3-4-3 La vision de Patmos : son développement
Presque au terme de cette étude sur les apparitions de la Vierge devant témoin, récapitulons ce que nous avons observé.
La vision de l’Ara Coeli (voir 3-2-1 … sur la droite)
Dans le cas particulier où le témoin est Auguste, la question hiérarchique prend tout son sens, puisqu’il s’agit de montrer que l’Empereur sur Terre reconnaît la supériorité de la Reine des Cieux.
La rareté du thème permet de suivre sa propagation, depuis l’Italie jusqu’à l’Europe du Nord. Dans les oeuvres les plus anciennes c’est la convention du visionnaire qui prime (Auguste à gauche), puis à partir du XVème siècle on rencontre de plus en plus souvent des inversions, qui accentuent sa situation d’infériorité.
La Vierge au Croissant avec un donateur (voir 3-3-1 : les origines)
Lorsque le témoin est un dévot, la question de l’ordre héraldique, entre un être de chair et un être de lumière, ne joue aucun rôle : dans pratiquement tous les cas, c’est la convention du visionnaire qui s’applique.
La Vierge de l’Apocalypse et Saint Jean (voir 3-4-1 : les origines)
Lorsque le témoin est Saint Jean, la situation est plus complexe : la convention du visionnaire devrait jouer à plein, et c’est bien ce qu’on constate majoritairement dans les manuscrits de l’Apocalypse. Mais à la différence du dévot (qui commande un seul selfie avec la Vierge au Croissant), Saint Jean est un héros récurrent qui figure dans presque toutes les images : d’où les diverses expérimentations graphiques que nous avons vues (inversion ou sortie du cadre) visant à créer un effet de variété ou à attirer l’attention.
Il nous reste maintenant à voir ce qui se passe lorsque la vision de Saint Jean n’est pas un épisode d’une série, mais un sujet traité de manière indépendante. Le sujet de Saint Jean à Patmos est très courant, notamment dans les Livres d’Heures, mais le cas particulier qui nous intéresse, celui où il voit la Vierge, n’apparaît qu’assez tard, vers 1460, et tout d’abord dans l’art germanique.
L’approche chronologique est ici sans espoir, car il est si facile de rajouter la Vierge dans une image de Saint Jean à Patmos que tout artiste a pu y parvenir sans s’inspirer nécessairement d’une oeuvre antérieure. De même, distinguer les apparitions par la gauche ou par la droite ne mène à rien : les manuscrits des Apocalypses avaient rendu les inversions familières, et nous verrons que des artistes n’hésitent pas à copier un devancier en inversant le motif.
J’ai donc préféré regrouper les oeuvres en cinq catégories obéissant à des enjeux graphiques bien distincts : ce qui va nous permettre de découvrir quelques influences inattendues.
Un tête à tête avec la Vierge
Saint Jean à Patmos
Maitre ES, vers 1460
La première oeuvre indépendante sur le sujet est cette gravure du Maître ES : l’île rocheuse, reliée à la ville par un pont, est à la fois exotique (les perroquets) et paisible (les biches). Saint Jean, au centre de l’image, est en train de tremper la plume dans son encrier lorsque la Vierge apparaît à l’horizon, portée par la Lune qui se lève. L’aigle au premier plan, roi du ciel posé sur la Terre, signale le prodige inverse de la Femme en vol.
Martin Schongauer, 1475-80 | Johannes Gleismüller, 1490, Germanisches Museum, Nuremberg |
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Saint Jean à Patmos
Schongauer inverse le sujet et le recentre sur la Vierge et Saint Jean, aux extrémités de la diagonale descendante. L’horizon est libre, accentuant le caractère insulaire. Trois formes se découpent devant lui (l’Aigle, l’Arbre et la Montagne), illustrant l’idée d’élévation : mais tandis que l’Aigle, sous la Vierge, est le seul qui peut physiquement se détacher de la Terre, Saint Jean en revanche peut s’élever par la pensée.
