1 Les pendants néo-classiques d'Angelika Kaufmann : 1766 -1782 (période anglaise)
Angelika Kauffmann est une des femmes peintres les plus célèbres du XVIIIème siècle, amie de Goethe et de Herder, qui la qualifiait de «femme la plus cultivée d’Europe»
Son oeuvre prolifique comporte plusieurs dizaines de pendants, mais dans un nombre limité dé genres : pendants femme-femme, de couple ou d’histoire. Significativement, on ne trouve jamais les formules pourtant courantes homme-homme ou homme-femme : spécialisation assumée dans les représentations féminines.
A l’âge de 25 ans, après sa formation et de premiers succès en Italie, Angelika Kauffmann s’installe en Angleterre [1]. Parmi les pendants réalisés en Angleterre, certains sont gracieux et purement décoratifs, d’autres plus savants et truffés de références littéraires allant du classiques au moderne. Les voici par ordre thématique, puis chronologique.
Pendants d’Histoire
Autoportrait (perdu) | Pénélope et son chien, Brighton Art Museum |
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Angelika Kauffmann, 1764 pour Bowring
Avant même son installation en Angleterre, Angelika peint pour un client londonien ce double portrait d’elle-même [1a], face à une héroïne antique rare (elle la représentera plusieurs fois par la suite).
Ulysse découvrant Achille, 1769 | Hector faisant ses adieux à Andromaque, 1768 |
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Angelika Kauffmann, Saltram, Devon, copyright National Trust (134.5 x W 178 cm)
Exposé en 1769 à la Royal Academy, les deux tableaux furent achetés par Theresa et John Parker, furur Lord Boringdon. Ce pendant intérieur-extérieur montre le départ de deux héros pour la guerre de Troie :
- côté grec, Achille en robe rouge, en saisissant l’épée que le rusé Achille a cachée parmi les cadeaux, compromet son déguisement féminin parmi les filles du roi Lycomède ;
- côté troyen, Hector en tunique rouge empoigne sa lance et quitte sa famille.
En mettant en balance le vrai couple Andromaque-Hector et le faux couple Ulysse-Achille, la composition se veut à la fois savante et émoustillante.
Vortigern, Roi de l’île de Bretagne, tombe amoureux de Rowena au banquet du général Saxon Hengist, 1769-70 | Rencontre d’Edgar et Elfrida après son Mariage avec Athelwold, 1770-71 |
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Angelika Kauffmann Saltram, Devon, copyright National Trust (153.5 x 214.5 cm)
Exposées en 1770 et 1771, ces deux scènes de l’histoire ancienne d’Angleterre, transposées en costumes à l’antique pour la plus ancienne (5ème siècle), en costumes médiévaux pour la plus récente (10ème siècle) ont beaucoup fait pour la reconnaissance d’Angelika en tant que peintre d’histoire. Il lui faudra néanmoins attendre 1775 pour vendre ce second pendant à Theresa et John Parker.
Vortigern tombe amoureux de Rowena
Vortigern, conseiller du roi des Bretons Constantius, l’avait fait assassiner. Pour garder le trône contre l’héritier légitime, il s’allie aux ennemis héréditaires, les Saxons, en épousant la fille de leur général. Le tableau montre Rowena acceptant la coupe que lui tend Vortigern : le moment où la trahison de celui-ci est consommée.
Edgar tombe amoureux d’Elfrida
Informé de la beauté d’Elfrida, le roi Edgar envoie son vassal Athelwold la lui ramener, si elle est aussi belle qu’on le dit. Mais celui-ci en tombe amoureux et l’épouse, en racontant au roi qu’elle est hideuse. Le tableau nous montre le second acte, la revanche du roi : ayant découvert la supercherie, il annonce sa visite chez Athelwold, qui demande à sa femme de se faire la plus laide possible. Mais celle-ci fait l’inverse, Edgar en tombe amoureux et se débarrasse d’Athelwold durant une partie de chasse pour pouvoir à son tour l’épouser.
