Pendants solo : femme femme
Ces pendants confrontent deux personnages féminins différents.
Le cas particulier de la même femme monté sous deux aspects est traité par ailleurs (voir Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste) )
La vestale Tuccia avec son tamis (72.5 x 23 cm) | Femme buvant (Sophonisbe ?) (72.5 x 23 cm) |
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Mantegna, 1490, National Gallery, Londres
Ces deux panneaux sur bois imitant le bronze et le marbre, représentent deux héroïnes antiques :
- Tuccia, accusée d’inceste, se disculpa en transportant l’eau du Tibre dans un tamis, sans en perdre une goutte ;
- Sophonisbe, reine carthaginoise, se suicida en buvant du poison plutôt que d’être capturée par les Romains.
La logique du pendant (SCOOP !)
La raison du choix de ces deux héroïnes n’est pas claire (l’eau qui sauve entre l’eau qui tue ?), mais plusieurs détails confirment une conception en pendant ;
- l’éclairage inverse dans les deux panneaux suggère que ceux-ci étaient exposés face à face, ou de part et d’autre d’une fenêtre ;
- le vase aux deux lys, symbole de la Virginité, fait écho au laurier à deux branches, symbole de la Vertu ;
- enfin la marche de la vestale se passe en extérieur, tandis que la figure immobile de la buveuse s’appuie sur l’encadrement d’une porte.
Deux autres oeuvres, cette fois des toiles, appartenaient au même ensemble décoratif (probablement le premier studiolo d’Isabelle de Gonzague à Mantoue).
Didon (65,3 x 31,4 cm) | Judith avec la tête d’Holopherne (65x 31 cm.) |
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Mantegna, 1490, Musée des Beaux Arts, Montréal
- La reine phénicienne Didon avait juré de rester fidèle à son défunt mari Sychaeus Plutôt que de se remarier, elle préféra se jeter dans un bûcher. Dans l’Eneïde de Virgile, le bûcher est prévu pour se débarrasser des souvenirs d’Enée, son amant qui l’a abandonnée. Mais au lieu d’y mettre le feu, elle se suicide avec la propre épée d’Enée. Mantegna nous montre Didon devant le bûcher éteint, avec dans une main l’urne de son défunt mari, et dans l’autre l’épée de son amant.
- Judith la juive pénètre dans le tente du général Holopherne pour lui trancher la tête d’un coup d’épée.
La logique de la paire (SCOOP !)
La confrontation des deux femmes est très problématique : s’agit-il d’opposer une vicieuse et une vertueuse, ou bien d’honorer deux vertueuses (car Didon, selon la source à laquelle on se réfère, appartient aux deux catégories [0]) ? Par ailleurs la dissymétrie entre le couple de femmes et la femme seule contrarie le fonctionnement en pendant.
La lumière venant de la droite dans les deux oeuvres, il est probable qu’elles se trouvaient côte à côte sur le même mur, formant une frise continue, à la manière des Triomphes de César (dix tableaux réalisés entre 1484 et 1492).
Giampoetrino a produit vers 1520 une série de quatre belles suicidaires, aussi dénudées qu’internationales :
Didon la phénicienne,Palazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm) | Lucrèce la romaineChazen Museum of Art ,University of Wisconsin (95.6 x 70.8) |
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Le suicide conjugal (le poignard par fidélité)
Cléopâtre l’égyptienneBucknell University, Lewisburg (94.3 x 7.1) | Sophonisbe la carthaginoisePalazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm) |
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Le suicide politique (le poison plutôt que la prison)
J’ai reconstitué ci-dessus les appariements originaux, tels qu’ils étaient probablement présentés avant leur division malheureuse (antérieurement à 1676) [1].
