6.2 Devinettes acrobatiques
A titre de récréation, nous avons recensé ici quelques propositions absurdes, astucieuses ou invérifiables, que les amateur d’anagrammes et de devinettes ont repéré çà et là.
Article précédent : 6.1 Figures de l’Ironie
L’âge du capitaine
En 1514, Dürer était âgé de 43 ans. Or étrangement, en inversant 4 et 3 on retrouve le fameux 34, la constante du carré magique. (Rappel : Tous les carrés de 4 ont pour constante 34)
Le nom du capitaine
Plus fort : Finkelstein [1] a fait la somme des lettres de « Albrecht Dürer ». En numérologie latine, cela donne 135. Dommage, la somme du carré magique est 136. Qu’à cela ne tienne : la case 1 étant frôlée par l’aile de l’ange, et le chiffre 1 étant plus grand que les autres, Finkelstein pense qu’il ne faut pas le compter, car il représenterait Dieu dans la gravure. 136 – 1 = 135. CQFD.
Un seul problème : dans l’alphabet qu’utilisait Dürer (voir son traité « Instruction pour la mesure à la règle et au compas »), le I et le J ne se distinguent pas. A supposer qu’il se soit amusé à faire le total des lettres de son nom, il n’aurait pas trouvé 135, mais 129. Et nutile d’essayer en latin : « ALBERTUS DURER » donne alors 156.
La mort de maman
Renverser un symbole (par exemple une torche ou un arbre avec ses racines en l’air) peut exprimer, comme le remarque P.Eckhart, l’idée de la mort. Une anomalie souvent commentée dans le carré magique, est que le chiffre 5 est gravé à l’envers, tête en bas. Or la mère de Dürer est morte justement en mai 1514, le cinquième mois de l’année. Ce 5 est donc un chiffre de deuil.
En fait, si on compare la chiffre 5 dans les deux cases où il apparait, le 5 et le 15, on se rend compte qu’ils sont identiques. Ce cinq « prétendument funéraire apparaît fréquemment dans les dates d’autres gravures : le « Voile de Sainte Véronique », en 1516 ou le « Saint Simon » de 1523. Il correspond simplement à une graphie enrichie, que Dürer utilise de temps à autre.
De nombreuses interprétations expliquent Melencolia I par l’état d’esprit dépressif de Dürer cette année-là. Et oublient simplement l’atmosphère singulièrement apaisée du Saint Jérôme dans se cellule, la gravure jumelle réalisée la même année.
MELE(n)COL-IA J
Voici l’interprétation familiale la plus alambiquée qu’il nous ait été donné de lire, concernant ces douze malheureux caractères. Nous la traduisons telle quelle :
« Mele » en grec signifie « miel, douceur » ; « col » qui aurait dû s’écrire en grcc avec la lettre khi… signifie « souffrant ». Pour prononcer ces deux mots ensemble, il faut ajouter entre les deux un N non significatif. Le « IA » à la fin du mot pluralise et latinise le grec, faisant référence à des femmes. A côté du mot MELENCOLIA se trouve une « fioriture », puis la lettre I. Les chercheurs ont ignoré ce symbole, supposant qu’il s’agissait d’un embellissement artistique sans importance. Mais la fioriture comporte une barre horizontale, signe qui veut dire « retournant ». Le « I » après la fioriture est différent du I dans le mot : ceci est significatif, car Dürer était un expert en lettrage, et a publié un livre sur le sujet. En Latin et en Grec, il n’y a pas de lettre pour le « J ». A la place, la lettre « I »était utilisée pour représenter le « J », ainsi le « I » à la fin de l’inscription vaut pour un « J », le symbole du Seigneur – Jésus ou Yahweh (Jehovah). L’inscription doit être comprise comme signifiant « dans la douceur et dans la peine, ces deux femmes retournent vers le Seigneur ». Elizabeth Maxwell-Garner, [1a]
Les deux femmes étant Barbara et Margret, la mère et la soeur d’Albrecht, mortes en 1514. Dans la suite de cette étude sont décryptés selon la même méthode l’ensemble des objets, et même le message codé dans les signes de la ceinture, selon le principe que Dürer était non seulement un noble hongrois, mais un juif caché.
MAXIMILIEN Imperator
« Si l’on compte le nombre de lettres qui composent le mot MELENCOLIA, il est de dix, comme le nom de MAXIMILIEN. Six lettres leur sont communes M – E – N – L – I A. Le « I » suivant le signe §(ornement paragraphe) peut alors désigner la lettre « I » du mot IMPERATOR et le « I » (chiffre romain de 1er) : Maximilien Ier – Maximilien Imperator » [3] p 64
SALUS JUSTORUM
Sur ce minuscule signe soit disant ignoré ont été échafaudés des embellissements symboliques, dont voici un des plus échevelés :
« Le signe qui suit le titre semble un S très orné mais, comme l’a vu L.Barmont, est en réalité composé de deux volutes, séparées par un petit losange pointé, ce qui semble évoquer les deux spires d’involution et d’évolution,- ajoutons que le petit losange avec son point peut se référer à l’incarnation dans la matière. Il convient d’interpréter non seulement le I mais bien, croyons-nous, le groupe de deux lettres S.I. : ne serait-ce pas SALUS JUSTORUM ? – l’idée étant toujours que les mélancoliques constituent l’élite de l’humanité, en tout cas les seuls initiables ». [2]
La fioriture cryptique
Finkelstein [4] lui consacre un important développement, remarquant qu’il a été « omis » par Jan Wierix, un graveur qui a recopié la gravure en 1605. Sans doute pour éliminer des allusions devenues hérétiques. Lesquelles ? Tout comme l’aile de l’ange sacralise la case 1 du carré magique, le motif floral sacralise le I du cartouche : ainsi tous les I de la gravure sont une image de Dieu. Quant à la fioriture, en forme de double S, ainsi que tous les chiffres en forme de S, ils représentent à la fois le salut (Salus) et le serpent (qui est le symbole de Dieu dans les Hieroglyphica de Horapollo).
