2 Les bordures à médaillons
Dans cette formule, inventée vers 1410-15 par le Maître de la Mazarine, la bordure comporte une série de médaillons enchâssées dans un motif floral. Toute la question est dans le rapport que ces images secondaires entretiennent vis-à-vis de l’image principale.
Article précédent : 1 Jeux avec le cadre dans les Très Riches Heures du duc de Berry
Un lointain précurseur
Ambrosius, Opera varia, 12ème siècle, Bamberg, Staatsbibliothek, Ms. Patr. 5, fol. 1v
Cette page est célèbre par ses dix médaillons, qui montrent les différentes étapes de réalisation d’un livre par les bénédictins du scriptorium de Michelsberg. Le problème est que les spécialistes ne sont pas d’accord sur les différentes opérations [0a], et qu’aucune des deux explications ne propose pour les médaillons un ordre logique de lecture.
J’emprunte au blog très professionnel de Claudine Brunon [0b] la lecture qui me semble la plus convaincante :
- 1) Découpe de la peau
- 2) Préparation du parchemin
- 3) Ecriture du brouillon sur tablette de cire
- 4) Appointage de la plume avec un canivet (canif)
- 6) Pliage des feuilles en cahiers
- 7) Relecture et correction (canif en main, plume à l’oreille)
- 8) Reliure
- 9) Massicotage
- 10) Façonnage du fermoir
- 11) Le livre est prêt pour l’éducation des moines.
On note que l’étape la plus important, l’écriture, est absente des médaillons. On la trouve dans l’image centrale, auto-référentielle, où l’on voit un moine de Michelsberg en train de tracer le fronton de l’image-même que nous avons sous les yeux.
Du Maître de la Mazarine au Maître de Bedford
Quatre manuscrits français très proches apparaissent à quelques années de distance, et portent au pinacle la formule des bordures à médaillons. Leur chronologie est très discutée, mais il semble bien que le tout premier soit, vers 1410-15, les Heures Mazarine, par le Maître de la Mazarine [1]. Le Maître de Bedford va reprendre la formule de manière systématique – au point qu’on lui en attribue souvent la paternité- dans trois manuscrits très proches :
- les Heures de Bedford (1515-30) [2],
- les Heures Lamoignon (1414-16),
- les Heures 1855 de Vienne (1422-1425) [3]
Sans entrer dans les problèmes chronologiques, il est intéressant de comparer l’organisation des médaillons dans les pages communes à plusieurs de ces manuscrits.
L’Annonciation
Annonciation, fol13
Maître de la Mazarine, 1410-1415 , Heures Mazarine, Bibliothèque Mazarine, MS 469
D’emblée, la première page de ce manuscrit déconcerte par sa complexité : neuf médaillons à fond dorés entourent sur trois côtés l’image principale.
Les cadres des médaillons, tous différents, sont composés d’anges rouges, bleus, roses et dorés. D’autre anges circulent entre les médaillons, tenant des banderoles avec des louanges à Marie. La seule banderole qui semble légender un médaillon particulier, celui de Marie tissant le voile du Temple, s’applique en fait à toute la page, en rappelant son rôle de mère de Jésus :
Il a reposé dans mon tabernacle |
requievit in tabernaculo meo ( Eccli . 24 , 12) |
Un des principes des bordures à médaillons est qu’elle doivent montrer des épisodes très connus, intelligibles sans aide textuelle. Et aucune convention n’indique où l’oeil doit commencer son parcours.
1410-1415, Mazarine MS 469 fol 13 | Vers 1420, Maître de Bedford, Heures Sobieski, Royal Collection, Windsor |
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Annonciation
Le Maître de la Mazarine commence l’histoire en bas à gauche, et invente des scènes bouche-trous (0a, 0b, 5a).
Le Maître de Bedford suit son goût pour les architectures en disposant les médaillons, en nombre plus réduit, dans des logettes représentées selon des perspectives locales, d’où une apparence d’ensemble très cahotique. La scène 2 (Joachim se retirant dans le désert après avoir été chassé du Temple), qui ne peut se situer qu’en extérieur, est une contrainte supplémentaire.
Dans les deux cas, la lecture commence à gauche, s’effectue en spirale et se termine avec la miniature centrale, dans laquelle le Maître de Bedford a rajouté le prophète Isaïe.