Lucrèce et Judith Cranach, vers 1540, détruit en 1945 lors du bombardement de Dresde
Le pendant met en parallèle une héroïne romaine et une héroïne biblique que Cranach a souvent représentées par ailleurs :
- Lucrèce, pieuse épouse qui, violée par son hôte, se suicida pour ne pas survivre au déshonneur ;
- Judith, pieuse veuve qui, se livrant au général ennemi, le tua avant qu’il ne la touche.
Le schéma implicite, un acte de violence commis par une femme après ou avant un acte sexuel, avait tout, sous prétexte de montrer la Vertu, pour émoustiller les spectateurs de l’époque :
- plastique longiligne des deux nudités à peine voilées ;
- symbolique comparée du poignard à la lame courte et de l’épée à la lame longue, manipulées par ces dames.
Paysanne aux fruits | Paysanne à la coupe de fruits |
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Tournier, 1630, fondation Bemberg, Toulouse
La logique du pendant (SCOOP !)
Toujours dans le goût caravagesque pour le cadrage en demi-figure, ces deux portraits de paysannes opposent :
- couleur froide et couleur chaude de la jupe ;
- cheveux visibles et cheveux cachés sous la coiffe ;
- regard direct et regard baissé ;
- tablier relevé en geste d’offrande et coupe portée à bout de bras ;
- fruits à pépins et fruits à noyau.
La présence de la figue ouverte en bonne place, à côté de la grappe bachique, complète les allusions à la disponibilité amoureuse de la femme de gauche (les pépins étant une figure de la multiplicité), en contraste avec la pudeur de celle de droite (le noyau figurant l’unicité de l’amour).
Apparition du Christ crucifié à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus | Apparition du Christ triomphant à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus |
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Alonso Cano, 1629, Prado, Madrid
A gauche, la sainte est représentée écrivant à sa table de travail, vue de face, contemplant l’apparition du Christ en Croix dans un ciel tourmenté.
A droite, elle est à genoux, vue de dos, et le Christ lui apparaît triomphant dans un ciel dépourvu de nuages.
Les deux panneaux faisaient partie d’un retable pour le couvent de Saint Albert à Séville, dont la composition précise n’est pas connue.
Femme peignant son enfant ((La chasse aux poux), Mauritshuis, La Haye (33.2 x 28.7 cm) |
La fileuse, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (33.6 x 28.6 cm) |
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Ter Borch, 1652-53
La modèle est Wiesken Matthys, la belle-mère de l’artiste, en train de se livrer à deux occupations méticuleuses : le petit enfant et le petit chien, la tignasse et la filasse, se font écho avec tendresse.
La fileuse (die Spinnerin) | La brodeuse (die Naherin) |
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Netscher, 1660-84, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde (détruits en 1945)
Le pendant oppose une femme mûre au rouet, et une jeune fille au coussin à broder. Chacune a derrière-elle sa matière première : quenouille sur la chaise, linge dans le panier. Les pendants sont accrochés dans l’ordre logique des opérations (la fabrication du fil précède la broderie) mais dans l’ordre inverse des âges : la finesse des travaux d’aiguille est réservée à la jeunesse. Il y a également probablement un sous-entendu sexuel, entre la femme mûre habituée à manier les quenouilles (métaphore phallique courante), et la jeune fille qui en est à préparer son trousseau.
Madeleine pénitente (précédemment Asteria) | Madeleine en extase (précédemment Danae) |
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Livio Mehus, 1660-65, Palazzo Pitti, Florence
Initialement, le pendant était consacré aux amours terrestres de Jupiter : à gauche celui-ci prenait la forme d’un aigle pour séduire Asteria (Métamorphoses d’ Ovide, IV, 108) ; à droite celle d’une pluie d’or pour s’introduire chez Danaé.
A une époque et pour une raison inconnues, le pendant fut partiellement repeint pour célébrer les amours célestes de la Madeleine. A gauche, on rajouta des accessoires de piété (crâne, croix auréole) et une chemise de nuit, tandis que les anges continuaient à s’enlacer avec une tendresse déconcertante. A droite, les Cupidons qui recueillaient la pluie d’or furent recyclés l’un en porteur de cilice, l’autre en observateur du flacon de parfum.