Gleismüller recopie la gravure en l’inversant (voir les plis identiques du manteau) et remplace l’arbre – qui cachait la vue – par une forêt dépourvue de toute signification symbolique.
Noël Bellemare, 1525-30, miniature isolée, Louvre
L’idée d’exploiter les diagonales est venue à d’autres artistes : dans cette composition très pensée, Bellemare a supprimé l’aigle et remplacé la Madonne par un halo vide, devant lequel Saint Jean lâche sa plume de surprise. Les branches de l’arbre, se découpant sur le ciel, répètent la main du Saint qui se tend vers l’apparition, dans un contraste très efficace entre le triangle terrestre, saturé, et le triangle céleste, épuré de toute présence.
Joos van Cleve et Lucas Gassel, 1520-30, University of Michigan Museum of Art.
A l’opposé, Joos van Cleve a cédé aux tentations de la vue panoramique : les habituels éléments ascensionnels (l’aigle, la montagne, l’arbre) tentent de s’organiser selon les diagonales, pour conduire le regard du spectateur vers le centre du tableau, à côté des yeux de Saint Jean. Mais le thème de la vision céleste se dilue néanmoins dans l’ensemble.
Pieter Lastman, 1613, Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam
Un siècle après Bellemare, Pieter Lastman retrouve l’efficacité des deux zones fortement contrastées : le triangle céleste est sombre, englobant les formes en V de l’aigle et des troncs ; le triangle humain est en pleine lumière, seulement dédié à l’acte d’écrire et au bonheur des tissus chatoyants.
La Vierge au centre
Waldburg-Gebetbuch, 1486, WLB Stuttgart, Cod. brev. 12, fol. 34v | Livre-d’Heures, 1512, fol f7r, Collection particulière |
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Les compositions avec la Vierge au centre sont assez rares, puisque graphiquement déséquilibrées : ici c’est l’Aigle qui remplit la moitié vide.
Heures de François Ier, 1539-1540, fol 5, MET
Ici l’artiste a bouché le trou avec un paysage anecdotique : clocher, paysan, barque.
Antonio Vazquez, vers 1530, Eglise San Pablo, Valladolid | Sanchez Cotan, 1600-30, Musée Santa Cruz, Tolède. |
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Saint Jean à Patmos
Autres solution, adoptée par des peintres espagnols : convoquer carrément sur Terre le spectaculaire Dragon à sept têtes.
L’Immaculatée Conception et Saint Jean
Greco, 1585, Musée Santa Cruz, Tolède
Dans la première de ses toiles consacrées à l’Immaculée Conception, Greco fait allusion à la vision de Patmos en plaçant, en regard de Saint Jean, un croissant de lune au dessus d’un paysage symbolique.
Tour, palmier, jardin clos, serpent, bouquet de roses, fontaine (à l’extrême droite) sont autant d’attributs mariaux.
Après le triptyque de Memling
Triptyque de Saint Jean
Memling, 1474-79, Oud Sint Janshospitaal, Bruges.
Ce triptyque est une oeuvre totale, qui met en regard la Décapitation de Saint Jean Baptiste (volet gauche) et la Vision de Saint Jean l’Evangéliste (volet droit), mais présente également la vie des deux Saints Jean dans les innombrables détails du panneau central [1].
L’oeil est attiré par deux halos de lumière : à gauche le ciel s’ouvre sur Dieu le Père envoyant la colombe du Saint Esprit au dessus du baptême de Jésus ; à droite, la Femme de l’Apocalypse tend à un Ange son enfant pour le sauver du Dragon à sept têtes. Deux détails minuscules (la colombe qui descend, l’Enfant qui monte) sont donc mis visuellement en balance.
Le panneau de droite expose, au dessus de Saint Jean, les principaux épisodes de l’Apocalypse : véritable gageure iconographique qui a eu un effet décisif sur les représentations ultérieures.
