’orateur bipède tance le gardien quadrupède ;
- l’animal d’ici-bas craint celui qui vient de haut et d’ailleurs.
Nature morte avec une dame et un perroquet
Frans Snyders, vers 1630, Staatliche Kunstsammlungen, Dresden
Frans Snyders était très apprécié pour la magnificence de ses natures mortes, et très reconnaissable par un procédé qu’il pratiquait presque systématiquement : un personnage liminaire « donne l’échelle », et ajoute un peu de variété, sans s’immiscer directement dans le sujet principal.
Ici la femme qui donne un fruit au perroquet joue un rôle aussi marginal que le chien, prêt à attaquer le daim mort et le singe, qui chipe un abricot.
Le trio animal fonctionne ici en trois anecdotes disjointes :
- le singe voleur,
- le chien fidèle,
- le perroquet braillard.
Nature morte avec un page
Johannes Fijt et Erasmus Quellinus II, 1644, Wallace Collection, Londres
Pour imiter Snyders, ce tableau a été réalisé à deux mains : Fijt pour la nature morte, et Quellinus pour le page.
Les trois anecdotes animales, sur les marges du festin interdit, se trouvent ici enchaînées :
- le singe est surveillé par le chien,
- lui-même pris à partie par le perroquet,
- insensible à la grappe que lui propose le page pour tenter de le faire taire.
Nature morte
Adriaen van Utrecht, 1644, Rijksmuseum, Amsterdam
Le perroquet, le singe et le chien n’ont plus ici aucune interaction : ils se retrouvent chosifiés dans cette peinture trop parfaite, totalisante, proliférante, qui semble capable de capturer et de figer en nature morte toutes les choses sensibles. Le chien blanc par exemple se trouve comme statufié par son voisinage avec le bassin en argent, lui-aussi à quatre pattes.
Nature morte
Attribuée à Reynaud Levieux (1613-1699), collection privée
La robe rouge du perroquet rivalise, en vertical, avec le velours rouge de la chaise, qui constitue manifestement un objet impossible :
On en connait pas la raison de cet étrange jeu graphique.
Pour finir, voici quelques exemples où le dialogue entre chien et perroquet devient le sujet principal.
« L’adulation malicieuse est à la fin découverte et confondue »
Fable XII de « Lehrreiche Fabeln aus dem Reiche der Thiere,
Gravure de J E Ridinger, 1743
Par ordre de malignité décroissante, le chat, le singe et les deux chiens se sont ligués contre le perroquet pour l’amener à sortir de sa cage. Le fabuliste renoue ici avec la vieille symbolique de l’oiseau protégé des méchants par sa cage, applicable à toute vraie jeune fille (voir L’oiseau envolé ).
Lévrier et perroquet
Johann Dietrich Findorff, vers 1750, Staatliches Museum, Schwerin, Allemagne
Tête à tête interrogatif entre deux libertés conditionnelles : la porte de la cage est ouverte, le collier n’a pas de chaîne. En l’absence du maître, la situation pourrait dégénérer. Mais le chien en arrêt, le perroquet en retrait, laissent plutôt présager le statu quo.
Chien et perroquet
Attribué à Filippo Palizzi, vers 1850, Collection privée
Le perroquet est quasiment en hors champs, ce qui accentue l’effet de curiosité. Négligeant la mangeoire, le chien s’est avancé jusqu’au bord du coussin, et du tableau, pour contempler avec fascination l’étrange volatile.
Un épagneul « Cavalier King Charles » et un perroquet
Leopold de Cauwer, vers 1860, Collection particulière
Un autre cas où le perroquet et le chien se retrouvent au même niveau, figés museau contre bec dans une intense curiosité l’un pour l’autre. L’impression d’égalité entre les deux partenaires est servie par la grande symétrie de la composition : chaise contre perchoir, mur clair contre rideau sombre, avec au milieu un tableau représentant un cheval, lui aussi à l’arrêt.
Dogue et perroquet
Heinrich Sperling, 1892, Collection particulière
Autre beau jeu de clair-obscur dans ce dialogue muet. L’utilisation ingénieuse des panneaux du paravent met en valeur le chien sur fond d’or, et le perroquet sur fond sombre. Le contraste de matières entre le poil noir et les plumes multicolores est particulièrement réussi.
Le chien et le perroquet
Henri de Toulouse-Lautrec, 8 fév. 1899 , lithographie, Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art (collections Jacques Doucet),
dédiée à Henri Stern et signée d’un éléphant miniature
Pas vraiment d’explication pour cette composition onirique et ironique, griffonnée par Lautrec lors d’un de ses derniers internements. Une toile de cirque sous un croissant de lune, un cheval qui s’enfuit le long de la voie ferré, poursuivi par une locomotive fumante, un chien qui tire la langue devant un portrait craché du peintre en perroquet, avec monocle, haut de forme et pipe au bec…
Trois pékinois et un ara
Maud Earl, 1923 , Collection particulière
Du point de vue plongeant du perroquet, les trois chiens sont des rampants couleurs de terre : lui seul a la couleur d’un bout de ciel, descendu s’accrocher au cerisier en fleurs.
Whacko, le cacatoes au plumet jaune, et le chien Cobber
1943, Photographie de James Tait
Terminons par ce témoignage symptomatique d’une situation et d’un lieu. Au camp pour prisonniers allemands de Tatura, en Australie, le photographe a saisi les deux mascottes dans une anecdote d’époque :
quand le chef à plumes aboie, mieux vaut se mettre au garde à vous.
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