Vers 1420, Maître de Bedford, Heures Sobieski, Royal Collection, Windsor | 1415-30, Bedford Hours British Library Add MS 18850 fol 32r |
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Annonciation
Dans les Heures de Bedford, le Maître inaugure une seconde formule, dans laquelle la taille de l’enluminure centrale s’accroit bien que le nombre d’épisodes augmente. La perspective devient plus rationnelle (les fuyantes sont orientées vers le centre) et l’architecture plus lisible : deux tours à trois et quatre étages, plus un rez-de-chaussée à quatre logettes. Isaïe figure maintenant à l’intérieur de la lettrine D de Domine.
Le parcours commence en spirale, puis après la scène 4 se modifie en une lecture de haut en bas et de gauche à droite.
Livre d’heures, 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 58. | Heures Lamoignon, 1414-16, Musée Gulbenkian, Lisbonne |
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Annonciation
Ces deux compositions identiques se rapprochent de la seconde formule, dont elles « rectifient » le début en plaçant la première scène à l’endroit le plus logique : en haut de la première tour. S’il fallait en juger sur se seul critère, on verrait dans les Heures de Bedford le premier essai de cette formule.
L’Adoration des Mages
Mazarine MS 469, fol 61v | Bedford Add MS 18850 fol 75r |
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Vue leur grande rareté, certaines scènes des médaillons ont posé des problèmes d’interprétation. La scène 1a, où un ange apparaît à un roi endormi, a souvent été interprétée comme un épisode de la toute fin de l’histoire, après l’Adoration :
« Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin ». Matthieu 2,12
C’est d’ailleurs ainsi que l’a mécomprise, à l’époque même, le copiste qui a rédigé la légende des Heures de Bedford :
« Comment ils passoient par Hérode qui leur dist qu’il retournassent par luy. Comment l’ange leur dist qu’ils ne retournassent mye ».
Il s’agit en fait, comme l’a expliqué Eberhard König [4], d’une scène du début de l’histoire, où un ange vient avertir le Roi le plus âgé de la naissance du Roi des Juifs, comme l’indique la banderole (« Hos meovet (pour monet) angelus »)
Une fois determiné le début de l’histoire (dans la marge gauche), les deux compositions se révèlent extrêmement cohérentes : on remarquera que l’étoile miraculeuse brille dans chaque médaillon, jusqu’au 4. Comme le note J.Doucet [5] :
« Elle les conduit jusqu’à Jérusalem où elle disparaît, les obligeant à s’adresser à Hérode pour obtenir de lui des informations complémentaires sur le lieu de naissance du nouveau roi qu’elle est censée annoncer. »
La scène 4 pose problème, car aucun texte, même apocryphe, ne signale un épisode marquant entre la rencontre des Trois rois (3) et leur arrivée chez Hérode (5).
Dans la version Mazarine (4a), l’étoile brille toujours, preuve que nous ne sommes pas encore à Jérusalem. Cet édicule, où se trouve un vieil homme qui tient la main, représente probablement la frontière du Royaume de Judée, d’où les Mages envoient un message à Hérode pour signaler leur arrivée. Cette question protocolaire de l’entrée de Rois dans un royaume étranger devait être considérée suffisamment intéressante, au XVème siècle, pour justifier une image à part entière. On en trouve d’ailleurs un écho dans un récit du siècle précédent :
« Les trois rois marchèrent jusqu’à leur arrivée en Judée. Ils rencontrèrent aux frontières de nombreux hommes en armes qui les arrêtèrent et les menèrent à Hérode, lequel leur demanda qui ils étaient et qui ils cherchaient. » Ly Myreur des Histors, de Jean d’Outremeuse cité par J.Doucet [5]
Dans la version Bedford (4b), l’étoile ne brille plus : nous sommes donc à proximité de Jérusalem, et les Mages reçoivent l’invitation d’Hérode (on voit bien la lettre scellée).
Globalement, le Maître de Bedford a repensé la composition dans le sens de la lisibilité. La suppression du médaillon 1b (fusionné avec le 1a) lui a permis d’éviter :
- l’ambiguïté visuelle entre deux scènes similaires (1b et 5)
- d’utiliser la marge étroite, qui comprimait disgracieusement la scène 3.
La suppression du médaillon 2 (la rencontre des rois à pied, en double emploi avec la chevauchée) aère encore la narration.
