2 Thèmes médiévaux connexes
Cet article tempère quelques interprétations trop faciles du singe au miroir à l’époque médiévale, et rectifie quelques confusions avec des thèmes connexes.
Article précédent : 1 Chasse au singe dans les bestiaires
Le singe diabolique
Le singe diabolique du Physiologus
Ce texte de date incertaine propage et amplifie, au Moyen Age, une vision très négative du singe, en présentant explicitement l’animal comme un alter-ego du Diable.
Dans le Physiologus grec, il est décrit avec l’Onagre, autre animal diabolique :
« L’onagre désigne le diable qui rugit car son royaume de ténèbres s’amenuise. Le singe est aussi une image du diable : comme il a une tête mais pas de queue, Satan a donc eu un glorieux début au ciel en tant qu’ange en chef, mais il est tombé et sa damnation n’aura pas de fin. «
Physiologus Latin, 1275-1300, BNF Lat 2843E f 68r
Le dessinateur a illustré par l’image d’un singe goûteur une version particulièrement lapidaire du Physiologus latin :
Le singe a la forme du diable… Comme il était intérieurement hypocrite et artificieux, il perdit sa tête et il n’a pas de queue. De même qu’au commencement il périt par ses lèvres, de même je périrai. Paul dit qu’il l’exterminera par le souffle de sa bouche |
Simia habet formam diaboli… Quia ipocrita et dolosus erat intrinsecus , perdidit caput nec caudam habet. Quia sicut ab initio periit cum oribus suis sicut peribo (?). Paulus dixit quem interficiet eum spiritu oris sui. |
La phrase « De même qu’au commencement il périt par ses lèvres, de même je périrai » condense ici plusieurs phrases du Physiologus latin habituel [20] : le singe était au commencement du monde l’archange hypocrite (Lucifer) que Dieu a précipité dans le noir de l’Enfer ; d’où la Perdition de l’Homme, conséquence de celle de Lucifer.
La position assise du singe attire l’attention sur l’absence de queue, conséquence de la punition divine, et sur sa face hideuse (« il perdit se tête »). Pour les autres détails de l’image, il faut prêter attention à la citation de Paul, associée systématiquement au singe dans tous les Physiologus latins :
« Et alors se découvrira l’impie, que le Seigneur (Jésus) exterminera par le souffle de sa bouche« Thess2, 2,8
Cet impie est l’Antéchrist, comme expliqué juste avant :
« l’homme du péché, le fils de la perdition, l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou de ce qu’on adore, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu ». Thess2, 2,4
Le singe trônant dans un Temple est représenté ici comme la caricature de Dieu, bouche pleine de nourriture contre bouche pleine d’Esprit.
Le Diable de l’Antiphonaire d’Impruneta (SCOOP !)
Voici la seule image que j’aie trouvée d’un singe au miroir indiscutablement diabolique :
Ecce ego mitto vos sicut oves in medio luporum
Antiphonaire d’Impruneta, 1335-40
L’image principale montre le Christ envoyant ses disciples « comme des brebis au milieu des loups » : à leurs pieds, on voit en effet des loups se dévorant entre eux et une brebis égorgée. Depuis sa laine blanche, le regard traverse le cadre pour rejoindre la coiffe blanche du singe minuscule, incarnation démoniaque qui contemple dans son miroir non pas sa propre face, mais le massacre qu’il a suscité derrière lui.
Le singe à l’hostie
Bréviaire, Paris, 1350-1400, Morgan M.149 fol. 198r
Parmi les nombreuses parodies auxquelles se livre le singe, on trouve bien sûr celle de la Messe : mais l’hostie est toujours marquée d’une croix, ce qui évite toute ambiguïté avec un miroir.
Croquer comme un diable ?
Bestiaire de Guillaume le Clerc, 13eme s, BNF fr. 1444 fol 249r
Le singe mange ici comme un animal, à quatre pattes. Le texte est un développement rimé du Physiologus latin, qui ne fait allusion à aucune nourriture. Tout au plus, par la symétrie bouche-anus, l’image fait-elle écho aux vers ci-dessous :
« Ja seit ceo qu’il seit laid devant,
Derere est trop mesavenant. » [20a]
Dans ce genre d’image, on considère un peu trop facilement que le fruit est une allusion à la pomme du péché originel, par une série d’associations d’idées [21] :
singe -> diable -> tentateur -> serpent -> pomme.
Campanile de Pise, fin 12ème
C’est clairement le cas ici : les singes , attachés par une chaîne à un oiseau diabolique, représentent les pécheurs en train de reproduire le Péché Originel.
