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4.1 Souffler dans une conque

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Quatre panisques

Venus_and_Mars_National_Gallery

En contraste avec le hiératisme de Vénus et de Mars,  les petits satyres brisent la symétrie, s’immiscent dans les  interstices de la composition,  introduisent mouvement et fantaisie. Quatre petits bouffons autorisés à  s’amuser  aux côtés du couple divin, quatre petits corps errants perturbant (ou renforçant ?) l’attraction muette entre les deux « planètes » majeures.

Il est temps de nous intéresser à ces enfants-satyres, gracieux comme des chérubins mais aux oreilles velues, aux petites cornes et aux pieds de boucs. Leurs regards entendus, le bout de langue rose qui pointe entre leurs dents de deux d’entre eux, ne suggèrent-ils pas la lubricité ? Le casque dans lequel l’un d’eux s’enfonce jusqu’aux épaules, la lance démesurée qui barre le panneau,  la coquille embouchée, la cuirasse-tunnel, ne sont-ils rien de plus que des  jouets anodins ?

Une fois n’est pas coutume, nous n’échapperons pas à l’interprétation sexuelle. Mais auparavant, nous allons commencer  par un terrain moins mouvant, celui de l’interprétation textuelle. Car depuis longtemps, les érudits ont vu dans le tableau un exercice de style truffé de références littéraires, destiné à des spectateurs humanistes toujours à l’affût du dernier manuscrit antique retrouvé.


Botticelli, peintre érudit ?

L’approche littéraire implique-t-elle que Botticelli était un peintre érudit, fin connaisseur de  textes antiques ? Pas nécessairement : comme le remarque E.Wind ([1], p 26).

l’iconographe « doit en savoir plus long sur les théories de la Renaissance qu’il n’était nécessaire à un peintre ; (…) alors que les gens de la Renaissance tiraient profit de leurs conversations, nous n’avons plus ce plaisir. Nous devons donc compenser cette perte par la lecture et l’inférence.(…) L’ambiguïté délibérée présidant à l’usage de métaphores, a recouvert quelques-unes des plus grandes peintures de la Renaissance. Elles furent conçues pour des initiés; aussi exigent-elles une initiation. »


La conque marine

Botticelli_Venus_Mars_conque

Dans l’iconographie habituelle, la conque marine est l’attribut du dieu dieu Triton, qui s’en sert comme trompette pour annoncer l’arrivée de Neptune. Rien à voir, donc, avec Mars et Vénus.

Botticelli_Venus_Mars_Conque_Triton

Pan terrificus

Panofski a identifié une iconographie plus rare, dans une fresque du Corrège, à Parme.

Botticelli_Venus_Mars_Correge_Parme_Camera San Paolo

Exhibant d’introuvables gloses antiques sur l’oeuvre du poète latin Aratus, il a montré que souffler dans une conque pouvait être l’emblème de la terreur « panique » causée par le dieu Pan, « pan terrificus » [2].

La panique, une nouveauté conceptuelle

A la suite de Panofski,  Vladimir Juren [3] a montré que la notion de peur « panique » venait juste d’être redécouverte par les humanistes,  et vulgarisée dans une oeuvre bien plus accessible,  les Miscellanea de Politien, publiées pour la première fois en 1489.

Dans ce texte, Politien explique que, d’après Théon (le commentateur d’Aratus) :

 « le dieu Pan combattit contre les Titans et il fut le premier, ayant remarqué ce coquillage en spirale et en forme de cône que l’on nomme cochlos, à s’en servir comme d’une trompe. Ayant fait cela, et s’étant emparé d’une provision de ces coquillages pour lui et ses camarades, ils mirent les Titans en fuite avec ce son venant de partout, que l’on nomme panicos« .


Les panisques

Justement, les satyres-enfants du tableau de Botticelli sont des « panisques », compagnons du dieu Pan : à son image, ils ont des pattes de bouc, des oreilles pointues et de petites cornes.

La conque et la datation du panneau

Que Pan ait inventé l’usage guerrier de la conque marine était connu. Mais le fait que les panisques l’aient imité pour en faire une arme de dissuasion massive contre les Titans, ne se trouve que dans le commentaire de Théon.  Or on sait que Politien a acquis le manuscrit contenant ce commentaire en 1482.  Botticelli était suffisamment proche de l’entourage de Politien pour avoir entendu parler de ses recherches avant même la publication de 1489, et avoir eu l’idée de les illustrer  : d’où la date généralement attribuée au tableau : 1483.


En synthèse

L’attribution de la conque à Pan est un bel exemple d’analyse de source, affinée par plusieurs érudits et confirmant la date probable que suggèrent des raisons stylistiques.

Remarquons que cette analyse savante a eu pour inconvénient, pour expliquer un détail, de brouiller la lecture d’ensemble :  car le thème secondaire de la peur panique s’intègre difficilement dans le climat plaisant du thème principal.

De plus en plus de commentateurs pensent qu’il s’agissait là d’une fausse piste : Botticelli a peut être voulu inclure un thème à la mode, mais pour une raison tout autre qu’érudite.

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Références :
[1] E.Wind, « Mystères païens de la Renaissance »
[2] Panofski, The Iconography of Correggio’s Camera Di San Paolo, Warburg Institute, 1961
[3] Vladimir Juřen, «Pan terrificus» de Politien. Bibliothèque d’Humanisme Et Renaissance 33 (3):641-645. (1971).

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