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4 Les figure come fratelli : postérité

Ce dernier article donne quelques exemples de la postérité de la formule à l’époque moderne.

Article précédent : 3 Les figure come fratelli : autres cas

Chez William Blake

Dans son oeuvre immense et obsessionnelle, Blake a dessiné des vues de dos par dizaines : il était donc inévitable que certaines voisinent avec des vues de face. Nous allons voir que les véritables figure come fratelli sont rares, relativement tardives, et que Blake les a utilisées en toute connaissance de cause, au service d’iconographies novatrices.

Milton a poem in 2 books [31]

Blake Milton a poem in 2 books 1804-10 Copy D planche 4
1804-10, Copy D, planche 4

Pour Blake, les trois dolmens sont une figure négative : forme druidique des potences de Tybur, et aussi évocation des trois croix du Golgotha. Les deux femmes tenant une quenouille et le fuseau de l’existence humaine sont situées l’une sous les dolmens, à côté d’un humain en pleur, et l’autre au dessus.

La vue de dos a donc, comme souvent chez Blake, une signification positive : celle de l’échappée vers le ciel.


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Le Paradis perdu, de Milton [32]

 

Blake Milton's Paradise Lost 1807 , Satan, Sin, and Death, Satan Comes to the Gates of Hell huntington1807 Blake Milton's Paradise Lost 1808 , Satan, Sin, and Death, Satan Comes to the Gates of Hell1808

Satan, Péché et Mort (Satan devant les portes de l’Enfer), planche 2 (Livre II)
Blake, Huntington Library [33]

Le Péché, à la fois fille et épouse de Satan, s’interpose entre lui et la Mort, en lui révélant qu’il est son fils. Les trois têtes de Cerbère, gardant la clé de l’Enfer, qui sortent du ventre du Péché, ainsi que la couronne sur la tête de la Mort, viennent du texte de Milton. La chaîne centrale (qui permet de manipuler la herse) se trouve déjà dans un tableau de Hogarth. C’est à Blake en revanche qu’on doit la trouvaille de caractériser la Mort par un corps transparent (et non par une squelette, comme ses prédecesseurs), ce qui est très fidèle au texte de Milton :

« L’autre figure, si l’on peut appeler figure ce qui n’avait rien de distinct en membres, jointures, articulations, ou si l’on peut nommer substance ce qui semblait une ombre. »

L’idée de montrer la Mort de dos n’était pas donc pas nécessaire à la narration, mais elle fait partie de diverses améliorations :

  • sexe écaillé de Satan désormais visible de face,
  • têtes de serpents en symétrie au bout des deux queues ( « elle finissait sale en replis écailleux, volumineux et vastes, en serpent armé d’un mortel aiguillon » ) ;
  • quatrième tête de chien,
  • absence de barbe pour la Mort,
  • dard de celle-ci moins enflammé.

Ces évolutions vont toutes dans le même sens : symétriser les deux adversaires pour en faire de véritables figure come fratelli. Blake renoue ici avec la tradition d’utiliser la formule dans les scènes de lutte, mais ajoute une intention personnelle :

  • créer entre les deux figures vues de face une solidarité de fait, illustrant leur lien conjugal ;
  • suggérer que Satan et la Mort, vus recto-verso, forment une entité unique, illustrant leur lien de filiation.


William Blake 1807 Milton's Paradise Lost, Satan Spying on Adam and Eve and Raphael's Descent into Paradise
Satan épiant Adam et Eve et Raphaël descendant du Paradis (Livre IV, Livre V)
Blake, 1807, Huntington Library

Cette planche illustre deux moments consécutifs :

  • Satan épiant Adam et Eve au Paradis (Livre IV) ;
  • Raphaël envoyé par Dieu pour avertir Adam et Eve (Livre V)

La vue de face révèle la nature commune des deux archanges, l’un déchu et l’autre obéissant à Dieu. La vue de dos exprime l’ignorance du couple humain.

Considérés comme deux couples de figure come fratelli, Adam apparaît comme le revers de Raphaël posé sur terre, tandis qu’Eve, de plein pied avec Satan, est sa victime désignée.


Blake Milton's Paradise Lost 1808 Livre XII ,Michael Foretells the Crucifixion
L’archange Michel prédit à Adam la Crucifixion (Livre XII)
Blake, version de 1808

Tandis qu’Eve est endormie, Michel explique à Adam ce qui va arriver : le clou qui traverse la tête du serpent illustre littéralement : « cet acte brisera la tête de Satan, écrasera sa force par la défaite du Péché et de la Mort, ses deux armes principales, enfoncera leur aiguillon dans sa tête ».  La Mort est l’homme couronné et le Péché la femme aux trois têtes de Cerbère.

Les figure come fratelli que sont Saint Michel et Adam collent à la narration : présentateur contre spectateur, tout en créant une solidarité entre le Saint et le Christ.