Le tableau montre Elfrida apparaissant en toute beauté devant Edgar et Athelwold : le moment où la trahison de celui-ci est dévoilée.
La logique du pendant
On voit bien le thème commun : trahir pour l’amour d’une femme. Mais la composition ne suit pas : d’un côté la femme fatale se trouve entre les deux camps, de l’autre elle apparaît en face des deux rivaux. Malgré le contraste extérieur/intérieur, l’opposition des costumes et la présence à gauche d’un rideau vert ou rouge, le pendant ne fonctionne pas.
Renaud et Armide | Gualtherius et Griselda (Gauthier et Griselidis) |
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Angelika Kauffmann, vers 1772, English Heritage, Kenwood, copyright National Trust
Le premier sujet est tiré du bestseller du Tasse, La Jérusalem délivrée : Armide retient Renaud prisonnier de ses charmes, mais deux chevaliers croisés arrivent pour le délivrer.
Le second épisode, beaucoup moins connu, est tiré d’une lettre de Pétrarque à Boccace. Gauthier , marquis de Saluces, a épousé la bergère Griselidis, qu’il soumet à trois épreuves d’obéissance conjugale : il s’agit ici de la troisième et dernière ou Griselidis accepte de reprendre ses habits de paysanne et de rentrer dans sa chaumière, laissant sa place à une nouvelle épouse.
La logique du pendant
L’idée est ici encore d’opposer costumes à l’antique et costumes médiévaux. Mais surtout de remettre dans l’ordre le rapport de domination : le marquis prend la place de la princesse exotique, et la bergère, comble de l’obéissance féminine, celle du chevalier déchu.
Nous retrouverons dans d’autres pendants d’Angelika la même propension à apparier une scène très connue et un sujet rare, voire totalement original.
Abra, Staatsgalerie, Stuttgart | Griselidis, Chur Kunstmuseum |
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Angelika Kauffmann, vers 1780
Ce pendant est dédié à deux bergères ayant pris l’ascenseur social :
- Griselidis, déjà présentée ;
- sa collègue Abra, remarquée par le Sultan pour la beauté de ses compositions florales (un personnage de Williams Collins dans son églogue Abra ou la Sultane géorgienne), .
Deux filles de la campagne ayant gardé l’amour de la Nature et leur bonne mentalité.
Angelika Kauffmann, 1774
De taille légèrement différente et avec un nombre différent de personnages, ces deux toiles ne constituent pas techniquement un pendant extérieur / intérieur. Mais exposées ensemble à la Royal Academy en 1774, elles constituent un premier essai de comparaison entre Calypso et Pénélope – ici par leur geste commun d’imploration – qui va trouver son plein aboutissement dans un pendant très réussi.
Pénélope pleurant sur l’arc d’Ulysse | Calypso abandonnée par Ulysse |
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Angelika Kauffmann, 1775-78, Angelika Kauffmann Museum, Schwarzenberg
Ce pendant intérieur/extérieur compare le désespoir de deux héroïnes de l’Odyssée.
Pénélope, pressée par tous de se remarier, s’est résigné à organiser une épreuve pour les prétendants : traverser, comme le faisait Ulysse avec son arc, douze haches d’une seule flèche (ici les cibles son plus faciles : des piquets avec un anneau).
Calypso, qui n’a pas réussi à retenir le navigateur, se lamente dans sa grotte
Pour les spectateurs avisés, l’intérêt du pendant vient du hiatus temporel entre les deux tableaux : tandis qu’Ulysse dans son bateau quitte le second par la gauche, il est déjà arrivé dans le premier : symboliquement par son arc, et réellement dans l’histoire : car c’est lui qui, déguisé en mendiant, a poussé Pénélope à accepter le vainqueur du concours.
