1 Femme de plume en tutu
De nos jours, Pierre Carrier-Belleuse est surtout connu pour une tripotée de pastels de petits rats aux tutus diversement relevés, qui nous permettront d’aborder cette importante question :
faut-il lever la cuisse pour écrire ?
Article précédent : Les clés du compartiment
Danseuse écrivant
Pierre Carrier-Belleuse, vers 1890, collection privée
Remerciements à Andrea Fisher Fine Art (AndreaFisherFineArt.com)
Un sujet qui pose question
L’originalité de la composition et la perplexité du spectateur tiennent au fait que les nécessaires d’écriture ne font pas partie de l’équipement usuel des corps de ballet.
La jeune ballerine profite-t-elle d’un moment pendant la répétition pour écrire un mot urgent, en se réfugiant dans une autre pièce à l’insu du maître de ballet ? Sans doute pas, car elle a pris le temps de s’installer confortablement, en glissant un coussin de satin gris sous son pied droit.
S’agit-il plutôt d’une jeune fille riche qui, pendant son cours de danse à domicile, réfléchit à un plan de table, à une liste de courses, à moins qu’elle ne jette quelques vers sur le papier ?
Ou encore, avons-nous sous les yeux une poule de luxe qui reçoit en tutu et rédige une convocation pour un de ses admirateurs ?
L’écritoire
Voyons si l’écritoire de porcelaine peut nous fournir quelques lumières.
Elle est décorée d’un blason couronné, entouré semble-t-il par deux anges. Ce qui milite soit en faveur de la petite fille noble, soit en faveur de la poule de luxe.
L’encrier est ouvert, le couvercle est posé à l’envers sur le guéridon, pour ne pas le tâcher. Derrière, un tiroir fermé entouré de jaune.
La flamme jaune et rouge qu’on voit à gauche, à la limite du tableau est un des pieds de l’écritoire. On retrouve ce motif en haut à droite, sur ce qui semble être une tasse à thé assortie, posée sur l’écritoire avec sa soucoupe. A côté est posée une autre soucoupe vide.
On peut donc supposer que quelqu’un, peut-être une amie de bon conseil, est en train de prendre le thé avec la jeune fille. Celle-ci a posé sa tasse sur l’écritoire pour se faire de la place pour écrire.
L’alliance
La jeune fille porte un simple anneau doré à l’annulaire de la main qui tient la plume.
Une fille qui semble si jeune peut-elle être mariée ? Et gauchère, puisque l’anneau de mariage se porte à la main gauche ? Pourtant c’est bien sa main droite qui écrit : à moins que PCB ait voulu dessiner, non pas directement la jeune fille, mais son reflet dans un miroir ? Tout cela semble bien compliqué…
D’autant que d’autres pastels de PCB montrent des danseuses très jeunes avec le même anneau d’or à la main droite. A l’époque, la signification de ce détail était claire : ce ne peut être qu’un anneau de fiançailles. Et le thème de la petite fiancée émouvait tout en émoustillant.
Le mot et son sens
Portons maintenant notre attention sur cette fameuse lettre.
Vu de loin, il semblerait logique que la feuille soit orientée face à la danseuse, parallèlement à l’écritoire. Mais dans ce cas pourquoi la plume se trouve-t-elle en milieu de page, sans rien de lisible au-dessus ? De plus, la main qui tient la plume fait obstacle à l’écriture. Et le bas de page, maintenu par l’autre main, est recouvert par le tutu : manière très sûre de le tâcher !
Vu de près, on se rend compte que la feuille est en fait orientée perpendiculairement à l’écritoire. Ainsi, la main ne fait plus obstacle et la plume se trouve dans le coin en haut à gauche de la page : la jeune fille n’ a pas encore commencé à écrire. Quant au tutu, qui se retrouve sur le bord gauche de la feuille, il risque moins d’être tâché.
Une position impossible
Le plateau du guéridon doit être assez profond pour contenir, du fond vers l’avant, l’écritoire, l’avant-bras de la jeune fille et le haut de la feuille : on peut donc en déduire qu’il est de forme circulaire.
Une première difficulté apparaît : même si le guéridon est plaqué contre le mur, la danseuse risque de pousser du coude l’écritoire et de la faire tomber. Risque qui devient une certitude lorsque nous remarquons un détail forcement voulu par l’artiste : un coin de la feuille est pris sous le parement de laiton. Puisque la feuille ne peut avancer, la main est forcée de reculer : PCB a placé son innocente jeune fille dans une machine à casser la porcelaine !
Seconde difficulté, encore plus sérieuse : dans cette position, il est en fait impossible d’écrire, puisque la main ne peut pas aller du papier à l’encrier.
Une danseuse qui n’écrit pas
Soit PCB a conçu une composition boiteuse, chose parfaitement possible chez cet artiste prolifique ; soit il voulu mettre en scène délibérément une danseuse qui n’écrit pas.
Deux détails semblent le confirmer : la feuille coincée sous le bord, qui attire l’attention sur la position impossible de l’avant-bras, coincé entre la lettre et l’encrier (mais pas de risque de le casser l’encrier si la fille ne bouge pas le bras) ; et le tutu coincé sur le papier ( pas de risque de le tâcher si la plume ne contient pas d’encre).
PCB a donc réussi le tour de force de nous prouver par A plus B que le véritable titre n’est pas Une danseuse écrivant, mais Une danseuse qui fait semblant d’écrire.
Un bavardage contradictoire
« Elégante comme le guéridon, voyez comme la position des roulettes imite celle de mes chaussons : quand je danse, c’est comme si j’étais montée sur roues. »
« Raffinée comme la porcelaine, je suis blanche et virginale comme la feuille. Et ma plume y trace des arabesques, comme mes pointes sur les planches. » |
« Inflammable et vénale comme un accessoire pour cocotte, béante comme l’encrier, j’aime manier le porte-plume et n’ai pas peur de me tâcher. » |
L’analyse de la « Danseuse écrivant » laisse au final plus de questions que de réponses : sans doute parce qu’elle constitue une sorte de compromis entre une scène de genre à décrypter – dans la veine des tableaux ferroviaires – et une image de charme à savourer – résultat de variations aléatoires.
Esquire calendar, 1953
La collision entre encrier et tutu joue en somme le même rôle de coq-à-l’âne visuel que celle de la machine à écrire avec le maillot de bains : signaler au spectateur qu’il n’a pas à faire avec une intellectuelle à la plage, mais avec un pur objet sexuel.
Danseuse écrivant, Pierre Carrier-Belleuse,1890, collection privée
Ce message théorique est confirmé par ce pastel jumeau : la même danseuse tient gracieusement la pose, mais maladroitement le crayon, pour tracer en caractère bâtons…
…rien moins que le Monogramme du Maître, tout en jetant au spectateur un regard entendu :
chez la ballerine, ce n’est pas avec l’agilité de la main qui prime !
Voilà qui place Carrier-Belleuse comme un des grands précurseurs de l’esthétique pinup.
Pour une confirmation éclatante, voir l’article suivant : 2 Danseuses en combinaison
Bonjour,
I apologgize for not speaking Francaise.
i am glad to see my lovely ballerina on your website and I do enjoy sharing these images avec tout les monde.
Would you please be so kind and consider, crediting my photos as from Andrea Fisher Fine Art. (AndreaFisherFineArt.com)
Merci beaucoup