Notons en particulier comment les quatre cavaliers sont individualisés, illustrant tous les détails du texte ; et en même temps intégrés de manière chronologique dans la suite des épisodes (après Saint Jean s’agenouillant devant l’autel) et de manière réaliste dans le panorama imaginaire (noter leurs reflets dans l’eau).
Saint Jean à Patmos
Joos Van Cleve, 1520-40 Valenciennes, musée des BA photo JL Mazieres
Un demi-siècle plus tard, Joos Van Cleve simplifiera et inversera la composition de Memling, en déplaçant sur terre la scène de Saint Jean devant l’autel, et en conservant l‘idée du reflet, mais pour le halo. Remarquons que l’Aigle est absent, tout comme il est absent du triptyque.
Bréviaire d’Isabelle, 1497, BL Ms. 18851 f. 309r | Bréviaire Grimani,1510-20, Bibliothèque Marciana, Venise |
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Saint Jean à Patmos
L’effet touche aussi les miniaturistes : influence directe sur celui du Bréviaire d’Isabelle (même détail des reflets), influence plus indirecte sur celui du Bréviaire Grimani. Il est clair que la position de Saint Jean à droite de l’apparition devient extrêmement fréquente après le triptyque de Memling.
En aparté : Le démon sur l’île
Livre d’Heures de Jeanne I de Castille, vers 1500, BL Add. Ms. 35313 f 10v
Toujours dans la même veine, cette miniature est intéressante par un détail amusant.
Un petit diable essaye, avec un harpon, d’intercepter l’encrier du saint, pour l’empêcher d’écrire ce qu’il voit.
Bible Historiale de Jean du Berry, vers 1380, Baltimore Walters W126 fol 195v
Selon Anna Eörsi, ce motif est né dans l’entourage du duc de Berry, et serait une variante lettrée du thème populaire du diable qui tente d’empêcher l’Incarnation (voir 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré ) :
« Quand il ne laisse pas Jean écrire le début de son Evangile, lui aussi, il croit pouvoir se servir de la force magique du Verbe, c’est-à-dire de l’écriture. Il pense que si saint Jean n’écrit pas le Verbe, celui-ci n’existera pas; et ce qui n’est pas ne peut prendre corps. Il espère prévenir l’Incarnation en empêchant que les mots «caro factum est» soient couchés par écrit. » ([1a], p 61)
Ce démon est positionné comme l’antagoniste de l’aigle qui, en tant que vainqueur du serpent, représente souvent la victoire du Bien conte le Mal.
Apocalipsis in dietsche, 1400-50, BNF Neer 3 fol 2r
On le retrouve, opposé cette fois à l’Ange, dans une des très riches illustrations de la première Apocalypse en néerlandais : ici, il ne cherche pas la bagarre et utilise sa gaffe pour partir en barque précipitamment, tandis que l’Ange arrive sur l’île de l’autre côté : suprématie écrasante de l’aviation sur la marine.
Maître de Rohan, vers 1431, Heures d’Isabella Stuart, Fitzwilliam Museum,Ms. 62 fol 13r
Ce motif fait ici une apparition amusante non plus sur l’île, mais dans l’étude du Saint, sous son siège même.
Lectionnaire d’Utrecht, 1443, Den Haag KB 69.B10
L’idée d’un démon plus agressif , mais qui échoue comiquement, se développe dans quelques Livres d’heures. Elle implique d’inverser les positions, afin que le bon élément se trouve à la droite du Saint tandis que le mauvais sujet sévit à sa gauche.
Horae secundum usum romanum, 1440-50, BNF NAL 3229 fol 13r | Livre d’Heures de Leonor de la Vega, Willem Vrelant, 1468, Biblioteca Nacional de España, Madrid fol 91 |
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Ici le bon élément est l’Aigle, qui aide la Saint à dérouler son parchemin, ou l’avertit que dans son dos le démon est en train de vider son encrier dans l’eau .
