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Les pendants de Boucher : paysages et autres

26 février 2020

Il est difficile de tracer une ligne de séparation nette entre certaines pastorales, où le paysage tient une grande place, et les tableaux à dominante paysagère, mais presque toujours peuplés de personnages bucoliques.

Les pendants de paysage chez Boucher sont relativement répétitifs. La plupart ont pour sujet une paire de constructions :

  • colombier et moulin ;
  • pont, digue ou portail, et moulin ;
  • On compte seulement deux pendants paysagers sans moulin.

Article précédent : Pastorales

Colombier et moulin

boucher-1739-le-vieux-colombier-kunsthalle-hambourgLe vieux colombier, Kunsthalle, Hambourg boucher-1739-le-moulin-de-quiquengrogne-a-charenton-coll-partLe Moulin De Quiquengrogne A Charenton, Collection privée

Boucher, 1739

Dans ce tout premier pendant paysager, Boucher juxtapose deux constructions qu’il reprendra ensuite à de nombreuses reprises :


Première vue de CharentonPremière veue de Charenton 1747 Seconde Veue de Charenton, Eau-forte-de-J-P-Le-BasSeconde veue de Charenton

1747, Gravures de Ph. Le Bas d’après Boucher

La juxtaposition des deux constructions est peut être purement topographique : à en croire cette paire de gravures de Ph. Le Bas, elles se situaient toutes deux à Charenton.



Boucher 1743 Paysage au Colombier coll privee Londres
 
Paysage au Colombier
Boucher, 1743, collection privée

Quatre ans plus tard, Boucher reprend le même colombier, qu’il réutilisera parla suite de manière récurrente. Il lui associe, sur l’autre rive de la rivière, un moulin à roue latérale parfaitement anonyme.


boucher-1750-le_pigeonnier-coll-partLe pigeonnier boucher-1750-le_moulin_a_eauLe moulin à eau

 Boucher, 1750, Collection privée

Sept ans plus tard, Boucher reprend le même paysage et lui associe un second moulin, retrouvant l’idée du pendant de 1739, mais sans référence à Charenton.  Le moulin du pendant de gauche sert alors de  jonction avec le pendant de droite.



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Boucher 1754 Paysage au pont de pierre Cincinnati Art MuseumPaysage au pont de pierre Boucher 1754 Paysage au moulin Cincinnati Art MuseumPaysage au moulin

Boucher, 1764, Cincinnati Art Museum

Ce pendant, avec ses deux ponts de bis encadrant un pont de pierre,  crée une sorte de paysage continu : l’espace entre les deux tableaux fonctionne comme une île entre les deux branches d’une rivière.



Boucher 1766c le bateau du pecheur coll partLe bateau du pêcheur Boucher 1766c la maison du meunier coll partLa maison du meunier

Boucher 1766, collection privée


Autre construction et moulin

boucher-1751-le-moulin-chambre-a-coucher-cardinal-soubise-louvreLe Moulin boucher-1751-le-pont-chambre-a-coucher-cardinal-soubise-louvre-bisLe Pont

Boucher, 1751, Louvre

Dans ces deux dessus de porte réalisés pour la chambre à coucher du cardinal de Soubise, le thème du moulin est maintenant associé à celui du pont. On trouve ici deux motifs de jonction :

  • le second pont dans le tableau de gauche ;
  • la seconde maison dans le tableau de droite, qui rappelle la silhouette du moulin.

En contrebas, une femme et son enfant ; sur le pont un homme avec un bâton ; dans les deux panneaux un chien aboie, vers le bas où vers le haut.

Ainsi la composition suggère qu’il s’agit d’un même paysage sous deux points de vue décalés, tandis que les détails prouvent que les deux maisons, les deux ponts et les personnages sont différents : ainsi sont satisfaits à la fois le besoin de continuité et le goût pour la variété.



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Boucher 1756 La promenade en barque coll privLa promenade en barque Boucher 1756 Blanchisseuse pres d'un moulin coll privBlanchisseuse près d’un moulin

Boucher, 1756, collection privée

Ce pendant atypique montre deux moulins, l’un vu de loin (dont la roue semble arrêtée) et l’autre vue de près (dont la roue tourne).

Les deux scènes animées semblent purement anecdotiques :

  • une femme avec son enfant regarde, depuis la digue, le passeur qui accoste à l’autre rive avec une femme et un enfant ;
  • la meunière observe depuis la porte la servante qui fait la lessive.


La logique du pendant (SCOOP !)

