5 Dieu sur le globe : l'âge d'or des Majestas
Passons maintenant à l’art roman et gothique, où les globes-sièges disparaissent, sauf quelques survivances isolées, et où les Majestas Domini se normalisent : le seul globe qui subsiste est l’escabeau sous les pieds du Seigneur.
Précédent article : 4 Dieu sur le Globe : art ottonien et Beatus
Survivances du globe-siège
Cette iconographie devient rarissime dès l’époque romane : en dehors des exemples ottoniens déjà vus, on n’en rencontre que de rares exemples isolés.
A – En Italie
Une convention graphique paléochrétienne
Le Christ et la Samaritaine | Le Christ et la Femme adultère |
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Avant 1087, basilique Sant’Angelo in Formis, Capoue
Dans ces deux scènes évangéliques, le globe sert à rehausser la Majesté du Christ, avec sa couleur bleu de t avec couleur bleu de « goutte de ciel sur la Terre » (voir 2 Epoque paléochrétienne) .
L’iconographie de la Sagesse
Jérusalem céleste, vers 1090, abbazia di San Pietro al Monte, Civate
Cette fresque possède des caractéristiques uniques, parmi lesquelles le globe-siège n’est pas la plus insolite. Le Christ porte un livre sur lequel est inscrit : Quis sitis, veniat (qui a soif vienne à moi) et est assis au centre de la Jérusalem céleste, qui renferme un arbre de vie et une eau de vie : tous ces éléments illustrent Apocalypse 42,17-19. Ce qui est tout à fait unique est l’assimilation graphique de la Jérusalem Céleste avec le Paradis, comme le montrent les deux arbres et les quatre fleuves. Aux quatre coins de la ville sont inscrits les noms des quatre vertus cardinales (prudence, justice, force et tempérance). A l’intérieur des portes, gardées chacune par un ange, on lit les noms des douze gemmes citées dans Apocalypse 21-18 ; à l’extérieur des portes, les lettres isolées sont les initiales des douze tribus d’Israël et des douze apôtres [1].
Dans l’iconographie habituelle de l’Apocalypse, un ange est représenté à l’extérieur des murailles, tenant un roseau d’or qui lui permet de mesurer la ville. Ce roseau, traditionnellement interprété comme symbolisant la Sagesse divine, est ici, de manière totalement originale, tenu par le Christ lui-même. Plusieurs détails de l’image sont proches de la Psychomachie de Prudence (vers 823 à 887), qui décrit la Cité intérieure, nouvelle Jérusalem que la Foi et la Concorde bâtissent pour accueillir le Christ-Sagesse : le roseau d’or permettant de tracer le plan, les douze gemmes, les douze portes avec les noms des Apôtres.
Selon Y.Christe [2], l’influence de la Psychomachie n’explique pas tout (d’autres textes rendent compte de la présence des Vertus), mais elle pourrait du moins justifier cette irruption unique d’un globe-siège dans l’imagerie de l’Apocalypse : car les quatre manuscrits carolingiens de la Psychomachie montrent tous la Puissante Sagesse assise sur un globe au centre des remparts de sa Cité (voir 3b La Renaissance carolingienne).
Quoiqu’il en soit, ce programme iconographique composite est très complexe pour une église perdue dans les montagnes : il a probablement été conçu par l’archevêque de Milan Arnolfo III.
L’iconographie de la Création
Fresque disparue,891-96, Saint Paul hors les murs |
Début 13ème, église San Paolo inter Vinea, Spolète |
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Création d’Adam et Eve
Une nouveauté italienne est d’utiliser le globe-siège pour distinguer le Créateur et ses créatures, dans un contexte où un trône aurait été incongru.
Le Quatrième jour, Cycle de la Création du Monde, Monreale, fin XIème
Dans toutes les scènes de ce cycle de Monreale, Dieu est soit debout, soit assis sur un globe-siège. Cette convention graphique a été maintenue même pour le Quatrième jour, malgré la duplication peu logique du globe : preuve que le globe-siège bleu n’était plus compris, à l’époque, comme représentant le cosmos, mais comme comme l’attribut caractéristique de Dieu Créateur.