Le singe qui mange un fruit
L’image péjorative propulsée par le Physiologus est en fait assez rare et archaïque : tous les singes qui mangent ne sont pas des démons ni des pécheurs.
Les Cygénétiques d’Oppien d’Apamée
Oppien, Cygenetica, 11ème siècle, Marciana Gr. Z 479
Ce poème du troisième siècle raconte une histoire qui sera reprise dans tous les bestiaires médiévaux, illustrée par le groupe de droite :
« Je passe sous silence les trois espèces de singes, ces mauvais imitateurs de l’homme. Qui ne haïrait cette race difforme, odieuse, lâche et perverse ? Ces animaux engendrent deux petits, mais ils n’ont pas pour eux une égale tendresse : l’un est l’objet de leur amour et l’autre de leur haine. Ils lui donnent la mort jusque dans les bras de sa mère. » Oppien Cygenetica, Livre II
Le singe de gauche, qui n’est pas mentionné dans le texte, tient dans sa main un objet circulaire.
Reliquaire de Desiderius, 1080-1100, basilique SS. Cosme e Damiano, Rome,
Pour Janson ([1], p 44), il s’agit très probablement d’un fruit, comme le suggère cette image contemporaine d’un singe assis en haut d’un arbre fruitier, et portant la patte à sa bouche. Ces deux exemples reflèteraient l’image standard du singe dans l’iconographie antique, transmise via l’art byzantin.
Fruit ou miroir ?
Oppien Cygenetica, 1500-50, BNF Grec 2736 fol 32v | Oppien Cygenetica, 1554 BNF Grec 2737 fol 34r |
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Il est troublant de noter que ces deux copistes du 16ème siècle ont interprété l’image dans un autre sens :
- le premier, qui avait accès au manuscrit vénitien, a représenté une tête de singe (un reflet ?) ;
- le second l’a remplacé par un miroir qui reflète la guenon et ses petits, formant l’image cohérente d’une famille de singes.
Ces deux images sont possiblement une humanisation moderne (voir la gravure de Van Meckelem, 4 A la Renaissance) mais on ne peut exclure l’hypothèse que le manuscrit de la Marciana soit la toute première apparition du singe au miroir, pour illustrer la notion d’Imitation qui figure au début du texte d’Oppien : « ces mauvais imitateurs de l’homme ».
Bestiaire de Gervaise 1250-1300 BL Add MS 28260 folio 90r.
Parmi tous les Bestiaires illustrés, cette image est la seule où l’objet considéré par le singe pourrait être à la rigueur être non pas un fruit, mais un miroir sphérique. Cependant, le texte associé [22] étant une paraphrase ordinaire du Physiologus, il n’y a pas lieu de voir ici autre chose qu’une pomme, et un petit démon vorace.
Manger comme un homme
Pontifical à l’usage de Beauvais, adapté à l’usage de Lisieux, 1225-50, BM – ms. 0138 f. 59v
L’image d’un singe portant un objet rond à sa bouche se rencontre, dans ce manuscrit, comme cas particulier d’un motif amusant.
Lièvre, fol 13v | Chat, fol 101 |
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Ours, fol 208 | Renard ?, fol 223 |
On y trouve en effet d’autres animaux s’asseyant pour manger, à la manière d’une homme.