Bedford Add MS 18850 fol 75r | Livre d’heures 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 148 |
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La comparaison avec la version de Vienne met en évidence une contrainte majeure : passer du recto au verso. Le maître aurait pu se contenter d’une inversion-miroir de la bordure, ce qui aurait fait commencer l’histoire en haut à droite. Mais il a préféré respecter la convention du début en haut à gauche, ce qui imposait de repenser complètement la composition.
La version de Vienne comprend un médaillon supplémentaire (le 2), et la lisibilité du médaillon 4b a été améliorée, avec la petite audace du messager sorti du médaillon, sur la gauche, pour faire le lien avec le médaillon d’Hérode. La lecture d’ensemble pourrait sembler moins harmonieuse, avec le saut en diagonale qu’elle impose entre les deux bords.
En fait, cette lecture de haut en bas en deux bandes disjointes n’est pas une imperfection : on la rencontre dans une autre page, certainement la plus chargée de toutes les bordures à médaillons :
Le Jugement dernier
Livre d’heures 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 444
On y voit les quinze jours qui se produiront à la fin des temps, dans l’ordre exact de la Légende dorée [6].
Il faut lire de haut en bas d’abord la marge gauche, puis la marge droite, pour finir dans la marge inférieur au 15ème signe :
« Dans le l5e jour seront créés de nouveaux cieux et une nouvelle terre, puis la résurrection générale. »
La dernière chicane épargne au lecteur la gueule béante de l’Enfer, et le fait pénétrer dans l’image centrale : la Résurrection générale.
Le massacre des Innocents et la Fuite en Egypte
Mazarine MS 469, fol 66 | Bedford Add MS 18850 fol 83r |
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La même volonté d’aération est patente dans cette autre comparaison : tandis que le Maître de la Mazarine consacre, en bordure de la Présentation au Temple, trois médaillons à la Fuite en Egypte et quatre au Massacre des Innocents, le Maître de Bedford traite chaque histoire en trois épisodes, y compris l’image centrale.
La composition Bedford est, en outre, beaucoup plus symétrique :
- à gauche les deux amorces (F1 et I1) ;
- à droite, deux miracles (F2 et I2) ;
- au centre, le triomphe de la Sainte Famille repousse dans la marge le massacre auquel elle a échappé.
Bedford Add MS 18850 fol 83r | Livre d’heures 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 168 |
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Le remaniement entre les Heures de Bedford et les Heures 1855 de Vienne se traduit ici encore par l’ajout d’un médaillon (F1a). Tandis que la version Bedford mettait en scène deux histoires parallèles (Le Massacre et la Fuite), la version 1855 tient compte du rapport de causalité entre la décision d’Hérode et le départ de la Sainte Famille (flèche jaune) : très logiquement, la toute première scène prend sa place normalisée, en haut à gauche.
Composition « idéale »
Il reste néanmoins étrange que le Maître n’ait pas poussé plus loin son idée, avec cette composition bien plus symétrique et lisible.
Le Cycle de la Dormition et de l’Assomption de Marie
Toutes les histoires ne se laissent pas aisément linéariser.
Mazarine MS 469, fol 77v | Bedford Add MS 18850 fol 89v |
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Un peu comme dans l’histoire des rois Mages, l’histoire de la Mort de la Vierge suppose une annonce et un trajet, mais depuis plusieurs lieux différents (où les Apôtres officient) et le lieu où la Vierge va mourir, puis être enterrée, puis monter au ciel.
Pour traduire la multiplicité des Apôtres, la version du Maître de la Mazarine duplique deux scènes et la version du Maître de Bedford seulement une (lignes blanches). Ce dernier améliore l’ordre chronologique : il aurait suffi d’intervertir les médaillons 1a et 4 pour que la composition se lise chronologiquement de bas en haut. S’il ne l’a pas fait, c’est justement pour éviter la lourdeur de mettre côte à côte deux scènes visuellement similaires (1a et 2), effet de redondance qui est au contraire apprécié par le Maître de la Mazarine.
Bedford Add MS 18850 fol 89v | Livre d’heures 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 182 |
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On voit nettement ici le travail d’enrichissement entre les deux versions (toutes deux verso) :
- ajout d’une étape supplémentaire (4a) au sein de l’image principale ;
- symétrisation du registre supérieur (cadre blanc) .