Ariane abandonnée par Thésée | Sappho composant l’Ode à Vénus |
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Angelika Kauffmann, vers 1778, collection privée [1b]
Dans cet autre pendant, le premier tableau est quasiment identique, sinon qu’Ariane remplace Calypso dans le rôle de l’abandonnée.
Dans le second tableau, on peut lire effectivement le début du dernier paragraphe de l’Ode à Vénus, le seul texte conservé de Sappho :
Cette fois encore viens à moi, Délivre moi de mes âpres soucis |
ἔλθε μοι καὶ νῦν, χαλέπαν δὲ λῦσον ἐκ μερίμναν |
Nous retrouverons dans un autre pendant ce procédé de la citation érudite.
La logique du pendant (SCOOP !)
La justification thématique du pendant est forte : deux amoureuses seules sur une île, avec pour unique compagnon Cupidon qui partage leurs sentiments opposés de désespoir et d’espoir .
S’y ajoute une autre raison qui devait être évidente pour les amateurs de l’époque : les deux scènes sont décrites dans le même ouvrage d’Ovide, les Héroïdes :
- lettre X d’Ariane à Thésée
- lettre XV de Sappho à Phaon
Artemisia avec les cendres de son époux | Sappho |
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Angelika Kauffmann, non daté, Stourhead, Wiltshire, copyright National Trust
Ce petit pendant réduit au strict minimum le thème des amantes esseulées.
Vénus attirée par les Grâces, gravure de 1784 de Bartolozzi | Le jugement de Pâris |
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Angelika Kauffmann, vers 1778, pour Bowles, Museo de Arte de Ponce, Puerto Rico
Ce pendant intérieur / extérieur met en balance Vénus assise déshabillée devant une colonne et Vénus debout habillée devant un arbre.
Le pendant se lit par symétrie : ainsi le geste de Pâris donnant la pomme à Vénus est imité par celui de la femme posant un bouquet sur la table.
Les Grâces réveillant l’Amour | Des nymphes ornant la Statue de Pan |
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Angelika Kauffmann, 1776 , gravure de William Wynne Ryland
Comme souvent chez Angelika, le néo-classicisme affiché se double d’une pointe d’esprit galant :
- à gauche deux ravissantes amies taquinent de leur longue verge l »orifice auriculaire de Cupidon, endormi tel le Vésuve ;
- à droite deux bacchantes approchent dangereusement leurs mains d’un Hermès potentiellement éruptif.
7 ? L’Amour attaché par les Grâces, collection privée (40 x 40 cm)
Angelika Kauffmann, 1777 Voralberg Museum Bregenz (pour les cinq premières)
En s’inspirant d’un poème de Métastase, Le Grazie Vendicate, Angelika développe en six ou sept épisodes les aventures de Cupidon et des trois Grâces, bonnes filles dont la vertu est quelque peu dépassée par le fougueux garnement.
Cupidon attachant Aglaia | Cupidon désarmé par Euphrosine |
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Gravures de Thomas Burke, 1784, d’après Angelika Kauffmann
La tentation d’Eros | La victoire d’Eros |
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Dans le style dAngelika Kauffmann, 1750-75, MET
Très populaires et facilement interchangeables, ces motifs ont été souvent repris en pendants, dans des gravures ou des objets décoratifs, et ont valu à Angelika sa réputation de « peintre des Grâces ».
Une nymphe observée par un berger | Une nymphe tirant à l’arc vers un jeune homme |
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Angelika Kauffmann, vers 1780, Victoria and Albert Museum
Dans le même état d’esprit d’espièglerie à l’antique, Angelika nous raconte une histoire en deux temps :
- un berger reluque une nymphe endormie, assisté par Cupidon qui commence à la désarmer de ses flèches ;
- malheureusement, la Nymphe se réveille et décoche une flèche à l’impudent (en se gardant de le toucher) ;Cupidon réfugié dans l’arbre, nous fait comprendre que cette résistance n’est peut être pas si farouche.