Deux visions de Jean dans l’Apocalypse (fresque transept mur SO)
1100-25, Castel Sant Elia près Nepi, photo Silvio Sorcini
Dans ce panneau, qui réunit deux visions différentes de l’Apocalypse, Dieu est représenté trônant sur un globe :
- dans la vision préparatoire (Apocalypse 1, 17-18), Saint Jean s’agenouille à gauche du globe, entouré par les sept candélabres (quatre à gauche, trois à droite) ; le Seigneur a dans sa mains la clé de la Mort et de l’Enfer ;
- dans la vision de la Cour céleste (Apocalypse 4), Jean voit la porte dans le Ciel, Dieu et les vingt quatre vieillards.
1030-1060, Bible de Roda, BNF Lat 6-4 fol 103v, Gallica
La première composition, très proche de celle de la Bible de Roda, permet de classer les fresques de Nepi dans le groupe III des cycles apocalyptiques :
Classement des cycles apocalyptiques par Peter Klein [3]
B – En Angleterre
Le Paultier d’Eadwine
La plus grande partie de ce psautier médiéval est une copie du psautier carolingien d’Utrecht. Quatre feuillets supplémentaires, au début du manuscrit, montrent des scènes de la vie du Christ, chaque feuillet comportant douze vignettes.
Jésus et les disciples
Paultier d’Eadwine , 1155-60, abbaye de Cantorbery MS 661 fol 4v , Victoria and Albert Museum
Cette vignette, divisée en deux, présente une iconographie totalement originale illustrant une des apparitions de Jésus après sa mort :
« Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Comme, dans leur joie, ils ne croyaient point encore, et qu’ils étaient dans l’étonnement, il leur dit: Avez-vous ici quelque chose à manger? Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel. » Luc 24, 40-42
Pour distinguer visuellement les deux parties de l’épisode, le copiste a imaginé que la scène du doute s’effectuait debout, et la scène du repas assis (sauf pour Saint Pierre, qui présente le poisson et le rayon de miel). Le globe, omniprésent dans le psautier carolingien d’Utrecht, a été recyclé dans cette seule miniature, à la fois comme signe de majesté (les disciples sont assis sur des monticules) et de transcendance (puisque le Christ est déjà monté au ciel).
Tibériade
1135 ca, abbaye de Bury St. Edmunds, Pembroke College MS 120 fol 5r
Dans le seul exemple anglais comparable, la scène du repas se passe debout et le copiste a renoncé à représenter le rayon de miel, le remplaçant par un pain comme dans le repas en dessous.
C – En Espagne
Homélies de Bède
1150-1200, provenant de la Cathédrale San Feliu, Musée de Gérone.
Le globe-siège subsiste dans ce manuscrit ibérique comme survivance de l’iconographie carolingienne, au même titre que le disque digital dans le Beatus de Gérone (voir 2 Une figure de l’Incommensurable ).
D – En France
Dans le seul Beatus français
Beatus de St Sever, vers 1050, BNF Lat 8878 fol 235r, gallica | Beatus de Silos, 1109, BL Add MS 11695 fol 240, gallica |
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Les quatre bêtes et l’Ancien de Jours (Vision de Daniel)
« Je regardais, jusqu’au moment où des trônes furent placés, et où un vieillard s’assit. Son vêtement était blanc comme de la neige, et les cheveux de sa tête étaient comme de la laine pure. Son trône était des flammes de feu; les roues, un feu ardent. Un fleuve de feu coulait, sortant de devant lui ; mille milliers le servaient, et une myriade de myriades se tenaient debout devant lui. Le Juge s’assit, et des livres furent ouverts. « (Daniel 7,9-10)
On voit bien les deux roues et le fleuve de feu. Parmi tous les manuscrits de Beatus, le seul réalisé en France, celui de Saint Sever, est aussi le seul à avoir conservé l’iconographie carolingienne du globe-siège.
Dans les manuscrits de Saint Vaast
Missel de Saint Denis, composé à St Vaast d’Arras, vers 1050, BNF Latin 9436 fol 15v, Gallica
Pour figurer la Résurrection, cette image syncrétique combine :
- en haut la Vision d’Isaïe, avec les séraphins et l’exclamation (Isaïe 6,3) ;
- en bas le tombeau vide.
La survivance du globe-siège marque clairement ici la volonté d’imiter le grand style carolingien.