Au final, ce repeint improbable aboutit à un résultat parfaitement hypocrite, où la sensualité sous-jacente subvertit la piété affichée, et en fait un objet de délectation pour amateur éclairé.
La Vanité | La Sagesse |
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Nicolas Régnier, 1626, Palazzo Reale, Turin
Présentés aujourd’hui comme dessus de porte aux deux bouts de la galerie de Daniel, ces deux tableaux ont été conçus pour être accrochés côte à côte :
- en intérieur, la Vanité, entourée d’objets précieux, un masque sur ses genoux, ouvre en souriant un vase précieux, dans un geste à la Pandore qui appelle des catastrophes (voir la couronne tombée à côté du masque) ;
- en extérieur, la Sagesse, entourée de livres, à côté d’un crâne qui s’étudie dans un miroir, brandit un balance, emblème de la faculté de juger, mais aussi rappel du Jugement dernier (d’où sa position qui semble peser les deux crânes).
Allégorie de la Sculpture |
Allégorie de la Peinture |
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Giovanni Antonio Pellegrini, vers 1750, Accademia, Venise
L’une, noiraude et rougeaude, a une robe aux couleurs chaudes et une pose avachie, le marteau dans une main et l’index de l’autre montrant on ne sait quoi . L’autre, une blonde vénitienne, a le profil grec, le drapé en couleurs froides et la pose élégante. Difficile de cacher de quel côté penche le coeur de Pellegrini.
Allégorie de l’Abondance | Allégorie de l’Espérance |
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Guardi, 1747, Ringling Museum of art
L’Abondance et l’Espérance n’ont pas grand chose à se dire : l’une avance en laissant tomber ses épis, l’autre reste plantée sur son ancre, les fleurs dans son tablier symbolisant les récompenses à venir. L’une dilapide, l’aitre thésaurise. Seul le paysage maritime crée une continuité entre les deux pendants, ainsi que les deux anges qui, l’un portant un bout de colonne et l’autre un morceau d’architrave, s’affairent au premier temps à relever des ruines.
Offrande à l’Amour |
Bacchante dans l’ivresse devant une statue de Pan |
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Callet, 1778, collection particulière
Ces deux tableaux font partie d’une série de six réalisée par Callet pour décorer le boudoir du Pavillon de Bagatelle. Toujours vendus ensemble, ils présentent de nombreux éléments de symétrie :
- statues masculines contrastées : un Cupidon discret et un Pan diabolique ;
- vases en bas à gauche : l’un posé sur son pied, l’autre renversé et béant ;
- tissu bleu, servant de présentoir pour les roses ou de drap pour la bacchante ;
- élément chauffant : foyer ouvert ou cocotte-minute ;
- offrande à la Divinité : foyer ouvert ou tambourinade.
Ces oppositions vont toutes dans le sens du couple le plus fantasmatique du XVIIIème siècle : la vierge (vase intact) et la déflorée (vase béant).
Jeune femme devant une statue de Cupidon | Bacchante jouant des cymbales devant une statue de Pan |
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Callet ,vers 1780, collection particulière
Ce pendant réplique celui réalisé pour Bagatelle, en forçant encore sur les oppositions :
- aux deux colombes innocentes succèdent les deux amours autour du brasero ( orné d’un bélier) ;
- le tissu bleu est remplacé par la fourrure de léopard ;
- à la poitrine couverte s’opposent les bras déployés (pour les cymbales) ;
- la petite torche de Cupidon s’est transformée en un gros thyrse dressé sur la marche ;
- le panier de fleurs laisse place au vase bavant.
Inhérent à tout pendant, le plaisir de la comparaison devient ici le principe du plaisir.