Orphée et Eurydice | Diane et Callisto |
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Angelika Kauffmann, gravures de Burke, 1782 collection privée
Ce pendant semble conçu pour fonctionner comme une petite énigme : en comparant les deux couples et les deux Cupidons (l’un brandit une torche et l’autre fait le geste du secret au dessus de deux éclairs posés par terre), on comprend que Diane, à droite, ne peut être qu’un homme : c’est en fait Jupiter qui a pris son apparence pour coucher avec Callisto, la plus belle de ses nymphes.
Pendants littéraires
Parmi les pendants d’histoire d’Angelika, quelques uns sont des illustrations d’oeuvres littéraires contemporaines.
La Fantaisie fleurissant le tombeau de Shakespeare, 1772 | Maria de Sterne, 1777 |
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Angelica Kauffman, pour Lord Exeter, Burghley House, copyright National Trust
La Fantaisie fleurissant le tombeau de Shakespeare
Le premier tableau illustre un poème de John Gilbert Cooper, Tomb of Shakespear (1755).
Sur les rives de l’Avon, l’ai posé mes rayons, là où les flots amoureux Ici s’est assise la Fantaisie, (ses doigts rosés et froids |
On Avon’s banks I lit, whole streams appear To wind with eddies fond round SHARESPEAR’S tomb, The year’s first feath’ry songsters warble near, And vi’lets breathe, and earliest roses bloom.Here FANCY sat, (her dewy fingers cold Decking with flow’rets fresh th’ unfullied sod,) And bath’d with tears the sad sepulchral mold, Her fav’rite offsprin’s long and last abode. |
Le poème repose sur l’idée de la « Fantaisie, mère de Shakespeare » qu’Angelica avait déjà illustrée en 1772 (voir plus loin). Fidèle à son iconologie personnelle, elle la représente de la même manière, en robe blanche et les cheveux ailés.
Maria de Sterne
Le second tableau reprend, en l’inversant la pose désespérée de Pénélope avec l’arc d’Ulysse. Il s’agit ici de Maria – un personnage du roman de Sterne Voyage sentimental à travers la France et l’Italie (1768) – devenue folle à cause d’une histoire d’amour malheureuse. L’illustration est très fidèle au texte :
« Arrivé à une demi-lieue de Moulins, et à l’entrée d’un petit sentier qui conduisoit à un petit bois, j’aperçus la pauvre Marie assise sous un peuplier ; elle avoit le coude appuyé sur ses genoux et la tête panchée sur sa main : un petit ruisseau couloit au pied de l’arbre… Elle étoit habillée de blanc, et à-peu-près comme mon ami me l’avoit dépeinte, excepté que ses cheveux, qui étoient retenus par un réseau de soie, quand il la vit, étoient alors épars et flottans. Elle avoit aussi ajouté à son corset un ruban d’un verd pâle, qui passoit par-dessus son épaule et descendoit jusqu’à sa ceinture, et son chalumeau y étoit suspendu. — Sa chèvre lui avoit été infidelle comme son amant ; elle l’avoit remplacée par un petit chien qu’elle tenoit en lesse avec une petite corde attachée à son bras. Je regardai son chien ; elle le tira vers elle, en disant : « toi, Sylvie, tu ne me quitteras pas ». Je fixai les yeux de Marie, et je vis qu’elle pensoit à son père, plus qu’à son amant, ou à sa petite chèvre ; car en proférant ces paroles, des larmes couloient le long de ses joues. Je m’assis à côté d’elle, et Marie me laissa essuyer ses pleurs avec mon mouchoir ; — j’essuyois ensuite les miens ; — puis encore les siens ; puis encore les miens, et j’éprouvois des émotions qu’il me seroit impossible de décrire, et qui, j’en suis bien sûr, ne provenoient d’aucune combinaison de la matière et du mouvement. »
La logique du pendant
Réalisé cinq ans après le premier, le second tableau le complète de deux manières :
- une jeune femme, debout ou assise, pleure un être cher disparu ;
- le romancier contemporain est égalé a son illustre devancier.