Incipit de l’Evangile de Marc, fol 53v | Incipit de l’Evangile de Jean, fol 112v |
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Evangéliaire offert à Saint Vaast d’Arras, 1000-50, Boulogne BM MS 9, IRHT
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Ces deux frontispices inachevés sont composés de la même manière :
- le Seigneur entre l’alpha et l’omaga (initium et finis) :
- deux anges qui dialoguent de part et d’autre ;
- l’Animal de l’Evangéliste (lion au aigle).
Pour le frontispice dédié à Saint Jean, le copiste a voulu illustrer le vieux vers de Sedulius inscrit au recto du folio : « En volant à la façon de l’aigle, Jean, par le Verbe, atteint les astres »
C’est pour évoquer les astres qu’il a ressuscité la vieille formule du Seigneur assis sur le globe céleste.
De mon désir (SCOOP !)
St Jérôme et le pape Damase
Vers 1100, Seconde Bible de St Martial de Limoges BNF MS Latin 8-1, fol. 4v, Gallica
Cette image très sophistiquée mérite quelques explications. L’initiale D ouvre un texte de Saint Jérôme souvent utilisée comme préface à la Genèse, une lettre à son ami Didier :
De vous, mon cher Didier, j’ai enfin reçu la lettre désirée, vous qui, par un heureux présage, portez, comme Daniel, un prénom qui évoque votre futur. |
Desiderii mei desideratas accepi epistulas, qui quodam praesagio futurorum cum Danihele sortitus est nomen. |
Cet exorde flatteur joue sur la répétition desiderii/desideratas (de Didier, désirée) et sur l’allusion érudite à l’expression par lequel l’ange désigne le prophète Daniel : Vir desideriorum, l’homme favorisé par Dieu. (Daniel 10, 11)
Or l’image représente tout autre chose que Saint Jérôme recevant une missive de Didier, prêtre qui a laissé peu de traces [4] : bien au contraire, Jérôme montre le mot DESIDERII MEI à un personnage important, portant crosse et mitre et auréole, le tout sous les murailles de Rome : autrement dit un saint pape. Ce ne peut être que le pape Damase, pour qui Jérôme avait rédigé sa traduction des Evangiles.
Alessia Trivellone ([5], p 219) relève que la scène de Jérôme devant Damase est extrêmement rare : dans les trois autres cas recensés dans les manuscrits français, Damase est explicitement nommé et l’image apparaît, très logiquement, au début des Evangiles, non de la Bible comme ici.
St Jérôme et Saint Paulin, évêque de Nola
Vers 1100, Seconde Bible de St Martial de Limoges BNF MS Latin 8-1, fol. 2r, Gallica
En fait, la Bible de Saint Martial s’ouvre, deux pages auparavant, par une première image et un premier prologue, une lettre de Jérôme à saint Paulin dans laquelle il l’exhorte à se consacrer à l’étude approfondie de la Bible. L’enlumineur a inscrit, dans les lettres du mot FRATER, la rencontre des deux saints debout, et la transmission du Livre de l’un à l’autre.
En contraste, l’enluminure de la lettre à Didier sert à mettre en exergue la transmission, non pas d’un Livre, mais d’une expression, DESIDERII MEI ; et à prolonger la chaîne sémantique amorcée par Saint Jérôme (Désiré=Daniel=Didier) avec le nouveau participant qu’elle nous fait deviner, le pape Damase.
Mais après le prophète désiré par Dieu, le lettré désireux de comprendre sa Parole, le pape désireux de la transmettre, s’ajoute implicitement un dernier terme : le lecteur lui-même, désireux d’interpréter l’image et qui, par l’étude du texte finira lui-aussi désiré par Dieu. Ainsi, par un magnifique jeu de passe-passe entre texte et image, le « DE MON DIDIER« se lit « DE MON DESIR », et nous parle de Dieu.
Reste la question du globe : après l’évêque Paulin debout, la progression hiérarchique impliquait pour le pape Damase une position de majesté : mais un trône papal aurait fait d’autant mieux l’affaire. Je pense que si le copiste a opté pour le globe, c’est justement pour que notre travail de déchiffrement ne s’arrête pas à reconnaître le pape. De même que derrière le mot Didier, il y a le Désir de Dieu, derrière l’image de Damase, il y a l’image de Dieu.