L’image centrale apparaît non pas comme une étape de la narration, mais comme la fusion de trois moments différents, poste d’aiguillage central entre les médaillons périphériques.
La messe des Morts
Mazarine MS 469, fol 150 | Bedford Add MS 18850 fol 120r |
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Autour de la miniature centrale de la Messe des Morts, le Maître de la Mazarine développe le combat des anges et des démons pour l’âme du trépassé, sous les regard de Dieu le Père.
Le Maître de Bedford reste fidèle à la bordure en médaillons, à la fois chronologique (de la maladie à l’enterrement) et thématique (les trois Sacrements pour les mourants).
Bedford Add MS 18850 fol 120r | Livre d’heures 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 214 |
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Nous avons ici le cas chimiquement pur de l’évolution entre les deux manuscrits :
- passage d’une page recto à une page verso ;
- la première étape reste en haut à gauche ;
- ajout d’un médaillon supplémentaire (3a), qui sert à la fois pour le transport du corps entre la maison et l’église, puis l’église et le cimetière.
La Crucifixion
Bedford Add MS 18850 fol 144r | Livre d’heures 1422-25, Vienne, ONB Cod 1855 fol 282 |
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Pour la Crucifixion en revanche, le Maître a enfreint sa propre convention, en se contenant d’une inversion miroir : peut-être se sentait-il dispensé, vu la célébrité de l’histoire, de respecter le sens naturel (horaire) de la lecture. Il y a ici encore un médaillon supplémentaire (le 7).
La Nativité
Nativité , fol 50
Maître de la Mazarine, 1410-1415 , Heures Mazarine, Bibliothèque Mazarine, MS 469
Tout à ses expérimentations, le Maître de la Mazarine invente ici une formule intermédiaire entre narration et collection : les saynettes de la bordure montrent l’errance dans Bethléem de Joseph (dans les sept médaillons), de Marie (dans six), de l’âne (dans cinq), du boeuf (dans quatre), accompagnés d’anges (dans trois) ou rencontrant des habitants (dans cinq). La narration est démentie par la saynette du centre droit, où Marie est déjà étendue sous un auvent : aucun récit, apocryphe ou littéraire, ne mentionne une crèche temporaire. Il faut donc considérer cette bordure comme une collection de variations sur un même thème, avec pour seul fil conducteur la taille croissante des maisons, de gauche à droite et de haut en bas.
Nativité , fol 65r, Heures de Bedford, Add MS 18850
La version Bedford reste narrative.
La bordure inférieure ridiculise Hérode et un de ses féroces soldats, en montrant entre les deux un couple de lapins paisibles, le lapereau bien à l’abri dans le terrier orné de crottes.
Après un médaillon avec Marie et Joseph en marche, la scène du haut est très rare : il s’agit de Sainte Anastasie montrant ses moignons [7], que le texte en bas de l’image confond ici avec la sage femme Salomé :
« et comment l’ange de paradis apporta les mains à la bonne dame sainte Sainte Salomé »
Le berger qui veille dans le dernier médaillon, en haut à gauche, fait écho au berger qui dort dans la miniature centrale, et sert d’antithèse au soldat errant qui, dans le coin opposé, sort de l’histoire.
Nativité, , fol 126, Livre d’heures, 1422-25, ONB Cod 1855
Dans le manuscrit de Vienne, le Maître opte pour une solution mixte :
- mi-narrative : Hérode donnant son ordre écrit, Joseph encourageant Marie enceinte à avancer ;
- mi-thématique : des soldats battant la campagne dans tous les sens.
La cadre de l’image centrale est ici investi d’une valeur de protection contre les dangers qui rodent. Deux des médaillons « thématiques » ajoutent à la narration :
- les deux soldats au centre de la bordure inférieure semblent se désigner l’Enfant : mais l’absence de cadre les emprisonne dans la zone « bordure » et les empêche de nuire ;
- le soldat de la marge droite, le seul qui regarde l’image centrale, n’a pas d’armes et se prosterne, plutôt berger que soldat.
A noter dans l’image centrale le détail, coupé par le bord gauche, de la sage-femme qui s’en va chercher de l’eau,
Le statut du médaillon
Fol 13 (détail) | Fol 69v (détail) |
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Maître de la Mazarine, 1410-1415 , Heures Mazarine, Bibliothèque Mazarine, MS 469
Chez le Maître de la Mazarine, le médaillon constitue, tout comme l’image principale, une zone hermétique à toute interaction : par exception, les anges ont la capacité de pénétrer à l’intérieur, pour apporter de la nourriture, ou un message.