La naissance de Shakespare | Le tombeau de Shakespare |
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Angelica Kauffmann, 1782 gravures de Bartolozzi, Bristish Museum
Le premier tableau fut repris quelques années après dans cet autre pendant, plus facile à comprendre.
Le second devait connaître quant à lui une grande célébrité. Première représentation en Angleterre du personnage de Sterne, il fit sensation lors de son exposition à la Royal Academy en 1777, et donna lieu par la suite à d’innombrables reproductions.
Le moine de Calais (partie I, chapitre 2), | Mairie la folle (partie II, chapitre 17) |
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Angelika Kauffmann, après 1777, Ermitage, Saint Petersbourg
Dans la foulée de son succès avec Sterne, Angelika réalise ce pendant où apparaît maintenant le personnage principal du Voyage sentimental, Parson Yorick.
Dans le premier épisode, sur les quais de Calais, il échange sa tabatière en écaille avec celle en corne du Père Lorenzo , en gage de réconciliation pour avoir refusé de lui donner l’aumône, et aussi pour se mettre en valeur vis à vis de la belle dame.
Le second épisode montre un moment précis de sa rencontre avec Marie la folle. Dans le roman précédent de Sterne, Tristram Shandy avait croisé la même Marie. Parson Yorick lui demande si elle se souvient de lui, elle lui réponde que oui et qu’elle a même conservé son mouchoir :
« En parlant ainsi, elle tira le mouchoir de sa poche pour me le montrer, il étoit enveloppé proprement dans deux feuilles de vigne et lié avec des brins d’osier ; elle le déploya, et je vis qu’il étoit marqué d’une S à l’un des coins. »
La logique du pendant
Ordinairement, Angelika choisit des sujets où les émotions peuvent être traduites avec précision par les gestes ou les physionomies. L’intérêt pictural de ses deux épisodes est que la sentimentalité s’y cristallise sur un objet central, qu’elle représente scrupuleusement :
- les deux tabatières – la riche et la pauvre -symbolisant l’amitié entre Yorick et le moine ;
- le mouchoir avec ses deux feuilles de vigne, symbolisant l’amitié entre les deux voyageurs et Marie.
Ces trois tondo, de taille légèrement différente, ont été séparés très tôt (deux seulement ont été achetés par Lord Exeter) Ils constituent néanmoins une série cohérente.
La logique de la série (SCOOP !)
Dans le premier tableau, Héloïse délaisse son livre pour répondre à l’amour de son beau professeur ; mais l’oncle Fulbert apparaît déjà (celui qui fera castrer Abélard).
Dans le deuxième, Abélard accompagne Héloïse à la porte du monastère où elle va se retirer.
Le troisième ne se comprend que par référence au poème de Pope, L’Epitre d’Héloïse à Abélard (1717), où Héloïse solitaire se remémore son amant et l’imagine auprès d’elle. Le tableau n’illustre pas un passage précis du poème, mais en traduit l’ambiance par la posture d’Héloïse : plongée dans son livre, elle tourne le dos, avec une expression douloureuse, à l’apparition d’Abélard qui lui présente l’image idéalisée de leur Amour.