Hommage à Flore (disparu), gravure de Patas | Offrande a Venus, Musée des Beaux-Arts, Rouen |
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Callet, 1778
Ces deux autres tableaux de la série formaient eux aussi des pendants sur le même thème : la jeune vierge honorant Flore, la femme accomplie remerciant Vénus et sa pomme.
Le dernier pendant (Adonis partant pour la chasse, couronné par Vénus et Diane au bain accompagné de ses nymphes) n’a pas été retrouvé.
Pour être complet sur les pin-ups à l’antique de Callet, voici un pendant antérieur, dont il me manque malheureusement la moitié la plus émoustillante :
Jeunes filles préparant des dards auprès de la statue de l’Amour | Deux vestales préparant un sacrifice |
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Callet, 1770, Musée des Augustins, Toulouse
La jeune musicienne, 1788 | Le jeu de cache-cache, 1789 |
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Michel Garnier, collection privée, 14.6 x 11.4 cm
Ce pendant de très petite taille pousse à l’extrême l’imitation virtuose de la peinture fine hollandaise. A la toute fin de l’Ancien Régime, il met en scène deux facettes de la femme moderne :
- musicienne savante, à la harpe, lorsqu’elle se montre en représentation au salon ;
- musicienne légère, à la guitare,) et mère parfaite dans l’intimité du logis (voir le portrait du Père de famille, reflété dans le miroir de la cheminée).
Le fauteuil et la boîte en carton servent de motifs de jonction.
La fileuse | La dévideuse |
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Gravures de Sigmund Freudenberger, 1794
Ces deux gravures montrent, de part et d’autre de la porte, le coin toilette avec le filage, le coin cuisine avec le dévidage. Dans un esprit didactique, le pendant respecte l’ordre des opérations ;
- d’abord on fabrique les bobines, puis on en fait des écheveaux ;
- d’abord on lape, puis on dort.
Odalisque dormant Ingres, vers 1820, Victoria and Albert Museum, Londres (d’après la Dormeuse de Naples, 1808, tableau disparu) |
La Grande odalisque, Ingres, 1814, Louvre, Paris |
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Ingres a d’abord peint La Dormeuse : « Une femme de grandeur naturelle couchée nue, dormant sur un lit de repos à rideaux cramoisis ». Elle est acquise en 1809 par le Roi de Naples, Joachim Murat, dont l’épouse, Caroline Bonaparte, commande cinq ans plus tard trois nouvelles toiles au peintre. Parmi celles-ci, La Grande Odalisque, une orientale, nue, vue de dos sur fond bleu, qui fait pendant à la jeune occidentale, nue, vue de face et sur fond rouge.
Depuis 1815 et la fuite de Caroline, on est sans nouvelles de La Dormeuse, dont il ne reste que des esquisses faites de mémoire par Ingres, et toute une série de tableaux qui n’en inspirent [2].
En 2007, on a bien cru l’avoir retrouvée, cachée sous un tableau du XVIIème siècle :
Vénus dormant avec cupidon et satyre,
Luca Giordano, 1663, Musée de Capodimonte, Naples
Mais le scoop a semble-t-il fait long feu [2].
Allégorie de la Vertu | Allégorie du Vice |
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Charles Robert Leslie, 1840-60 (45,7 x 30,5 cm)
La Vertu, jolie rousse en robe blanche, boutonnée jusqu’au cou et au poignet, ne s’occupe que de cueillir des roses dans un jardin clos.
Le Vice, brune piquante à la mantille espagnole, sort dans un parc à la fontaine jaillissante, montre sa cheville et regarde qui la regarde.