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Saint Jean l’Evangéliste à Patmos, Gemäldegalerie, Berlin |
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Bosch, 1490-95
Ceci nous amène à cette oeuvre très célèbre de Bosch, sans doute les volets d’un triptyque perdu, composé selon le modèle de Memling.
On retrouve ici tous les ingrédients d’une vigoureuse composition en diagonale : la Vierge et l’Ange constituent les éléments célestes, alignés sous le regard de Saint Jean. A l’opposé, l’Aigle dégradé en une sorte de gros oiseau balourd et l’arbre étique semblent ancrés côté terre, plombés par le démon qui est une sorte de résumé caricatural de l’ensemble.
Un démon de synthèse (SCOOP !)
- Par ses ailes, il imite l’Aigle, mais ses pattes d’insecte trahissent sa nature rampante.
- Par son harpon posé contre le talus, il imite l’arbre, mais n’attrape aucun oiseau.
- Par ses lunettes et son brasero en guise de chapeau, il imite le Saint : mais c’est un visionnaire myope et à la tête qui fume
Saint Jean se détourne
Frontispice de l’Apocalypse
Dürer, 1496-98
Dürer invente une formule très percutante dans laquelle Saint Jean se retourne vers le spectateur, et à la Femme l’accompagne dans cette rotation, quittant les lointains pour venir léviter au premier-plan, à portée de sa main gauche.
L’aigle, le scripteur et l’apparition convoquée par le geste de la main partagent la même couronne de nuages, manière d’évoquer la nature quasiment céleste de l’Artiste, nouveau Saint Jean.
La Femme et le dragon (détail inversé)
Cliquer pour voir l’ensemble
On ne peut s’empêcher de penser que le frontispice compense, en l’inversant, la gravure correspondante à l’intérieur du recueil :
- la femme ailée séparée de son enfant laisse place à la Vierge à l’Enfant,
- le dragon ailé, crachant du feu et scindé en sept gueules qui s’affrontent devient un aigle, un encrier et un apôtre.
Vision de David (fol. 18v) | Vision de Jean (fol. 17v) |
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Dürer, 1515, Livre de prières de l’Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64
Il existe de Dürer une autre Vision de Patmos plus confidentielle : dans ce dessin marginal du Livre de prières de l’Empereur, l’artiste utilise habilement les deux marges gauche et basse pour caser les trois protaganistes, alors que dans l’illustration précédente, la marge gauche suffisait pour caser Dieu le Père et David.
La vision sur la gauche est imposée par la structure du manuscrit : les dessins marginaux accompagnent les débuts de chapitre (signalés par une majuscule ornementée) : or dans les deux cas ces débuts de chapitre tombent sur des pages verso, où la marge large est à gauche.
Retable de Saint Jean (Johannesaltar)
Hans Burgkmair, 1508, Alte Pinakothek, Munich
Burgkmair a repris la même idée de Saint Jean se retournant, mais a laissé la Femme dans le lointain, indistincte dans son halo. La vision de Patmos a perdu tout caractère apocalyptique, transposée en accueil de la lumière au sein d’une nature paradisiaque.
Battista Dossi,1517, Pinacoteca Nazionale, Ferrara
Le frère de Dosso Dossi développe la même posture dans un sens totalement opposé : il s’agit ici pour Saint Jean de se détourner de la vision terrifiante.
Alonso Cano, vers 1640, Musée des Beaux-Arts, Budapest
Ici la vision de matérialise sous forme de signes à peine discernables sur les nuages, que le visionnaire se hâte de transcrire.
Saint Jean voit, sans regarder
A l’issue de ce retournement, on aboutit à une idée plus radicale : montrer une pure vision intérieure.
Triptyque de la Messe de Saint Gregoire
Hans Baldung Grien, vers 1511 (reconstruction)
Ce triptyque reprend l’idée de Memling de représenter les deux Saints Jean dans les volets latéraux. Saint Jean Baptiste, son agneau et Sainte Anne trinitaire font donc pendant à Saint Jean l’Evangéliste, son aigle et la Madonne au croissant de Lune.