La logique semble être ici d’opposer deux modalités de la rivière :

  • le château fort qui contrôle la route attire l’attention sur la digue qui bloque la rivière : passive, celle-ci sert seulement de frontière entre les deux couples ;
  • libérée, elle fait son travail, comme la blanchisseuse fait le sien.



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Boucher 1766a La jeune pecheuse coll partLa jeune pêcheuse Boucher 1766a Le moulin coll partLe moulin

Boucher 1766, collection privée

Boucher déclinera la même opposition sept ans plus tard, en appariant le moulin avec une autre scène calme où la rivière joue ici encore un rôle de frontière : cette fois entre le couple de femmes et un jeune garçon avec son chien. La fortification rustique, à gauche, n’est pas un portail, mais un pont qui passe sur un affluent de :la rivière.


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Boucher 1769c le cours d'eau Coll privLe cours d’eau Boucher 1769c le moulin Coll privLe moulin

Boucher 1769, collection privée

Pratiquement le même pendant, mais les deux femmes avec enfant sont sur la même rive, à côté d’une construction rustique qui est bien, cette fois, un portail.


Paysages sans moulin

 

Boucher 1740 _The_Forest_-_WGA2888 LouvreLa forêt, Louvre Boucher 1740 Paysage aux environs de Beauvais et souvenir d'Italie coll privPaysage aux environs de Beauvais et souvenir d’Italie,collection privée

Boucher, 1740

Mais Boucher ne s’intéresse pas à la reproduction fidèle du réel : la plupart de ses paysages sont conçus comme des décors de théâtre, recomposés en patchwork à partir d’études d’après nature :

  • ici le premier tableau juxtapose plusieurs espèces d’arbres qui ont peu de chance de se trouver ensemble (pin parasol, chêne, sapin) ;
  • le second tableau fait cohabiter un moulin à roue latérale bien français, adossé au colombier en ruines, avec le Temple de Vesta de Tivoli.

L’idée de ce pendant semble être d’opposer la rudesse de la nature sauvage, où se risquent seulement des soldats, et la paix de la campagne civilisée.


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Boucher 1764b Le matin pres de Beauvais Barberini_GalleryLe matin (environs de Beauvais), Gallerie Barberini, Rome Boucher 1764b Le soir pres de Beauvais coll privLe soir (environs de Beauvais), collection privée

Boucher 1764

Le titre de ces deux pendants est vaguement suggéré par quelques détails:

  • dans le premier tableau, la cheminée fume encore et un linge est mis à sécher à la fenêtre ; le couple près de l’âne chargé évoque le départ pour le marché, le berger près des bêtes celui du troupeau pour les champs
  • dans le second tableau, la cheminée fume déjà et une femme fait la lessive en haut des marches, tandis qu’un passant arrive par la gauche, son baluchon sur l’épaule.

Remarquons que Boucher n’a pas marqué clairement la position de la lumière, qui est en général opposée dans les pendants Matin / Soir (voir Pendants paysagers matin soir). Par ailleurs, l’insistance sur l’opposition des feuillages vert et jaune, ainsi que la présence des colombes dans le premier tableau, militent plutôt en faveur d’une opposition de saison.

Au final, cette indécision savamment entretenue enrichit le pendant, laissant le spectateur choisir l’opposition qui lui convient :

  • Matin / Soir,
  • Départ / Retour ou
  • Printemps / Automne.

Trois thèmes pour le prix d’un…


Autres pendants

Boucher A2 1739 La_chasse_au_crocodile Musee de Picardie AmiensLa chasse au Crocodile, 1739 Boucher A2 1736 La_chasse_au Tigre Musee de Picardie AmiensLa chasse au Tigre, 1736

Boucher, Musée de Picardie, Amiens

La Chasse au Tigre fait partie d’une série des Chasses étrangères, commandées en 1736, pour décorer les Petits appartements du Roi, à différents artistes :

  • La chasse au lion, De troy
  • La chasse à l’éléphant, Parrocel
  • La chasse chinoise, Pater
  • La chasse à l’ours, Van Loo

Des cinq tableaux, celui de Boucher est le seul à comporter une diagonale marquée, ce qui laisse supposer qu’un pendant était envisagé dès l’origine.



Boucher A2 1736 La_chasse_au Tigre schema
Lorsqu’il fut finalement commandé en 1739, sa composition s’inscrivit dans une parfaite symétrie, le zigzag du corps du crocodile venant astucieusement prolonger celui du Nil.