Le globe hiérarchique (SCOOP !)
Sacramentaire de Limoges, 1095-1105, BNF Lat 9438 Fol 87r, Gallica
Ce célèbre manuscrit limousin présente la même comparaison entre un trône et un globe-siège, exprimant là encore une déférence hiérarchique. Dans la miniature de la Pentecôte, deux apôtres sont privilégiés :
- Saint Pierre à gauche, identifié sur son trône papal ;
- Saint Jean à droite, identifié par un globe-siège qui fait allusion à ses célestes excursions.
Les globes du Vendômois et de Touraine
Cette région de France présente une survivance remarquable du globe-siège carolingien.
Les fresques de Vendôme
Les fresques de la salle capitulaire : les pèlerins d’Emmaüs
Relevé des fresques de la salle capitulaire de la Trinité de Vendôme, vers 1100 [6]
Dans la salle capitulaire de l’abbaye de Vendôme ont été découverts des fragments d’une fresque à l’iconographie très particulière, avec pas moins de quatre globes-sièges.
Toutes les scènes illustrent des épisodes des retours surnaturels du Christ, après sa Résurrection. Dans la première scène, Hélène Toubert [6] a reconnu les pèlerins d’Emmaüs, flanquant le Christ qui leur donne à chacun la moitié d’un pain.
1125-1130 , St Albans psalter, abbaye de St Albans, cathédrale de Hildesheim | vers 1135, abbaye de Bury St. Edmunds, Pembroke College MS 120 fol 4v |
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Les Pèlerins d’Emmaüs
La comparaison avec ces exemples de la même époque montre les trois particularités de la composition vendômoise : les mains levées, les trois globes-sièges, l’absence de table.
Début 12ème, ND de Gourdon, Saône et Loire (photo J.Rollier-Hanselmann [6a] | Vers 1175, Vie du Christ, France, Morgan Library MS 44 fol 13v |
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Les Pèlerins d’Emmaüs
Le geste des deux fractions de pain élevées symétriquement est très rare. Il pourrait rappeler le disque digital du Christ dans le feuillet tourangeau conservé à la cathédrale d’Auxerre, s’il s’agissait bien d’une hostie (voir 2 Une figure de l’Incommensurable ). Mais comme le note Hélène Toubert, le geste de l’élévation des pains dans l’épisode d’Emmaüs peut s’expliquer par l’influence d’un drame joué à l’abbaye de Saint Benoît sur Loire [7], où le Pèlerin élève le pain dans la main droite (« qui panem elevatum in altum dextra »).
Sur les deux autres particularités (l’absence de table, les globes), Hélène Toubert ne se prononce pas. Le fait que le Christ soit assis à égalité avec ses commensaux s’explique par le fait qu’il ne s’est pas encore fait reconnaître. En revanche le mobilier pose question : pourquoi des globes et pas de table ?
Il me semble que ces deux étrangetés peuvent s’expliquer par le contexte très particulier d’une salle capitulaire : les trois personnages de la scène d’Emmaüs étant assis, l’absence de table les incluait d’une certaine manière au sein des cérémonies monastiques tandis que le globe les mettait en situation de supériorité par rapport aux moines, qui étaient assis le long des murs.
Les fresques de la salle capitulaire : l’investiture de St Pierre
La scène centrale, très détériorée, montrait un autre personnage assis sur un globe : sans doute à nouveau le Christ donnant les clés à Saint Pierre, assis à gauche sur une cathèdre. Plusieurs « traditio clavis » paléochrétiennes montrent effectivement le Chris assis sur globe (voir 2 Epoque paléochrétienne ) mais Saint Pierre y est debout à gauche. Le fait d’être assis sur une cathèdre serait ici une marque de déférence envers la figure du premier pape, qui reflèterait les relations particulièrement étroites de l’abbaye avec Rome à cette époque (visite d’Urbain II à Vendôme en 1096).