Dieu apparaissant à David, fol 83 (détails)
Maître de la Mazarine, 1410-1415 , Heures Mazarine, Mazarine MS 469
Le débordement est également toléré pour des raisons d’encombrement. Ces deux médaillons avec le jeune David en combattant se font face dans la marge inférieure :
- à gauche, l’artiste n’a pas osé faire déborder la fronde (ce qui aurait pourtant accru grandement l’expressivité) ;
- à droite en revanche, il a carrément posé le guerrier en armes devant la bordure, et comme sortant du cadre : audace graphique sans équivalent dans le manuscrit.
Nativité, fol 75v (détail) Heures de Bedford, 1415-30, Add MS 18850 |
Nativité, fol 148 (détail) Livre d’heures, 1422-25, ONB Cod 1855 |
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Le Maître de Bedford s’autorise des libertés croissantes avec le cadre des médaillons :
- dans la première version de la Nativité, seul le bout des arbres et des couronnes déborde, quasi imperceptiblement ;
- dans la seconde version, le messager d’Hérode a acquis le pouvoir angélique de circuler entre les médaillons.
Fol 148 (détail)
Livre d’heures 1422-1425, ONB Cod 1855
L’Ange lui-même a acquis un statut graphique plus complexe : son aile gauche passe devant les rinceaux, mais son aile droite derrière (tandis que le paon est clairement posé devant les rinceaux) : tout se passe comme si l’ange avait le pouvoir de séparer la zone décorative en deux feuillets, entre lesquels il se faufile.
Visitation, fol 54v (détail)
Le médaillon reste essentiellement conçu comme une zone à imager, bien délimitée à l’intérieur des rinceaux. Mais quelques rares détails signalent que le goût commence à évoluer, timidement, vers les marges illusionnistes : ainsi la queue du paon déborde devant le cadre, tolérance admise pour raison d’encombrement, mais aussi tentative d’envol en dehors de la planéité.
Le Bréviaire de Salisbury (1424-1435)
Resté inachevé, ce très riche manuscrit compte tout de même 4300 éléments historiés. Il a été réalisé à Paris pour le Duc de Bedford, régent de France sous la domination anglaise, par le Maître de Bedford et son atelier.
La fête des saintes reliques
Atelier du Maitre de Bedford, Fête des saintes reliques, fol 497r
Cette page est un exemple de la composition la plus courante pour les images pleine page dans le manuscrit :
- quatre vignettes quadrangulaires en bordure, montrant des scènes liturgiques ; aucun rinceau ne les relie, elles ne se lisent pas en séquence, et on les trouve également en bordure des pages de texte ;
- une image centrale, volontiers organisée dans une architecture (celle-ci, très simple, ne comporte qu’une seule travée).
La Vie de Saint Jean
Atelier du Maitre de Bedford, Vie de Saint Jean, fol 455v.
Cette page révèle la très grande liberté laissée à l’atelier pour l‘interaction entre les images et le texte.
- la vignette 1 situe la page dans la liturgie (« Ad matutinas »),
- la vignette 2 porte déjà une citation du texte : « Hodie Sancti Joahnnis », Aujourd’hui nous célébrons la naissance de Saint Jean.
Les deux vignettes suivantes commencent à illustrer la vie de Saint Jean, toujours en suivant le texte :
- 3 « jussu domiiani » : sur ordre de Domitien, il est amené d’Ephèse à Rome ;
- 4 « presente senatu » : il est présenté au Sénat devant la porte Latine, pour être plongé dans de l’huile bouillante.
Le texte (du recto) se poursuit ensuite dans l’image centrale :
- 5 « Liber exit… alienus erat a coruptione carnis » : il en sort libre, la corruption de la chair lui était étrangère ;
Les deux scènes suivantes ne portent pas de phylactère, mais continuent de suivre le texte :
- 6 : tandis qu’il était en Asie, prêchant l’Evangile
- 7 : il est exilé par un préfet de Domitien dans l’Ile de Pathmos.