 

boucher 1742 L enfant gateL’enfant gâté boucher 1742 La gimbletteLa gimblette

Boucher, 1742, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

boucher 1742 La jupe releveeLa jupe relevée boucher 1742 L oeil indiscretL’oeil indiscret

Boucher, 1742, Collection privée

Réalisés pour le fumoir du financier Pierre Paul Louis Randon de Boisset, les deux peintures « découvertes » masquaient les deux peintures  « couvertes » de manière à ménager, pour les spectateurs éclairés, le plaisir de la surprise et celui de la comparaison.

Dans la version honnête, la fille en rose s’occupe d’un garçonnet et la fille en vert de son petit chien, sous l’oeil d’un indiscret qui l’épie à travers une vitre.

Dans la version malhonnête, les deux filles ne s’occupent que d’elles-mêmes, se soulageant l’une dans une chaise percée , l’autre dans un bourdaloue.  A elles deux, elles  composent un fantasme libertin complet, cul et sexe, solide et liquide.



boucher 1742 L oeil indiscret detail

Peut-être le voyeur du fond est-il sensé observer la fille dans un miroir ; mais on peut tout aussi bien supposer qu’il constitue une sorte de repoussoir comique puisque, d’où il est placé, en aucun cas il ne voit rien, à la différence du spectateur.

Les pendants de Boucher : pastorales

26 février 2020

On trouve parmi les nombreux pendants pastoraux de Boucher tous les appariements possibles :  quelques rares femmes seules, mais surtout des couples, des trios, et des groupes plus importants de campagnards idéalisés.

Article précédent : Les pendants de Boucher : mythologie et allégorie

Pastorales : pendants femme-femme

Boucher 1767a La bergere a la cage coll partLa bergère à la cage vide Boucher 1767a La bergere au panier coll partLa bergère au panier de fleurs

Boucher, 1767, collection particulière

Autant les paires féminines sont fréquentes dans les pendants mythologiques de Boucher, autant elles sont rares parmi ses tableaux pastoraux : sans doute parce que les figures habillées se prêtent moins que les figures nues aux oppositions de posture qui l’intéressent

Ici, de manière banale, le panier rempli de fleurs fait écho à la cage qui attend les trois oiseaux devant lesquels le chien est tombé en arrêt.

 

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Boucher 1767c Le messager discret coll partLe messager discret Boucher 1767c Venus et les amours coll partVénus et les amours

Boucher, 1767, collection particulière

Dans cet autre essai la même année, Boucher mixe de manière exceptionnelle ses deux genres de prédilection : pastoral et mythologique.

Le second tableau rend visible la rêverie de liseuse, tout ce qui se cache derrière la lettre et le bas-relief aux trois amours : un monde où la nudité règne, où les pigeons et les colibris se bécotent, où les amours montent à l’assaut avec flèche et brandon. Le panier de fleurs identique fait jonction entre les deux tableaux, comme si la déesse s’était penchée hors du second pour le chiper dans le premier.

  

Pastorales : pendants de couple

Boucher 1735 ca le vendeur de legumes Crysler Museum of Art, NorfolkLe vendeur de légumes
Boucher, vers 1735, Chrysler Museum of Art, Norfolk
  boucher 1735 ca Paysan pechant The Frick PittsburgPaysan pêchant
Boucher, vers 1735, The Frick Museum,Pittsburg

Ces deux scènes campagnardes, en compagnie de deux plus petites, composaient une luxueuse décoration murale dont ni le commanditaire, ni le thème s’il y en avait un, ne nous sont aujourd’hui connus. Il est possible que les deux grands panneaux symbolisent la Terre (les légumes) et l’Eau.

Le pendant se justifie par la position symétrique du couple, à gauche et à droite d’une vallée et au pied d’un arbre en oblique, ainsi que par le thème de l’approvisionnement :

  • à gauche le jeune vendeur propose ses carottes à la jeune fille, qui tient déjà un gros chou sur son ventre ;
  • à droite une autre jeune fille est descendue depuis la maison à la rivière avec un panier, pour récupérer les poissons à la source.

La rencontre scabreuse des carottes, du choux et de la queue d’une casserole vide est innocentée, à gauche, par la présence de la marchande qui surveille la transaction. A droite, la jeune fille s’intéresse, au choix, à la canne à pêche, au poisson qui va mordre ou à la belle jambe qui taquine l’onde.

Tout en les édulcorant savamment, Boucher multiplie les sous-entendus et laisse la grivoiserie au spectateur.


