2-6 La Vierge aux épis de blés
Dans cette iconographie très particulière, les donateurs sont pratiquement toujours à gauche. Pourquoi ?
Vierge aux épis
Maitre du retable de Bamberg, vers 1430, Bayerisches Nationalmuseum, Munich
Le type sud-allemand de la « Ährenkleid Madonna » concerne des représentations bien particulières, qui font référence à une statue donnée par les marchands allemands à la cathédrale de Milan au début du XIVeme siècle [1].
Cette iconographie comporte les caractéristiques suivantes :
- pour le vêtement : robe décorée d’épis de blés, encolure décorée de flammes, ceinture haute, chevelure retombant sur les épaules ;
pour la posture : un adolescente debout, sans enfant, les mains jointes ;
pour le lieu : dans une église (facultatif).
Le ceinture haute et l’absence d’enfant suggèrent que Marie est enceinte, fécondité renforcée par la symbolique des épis de blés : selon un sermon médiéval, Marie était « le champ sacré où Dieu a semé le grain pour devenir le pain du ciel. » Le fait que cette iconographie représente officiellement Marie jeune fille au temple, et non Marie enceinte (Madonna del Parto) lui a valu d’échapper à la purge de sujets considérés comme inconvenants, après le concile de Trente.
Comme l’image fait en revanche explicitement référence à une statue (du moins à l’origine du motif), va-t-on observer la position conventionnelle des donateurs dans cette situation, à savoir agenouillés à gauche (voir 2-5 La statue qui s’anime) ?
Voici les rares exemples de Madonne aux épis de blés avec donateur qui nous ont été conservés.
Missel du Duc Philippe le Bon, vers 1450, Cod. 1800, fol. 13-14; Osterreichische Nationalbibliothek
Philippe le Bon, prince féru de pèlerinages, se fait représenter les yeux fermés, priant à l’arrière d’une statue qui n’apparaît, comme le dit le texte, que dans son imagination :
« C’est la figure de l’imaigenère dame ainsy quelle fut présentée au temple et semblablement figurée et peinte en la cité de Losène (Lausanne) et en la grande église de Milan. En quels lieux la dicte ymage par la devote priere des personnes qui de brave intention et contrition l’ont adourée et requise de quinze prieres (?) et quinze ave maria a fait plusieurs grans miracles notoires et publics depuis l’an 1410. Tant à faire voir les aveugles et oir les sourds. comme alléger les mehaigmes (infirmités) et principalement délivrer les prisonniers. »
Le texte explique clairement que la « figure » de Milan représentait Marie au Temple : le bâtiment dans lequel se trouve la statue jouit donc d’une ambiguïté visuelle, à la fois Temple juif et cathédrale de Milan.
Livret d’édification du Duc Sigismond de Bavière
1494, Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 134, f. 1v
Cette enluminure joue sur la même ambiguïté, avec un bâtiment qui, tout en étant la chapelle privée du Duc, est aussi un Temple juif, comme le montrent les Tables de la Loi posées sur l’autel. En nous montrant le duc tournant le dos à l’apparition, l’illustrateur nous montre qu’il s’agit bien d’une image mentale, de que confirment également les trois marches qui matérialisent le changement de niveau de sens (voir 3-1 L’apparition à un dévôt).
Mais ce qui rend la situation encore plus complexe est que la statue bien réelle de Milan est, en même temps, la commémoration d’une vision : d’après la légende, un marchand condamné à mort, ayant eu durant la nuit la vision de Marie avec une robe décorée d’épis, aurait juré de donner une statue à la cathédrale de Milan et aurait été sauvé.
Certains illustrateurs vont tenter de distinguer la statue et l’apparition, mais la plupart fusionnent les deux sujets.
Maître de 1473, 1450–80, Wiesenkirche, Soest | Hinrik Funhof, vers 1480, Kunsthalle, Hambourg |
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Madonne aux épis de blés avec un donateur
Le premier panneau montre simultanément, dans la cathédrale, à droite la vision du marchand et à gauche la dévotion d’une donatrice offrant à la statue une couronne de roses.
Le second panneau en revanche représente uniquement la cathédrale de Milan : la donatrice a accroché sa couronne à droite de la statue, signalée comme telle par le drap d’honneur (il était coutumier au XVeme siècle de placer des tissus colorés derrière les sculptures, ples mettre en valeur).
Anonyme, 1470 –1480, Museum der Brotkultur, Ulm |
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Madonne aux épis de blés avec un donateur
Dans le premier panneau, la présence des Tables de la Loi sur l’autel rend univoque la signification du bâtiment : il s’agit bien du Temple. On perçoit bien d’ailleurs le rôle d’émulation dévotionnelle de l’image : le dévôt est incité à prier à l’imitation de Marie.
Dans le second panneau, même les angelots joignent les mains. Le donateur a été identifié : Benedikt Egg von Piburg, abbé de Mondsee. La supplication habituelle (MARIA MATER GRATIE MAT MISERICORDIE, O MATER DEI MISERERE MEI) est inscrite sur les Tables de la Loi réduites ici à une seule pour la commodité de la lecture, ainsi christianisée pour l’abbé.
Vierge avec l’abbe Johann Maiger, 1495–1523, Eglise Mariatal bei Weißenau, Ravensburg | Anonyme, 1518, Schlossmuseum, Weimar |
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Le souvenir de la statue dans la cathédrale ne reste que ici que sous forme vestigiale, dans l‘arcade.
Symbole polyvalent, l’épi de blé ne fait pas toujours référence à la statue de Milan. Même si la contamination visuelle a pu jouer, voici trois Madonnes aux épis de blés n’ayant pas grand chose à voir avec elle.
Vierge aux épis avec un donateur de la famille Herzheimer
Vers 1450, Kunsthistorishes, Museum, Vienne [2]
Dans cet exemple, c’est à une classique Vierge à l’enfant que le chanoine présente sa supplique, matérialisée par la banderole qui monte de ses mains à celle de l’Enfant : « Sancta dei genetrix miserere pro me misero ». Dans ce panneau, qui est très probablement une épitaphe, l’épi de blé prend la valeur d’un symbole de résurrection.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Bernhard Praun de Salzbourg.
Meister des Halleiner Altars, 1440-50, , Musée chrétien d’Esztergom (Kereszteny Muzeum), Hongrie
Le donateur est ici un chevalier, qui s’est fait représenter en Saint Georges terrassant le dragon. Sa banderole porte la supplique : « O sancta Maria Virgo ora pro nobis ora ».
Quant à Marie, elle présente toutes les caractères sexuels secondaires de la « Ährenkleid Madonna » (y compris l’exubérante chevelure rousse qui descend jusqu’à ses pieds) : sauf qu’elle porte l’Enfant Jésus tenant la pomme du Péché Universel.
Vierge de la Miséricode de la famille Sänftl,
Jan Polack, 1500-10, église Zu Unserer Lieben Frau, München.
Enfin, ici le « look » de la Madonne aux épis se cumule avec le geste de la Vierge de la miséricorde (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde). Le rôle de protection contre les maladies de cette image (que les Italiens représentaient crûment par des flèches arrêtées par le manteau) est ici seulement explicité par le panneau :
Toi qui seule a le pouvoir de fléchir la colère du Dieu éternel, couvre-nous, O Divine, dans ton sein virginal. » | Tu que sola potes aeterni numinis iram flectere, virgineo nos tege, Diva, sinu. |
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