La Penserosa | L’Allegra |
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1779 , Gravures de Bartolozzi d’après des dessins d’Angelika Kauffmann,
Avec une nymphe mélancolique et une bacchante joyeuse, Angelica féminise les deux poèmes jumeaux de Milton, L’Allegro et Il Penseroso (1645)
Lavinia et Palémon, gravure de 1782 de Charles Taylor | Damon et Musidora, gravure de 1782 de Bartolozzi |
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Angelika Kauffmann, pour Mr Bowles,
Mais, dans le même instant, de ses charmes avare, Ignorant leur pouvoir, d’un air plein de candeur, elle se détourna pour cacher sa pudeur. Palémon ne put voir, au gré de son envie, ses attraits à ses yeux dérobés en partie (traduction Durand, 1802). |
Conduite par les rians amours, Musidore chercha cette fraîche retraite; la saison brûlante animait l’éclat de ses joues: vêtue légèrement, elle venait se baigner dans le ruisseau rafraîchissant. (traduction Durand, 1802) |
<Unconscious of her power>, and turning quick |
For lo ! conducted by the laughing loves , |
Ce pendant illustre deux moments des Saisons de Thomson, où l’homme tombe amoureux l’un des charmes dérobés au regard, l’autre des charmes dévoilés.
Pendants allégoriques
Outre ses tableaux d’histoire, Angelika se lance également dans les allégories sophistiquées, véritables exercices de rhétorique visuelle très appréciés des amateurs (pour d’autres exemples de cette mode, voir 3 Pendants rhétoriques, pendants formels et Les pendants rhétoriques de Batoni).
Shakespeare, enfant de la Fantaisie, est éduqué par la Comédie et la Tragédie | La Beauté entre la Poésie et l’Honneur |
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Angelika Kauffmann, années 1770, collection privée
Ce pendant s’inscrit dans le lignée du Jubilé de Shakespeare de 1769.
Dans la première allégorie, les attributs facilitent le décryptage : on reconnaît la Fantaisie aux ailes sur son crâne et à sa robe blanche (selon l‘Iconologie de Ripa), la Comédie et la Tragédie à leur masque joyeux ou triste.
Faite d’attributs univoques, le sens précis du second tableau s’est perdu. Par comparaison avec le premier, on peut noter que :
- le couple mère-enfant s’est transformé en deux entités féminines égales, qui se donnent la main ;
- le couple Comédie/Tragédie, l’une brandissant son masque et l’autre tenant la main de l’enfant, s’est unifié en un seul personnage : le jeune homme qui brandit la couronne de fleurs et tient la main d’une des jeunes femmes.
Je traduirais volontiers :
« le Succès couronne la Beauté alliée à la Poésie« .
Pour donner une idée du degré de sophistication de ce type d’allégorie, voici une autre production d’Angelika, dont on possède heureusement la traduction :
Der Fleiß, von der Geduld und der Ausdauer begleitet, wird von der Ehre bekrönt und vom-Uberfluss belohnt
Angelika Kauffmann, 1779 .
Le Labeur (tenant une vannerie), accompagné par la Patience (avec son joug, suivant l’Icolologie de Ripa) et l’Endurance (représentée de manière originale par le palmier qui pousse dans le désert), est couronné par l’Honneur et récompensé par l’Abondance.
Le point culminant de la carrière d’Angelika en Angleterre est sans doute la commande de quatre allégories par la Royal Academy, pour décorer un plafond de son siège, à Somerset House. Le thème, très ambitieux, était rien moins que les Quatre éléments de l’Art, selon les conceptions exposées par Joshua Reynold dans ses Discourses on Art [2] .
Les membres de la Royal Academy en Assemblée générale
Henry Singleton, 1795, Royal Academy Collections [3]
On voit que les tableaux étaient présentés par paires, aux deux bouts de la pièce, chaque paire comportant un élément Pratique et un élément Théorique .
Le Dessin | La Composition |
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Angelika Kauffmann, 1778-80, collections de la Royal Academy
Le Dessin est une jeune fille appliquée dans la copie d’antiques.
Ayant maîtrisé cette technique (voir les croquis abandonnés sur le muret), la Composition consiste à maîtriser les proportions (le compas) et les combinaisons savantes (le jeu d’échec).
La Couleur | L’Invention |
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La Couleur tient une palette vide : car elle plonge son pinceau dans les couleurs les plus pures, celles de l’Arc en Ciel.