Pendants avec couple

Avec deux pendants de porte réalisés pour la salle d’audience du Duc de Rohan, Boucher lance véritablement le genre de la pastorale : des jeunes gens de la meilleure société se déguisent en bergers et bergères pour se livrer, en toute bienséance, à des activités irréprochables mais hautement suggestives.



Boucher 1736-39_Le_pasteur_complaisant,_Paris,_Archives_nationales,_hôtel_de_SoubiseLe pasteur complaisant Boucher 1736-39_Le_pasteur_galant,_Paris,_Archives_nationales,_hôtel_de_SoubiseLe pasteur galant

Boucher, 1736-39, Archives nationales, hôtel de Soubise, Paris

A gauche, le chien est intéressé par l’oiseau du berger, qu’il sort de sa cage pour le montrer à la bergère curieuse (voir La cage à oiseaux : en sortir).

A droite, les deux se sont rapprochés : le berger veut couvrir la bergère d’un collier de fleurs, celle-ci le repousse d’une main tout en posant l’autre sur une canne opportunément apparue. Et c’est cette fois un jeune garçon, caché derrière la volute, qui observe comment les choses évoluent.

 

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Boucher A1 1743 La bergere endormie Mobilier NationalLa bergère endormie, 1743 Boucher A1 1753 Sujet_pastoral_la_musette_ou_La_marotte Mobilier National.La musette ou La marotte, 1753

Boucher, Mobilier National

Complété à dix ans de distance, ce possible pendant montre la même évolution entre une scène froide (la bergère endormie est admirée à distance par le pâtre) et une scène chaude

 

Boucher A1 1753 Sujet_pastoral_la_musette_ou_La_marotte Mobilier National detail.
…dans laquelle le berger, vautré sur un rondin, tient à deux mains le tuyau de sa cornemuse, que la bergère décore d’un noeud délicat.

 

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Boucher 1746 Le-Joueur-De-Flageolet coll priveeLe joueur de flageolet
Boucher, 1746, Localisation inconnue [3]
Boucher 1746 Pensent-t-ils au raisin Arts Institute ChicagoPensent-t-ils au raisin ?
Boucher, 1747, Arts Institute, Chicago

Dans ces pendants exposés au salon de 1747, il s’agit d’illustrer deux scènes de la pantomime de Charles-Siméon Favart, Les Vendanges de Tempé. [11]

Dans la scène 5, le Jeune Berger joue du flageolet pour Lisette, instrument très apprécié des jeunes filles comme  le souligne cette chanson de l’époque :

« Le seul Flageolet de Colin,
Fait nôtre symphonie,
S’il enjouoit soir & matin,
Que je serois ravie » [12]

Dans la scène 6, le Jeune Berger et Lisette se nourrissent de raisin, toujours en compagnie d’un jeune enfant qui ne figure pas dans la pantomime, rajouté à titre décoratif comme les moutons et le chien.


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Boucher réalise en 1748  une série de trois tableaux pour un certain Monsieur Perinet, complété en 1750 par un quatrième, connu seulement aujourd’hui par une gravure. Il s’agit de quatre situations mettant en scène un berger et une bergère et dont au moins trois semblent inspirés de la même pantomime ([11], note 73). La chronologie des scènes n’a rien d’évident, nous en proposons une, basée sur le vocabulaire galant très précis dont Boucher s’était fait une spécialité.

Les titres entre parenthèses sont ceux du Salon de 1750.



Boucher 1748 Le Panier mysterieux , National Gallery of Victoria, AustralieLe panier mystérieux (Le Sommeil d’une Bergère, à laquelle un Rustaud apport des Fleurs de la part de son Berger)

Boucher, 1748, National Gallery of Victoria, Australie
Boucher 1748, L agreable lecon Boucher National Gallery of Victoria, AustralieL’agréable leçon (Un Berger qui montre à jouer de la Flûte à sa Bergère)
Boucher, 1748, National Gallery of Victoria, Australie

A gauche, l’émissaire du berger (et non le berger lui-même) va déposer sur la robe  de la fille endormie un panier de fleurs, parmi lesquelles un mot d’amour est caché. Acceptée par le chien fidèle, cette intrusion tout en douceur fait honneur au messager, qui montre de la main droite  le panier intact  et de sa main gauche un  rondin prometteur. [13]

A droite, les deux amoureux sont physiquement rapprochés, appuyées contre deux troncs en V à l’image de leur union.  Les métaphores se précisent : la fille apprend à jouer du pipeau tout en effleurant le bâton du berger, lequel taquine, sur le sol, le cercle de la couronne de fleurs. Le panier posé au bord du talus est bien prêt de verser, dilapidant en un instant les fleurs de la virginité.