Les deux dernières scènes, en revanche, s’écartent totalement du texte, pour illustrer librement le retour du Saint à Ephèse :
- 8 : il fait édifier la basilique où il sera enterré ;
- 9 : il ressuscite une femme nommée Drusienne (épisode raconté dans la Légende Dorée).
On voit ci que le flux de la narration commence à circuler en bordure dans le sens antihoraire, puis saute fluidement des vignettes à l’image centrale où il continue sa progression, cette fois dans le sens horaire.
La découverte de ce circuit complexe faisait toute la saveur de la page.
L’Adoration des Mages
Maître de Bedford, Adoration des Mages, fol 106r
1424-1435, Bréviaire de Salisbury, BNF Lat 17294, Gallica
Cette page, une des rares attribuées au maître lui-même, est extrêmement chargée en images et en phylactères. La bordure et la grande image y jouent des rôles bien distincts :
Les quatre médaillons de la bordure illustrent, dans un ordre non chronologique, des passages de l’Evangile de Matthieu consacrés à l’Adoration des Mages : l’Evangéliste est d’ailleurs représenté dans la bordure droite.
Le texte est celui d’Isaïe 55 (en bleu) « O vous tous qui avez soif, venez aux eaux » : le prophète est représenté à l’intérieur de la grande image, sur la gauche.
Le but de la page n’est donc pas d’illustrer le texte de Mathieu, supposé connu : mais de mettre en rapport, pour un lecteur lettré, l’histoire des Rois Mages avec Isaïe 55.
La page flatte également le duc de Bedford, dont les armes décorent la bordure inférieure et qui assite en personne, tout de rouge vêtu, à l’ouverture des coffres.
La Sainte Parenté
Maitre de Bedford, Sainte Parenté, fol 518r
Dans cette autre page attribuée au Maître, les saynettes de la bordure se lisent chronologiquement, de haut en bas en suivant les fleurons, puis de droite à gauche en traversant les armes avec le motto de Bedford (« assouvy ») : Annonciation à Joachim, Annonciation à Anne, Porte dorée, Naissance de Marie.
La miniature centrale conclut l’histoire, dans une architecture en trois travées dédiées aux trois Maries :
- en centre, Marie avec sa mère Anne et son fils Jésus ;
- à gauche, Marie-Salomé, avec ses deux enfants (Jacques le majeur, Jean) ;
- à droite, Marie-Jacobé avec ses quatre enfants (Jacques le mineur, Simon, Jude et Joseph le juste).
L’aspect courtisan n’est pas oublié, avec ce portrait de l’épouse de Bedford, la duchesse Anne de Bourgogne, à l’intérieur de la lettres A truffée des n de son prénom. Elle chante un hymne à sa sainte patronne (« Ave Mater Anna, Plena melle canna, Cui ma ») ; dans la grand image, l’ange le relaie par un autre hymne « Hae est generatio quærentium eum« , qui inclut flatteusement la duchesse dans la « génération de ceux qui le cherchent ».
Melchisédech
Atelier du Maitre de Bedford, Melchisédech ,fol 283v
Cette image due à l’atelier combine de manière quelque peu brouillonne une architecture, deux médaillons circulaires et deux vignettes quadrangulaires.
Ainsi de haut en bas, on trouve successivement :
- Dieu le père (à cheval entre la bordure et l’image centrale)
- Abraham qui l’adore, à genoux dans sa chapelle ;
- le duc de Bedford dans sa propre chapelle, qui adore Jésus dans l’autre sens ;
- le roi David entonnant le psaume 110 : « Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédech »
Sur l’axe horizontal, on découvre de droite à gauche, par ordre d’éloignement croissant par rapport au Christ :
- Melchisédech dans la même pièce ;
- le duc dans sa chapelle attenante ;
- la duchesse dans son oratoire, en annexe dans la marge..
La Naissance de Marie
Histoire de Joachim et Anne, fol 386v | Naissance de Marie, fol 566v |
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Atelier du Maitre de Bedford
Ces deux pages sont particulièrement intéressantes, car elles répètent le même épisode, mais mis en forme dans les deux grands types de composition que présente le manuscrit.
Le folio 386v est de type standard : les quatre vignettes quadrangulaires sont liturgiques, et l’histoire se déroule entièrement dans l’image centrale, en spirale, dans le sens anti-horaire :
- au centre, Joachim dans le Temple ;
- à droite, Joachim chassé du Temple ;
- en haut, Annonciation à Joachim ;
- à gauche, Annonciation à Anne ;
- en bas, rencontre finale à la Porte Dorée.