Vendôme, vers 1130 BM, ms. 193, f. 02v
L’abbé Geoffroy de Vendôme, qui a dirigé l’abbaye de 1093 à 1132, est agenouillé devant le Christ, qui lui prend le poignet gauche de la main droite. Il se nomme lui-même « Geoffroy le pécheur » et adresse au Christ, de bas en haut, une supplique qui inverse celle de Job 13, 15 : « Voici, il me tuera; je n’ai rien à espérer » :
Même tu me tues en toi Christ j’espérerai. | Etiam si occideris me in te sperabo Christe |
Cette image est singulière à plus d’un titre :
- l’auréole de saint derrière la tête tonsurée de l’abbé ;
- l’abbé est assis de biais sur un siège à peine visible ;
- le Christ, lui aussi assis en chien de fusil, mais les jambes jointes, semble se retourner au dernier moment pour attraper la main néfaste du pécheur ;
- la position des deux, en lévitation devant le portail de l’arrière-plan.
Par comparaison avec d’autres représentations de l’époque, C.Rable explique comme suit cette iconographie unique :
« Après sa mort, Geoffroy est sauvé par le Christ en personne, à l’image de saint Pierre sauvé de la noyade et de saint Jean auquel le Fils de l’Homme fit la promesse de la vie éternelle à la fin des temps. » [3]
Le globe a forcément à voir avec celui de l’investiture de Pierre dans la fresque de la salle capitulaire, dont Geoffroy, théologien de renom, avait conçu le programme.
Le globe hiérarchique (SCOOP !)
Sacramentaire de Limoges, 1095-1105, BNF Lat 9438 Fol 87r, Gallica
Ce célèbre manuscrit limousin présente la même comparaison entre un trône et un globe-siège, exprimant là encore une déférence hiérarchique. Dans la miniature de la Pentecôte, deux apôtres sont privilégiés :
- Saint Pierre à gauche, identifié sur son trône papal ;
- Saint Jean à droite, identifié par un globe-siège qui fait allusion à ses célestes excursions.
Les fresques du voisinage
Plusieurs fresques du XIIème siècle, à peu de distance de Vendôme ou de Tours, présentent elles-aussi des globes-sièges.
Abside de l’église d’Areines, vers 1150 | Abside centrale de la crypte, église de Saint Aignan sur Cher, vers 1200 |
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Ces deux fresques cumulent le globe-siège avec le disque digital, témoignant de la survivance locale des deux motifs mis au point par le scriptorium de Tours trois siècles plus tôt (voir 3b La Renaissance carolingienne).
Les deux mandorles sont de type cosmique (voir 1 Mandorle double dissymétrique ) :
- motif ondulant pour la partie « ciel du ciel » (plus un fond d’étoiles à Saint Aignan)
- motif discret (billettes ou billes) pour la partie « cosmos ».
Chapelle Saint Gilles, Montoire du Cher
Les trois absides de la chapelle Saint Gilles présentent trois Christs en Majesté, dont deux sont assis sur des globes-sièges. Cette coexistence exceptionnelle de trois types différents de mandorles est analysée dans 1 Mandorle double dissymétrique.
Le globe à Saint Savin
Femme de l’Apocalypse et apôtres, Fresques du porche, Saint Savin Sur Gartempe, 12eme siècle
De manière très originale, la Femme de l’Apocalypse, protégeant son enfant du dragon, apparaît assise sur un globe, de même que les trios d’apôtres qui à droite entourent le Christ en majesté.
Celui-ci est assis sur un trône en avant d’une mandorle circulaire, qui veut sans doute ici, au dessus du portail d’entrée, évoquer un oculus donnant sur le Ciel.
Apôtres, Saint Savin | Apôtres, abside de Notre Dame la Grande, Poitiers |
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Cette manière de représenter les apôtres se retrouve également à Poitiers. Le globe n’est pas perçu ici comme un siège de rang supérieur par rapport au trône, mais comme un moyen de montrer que les apôtres au moment du retour du Christ sont déjà résidents du Ciel.
Les Majestas normalisées
Evangéliaire, 986-1007, Boulogne-sur-Mer, BM 0011 fol 10
Ce Christ en Majesté positionne de manière complète toutes les zones géométriques telles qu’elles vont se stabiliser à la période romane :
- la mandorle en forme d’amande, sorte de fente sur le surnaturel laissant voir la Divinité,
- le trône réduit à un arc de cercle,
- les lettres Alpha et Omega,
- derrière la mandorle, le cercle du cosmos avec le Soleil, la Lune et les étoiles, identifié par un texte de Jérémie :
Est-ce que je ne remplis pas, moi, le ciel et la terre, dit Jéhovah? Jérémie 23,24 |
<Numquid non> cælum et terram ego impleo |
- le globe de la Terre (dans le texte effacé, on peut juste lire que le mot TERRA)
Le globe-siège, qui dans l’enluminure carolingienne représentait clairement le Cosmos, a disparu.