Boucher 1748 Le Panier mysterieux , National Gallery of Victoria, Australie bouc

Le bouc du premier plan regarde le spectateur d’un air entendu.


Boucher 1748, L agreable lecon Boucher National Gallery of Victoria, Australie detail fontaine

Quant à la « Fontana de la verita », avec son lion en garde et sa fente horizontale, elle est sans doute une réminiscence de la Bocca della Verita, à Rome, sensée mordre les menteurs qui y introduisent la main. Ou autre.


Boucher Le-Joueur-De-Flageolet

Le joueur de flageolet
Boucher, 1766, Collection privée

Dans cette reprise tardive, on retrouve toujours les mêmes ingrédients, mais présentés  de manière plus directe : le flageolet frôle visuellement la couronne, tandis que la calebasse du berger entreprend le chapeau de la donzelle dont le pied, en se posant sur celui du garçon, concrétise ces métaphores inventives.


Les deux autres tableaux de la série de 1748 sont connus seulement par leurs gravures :

Boucher 1748 Le berger recompense gLe berger récompensé (Un Berger accordant sa Musette auprès de sa Bergère)
Boucher, 1748, gravure de Gaillard
Boucher 1750 Les amans surpris gravure de GaillardLes amans surpris dans les bleds
Boucher, 1750, gravure de Gaillard

A gauche, la jeune fille récompense par une couronne de fleurs le jeune vacher méritant (le panier est désormais rempli d’oeufs). La cornemuse et la couronne, manipulés pour l’instant par chacun, constituent d’heureux prémisses qui ne demandent qu’à se complémenter à nouveau.

Dans le dernier tableau de la série, le chien joue un tout autre rôle que  dans le premier : il vient de débusquer le couple allongé dans les blés, tandis qu’un moissonneur, armé de sa faucille, donne à la pastorale une conclusion amusante et castratrice. [14]


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Boucher va produire ensuite plusieurs pendantd sur le thème de la lettre d’amour, dans lesquels le pendant de gauche montre un couple de jeunes files.

 

Boucher C La lettre d'amour 1750 National Gallery of Art, WashingtonLa lettre d’amour  
Boucher,  1750, National Gallery of Art, Washington
Boucher C Le sommeil interrompu 1750 METLe sommeil interrompu
Boucher,  1750, Metropolitan Museum, New York



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Boucher 1765 Le depart du courrier MET Le départ du courrier
Boucher, 1765, Metropolitan Museum
Boucher 1765 L'arrivee du courrier graveur-jacques-firmin-beauvarletL’arrivée du courrier
Boucher, 1765, gravure de Jacques Firmin Beauvarlet

Au Salon de 1765, Boucher reprendra le même thème du courrier d’amour dans une série de quatre tableaux, dont seul le premier a été conservé  :

  • Acte I : assis à côté du colombier, le berger indique à la colombe, de manière fort peu réaliste, la direction de la destinataire.
  • Acte II : la lettre arrive, très attendue par la jeune fille et le chien
  • Acte III : la jeune fille lit la lettre à sa confidente
  • Acte IV : les amoureux se rencontrent

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boucher 1760 l_ecole-de-l_amitie karlsruhe-staatliche-kunsthalleL’école de l’amitié boucher 1760 l_ecole-de-l_amour karlsruhe-staatliche-kunsthalleL’école de l’amour

Boucher, 1760, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

Commandés en 1760 par Caroline Luise, margravine de Bade, ces deux  pendants, pots-pourris des pastorales de Boucher, donnent une bonne idée des deux tableaux perdus du salon de 1765.

Côté Amitié, la statue de l’Amour fourrage dans son carquois tandis que la jeune fille en robe blanche lit à sa confidente le mot doux qu’elle a reçu : à remarquer, à gauche de la statue, un enfant en chair et en os qui épie les demoiselles.

Côté Amour, les deux statues miment la posture des deux amants. La même jeune fille en robe blanche, alanguie, assiste à la cueillette de la rose – autrement dit de sa propre virginité, tandis que la houlette du berger, posée sur un tissu bouillonnant, dit la chose d’une autre manière.



Boucher 1760a Pastorale aux jeunes femmes coll privPastorale aux jeunes femmes Boucher 1760a Pastorale au berger suppliant coll priv.Pastorale au berger suppliant

Boucher, 1760, collection privée

Même thème en format ovale.