Du singe qui goûte au singe paresseux
Le Singe du « De natura rerum »
Dans cette encyclopédie écrite entre 1225 et 1244, qui compile une grande variété de sources, Thomas de Cantimpré commence par rappeler la méthode de chasse au singe à l’aide d’une chaussure, puis avec la glu dans les yeux. (voir 1 Chasse au singe dans les bestiaires). Il précise ensuite que :
Devant tous les autres animaux, (les singes) sont en honneur pour leur sensibilité gustative. Ceux qui n’ont pas de queue sont féroces pour mordre. |
Pre ceteris autem animalibus vigent gustu. Cauda carent, feroces sunt morsu. |
Le Singe, De natura rerum, Thomas de Cantimpré, Valenciennes, BM MS 320 (304) fol 77v IRHT
Puis il invente une nouvelle anecdote qui réhabilite le sens gustatif du chrétien par rapport à celui, par trop bestial, du singe :
ll mange des pommes et des noix avec plaisir ; mais lorsqu’il y trouve une écorce amère, il jette l’écorce avec la noix, refusant la douceur à cause de l’amertume, et cela bêtement, et contre le philosophe Boèce, qui dit clairement dans le livre des Consolations : devant Jupiter se trouvent deux fûts, l’un plein d’absinthe, et l’autre sucré par du miel. Nous devons donc vivre dans cette condition sous Jupiter, afin que ce qui cause le bonheur puisse aussi entraîner la douleur. Il imite donc le Singe, et non pas l’Homme, celui qui se souvient de l’injustice des citoyens. Pardonnez donc et il vous sera pardonné. Car si, dit le Seigneur, vous ne pardonnez pas aux hommes leurs péchés de tout votre cœur, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos péchés. Thomas de Cantimpré, De natura rerum, Livre 4, Article 96, « De simia » [23] |
Poma et nuces libenter comedit; sed cum invenerit in eis amaram corticem, corticem cum nuce abicit, propter amarum recusans dulce et hoc stulte et contra Boetium philosophum in libro Consolationum aperte dicentem: In limine quidem Iovis duo sunt dolia, unum plenum absinthii, reliquum autem mellis dulcorati. Ea ergo conditione sub Iove vivendum est, ut quibus leticie cause proveniunt, proveniant et doloris.Et notandum valde de simia, quia qui simiam leserit, diu contra eum rancorem custodit. Symiam ergo imitatur, non hominem, homo memor iniurie civium. Dimittite ergo, et dimittetur vobis. Nisi enim, ait dominus, dimiseritis de cordibus vestris hominibus peccata sua, nec pater vester celestis dimittet vobis peccata vestra. |
Dans le manuscrit de Valenciennes, la charte graphique veut que tous les animaux soient représentées sur un fond ocellé. Dans la cas du Singe, leur forme très particulière, avec une coque en pointillé, tente d’illustrer les noix.
Le singe goûteur, après le De natura rerum
1287, Lippische Landesbibliothek, LLB Mscr 70 fol 42r | 1300-25, BL Add MS 11390 fol 24v |
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Le singe, Jacob van Maerlant, Der naturen bloeme
L’illustration devient plus claire dans les premières manuscrits des « Fleurs de la nature », une encyclopédie en néerlandais qui reprend pour l’essentiel l’article Singe de Thomas de Cantimpré : que les singes ont un sens gustatif exceptionnel (vers 3457) et qu’ils aiment manger des pommes et des noix, pourvu qu’elles n’aient pas la peau amère (vers 3462-64) [24].
« IMIA CV SANIS NOSTRAT SERT » (?), Richard of Hotun, 1305, GB Seal no.1388 |
« HEYL HEYL HEYL » (Salut salut salut), John Punchard, 1312, GB Seal no.2036 |
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Sceaux, Durham Cathedral Archive [23a]
« hEYLAD PEYLV » (salut, vacarme ?) , Sceau du 14ème s, Tonnochy 1952, Catalogue of Seal-Dies in the British Museum (758)
Ces sceaux anglais du début du 14ème siècle montrent un singe se grattant les fesses d’une main et tenant un petit objet (une noix ?) de l’autre. Les inscriptions, malheureusement peu claires, ont à voir avec un salut (boisson ?). La période coïncide en tout cas avec la diffusion de l’oeuvre de Cantimpré, et à l’idée du singe-goûteur.
A partir de là, trois iconographies du singe mangeur vont diverger.
Le singe, Jacob van Maerlant, Der naturen bloeme, vers 1350 , Koninklijke Bibliotheek, KB, KA 16 folio 69r
La première, conservatrice, va accentuer le caractère mordeur et démoniaque de l’animal, tout en tournant en dérision ses capacités gustatives. Le fruit est remplacé par un récipient qui lui tire une grimace : probablement un pot de chambre, puisque désormais il se gratte les fesses.
Georg Pencz, 1520-1550, « Simia nos superat gustu »
Dans la deuxième iconographie, qui mettra deux siècles à apparaître, le singe mangeur deviendra un emblème du sens du Goût, en reprenant les cinq animaux que Cantimpré associe aux cinq sens :
Nous surpassent le sanglier par l’ouïe, le lynx par la vue, le singe par le goût, le vautour par l’odorat, l’araignée par le toucher. Thomas de Cantimpré, De natura rerum, Livre IV, 1, 194 |
Nos aper auditu, lynx visu, simia gustu, vultur odoratu praecellit, aranea tactu |
Le singe de la Paresse
La troisième iconographie, bien plus inattendue, va émerger entre les deux :
Acedia, Illustration de l’Etymachia, 1438, BL add MS 15693 fol 27, Janson [1] Planche XXVI
La Paresse arbore comme cimier un singe tenant une petit objet rond et marqué de points, dans lequel Janson voit le miroir de la Vanité ([1], p 204). Or dès sa première version en latin , vers 1320, l’Etymachia reprend l’idée de Thomas de Cantimpré et explique clairement qu’il s’agit d’une noix :
« Elle porte sur son casque l’image d’un singe, car celui-ci aime manger des noix, mais quand il trouve la coquille amère, il la jette avec la noix douce; ainsi le Paresseux désire la vie éternelle, mais s’il trouve que le chemin qui y mène est amer, il jette tout. » [25]
Illustration de l’Etymachia, Anthologie mythographique, 1423-1450, Biblioteca Apostolica Vaticana, Pal. lat. 1726 fol 39v | Buch von den sieben Todsünden und den sieben Tugenden 1474 et 1482, p 22v, Münich BSB [26] Trägheit (La Paresse) |
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Cela n’a pas empêché ces deux illustrateurs postérieurs de représenter un miroir :
- soit parce qu’il était difficile de dessiner une noix reconnaissable ;
- soit parce que, sans se reporter au texte, ils ont simplement recyclé l’iconographie plus connue du singe au miroir.