Le folio 566v est en revanche de type bordure narrative : l’histoire commence dans la bordure gauche, de haut en bas (Annonciation à Joachim ; Annonciation à Anne ; Porte Dorée) puis se termine dans l’image centrale avec la Naissance de Marie.
La vignette isolée en bas a droite apporte une conclusion contemporaine : un maître avec son martinet résume l’image à ses élèves : « La Mère de Dieu (Dei genitrix) ».
L’influence des innovateurs parisiens
Madonna Master, Heures d’Isabelle Stuart, Avant 1431, Fitzwilliam Museum, Ms. 62, fol 141v
Les Heures d’Isabelle Stuart comportent deux images pleine page que l’on peut rattacher aux bordures à saynettes développées par les maîtres parisiens.
Ce premier enlumineur, inspiré par les architectures du Maître de Bedford, case autour de la Vierge à l’Enfant trois scènes de la Vie de Marie :
- l’Annonciation, évoquée par l’ange musicien dans le cour fermée avec un puits ;
- le Mariage avec Joseph, dans la tour à gauche ;
- la Présentation au Temple, dans l’escalier de droite.
Maître de Giac, Heures d’Isabelle Stuart, Avant 1431, Fitzwilliam Museum, Ms. 62, fol. 29r | Maître de la Légende dorée de Munich, 1440-50, BL Egerton MS 2019 fol 30r |
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Cet autre enlumineur s’inspire quant à lui du Maître de la Mazarine pour cette bordure à médaillons : la narration commence à gauche, mais tourne cette fois dans le sens anti-horaire.
Cette disposition sera adoptée quelques années après, dans un autre manuscrit, par le Maître de la Légende dorée de Münich, qui va jusqu’à inclure la lettrine dans le mouvement en spirale…
Maître de la Légende dorée de Munich, 1440-50, BL Egerton MS 2019 fol 126r
…composition qu’il reprend systématiquement tout au long du manuscrit.
Histoire de David, fol 104 | La Pentecôte, fol 135r |
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Maître de Dunois, 1440-50, BL Egerton MS 2019
Dans le même manuscrit, un autre enlumineur, le Maître de Dunois, utilise la même composition spiralée pour l’Histoire de David ; mais autour de l’image de la Pentecôte, il répartit les médaillons par paires chronologiques, de haut en bas et de gauche à droite :
- 1) l’action de l’Esprit Saint lors de la Création du Monde (3ème et 5ème jour) ;
- 2) l’action de l’Esprit Saint durant l’Ancien Testament, sur les Prophètes :
- la lettrine fait allusion à une prophétie d’Isaïe :
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort une lumière a brillé…. En effet, un enfant nous est né, un fils nous a été donné, et la souveraineté reposera sur son épaule ». Isaïe 9,1-5
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- le médaillon central de la marge droite montre le prophète Daniel disculpant Suzanne :
« Comme on la conduisait à la mort, Dieu éveilla l’esprit saint d’un jeune enfant nommé Daniel » Daniel 3,45
- le médaillon central de la marge droite montre le prophète Daniel disculpant Suzanne :
- 3) l’action de l’Esprit Saint aujourd’hui : sacrements de la Pénitence et du Baptême.
On voit dans ce manuscrit que le choix entre bordure narrative et bordure thématique n’est pas une préférence d’artiste, mais un choix d’opportunité en fonction des possibilités qu’offre l’image centrale.
Article suivant : 3 Les jardins oniriques du Maître de Marguerite d’Orléans
http://digital.bib-bvb.de/view/bvb_mets/viewer.0.6.5.jsp?folder_id=0&dvs=1620800601466~279&pid=7082717&locale=fr_FR&usePid1=true&usePid2=true
Handschriftenkatalog Suckale-Redlefsen :
http://digital.bib-bvb.de/view/bvb_mets/viewer.0.6.5.jsp?folder_id=0&dvs=1620800124323~571&pid=7092411&locale=fr_FR&usePid1=true&usePid2=true
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/30/NAISS2/04.Mages.htm
Jacques Poucet L’Évangile selon Jean d’Outremeuse (XIVe s.), Autour de la Naissance du Christ, Chapitre VIb http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/30/NAISS2/02.Naissance.htm
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