 

Boucher 1761c Shepherd_and_Shepherdess_Reposing_Wallace collectionBerger et bergère se reposant, Wallace collection. Boucher 1761c L'oiseau mal defendu coll part1L’oiseau mal défendu, collection privée

Boucher, 1761

Cet autre pendant, qui qui reprend le second tableau du pendant de  Karlsruheest particulièrement intéressant en ce qu’ il nous livre certains des procédés de fabrication de Boucher.

 

boucher 1760 l_ecole-de-l_amour karlsruhe-staatliche-kunsthalle

Berger et bergère
Boucher, 1760, Kunsthalle, Karlsruhe

Au départ, il y a ce couple d’amoureux, où le garçon tend le bras pour cueillir une rose tandis que la fille tient de la main droite un panier et de la gauche une couronne de fleurs bleues. A noter les deux amours en pierre dont les poses font vaguement écho à celles des deux jeunes gens. Et le compagnon à quatre pattes que la jeune fille tient en laisse, image de la fidélité qu’elle attend.

 

Boucher 1760 Schafer-und-Schaferin Kunsthalle Karlsruhe schema1
En passant au format ovale, Boucher n’effectue que quelques modifications mineures :

  • il décale le chapeau et la houlette au premier plan, ce qui dégage l’emplacement du mouton, substitut docile du chien ;
  • il supprime la couronne de fleurs, pour montrer plus clairement la main qui tient la laisse ;
  • il remonte celle du garçon, qui se pose audacieusement sur l’épaule ;
  • il supprime le fontaine, ce qui ouvre l’arrière-plan vers un colombier lointain.

Tout ceci relève de la recomposition graphique et de l‘amélioration de la lisibilité, et non d’une modification sémantique.

 

Boucher 1760 Schafer-und-Schaferin Kunsthalle Karlsruhe schema2
Pour générer le pendant, Boucher commence par une inversion horizontale. Il rapproche les deux amoureux, pour faire se croiser leurs regards. Il déplie ou replie les avant-bras, et remplace le couple d’objets sexués (le chapeau et la houlette) par un couple équivalent (le tambourin et la flûte).

On touche ici l’intérêt, et les limitations, de la formule des pastorales : un vocabulaire visuel et symbolique restreint permet des variations à peu de frais, conduisant quasi mécaniquement à des combinaisons harmonieuses, au détriment de leur profondeur sémantique : nous sommes ici plus proches des procédés de la peinture décorative que des ambitions de la peinture d’histoire.

 



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Boucher 1768 La cueillette des cerises Kenwood House, LondresLa cueillette des cerises Boucher 1768 L'offrande des raisins Kenwood House, LondresL’offrande des raisins

Boucher, 1768, Kenwood House, Londres

Encore une variation sur le thème de la distance et du rapprochement : dans le premier tableau, les cerises tombent à distance ; dans le second, la grappe s’échange contre un oeuf, afin de satisfaire un enfant (on comprend qu’il s’agit d’opposer le temps des amourettes et celui des conséquences).

 

Boucher 1768 La cueillette des cerises Kenwood House, Londres detail Boucher 1768 L'offrande des raisins Kenwood House, Londres detail

A ce stade de l’art de sous-entendre, les objets se dotent d’une sexualité débridée qui déborde vers le spectateur :

  • d’abord, l’arrosoir se détourne de la brouette aux cuisses ouvertes ;
  • puis le pot ouvert s’épanche sur le gourdin pastoral.


Pastorales : pendants à trois

 

Boucher 1737 charmes de la vie champetre LouvreLes charmes de la vie champêtre Boucher 1737 Le_Nid,_dit_aussi_le_Present_du_berger_LouvreLe Nid (le Présent du berger)

Boucher, 1737, Louvre, Paris

La pastorale s’étoffe par la présence d’une compagne qui vient assister la bergère :

  • à gauche, elle tient un mouton en laisse, confirmant l’index négatif de la bergère couverte de fleurs ;
  • à droite, il y a deux compagnes : l’une tond un mouton et l’autre observe le nid offert à la bergère émue : le déshabillage du mouton et la nudité des oisillons étant probablement la métaphore de ce qui menace la bergère.


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Boucher 1749 La couronne accordee au berger Wallace CollectionLa couronne accordée au berger Boucher 1749 Les mangeurs de raisin Wallace CollectionLes mangeurs de raisin

Boucher, 1749, Wallace Collection

Le trio est constitué ici d’un couple et d’un importun :

  • une promeneuse interrompt le concert de cornemuse dans l’intention de décerner sa couronne de fleurs au berger méritant, dont la compagne en titre fait la tête (offrir sa couronne étant ce  qui se fait de plus direct en vocabulaire rococo) ;
  • un jeune homme qui fait semblant de dormir, tout en jetant  un oeil sous son chapeau.