Ceci ne change rien à la suite de l’argumentation de Janson, selon laquelle cette représentation de la Paresse au singe a glissé vers une nouvelle iconographie qui s’est développée à partir de 1450 en Allemagne, celle de Dame Folie accompagnée de singes, , puis de Vénus à partir de La nef des Fous de Sébastien Brandt (voir Frau Minne, dans L’oiseleuse ). Mais ces singes de plus en plus dominés ne porteront plus d’objet, noix ou miroir, et seront simplement synonymes de Désir ou de Luxure.
A la différence de Narcisse se suicidant par amour de son reflet, il n’y a aucun exemple de singe au miroir symbolisant l’enfermement dans la Folie : sans doute parce l’animal était jugé trop laid pour faire un Narcisse crédible.
Le singe luxurieux
On lit souvent que le singe au miroir symbolise la Luxure, mais les cas avérés sont rares.
Le singe onaniste
Heures de la Passion
Livre d’heures à l’usage d’York, vers 1300, D.P. 12 fol 76 [26a], localisation actuelle inconnue
Le paon, symbole de l’Eternité, vient à côté de la phrase :
« maintenant et toujours pour les siècles des siècles. »
Le héraut sonnant de la trompette ainsi que le violoniste portant son fils sur son dos viennent au dessous du Psaume 95 :
« Venez, chantons avec allégresse à Yahweh! Poussons des cris de joie vers le Rocher de notre salut! Allons au-devant de lui avec des louanges, faisons retentir des hymnes en son honneur.«
Dans ce contexte très particulier d’un lien étroit entre texte et marge, il est impossible que le singe au miroir n’ait pas de signification : d’autant qu’il est occupé à un geste particulièrement obscène !
En opposition avec le Paon, symbole positif de l’Eternité, ce singe dégoûtant, au niveau de la Croix mais à bonne distance dans la marge, représente le Péché originel que le sacrifice du Christ est venu réparer.
Second Statut de Westminster
1280-1320, Morgan Library M.812 fol 93r
On retrouve cette même figure d’un singe onaniste dans ce manuscrit de la même époque, cette fois sans rapport avec le texte.
Le singe, autre sirène
Psautier de Tournai, 1315, fol 218v, Figure 3.37 photo Madeline H. Caviness [27]
La présence du peigne change bien sûr radicalement la figure du singe au miroir. Comme l’a remarqué Madeline H. Caviness, il a été redessiné par dessus une femme portant une robe flottante, sans doute jugée trop audacieuse. Le singe apparaît ici pour ce qu’il est parfois : une litote permettant de critiquer sans choquer.
Le singe faisant toilette se trouve en concurrence avec une autre figure médiévale bien plus fréquente, celle de la sirène se peignant devant son miroir.
La Création (détail)
Maïtre de Boèce, Flavius Josephe, BNF FR 11 fol 3v
On la voit ici du côté d’Eve : elle est la seule à s’occuper d’elle-même au lieu de porter son regard vers Dieu comme tous les animaux de la berge, et notamment le couple de singes.
Lancelot du Lac, Queste del Saint Graal, Mort le Roi Artur, 15eme s, BnF Français 111 fol 236r (détail) | Chronique de Charles VI, vers 1480 Français 2596, fol 2r (détail) |
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Lorsque, par extraordinaire, le singe et la sirène se croisent dans la même marge, c’est cette dernière qui garde le miroir, tandis que le quadrupède cède le pas :
- se défendant à coup de pierre ou s’enfuyant dans l’arbre en montrant son arrière-train ;
- la sifflant et la menaçant à distance de sécurité.