Un ornement calligraphique
Il se trouve que que cette fameuse fioriture a été utilisée par Dürer dans des contestes variés, qui ont moins retenu l’attention des exégètes.
Ex-libris de Hieronymus Ebner, 1516
Portrait du cardinal Albrecht de Brandenburg, 1519
Elle sert ici de séparateur entre tous les mots de la devise. Dürer devait la tracer avec son burin avec autant de facilité qu’avec une plume (rappelons que ce n’est pas le burin qui bouge, mais la plaque qui tourne) : il n’accordait visiblement pas une grande importance à sa forme précise : les spirales sont tantôt renversées, tantôt affrontées, sans autre logique qu’un effet de variété.
Portrait du cardinal Albrecht de Brandenburg, 1523
En outre, dans ce portrait moins pompeux du même cardinal, la même devise apparaît avec, cette fois, un simple point comme séparateur. Preuve que le motif cryptique n’est rien d’autre qu’un trait de calligraphie, que Dürer utilisait pour rendre plus solennelle une inscription.
MELAN COELI
Anagramme proposée par M.Calvesi, et signfiant « le Noir du Ciel ». [5]
Cet auteur lit aussi LEO (le Lion) en retenant les 3ème, 4ème et 7ème lettre de MELENCOLIA I. (3 4 et 7 étant des nombres importants en alchimie)
ELEM NICOLAI
Partant de l’hypothèse que Dürer aurait pu connaître dès 1514, via l’irremplaçable Prirckheimer, les premiers élément de la théorie de Copernic (dont le « De revolutionibus Orbium Caelestium » ne paraîtra qu’en 1543), Robert J. Manning résoud l’anagramme en ELEM NICOLAI : les Elements de Nicolas. [6]
CAMELEON § LI I
Nous reprenons ici l’anagramme proposée par Richter [7].
Le mot Cameleon, qui apparaît une seule fois dans la Bible (Génèse 11 Vers 30), est le nom générique que Pic de la Mirandole donne à l’homme (Oratio § 7,32, page 10/11). Il est en effet capable non seulement de changer de couleur, mais aussi de nature : tantôt animale et tantôt divine.
§ LI serait une référence au chapitre 51 du Livre 8 de « Naturalis historia » de Pline l’Ancien, qui traite justement du caméléon.
Enfin, le signe I serait L’Unité, autrement dit Dieu en tant que fons numerorum, source de tous les nombres.
Ainsi le titre de la gravure signifierait, sous une forme prudemment crypté, rien moins que « L’Homme-Dieu », l’homme devenu Dieu.
LIMEN CAELO
Nous reprenons ici l’anagramme proposée avec perspicacité par Finkelstein [4], p 20 et ss
L’orfèvre Albrecht Dürer, père du graveur, s’est installée à Nuremberg en 1455. Il était originaire de Ajtas, en Roumanie (Ajtas signifie porte), et a germanisé son nom en Thur, devenu bientôt Dürer.
Dürer, Blason 1490, Musée des Offices | Dürer, Blason 1523 |
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Dans les deux versions du blason, on voit bien la porte posée sur des nuages.
« Les blasons montrent habituellement ce qui fait la fierté de la famille, son grand accomplissement. Pour proclamer son plus grand talent, la gravure, Dürer aurait pu représenter un burin, ou le mot burin lui-même. Or le latin pour burin est caelum. C’est aussi le mot usuel pour « ciel », ou « les Cieux »…Caelo est à la fois le nom (dans les cieux) et le verbe (je grave). Le blason de Dürer est à la fois un idéogramme pour « La porte vers les Cieux » et « Je grave la porte ».
Finkelstein fait également remarquer que la signature de Dürer est elle-aussi un idéogramme :
« Le A tronqué est une porte autant qu’une lettre. Les jambes du A sont les montants. Le linteau est posé dessus pour les connecter.Un renfort juste sous le linteau est la barre du A, plutôt haute pour un A mais correcte pour un portail. Le D entre les montants du A fait écho au D des portes dans le blason. Dans le blason, il a symbolisé son Art par le jeu de mot sur « Caelo ». Sitôt que j’ai compris ce jeu de mot, j’ai regardé si CAELO rentre dans MELENCOLIA, comme il devrait. Les lettres en trop donnent LIMEN, qui signifie « portail »…. »seuil, linteau, rempart, maison, frontière, selon le contexte. »
Cette explication fortement argumentée est très séduisante, et cadre bien avec ce que nous comprenons de la fierté égotiste de Dürer.
Malheureusement, elle n’explique pas la présence du I.
ILLE ICON MEA
Pour rajouter notre pierre à l’édifice, nous proposons donc (sans aucune conviction) une nouvelle anagramme égotiste : « Celui là, c’est mon image ».
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