Le Ballon Puvis de Chavannes, 1870, Musée d Orsay |
Le pigeon-voyageur Puvis de Chavannes, 1871, Musée d Orsay |
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Inscriptions sur le cadre, de la main de l’artiste :
» La ville de Paris investie confie à l’air son appel à la France » | » Echappé à la serre ennemie, le message attendu exalte le coeur de la fière cité « |
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Une symétrie marquée
Les deux tableaux « se répondent point par point : à la femme armée simplement vêtue d’un austère costume du temps – se tournant vers les hauteurs du fort du Mont Valérien au delà des remparts et accompagnant du geste le ballon, s’oppose la même figure de deuil, vue de face cette fois, recueillant le pigeon qui a échappé aux griffes d’un de ces faucons dressés par l’ennemi, au-dessus d’une vue de l’ile de la Cité, enfouie sous la neige ; pendant ce dur hiver, elle tomba en abondance à partir du 22 décembre. » Notice du Musée d’Orsay
Ainsi, formellement, les deux pendants obéissent à une stricte symétrie :
- une femme vue de dos, tournée vers les faubourgs, lève la main vers un objet ami qui s’éloigne ;
- une femme vue de face, le dos à la ville, lève la main vers un objet ennemi ami qui s’approche.
Deux moments du Siège
Canon Joséphine, bastion 40 à Saint Ouen
Le premier panneau a probablement été peint depuis ce bastion. Le ballon s’envole vers le Sud Ouest, en direction de l’Armée de la Loire formée par Gambetta.
Le second panneau montre un Paris revenu au Moyen-Age, rétréci à l’ultime enceinte de l’Ile de la Cité. Le combat militarisé du faucon et du pigeon fait écho à celui qui, de tout temps, a opposé ces deux volatiles près des tours de Notre Dame : comme si la fatalité de la guerre se dilatait dans le temps, à la manière de la neige accaparant tout l’espace.
« Entre les deux tableaux, quelques semaines voire quelques mois se sont écoulés, qui ont affaibli le moral des Parisiens. Les deux œuvres enregistrent aussi l’abattement de Puvis de Chavannes qui se sent pris au piège d’une ville dont le paysage agreste, ouvert et comme en creux, se déroulant sous le regard dans Le Ballon, est devenu dans Le Pigeon un espace urbain aux fortifications saillantes agressives – c’est la « ville géante à plusieurs enceintes » dont parle Alphonse Daudet dans ses Lettres à un absent (1871). .D’un tableau à l’autre, comme par un phénomène d’éclipse, l’inquiétude et la peur ont succédé à l’optimisme et à l’espoir incarnés par l’aérostat. » [3]
Dans la serre | Le billet |
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Toulmouche, 1883, Musée d’Arts, Nantes (66 x 45 cm)
Présentées au Salon de 1883, ces deux toiles renouent avec la tradition du pendant extérieur – intérieur :
- dans la Serre, la Femme se fait rose parmi les roses, cachant au mépris des piqûres sa poitrine en fleur sous ses consoeurs ;
- au Salon, la Rose se fait Femme, extrayant du bouquet ce qui lui importe : le billet d’un admirateur.
Madame Polichinelle | Madame Arlequin |
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Emile Bayard, 1886-87, gravures coloriées
Féminiser ces deux caricatures viriles que sont Polichinelle, avec son bâton, et Arlequin, avec sa batte, ne va pas sans un frisson érotique. Dans la même veine, Emile Bayard a également exploité le thème des duels entre femmes (voir Deux moments d’une histoire ).
La renaissance des Arts | La renaissance des Lettres |
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Galland (Pierre-Victor), 1888, Musée de l’Oise, Beauvais
Ces panneaux décoratifs destinés à l’hôtel particulier de l’architecte Jean-Baptiste Pigny, à Paris, son effectivement décoratifs. Mais pas plus. Après deux siècles d’évolution, l’art des pendants atteint ici son point de gratuité, avec des nuages, des angelots, des branches d’olivier, des envolées d’étoffes et des torses nus, qui semblent avoir été tirés au hasard au profit d’une allégorie paresseuse : les Arts réduits à une lyre et une trompe, les Lettres à un rouleau blanc.
Comme si le peintre ne retenait que la force plastique de la formule, et s’excusait du symbolisme.