Omnipotens sempiterne dominus fol. 170r
Sacramentaire, France, Mont-Saint-Michel, vers 1060, MS M.641, Morgan Library
Cette image très originale accompagne la prière bénédictine « Omnipotens sempiterne dominus ». Le cercle qui entoure le Christ joue le rôle de l’initiale O dans l’abréviation OMPS (OMniPotenS), et le globe sous les pieds illustre sans doute les deux qualificatifs de la prière « tout puissant et éternel ».
Les onze figures qui accompagnent le Christ à l’intérieur du O pourraient être les onze nations, ou bien les élus au dessus de la Mer de Verre :
« Et je vis comme une mer de verre, mêlée de feu, et au bord de cette mer étaient debout les vainqueurs de la bête » Apocalypse 15,2
Mais tous ces anonymes qui s’empilent autour du Christ ou dans les médaillons représentent des Saints, l’image figurant en ouverture de la liturgie pour la Toussaint.
Dans le même manuscrit, le même globe vert se retrouve, de manière très atypique, sous les pieds de Saint Jean. Il illustre probablement les idées d’universalité et d’éternité que véhicule la prière associée :
Nous te prions Seigneur d’éclairer ton Eglise, afin que par les enseignements de Saint Jean l’Evangéliste elle parvienne aux récompenses éternelles. |
Ecclesiam tuam quesumus domine benignus illustra, ut beati Iohannis evangelistae illuminata doctrinis ad dona perveniat sempiterna |
Christ en Majesté de Taüll, 1123, musée national d’Art de Catalogne, Barcelone
Dans sa figure écrasante qui emplit toute l’abside, le Christ en gloire illustre maintenant le passage tout au début de l’Apocalypse où il est question de l’Alpha et de l’Omega :
“Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant » Apocalypse 1,8
Le livre affiche en outre, en grandes lettres, une formule de l’Evangile de Jean :
« je suis la lumière du monde ». Jean 8, 12
Dans cette apothéose de la fresque romane, les symboles désormais compris et normalisés se prêtent à des variations décoratives :
- l’arc-en ciel, un galon orné de palmettes ;
- le globe terrestre, un demi-cercle empli de fleurons ;
- les lettres Alpha et Omega, des sortes d’enseignes suspendues au ciel par trois chaînettes.
Autel de St Felix (détail)
1270-1280, provenant de San Felice di Giano, Musée diocesain, Spolete
Il se peut que ce détail curieux soit un souvenir des encensoirs balancés par les archanges, dont on voit ici une survivance bien postérieure.
Laacher Sakramentar, provenant de Maria-Laach, vers 1150, Hs-891 fol 18, Universitäts und LandesBibliothek, Darmstadt | Hamburger psalter, 1220, UB Hamburg Cod. 85, f.209 |
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L’ensemble mandorle-arc de cercle est très souvent fusionné aux couleurs de l’arc en ciel.
Le globe terrestre à gauche est marqué d’un motif qui évoque probablement la Jérusalem céleste ; tandis qu’à droite il est remplacé plus prosaïquement par deux montagnes.
Evangéliaire d’Henri le Lion, vers 1188, Bibliothèque d’Etat de Bavière
Exceptionnellement, la Majestas sert ici de centre à un véritable catéchisme en une seule image, avec la Création du Monde représentée en six médaillons circulaires.
Le Sixième jour, celui où apparaissent les animaux et l’homme, joue très logiquement, en bas, le rôle de la Terre sous les pieds du Seigneur. Quant au Septième jour, il est fusionné avec la mandorle.
Totalement standardisée désormais, l’image ne subit plus que des variations mineures.
La nuance apocalytique
Psaultier, Angleterre, vers 1225, MS G.25 fol. 3r Morgan Library.