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Boucher 1758a Le pecheur kunsthalle hamburgLe pêcheur, Kunsthalle, Hambourg Boucher 1758a Amoureux dans un parc Timken Museum of ArtAmoureux dans un parc, Timken Museum of Art.

Boucher, 1758

Ce pendant présumé, beaucoup plus complexe, nécessite de comprendre d’abord la logique interne de chacun des tableaux.

 

Le pêcheur (SCOOP !)

Une manière d’aborder le problème est d’associer les trois enfants aux trois adultes :

  • celui qui pêche dans un baquet rappelle le pêcheur tenant sa canne ;
  • celui qui le bouscule semble traduire l’arrière-pensée de la compagne du pêcheur, qui se contente pour l’instant de flatter de l’index la belle prise ;
  • celui qui se goinfre de raisin, au milieu du couple allongé, rappelle la porteuse de raisins debout sous le filet du pécheur : elle aussi regarde avec convoitise le poisson, malheureusement déjà en main ; et le pêcheur a déjà une grappe couchée à côté de lui.

 

Amoureux dans un parc, (SCOOP !)

Le même procédé de correspondance s’applique au second tableau :

  • les deux amours sculptés de la fontaine, vautrés l’un sur l’autre, imitent la pose des deux amoureux au dessous d’eux ;
  • la porteuse de fleurs, qui arrive sur le chemin, constate que le chapeau accroché à l’arbre est déjà rempli : ses services sont superflus ; avec sa main droite sur son balancier, elle ressemble au chien délaissé, la patte droite sur le bâton.

 

La logique du pendant (SCOOP !)

Ces deux pastorales donnent à la compagne un rôle bien connu dans les trios : celle qui arrive trop tard.



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Boucher 1759 La surprise coll privLa surprise Boucher 1759 Le gouter coll priv.Le goûter

Boucher, 1759, collection privée

Le premier tableau parodie le thèmz des « amans surpris dans les bleds » (1750).

Le second tableau donne une conclusion heureuse, valable seulement en version enfantine : l’intrus est réconforté, et le berger en titre se contente de sa flûte.

 

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Boucher 1766 Les amusements de la jeunesse au village la peche

La pêche

Boucher 1766 Les amusements de la jeunesse au village la chasse

La chasse

Lithographies d’après Boucher, 1766, Les amusements de la jeunesse au village

Les deux filles ici ne sont pas rivales : toutes deux attirées par la canne à pêche ou par l’appelant brandi par le garçon, elles sont à égalité comme proies.

 

Boucher 1767 La diseuse de bonne aventure mobilier nationalLa diseuse de bonne aventure, mobilier national Boucher 1767 La peche Grand TrianonLa pêche, Grand Trianon

Boucher, 1767

Ce pendant équivalent confirme le thème : les deux filles naïves sont captivées par plus rusé qu’elles.

 

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Boucher 1766 Le départ pour la pêche coll partLe départ pour la pêche Boucher 1766 Les villageois à la pêche coll partLes villageaois a la pëche

Boucher, 1766, collection particulière

Deux scènes sur la rivière, opposant :

  • le château et la chaumière ;
  • un trio familial et un trio galant ;
  • le labeur et le plaisir.



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Boucher 1769b Le gouter champetre Walters Art Museum BaltimoreLe goûter champêtre Boucher 1769b Pecheur accompagne d'une femme Walters Art Museum BaltimorePêcheur accompagné d’une femme

Boucher, 1769, Walters Art Museum Baltimore

Deux autres scènes de rivière sur une thématique voisine : les devoirs maternels et la pêche amoureuse.

 

Pastorales : pendants de groupe

Boucher 1735 ca La Halte a la fontaine Alte Pinakothek MunichLa Halte à la fontaine Boucher 1735 ca La ferme ou la Fermiere courtisee Alte Pinakothek MunichLa Ferme (la Fermière courtisée)

Boucher, vers 1735, Alte Pinakothek Munich

En allant au marché vendre les produits de la ferme (le coq et l’agneau suspendus à l’âne), le père de famille donne à boire à sa femme et à son jeune fils.

Revenus à la ferme, le père et le fils se reposent dans le foin, tandis que la mère prépare la bouillie. Un jeune homme lutine une jeune fille, illustrant la simplicité de la vie dans cette campagne idyllique.