Concluant la série, l’Invention a les ailerons et la robe blanche que Ripa lui attribue, plus le globe céleste qui est chez lui l’attribut de la Mathématique.
L’allégorie inventée par Angelika se comprend par comparaison avec la figure précédente : le cosmos toute entier remplace l’arc-en-ciel et la main vide succède à la palette blanche : la qualité la plus noble pour l’artiste n’a besoin d’aucun instrument, à l’image du Créateur lui-même.
Cette allégorie conclusive est donc, très précisément, la Création.
On attribue à Angelika quatre autres allégories moins officielles et plus plaisantes, sans doute elles-aussi destinées à décorer un plafond.
L’Architecture | La Musique |
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Le point commun entre ces deux Arts est la maîtrise des rythmes et le passage obligé par une forme écrite : plan ou partition.
La Sculpture | La Peinture |
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Angelika Kauffmann, The Cheltenham Trust and Cheltenham Borough Council.
Très logiquement, les Amours reproduisent leur semblable : les sculpteurs un Amour endormi, les peintres un Amour triomphant – manière fine de rappeler la supériorité de la Peinture : celle-ci vient conclure le discours sur les Arts, et la toile du Peintre ferme le guillemet ouvert par le carton de l’Architecte.
La Beauté guidée par la Tempérance rejette avec mépris les sollicitations de la Jouissance | La Beauté guidée par la Prudence et couronnée par la Perfection |
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Angelika kauffmann, vers 1780, Art Museum of Estonia, Tallin
Sous prétexte d’allégories éthérées, le pendant véhicule un message parfaitement clair à l’intention des jeunes filles : c’est parce que la Tempérance (avec son mors) l’a prévenue contre la Jouissance (la guirlande de grappes, le tambourin) que la jeune fille modèle, accompagnée par la Prudence (avec son miroir) rencontre enfin la Perfection, à savoir ce lauréat idéal qui lui propose la couronne (de mariage).
La Beauté tentée par l’Amour et conseillée par la Prudence | La Beauté enchaînée par l’Amour et abandonnée par la Prudence |
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Angelika Kauffmannn, 1779, collection privée (66 x 66 cm)
Tout aussi manichéen que le précédent, ce pendant féminise le thème bien connu d’Hercule entre les deux voies (celle de la Vertu et celle des Vices). Ici la Beauté doit choisir entre obéir à la Prudence (le mors) ou s’abandonner à l’Amour (la couronne). Ayant fait le mauvais choix, elle se retrouve enchaînée par l’un et abandonnée par l’autre.
Ces deux toiles ont été acquises d’Angelika Kauffmann par Pierre, duc de Courlande en mars 1779. Il existe un pendant identique, sur cuivre, dans une collection privé en Suisse [4].
Plymouth Museum
Reproduction à l’identique, sur toile, de ce pendant facile à comprendre : on voit bien la Prudence entrer par la gauche et s’en aller par la droite, de manière pré-cinématographique.
Burghley House Collection, Lincolnshire
Dans cette variante, l’inversion de la seconde scène crée un autre effet dynamique qui fonctionne tout aussi bien : rebutée, la Prudence fait demi-tour au lieu de poursuivre son chemin.
Il y a sans doute une composante autobiographique dans ces exhortations à la Prudence : dupée elle-même par un aventurier ruiné qui se faisait passer pour un membre d’une riche famille suédoise, Angelika l’avait épousé à l’insu de sa famille en 1767, au début de sa période anglaise. Ce mariage, qui fit scandale et lui coûta très cher, ne dura pas : après quelques mois de vie commune, le « comte de Horn » la quitta et elle dut attendre sa mort, justement en 1780, pour pouvoir se remarier. Elle finira par épouser le 14 juillet 1781 le peintre Antonio Zucchi, en compagnie duquel elle rentrera en Italie.
Pour la suite de son oeuvre, voir 2 Les pendants néo-classiques d’Angelika Kaufmann : période romaine
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