Tête byzantine brune | Tête byzantine blonde |
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Mucha, 1897, lithographies en couleur
Dix ans après, Mucha développe son style décoratif expansif. Sur fond de synapses rayonnantes, deux profils « byzantins » confrontent leur pureté graphique. La princesse brune, parée de gemmes aux couleurs chaudes, lève la paupière et entrouvre les lèvres. En face, la princesse blonde, enchâssée dans les couleurs froides, baisse le regard et garde bouche close.
Deux nuances du mystère fin de siècle, entre la révélation esquissée et le sourire silencieux.
L’affichiste belge Privat-Livemont recycle en style Art Nouveau deux sujets classiques de pendants.
La Sculpture | La Peinture |
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Privat-Livemont, 1901, lithographies en couleur
La complémentarité des deux Arts s’exprime par celle des couleurs vert et rouge.
La fileuse | La brodeuse |
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Privat-Livemont, 1904, lithographies en couleur
La ligne d’horizon (avec moulins et clochers), la végétation identique, les troncs centraux, les broderies similaires (avec papillons) unifient les deux jeunes filles, saisies dans le geste en écho de passer le fil dans le rouet ou à travers la broderie.
Le musicien et Derrière le rideau
Edmundo Pizzella, 1906 ,Pastels, Collection privée
Ces deux Pierrots ambigus reprennent étrangement, dans une sobriété blanches, la même thématique que les princesses de Mucha. Le Pierrot blond ferme les yeux et la bouche, le Pierrot brun entrouvre les paupières, les lèvres et le rideau. Tandis que l’un fait corps des deux mains avec son violon au repos, l’autre, avec sa parole réprimée par l’index, s’identifie au rideau à peine relevé : d’un côté un sommeil instable, de l’autre une révélation esquissée.
Pierrot
Edmundo Pizzella, 1907 ,Pastels, Collection privée
Cet autre pastel rend évidente la féminité des Pierrots.
Femmes avec chevaux
Bruno d’Arcevia, 1985, Collection particulière
Si l’on regarde la moitié haute, les deux femmes sont vues de face ; et si l’on regarde la moitié basse, celle de gauche est vue de dos.
Pour les chevaux, c’est l’inverse : ils sont opposés en haut et symétriques en bas.
Esthétique de la surprise, de l’élongation et de la torsion : résurrection de la virtuosité maniériste.
Double face (Zwei Seiten)
Gravure de Willi Kissmer, 1995
Autre recto-verso bien balancé, par ce grand spécialiste des plis mouillés.
La Guerre du blanc et du noir (The Black and White War)
Daniel Maidman, 2011, collection particulière
Le décor, à première vue symétrique et rationnel, est en fait truffé de complexités :
- les escaliers de gauche sont une empreinte en creux des escaliers de droite ;
- même en faisant tourner la plaque circulaire sur laquelle sont placées les deux femmes, le carrelage de celle-ci ne se rabouterait pas au reste de la pièce (la diagonale des carreaux de la plaque est égale à la largeur des autres carreaux)
- les trois alignements centraux de carrés ne sont pas plats, mais en escalier (regarder la limite avec la plaque circulaire pour s’en convaincre).
Heureusement, pour appréhender cette complexité déconcertante, nous disposons du blog de Daniel Maidman. Il y décrit, le 27 octobre 2010, l’oeuvre en cours d’élaboration :
« Je n’avais donc aucune idée de ce qu’était cette peinture avec Alley (nom de la modèle) quand je l’ai commencée. Mais elle s’est révélée à moi pendant que je peignais. Tout d’abord, j’ai découvert pourquoi j’avais pensé à mettre Alley dans cette position. Voici la raison:
Diane
Augustus St-Gaudens’s , 1892–93, Philadelphia Museum of ArtMaintenant, cette Alley sur laquelle j’avais tâtonné, est une Alley venant du pays des ombres lumineuses, de la forme et de l’optimisme, mais son oeil est dans l’ombre parce qu’elle regarde vers les ténèbres. Je voudrais peut-être vivre dans le monde aérodynamique de St-Gaudens, mais je ne peux pas ; je sais ce qui s’est passé depuis. Ma variante de la déesse regarde vers l’obscurité. Elle se tient au bout de l’impasse de la raison.