Saint Jean à Patmos
Hans Baldung Grien, vers 1511, MET, New York
Le nouveauté du panneau est que saint Jean, ostensiblement, ne regarde pas vers l’arrière : les volutes nuageuses autour du halo lumineux signalent qu’il s’agit bien d’une pensée, d’une image purement mentale.
Atelier de Baldung Grien, 1514-15, Schnewlin Kapelle, Freiburg im Breisgau
Le panneau est copié presque à l’identique dans ce retable où le volet gauche est cette fois dédié au Baptême du Christ par Saint Jean.
Saint Jean à Patmos Erhard Altdorfer, 1515, Nelson-Atkins Museum of Art
Le frère d’Albrecht Altdorfer reprend la même composition en l’inversant et en la modifiant quelque peu : l’objet que Saint Jean tient dans sa main gauche est son taille-plume, preuve de la rapidité de son écriture.
Saint Jean à Patmos
Ortolano, 1520-25, Fondation Cini, Venise
Le même part-pris de regarder ailleurs se propage en Italie (où les représentations de Saint Jean avec la Femme de l’Apocalypse sont quasi inexistantes avant celle-ci).
Saint Jean à Patmos
Heures de Saulx-Tavannes, français, 1533, Arsenal MS 640 fol 2
On le retrouve en France dans cette miniature où toute la construction en profondeur est conçue pour prouver que le Saint ne peut pas voir l’Apparition, située physiquement entre les deux arbres derrière lui.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une vision intérieure, car l’image suggère fortement que c’est l’Aigle (dont l’oeil est latéral et notoirement bon) qui raconte à son maître ce qu’il voit.
Saint Jean à Patmos
Master of the Female Half-Lengths, 1540, National Gallery
Pas de vision directe non plus dans cette composition très méditée, où réapparaît en bas à droite notre vieux démon au harpon.
Il sert ici à clôturer le parcours qui mène l’oeil du spectateur depuis la vision céleste la plus lointaine et la plus divine à la vision terrestre la plus proche et la plus diabolique, en passant par l’arbre qui fait communiquer haut et bas. Au passage le Dragon est comparé à l’Aigle (qui tient ici gentiment l’encrier dans son bec) et la montagne au saint lui-même, fermement planté sur son île.
Saint Jean à Patmos
Tobias Verhaecht, 1598, Ermitage.
Les deux rochers (dont l’un épouse la forme de l’aigle) cachent à ce saint Jean halluciné la vue directe sur le champ de bataille.
En bas à gauche le Dragon s’attaque à un Ange, en haut il est vaincu par Saint Michel, déclenchant une pluie d’anges déchus au dessus d’un oiseau blanc. A droite le croissant de la Femme se reflète dans deux autres véhicules : la barque des pêcheurs qui tirent évangéliquement leurs filets, et celle de l’apôtre, de l’autre côté du crucifix.
Saint Jean à Patmos
Pedro de Orrente, vers 1620, Prado, Madrid
Cette autre toile maritime entretient l’ambiguïté : le rocher gêne la vision, mais sans l’empêcher complètement. Ce qui intéresse le peintre, c’est l’analogie visuelle entre le vieil homme entouré de rochers et la jeune femme environnée de nuages, qui empruntent aux pierres la même tonalité rougeoyante (telle une île dans le ciel).
Saint Jean écrivant
Georg Gaertner le Jeune,1618, collection particulière
Cet artiste de Nuremberg s’est spécialisé dans des tableaux à la mode de Dürer. Un siècle après lui, Il reproduit ici fidèlement sa célèbre gravure de la Femme de l’Apocalypse, accrochée derrière un Saint Jean à son étude, qui transpose quant à lui les nombreux Saint Jérôme du maître.
Une coupe avec le serpent et une tête d’aigle complètent la panoplie.