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Boucher 1761 La halte aLa Source Museum of Fine Arts, BostonLa halte à La Source
Boucher 1761 La Caravane Museum of Fine Arts, BostonUne Marche de Bohémiens ou Caravane dans le goût de B. di Castiglione (Return from Market)

Boucher, 1765, Museum of Fine Arts, Boston

La profusion des personnages et des objets rend difficilement lisible la structure en pendant.

Dans le premier tableau, la composition en V sépare une version profane du Repos pendant le fuite en Egypte, et une amourette entre un berger et une bergère.

Dans le second, la composition pyramidale, en V inversé, abrite une caravane d’hommes et de troupeaux qui s’écoule de droite à gauche. Au premier plan, un berger s’est précipité avec son bâton et son chien pour barrer le chemin à un âne qui s’est écarté du chemin.

Le plaisir de l’accumulation submerge ici la logique du pendant, qui voudrait opposer une scène statique et une scène dynamique mais ne réussit qu’à ajouter un grouillement à un autre.

A deux siècles d’écart, la surenchère visuelle et l’artificialité volontaire de Boucher préludent à la boulimie fellinienne.



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Boucher 1768a Le bonheur au village ou les lavandieres METLe bonheur au village ou les lavandières Boucher 1768a La halte ou la fete du berger METLa halte ou la fête du berger

Boucher, 1768, MET, New York

Ce pendant tardif de Boucher décorait le Salon de réception du Duc de Richelieu, où il cohabitait avec un pendant de sa période italienne, Le vendeur de légume et Le paysan pêchant de 1733 (voir plus haut) : c’est sans doute le thème de l’Eau qui justifiait la série (Le Marchand de Légumes montre une halte près d’un puits).

  • Dans le premier tableau, trois lavandières, trois enfants, deux chiens et un âne se répartissent autour d’un ruisseau ;
  • Dans le second, trois bergères, accompagnées de deux enfants, de deux chiens et de bétail, se regroupent près d’une fontaine, pour offrir des fleurs à un berger qui leur joue de la flûte.

A la fin de sa carrière, Boucher traite avec une grande liberté ces deux scènes campagnardes n’ayant apparemment pas grand rapport entre elles, sinon de montrer deux aspects des charmes de la campagne : le travail au grand air entre femmes, et les plaisirs de la galanterie pastorale.



Boucher 1768a La halte schema
En fait, les deux pendants sont plus rigoureusement équilibrés qu’il ne semble à première vue : le centre des attentions des trois femmes se décale de l’eau au pâtre au manteau rouge, qui occupe la même place que l’enfant à la robe rouge : comme si Boucher voulait nous signifier que le sentiment amoureux n’est, pour les bergères, qu’une variante affaiblie de l’amour maternel : tout comme la fontaine presque à sec est une variante affaiblie du ruisseau.



Le même Duc de Richelieu possédait, dans son petit Salon, deux autres pendants de Boucher eux aussi sur le thème de l’Eau :

Boucher A3 1731 La halte a la fontaine coll partLa halte a la fontaine, 1731 Boucher A3 1769 L heureux pecheur coll partL’heureux pêcheur, 1769

Boucher, collection particulière

Pour compléter le tableau, réalisé trente huit plus tôt, d’un couple flirtant dans la nature , Boucher choisit le thème de la famille au travail devant un moulin.

 

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Boucher A3 1769 Le retour du marche coll partLe retour du marché Boucher A3 1769 Le bonheur au village coll partLe bonheur au village

Boucher, 1769, collection particulière

L’autre pendant réalisé pour cette même pièce ne montre que des paysannes, des enfants et des bêtes. Le pont de bois, sur lequel avance la paysanne avec son âne, se recolle visuellement avec l’architecture à arcades, derrière la femme qui avance sur le sentier :

noue retrouverons dans les pendants paysagers le même procédé d’une continuité approximative, qui ouvre une circulation virtuelle entre les deux tableaux.

Voir la suite dans Les pendants de Boucher : paysages et autres

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Références :
[11] Photographie tirée de l’article de base sur les références théâtrales dans l’oeuvre de Boucher : Laing Alastair, Coignard Jerôme. Boucher et la pastorale peinte. In: Revue de l’Art, 1986, n°73. pp. 55-64 http://www.persee.fr/doc/rvart_0035-1326_1986_num_73_1_347582
[12] Chansons nouvelles, sur: differens sujets, composeés sur des airs connus, L. Foubert, 1738