– La parabole de la séparation
Il existe une tradition religieuse opposant les brebis aux chèvres : mais celle-ci est extrêmement rare dans l’iconographie.
Béliers et boucs chez Ezechiel
Dans une imprécation essentiellement dirigée contre les mauvais bergers, Ezechiel explique comment Yahvé va reprendre en main ses brebis :
« Je chercherai celle qui était perdue, je ramènerai celle qui était égarée, je panserai celle qui est blessée, et je fortifierai celle qui est malade; mais celle qui est grasse et celle qui est forte, je les détruirai; je les paîtrai avec justice. Quant à vous, mes brebis, ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que je vais juger entre brebis et brebis, entre béliers et boucs. » Ezechiel 34, 16-17
Dans ce passage, Yahvé semble préférer les béliers aux boucs, mais aussi, dans la suite du texte, les brebis les plus faibles :
« C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur Yahweh: Me voici; je vais juger entre la brebis grasse et la brebis maigre.« Ezechiel 34, 18
Malgré les obscurités du texte, il semble qu’il s’agisse surtout de distinguer, non pas une espèce par rapport à une autre, mais les individus méritants par rapport aux profiteurs…
Brebis et boucs chez Mathieu
Dans l’Evangile de Mathieu, la parabole des brebis et des boucs reprend et développe les images d’Ezechiel. Ce texte est fondamental, puisqu’il servira de base à toute l’idéologie du Jugement Dernier :
« Or quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, il s’assiéra alors sur son trône de gloire, et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il séparera les uns d’avec les autres, comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite: » Venez, les bénis de mon Père: prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. » Mathieu 25 31-34
Une iconographie rarissime
La séparation des brebis et des boucs au moment du Jugement Dernier n’a été représentée que dans les très hautes époques, et les exemples se comptent sur les doigts d’une main.
Le jugement dernier ?
Couvercle de sarcophage, atelier romain, vers 300, Metropolitan Museum, New York
Un homme barbu avec les attributs du philosophe (les rouleaux à ses pieds) sépare huit béliers tête levée et cinq boucs tête baissée. De la main droite, il caresse le premier bélier ; de la main gauche, il repousse le premier bouc.
Le fait que ce sarcophage représente la parabole de Mathieu reste discuté (voir La figure du « Bon Pasteur » dans l’art funéraire de Rome et la pensée chrétienne des IIIe-IVe siècles, Aurélien CAILLAUD ; 2007-2008, p 111 et 130
Voici pratiquement le seul exemple indiscutable de représentation de la parabole de Mathieu (encore s’agit-il plutôt, vu l’absence de cornes, de brebis et de chèvres) :
La parabole des brebis et des boucs
Mosaïque du VIème siècle, Saint Apollinaire-le-Neuf , Ravenne
Occultée par l’immense succès au Moyen-Age des représentations du Jugement Dernier, la séparation entre ovins et caprins ne sera plus illustrée durant un bon millénaire…
…jusqu’à un dernier tour de piste fugitif, dans un tableau qui semble à première vue un simple paysage bucolique (nous résumons ci-après les explications de A.Pomme De Mirimonde, Le langage secret de certains tableaux du Musée du Louvre, RMN 1984, p 81).
Paysage avec les Pèlerins d’Emmaüs
Paul Bril, 1617, Louvre, Paris
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Les pèlerins d’Emmaüs
Premier indice d’un signification religieuse : l‘épisode des Pélerins d’Emmaüs se cache, représenté en tout petit, sur la pergola surplombant une fontaine, et surplombée par un palmier.
Sous le palmier
Le palmier est un très ancien symbole de la Justice : à cause du psaume XCII,13 : « le juste fleurit comme un palmier » et aussi du fait que ses palmes se redressent si on les incline.
Ainsi le thème du retour du Christ (apparition aux Pèlerins) est très discrètement lié à celui du jugement, induisant l’idée que le tableau pourrait représenter le Jugement Dernier.
Brebis et chèvres
C’est le soir, les bêtes rentrent des champs. Les brebis se trouvent dans l’ombre de la vallée. Mais comme elles suivent docilement leur berger, elles vont bientôt retrouver la lumière, l’étable et l’eau de la fontaine.
Les chèvres, en revanche, se trouvent en pleine lumière sur la colline du premier plan. Mais comme elles précèdent leurs bergers négligents, elles se dirigent droit vers la vallée, l’ombre, et un squelette de cheval.
Selon Pomme De Mirimonde, celui-ci représenterait la luxure et les vices, en référence à un texte de Jéremie (V, 8) qui compare les hommes adultères à des chevaux égarés « dont chacun hennit vers la femme de son prochain ».
Dans ce tableau-devinette, celui qui sépare les brebis des boucs n’est ni le berger, ni le chevrier qu’on nous montre : mais bien la silhouette minuscule du Fils de l’Homme, revenu s’asseoir non pas sur son trône de gloire comme le dit la parabole, mais sur la simple chaise d’une pergola.
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