Des livres qui parlent (SCOOP !)
L’inscription sur le livre de l’étagère « Sanguinius N°4 » montre que ce tableau représentait le tempérament Sanguin, dans une série consacrée aux quatre Evangélistes et aux quatre Tempéraments [2].
La phrase inscrite en haut de la page droite du livre est apparemment de l’artiste, et explique pourquoi le symbole de Saint Jean est l’aigle :
Transmettant fidèlement le mystère de la divinité du Christ, on le représente sous la forme d’un aigle | christi divinitatis misterium fideliter tradens aquilae specie pingitur |
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Le passage en dessous est celui des Noces de Cana, tiré de l’Evangile de Jean (Jean2:1-4). Il faut probablement le relier d’une part avec le flacon d’eau pure posé sous la gravure, d’autre part avec la coupe au serpent : tout comme Jésus a transformé l’eau en vin, Saint Jean a transformé le breuvage empoisonné en eau pure.
Ainsi une chaîne symbolique s’établit entre la Femme vêtue de soleil et le serpent, lointain cousin du dragon à sept têtes.
Terminons par un chef d’oeuvre absolu : le diptyque de Vélasquez .
Diptyque de l’Immaculée Conception et de la vision de Patmos.
Vélasquez, 1618, National Gallery, Londres
Cette oeuvre de jeunesse, qui provient d’un couvent de Carmélites de Séville, avait été probablement commandée pour soutenir le dogme de l’Immaculée Conception.
L’Immaculée Conception
Comme chez Greco, la figure surplombe un paysage symbolique, réduit ici à deux éléments : un temple rond qui évoque à la fois la tour mariale et la Grèce antique de Patmos, et une fontaine d’eau pure.
L’auréole avec les douze étoiles et la demi-lune, transformée en croissant par sa luminescence intérieure, allient la précision géométrique et l’inventivité graphique. Le troisième attribut, le manteau de soleil, est au contraire très discret : un pourtour doré à la limite du manteau nous fait comprendre que la Femme masque la lumière qui éclaire les nuages.
Saint Jean
Gravure de Don Juan de Jauregui dans « Vestigatio arcani sensus in apocalypsi « , Ludovicus ab Alcazar, Anvers, 1614 |
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La Femme de l’Apocalypse, esquissée d’après une gravure contemporaine, nous est montrée sans son enfant, comme la Vierge dans le volet de l’Immaculée Conception. Mais la lumière qui manquait à l’une est devenue ici le signe dominant, puisque c’est elle qui éclaire le visage du Saint, et son livre.
La main est en suspens au dessus de la page de gauche : Vélasquez n’a pas oublié que Jean est un Juif qui écrit de droite à gauche [3] .
Mais les deux pages sont aussi une auto-référence au diptyque : la page blanche à l’Immaculée Conception, la page qui commence à être écrite à la Vision de Patmos.
Un accrochage inversé (SCOOP !)
D’où l’idée de présenter les deux panneaux en sens inverse de celui qui semblerait naturel : on évite ainsi la duplication gênante de la femme, et on retrouve le véritable objectif du diptyque :
montrer visuellement que la Femme de l’Apocalypse et l’Immaculée Conception ne font qu’une.
Dans le panneau de gauche, Saint Jean transcrit sa vision, entre l’Aigle, oiseau de Jupiter, et les deux livres fermés (sans doute l’Ancien Testament, en dessous et marqué d’un signet ; et l’Evangile qu’il a lui même écrit, usagé).
Dans le panneau de droite, l’Immaculée Conception regarde le Saint par derrière : c’est elle qui réellement l’inspire, trait d’union entre deux moments de l’Humanité : la Sagesse grecque et la Pureté chrétienne.
https://www.academia.edu/44744442/Fuit_enim_Maria_liber_Remarques_sur_l_iconographie_de_l_Enfant_%C3%A9crivant_et_du_Diable_versant_l_encre
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Quatre_Ap%C3%B4tres
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