Dans les psautiers, la Majestas Domini s’agrémente quelquefois d’ingrédients apocalyptiques, comme ici la lance associée au livre et l’inscription qui y figure :
Je suis l’Alpha et l’Omega, le premier et le dernier, le début et la fin |
ALPHA ET W’ P(RIMUS) & NOUISSIM(US) INITIU(M) & FINIS |
Apocalyptique et royal
L’iconographie royale est souvent cumulée avec celle de l’Apocalypse, puisque le Christ y est proclamé dès le début Prince des Rois de la Terre (princeps regum terrae).
Châsse de saint Servais, vers 1166, Trésor de la Cathédrale, Maastricht
Le livre affiche ici un passage qui annonce le retour du Christ en tant que Juge des mérites de chacun :
Et voici que je viens bientôt, et ma rétribution est avec moi <pour rendre à chacun selon son oeuvre> Apocalypse 22,12 |
ECCE VENIO CITO MERCES MECUM |
Dans ce contexte apocalyptique, le globe (non crucigère) dans la main droite signifie : « la Terre que je vais juger ».
En aparté : le problème de la main droite
Majestas Domini
Allemagne, Graduel, Sequentiaire et Sacramentaire, 1225-36, Arundel 156 f. 99v, British Library
Dans les Majestas, à partir de l’époque romane, la main droite fait pratiquement toujours le geste de bénir, d’autant plus si l’image comporte un donateur qui profite au passage de cette bénédiction.
Le Livre dans la main droite
La même nécessité de la bénédiction impose de placer le Livre pratiquement toujours dans la main gauche, en contradiction explicite avec le Livre aux sept sceaux dont parle l’Apocalypse :
« Et je vis dans la droite de celui qui était assis sur le trône, un livre, écrit au dedans et sur le revers, scellé de sept sceaux » Apocalypse 5,1
C’est pourquoi le livre dans les Majestas ne comporte jamais les sept sceaux, sauf lorsqu’il s’agit d’illustrer l’Apocalypse.
Portail de la Résurrection, 1150, Collégiale de Mantes
Le Christ du Jugement dernier est désigné comme tel par le détail de la mer sous les pieds, référence à la « mer de verre » de l’Apocalypse. Il tient le globe à main gauche et le livre aux sept sceaux à main droite.
La Vision de Saint Jean à Patmos,
Maître de la Vision de Saint Jean, 1450-1470, Wallraff Richardz Museum
Le passage précis illustré ici est le suivant :
« Il <l’agneau égorgé> s’avança et prit le Livre dans la main droite de celui qui siégeait sur le Trône ». (Apocalyse 5,7)
On voit ici la difficulté de suivre fidèlement le texte, puisque l’artiste en a été réduit à faire effectuer à Dieu une bénédiction de la main gauche.
Le globe séparé des pieds
Je ne mentionne cette situation très particulière que pour mémoire
Apocalypse, 1290-1299, France, probablement Lorraine, M.1043.2v, Morgan Library. | 1275-1300 BNF Latin 14410 BNF Lat 14410 fol 80 detail |
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Il s’agit à gauche d’une imprécision de dessin, comme le montre l’autre illustration, de la même époque.
Bible historiale, 1356-135, Royal BL MS 17 E VII vol 1 fol 1r
Dans cette image d’ouverture d’une Bible historiale, deux anges posent entre les pieds de Dieu un globe transparent.
Il n’y a moins ici l’idée de domination que l‘idée d’hommage : la terre bien ordonnée, avec ses villes, ses châteaux et ses forêts, s’offre en trophée à son Seigneur.
Cette figuration du globe en T entre les pieds reste exceptionnelle : la figure canonique au XIVème siècle est celle où le globe terrestre est tenu par la main gauche du Seigneur, imitant le globe impérial des souverains d’ici-bas (voir 1 Globes en main ). En voici un des exemples les plus connus :
Gossouin de Metz, L’Image du Monde, 1320-25, BnF, Français 146 fol 136v, Gallica.
Cette image récapitulative, à la fin de l’ouvrage, articule de manière frappante :
- un emboîtement rationnel, qui récapitule la physique et l’astronomie de l’époque,
- un message spirituel, dans la figure de cet escalier gigantesque permettant de passer des calottes crâniennes qui s’empilent au fond du « puis d’enfer‘ » jusqu’au globe blanc marqué d’une croix, dans la main gauche du Seigneur et dans la « joie de paradis ».