Grandes Heures de Jean de Berry, 1409, BNF Latin 919 f.118r (détail)
Un cas significatif est celui de ce manuscrit aux somptueuses drôleries où, parmi les treize singes présents, pas un seul ne porte de miroir. Ici, c’est un ours, l’animal emblématique du duc de Berry, qui nous tourne le dos pour se regarder dans un miroir posé sur le rocher tandis que le singe valeureux part au tournoi, juché sur un lion.
Au bas-bout de la même marge, la sirène luxurieuse est arrivée à ses fins.
Grandes Heures de Jean de Berry 1409 BNF Latin 919 f. 31r.
Parmi les autres singes du manuscrit, on reconnaîtra ici une chasse à la chaussure.
Fol 16v | Fol 29r |
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Je ne résiste pas à montrer ces deux scènes où le singe, tantôt empalé par un homme sauvage, tantôt enfourché par une femme bruyante, perd plutôt l’initiative sexuelle.
Portail de la Chapelle clémentine, 1350, Palais des Papes, Avignon
Le seul cas où les deux figure du singe et de la sirène cohabitent à égalité de luxure a été étudié par Franck Thénard-Duvivier [28] : ici, les deux s’ignorent, se tournant le dos à des hauteurs différentes, sur deux faces perpendiculaires du pied-droit.
Portail des libraires, Lyon, fig 132 [28]
On trouve, dans cette sorte de « marge sculptée » que constituent certains portails gothiques, une collection de drôleries parmi lesquelles les figures tenant un miroir sont systématiquement péjoratives : ainsi le jeune homme efféminé montrant son postérieur, ou le vieil homme montrant ses pattes de cochon.
Mis à part le cas très particulier du portail d’Avignon (où le singe se peigne), il ne semble pas y avoir d’exemple où le singe au miroir puisse être relié directement à la Luxure, la place étant largement prise par la sirène [29].
Livre d’Heures, 1300, Walters Art Museum W.102 fol 60r | Jacques de Longuyon, Voeux du Paon (Tournai), 1350 Morgan G.24 fol 4v |
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A noter que le miroir n’est pas réservé à la sirène et au singe. En tant qu’accessoire spécifiquement humain, il ridiculise toutes sortes d’hybrides, masculins comme féminins, qui se croient beaux alors qu’ils ne sont que des monstres.
L’amour singe
Minnekätschen, 1400-50, Victoria and Albert Museum
Beaucoup nous échappe dans cette boîte-cadeau, qui comporte plusieurs séries d’initiales non élucidées. Janson ([1] p 261) a relevé des textes germaniques du début du XVème siècle, où l’amoureux est comparé à un singe. Cette boîte s’incrit dans le même contexte d’aurodérision, comme le montre le dialogue en quatre mots :
J’attends (ich harr), côté Singe
comme un fou (als Narr), côté Dame.
Le singe porte sur sa fourrure un ruban qui le ligote ; l’autre élément féminin incongru est le miroir dans sa patte, probablement un autre souvenir accordé par la dame : mais en l’absence de celle-ci, le miroir ne peut rien montrer, sinon au singe sa hideur. Ce masochisme convenu est compensé, sur les faces latérales, par le stéréotype inversé de chaque partenaire : une Licorne timide se cache derrière la Dame, un Aigle fier et chasseur de conins derrière le Singe.
En synthèse
Les interprétations quelquefois alléguées pour le singe au miroir (le Diable, la Luxure) ne sont guère appuyées sur des témoignages graphiques, puisqu’on n’en trouve qu’un de chaque.
Le singe qui mange un fruit est possiblement, au départ, associé au Péché originel (bien qu’on n’en ait aucune source textuelle précise). Mais après le De natura rerum de Thomas de Cantimpré, cette image négative entre en concurrence avec la notion plus positive d’un singe qui goûte, laquelle donnera une inconographie très particulière de la Paresse et, au XVIème siècle, à celle du Sens du Goût.
Il semble donc difficile de confirmer l’interprétation séduisante, péremptoire, et répétée à profusion selon laquelle :
« Dans l’iconographie médiévale, le singe tient un miroir dans lequel l’homme qui pèche doit se reconnaître comme simia dei (le singe de Dieu) » Giorgio Agamben The Open, Man and Animal
Article suivant : 3 Bordures gothiques
Emmanuelle Kuhry « Panorama des manuscrits et nouvelles ressources pour l’étude de la tradition manuscrite du Physiologus latin » https://journals.openedition.org/rursuspicae/924
(Vol. I Text) p 47 https://archive.org/details/PerrinsManuscriptsText/page/n74/mode/1up
(Vol. II Plates) planche XVIb https://archive.org/details/PerrinsManuscriptsPlates/page/n46/mode/1up
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