Maintenant, c’est ce que la peinture signifie pour moi – assurément. Mais la peinture n’est qu’à moitié faite. La seconde Alley fait face à la première, et son visage est éclairé. Peut-être que je vais découvrir que c’est un espoir. Mais je pense que je vais découvrir que c’est un étrangeté. Les deux se reflètent l’une l’autre, et elles prendront place finalement dans un labyrinthe compliqué et désert d’arches et d’escaliers. Je pense que je trouverai, à la fin, qu’il s’agit d’un tableau sur la crainte de l’analyse, dans un lieu qui est au-delà de l’analyse. Dans ce lieu , persister dans l’analyse est en soi déraisonnable. La raison, dans ce contexte, est comme une tumeur indésirable. L’irrationalité brutale de l’espace réfracte la raison, en produisant deux là où il n’y en avait qu’une. La beauté, la forme, l’espoir, l’humanité – tout cela est indésirable dans la froide inhumanité de la bouillonnante et irréductible complexité du labyrinthe inexploré. » [3]
Dans un autre post, le 20 mars 2011, Maidman nous livre l’autre source de son inspiration :
« Petite note finale: Le titre de La guerre blanche et noire a été à l’origine inspiré par une lecture très large de l’expression « la guerre huit-par-huit », dans le roman Un Lun Dun de Chine Mieville . C’est une guerre dont on sait qu’elle a eu lieu, mais personne ne se souvient de qui l’a gagnée. » [4]
Le roman de Mieville décrit la quête de deux jeunes filles de douze ans, Zanna and Deeba, pour délivrer du Smog maléfique qui la menace Unlondon, le double immatériel de la ville de Londres. S’il a modifié l’âge et la plastique de ces deux héroïnes juvéniles, Maidman en a conservé la blondeur, et la solidarité : elles scellent leur pacte devant un médaillon où s’affrontent un aigle et un lion, symbole d’un guerre de deux principes, sans fin et sans raison.
Un article très défavorable : http://www.latribunedelart.com/le-tableau-disparu-a-la-recherche-de-la-dormeuse-de-naples-de-jean-auguste-dominique-ingres
« So I had no idea what this Alley painting was about when I started it. But it’s been showing itself to me as I painted. First, I found out why I thought to have Alley stand like that. Here’s the reason:
Now, this Alley I have groped my way into showing, is an Alley coming from the land of bright shadows, of form and optimism, but her eye is shadowed because she is looking into darkness. I might like to live in the aerodynamic world of St-Gaudens, but I cannot; I know what has happened since. So my variant on this goddess looks into the dark. She is standing at the very dead end of reason.This is what the painting means to me now – sure. But the painting is less than half done. The second Alley faces the first one, and her face is lit. Perhaps I will find out that this is hopeful. But I think I will find out that it is uncanny. The two of them mirror one another, and they will stand (eventually) in an intricate, abandoned maze of arches and staircases. I think that I will find, in the end, that this is a painting about the fearfulness of analysis in a region that is beyond analysis. In this region, to persist in analysis is itself unreasonable. Reason, in this context, is like an unwelcome tumor. The brutal irrationality of the space refracts reason, producing two where there was one. Beauty, form, hope, humanity – all of them are unwelcome in the cold inhumanity of the seething, irreducible complexity of the uncharted maze. »
« A little endnote here: The image of The Black and White War was originally inspired by a very broad reading of the phrase « the Eight-by-Eight War, » in China Mieville’s novel Un Lun Dun. This is a war which is known to have happened, but nobody remembers who won it. »
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