Entre ces deux extrêmes; l’image et le texte [2] énumèrent les différentes couches :
- les quatre Eléments d’Aristote (Terre, Eau, Air, Feu) ;
- les sept planètes (Lune, Mercure, Vénué, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne) ;
- le firmament où sont fixées les étoiles, et le « ciel blou qui de sus est » (ciel bleu) ;
- deux ciels invisibles : le « ciel cristallin et le ciel empiré » (Empyrée).
Le Seigneur en station debout
Dans toutes les variantes de Dieu ou du Christ en majesté, la figure est toujours représentée assise, conformément au verset d’Isaïe (Le ciel est mon trône) et aux visions de l’Apocalypse. Les « Christs en majesté » debout correspondent à des iconographies différentes et très spécifiques.
La transfiguration
La Transfiguration, Chapelle Palatine, Palerme
Les cinq rayons lumineux qui traversent la mandorle tracent un grand Chrisme (en rhô) qui fait la jonction entre :
- les deux prophètes Elie et Moïse, debout tous deux en haut d’une colline, tout comme le Christ ;
- les trois apôtres Pierre, Jean et Jacques, prosternés et restés sur terre.
L’image traduit fidèlement le texte :
« Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui. Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. » Matthieu 17:1-3
La station debout illustre ici « à l’écart sur une haute montagne ».
L’Ascension
Evangile de Rabula, Fin VIe, Syrie. Florence, Bibliothèque Laurentienne
L’idée de la mandorle portée par des Anges est très ancienne, combinée ici avec le Char et les Vivants fusionnés de la vision d’Ezéchiel. La mandorle est donc moins un miracle qu’une explication mécaniste.
Ascension, Ampoule-reliquaire en étain ramenée de Palestine, VIème siècle, Musée de Monza
A noter que dans l’iconographie de l’Ascension, la station debout n’est pas systématique : dans cette représentation de la même époque, le Christ est trônant et bénissant comme dans une Majestas habituelle, l’idée d’élévation n’étant traduite que par les quatre anges.
Ascension Fresque de la Rotonde de Galère, vers 885, Thessalonique |
Ivoire byzantin, 10ème siècle, Museo Nazionale Del Bargello, Florence |
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Les deux formule de l’Ascension, avec le Christ debout ou assis (ici sur un globe) passent dans le monde byzantin. En Occident, les rares Ascensions assises ne comportent jamais de globe-siège, sauf un cas très particulier qui mérite un développement séparé (voir 5 La mandorle double de Saint Génis des Fontaines ).
vers 1075, Lyon, BM, P.A. 0222 fol 01v | Psautier cistercien, Allemagne, vers 1260, Besancon BM, MS 0054 fol 21v |
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Ascension
Dans l’immense majorité des Ascensions occidentales, le Christ est debout, bénissant ou tenant une croix hampée de la main droite. On notera dans la seconde image une innovation tardive pour faciliter la lecture : l’empreinte des pieds laissée en haut du mont.
Ascension, Portail Nord, Cathédrale de Cahors, 12ème siècle
Une autre innovation romane est le geste de la main droite qui ne bénit pas, mais indique la direction du ciel. La mandorle fonctionne ici comme une sorte de capsule céleste poussée et tirée par quatre anges
vers 1150, Cotton MS Nero C IV fol 27r, British Library | Speculum Humane salvationis, 1462,1Lyon, BM, 0245 (0177), fol 152v |
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Ascension
Enfin, dans cette variante très expressive (et bien pratique pour les miniaturistes) le Christ disparaît dans le ciel et passe pour partie en hors-champs . Cette iconographie minimaliste sera popularisée par le Speculum Humane salvationis
Prochain article : 6 Le globe dans le Jugement dernier
Agostino Colli and S. Benedetto « L’affresco della Gerusalemme celeste di S. Pietro al Monte di Civate: proposta di lettura iconografica », Arte Lombarda, Nuova Serie, No. 58/59 (1981), pp. 7-20 https://www.jstor.org/stable/43105256
Yves Christe « La cité de la Sagesse » Cahiers de Civilisation Médiévale Année 1988 31-121 pp. 29-35 https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1988_num_31_121_2396
https://books.google.fr/books?id=1_9MAQAAMAAJ&pg=PA135
https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1983_num_26_104_2240
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