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On the Morning of Christ’s Nativity, de Milton [34]

Blake On the Morning of Christ's Nativity The Flight of Moloch 1809 Thomas set Whitworth Art Gallery1809 (Thomas set), Whitworth Art Gallery Blake On the Morning of Christ's Nativity The Flight of Moloch 1815 Butts Set Huntington Library1815 (Butts set), Huntington Library

Le vol de Moloch

Dans la première version, les fidèles tournent autour de l’idole dan le sens des aiguilles de la montre, dévotes vues de dos à gauche, dévots barbus vus de face à droite, brandissant au dessus de leur tête des tambours et des trompettes. Au premier plan un père et une mère, éplorés, tiennent leur enfant devant les flammes.

Dans la seconde version, Blake fait tourner les fidèles dans l’autre sens, et inverse du même coup mère et père, qui sont désormais figurés recto-verso.

Comme dans le cas précédent, les modifications ont toutes la même intention :

  • en invisibilisant les barbes, créer une affinité entre les dévots et la mère, vus de face et habillés ;
  • en montrant le père de dos, créer une affinité entre lui et les dévotes.

L’intention est narrative : en entrant ainsi dans la danse, la mère et le père s’intègrent de fait au groupe des dévots (d’ailleurs ils ont lâché leur enfant). Mais elle est aussi plus sournoise, comme souvent chez Blake : car en s’intégrant au groupe, mère et père changent de sexe.


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Comus, de Milton

William Blake 1815 Milton's Comus The Brothers Seen by Comus Plucking GrapesComus voit les Frères cueillant du raisin William Blake 1815 Milton's Comus The Brothers Meet the Attendant Spirit in the WoodLes Frères rencontrent dans le bois l’Esprit protecteur, habillé en berger

Blake, 1815

« J’ai vu deux êtres pareils, à l’heure où le bœuf, ayant fini son travail, revenait du sillon, les traits traînant à terre, et que le paysan fatigué était assis et soupait; je les ai vus sous le manteau vert d’une vigne qui grimpe le long de cette petite colline; ils cueillaient des grappes mûres sur leurs tendres rameaux ».

Dans ces deux images, les figure come fratelli servent à exprimer la gémellité des Frères.


William Blake 1815 Milton's Comus The Brothers Driving Out ComusLes Frères chassant Comus

Dans la troisième image où ils apparaissent, c’est cette fois la duplication de la vue de profil qui sert la même idée, tout en permettant aux deux Frères de tenir leur épée de la main droite.


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Le Paradis reconquis, de Milton

Blake Paradise Regained 1816-18 pl 2 Christ_Tempted_by_Satan_to_Turn_the_Stones_to_Bread
Première tentation (Le Christ tenté par Satan de transformer les pierres en pain), planche 2 (Chant I)
Blake, 1816-18

Alors que le Christ a faim, venant de jeûner quarante jours dans le désert, Satan se manifeste sous la forme d’un vieillard affamé qui l’implore, puisqu’il est le fils de Dieu, de transformer une pierre en pain : solution doublement satisfaisante. D’où le geste de ses mains, qui montrent la pierre et la bouche.

« Il se tut, et le Fils de Dieu reprit : Penses-tu que le pain soit si nécessaire ? N’est-il pas écrit (car je discerné en toi un autre être que tu ne le sembles) n’est-il pas écrit que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortie de la bouche de ce Dieu dont la manne nourrit nos pères dans le désert ? »

D’où le geste de ses mains, qui montent le ciel et la bouche.

Le recto-verso traduit magistralement la situation : une même faim (la main droite) mais deux solutions opposées, ciel et terre (la main gauche).

De plus, Blake exploite l’antagonisme implicite que suscite la marche en sens inverse : le spectateur s’identifie avec la figure vue de dos, celle qui est vue de face représentant l’obstacle à l’avancée, l’adversaire.


Blake Paradise Regained 1816-18 pl5 Satan in Council,Satan en conseil , planche 5 (Chant I) Blake Paradise Regained 1816-18 pl11 Christ Ministered to by Angels,Deuxième tentation : le Christ assisté par les anges, planche 11 (Chant II)

Dans la planche de gauche, Satan « assemble en conseil tous ses puissants pairs, sombre consistoire qui siège entouré de dix couches d’épaisses et noires nuées ».

La planche de droite illustre un passage de la Deuxième tentation : à Satan qui lui montre une table couverte de mets somptueux, le Christ répond ainsi :

« je puis, à mon gré, n’en doute pas, aussi promptement que toi, me faire dresser une table dans ce désert, et appeler de rapides essaims d’anges couronnés de gloire prêts à me servir et à me présenter ma coupe. »

Les deux planches, non consécutives, montrent que Blake a parfaitement assimilé la sémantique de la symétrie, pour les couples du premier plan :

  • pour les deux beaux démons, figure come fratelli (le recto-verso signifiant ici une forme de duplicité) ;
  • pour les deux anges porteurs de coupe, symétrie hiératique (signifiant ici l’Unicité dans la Multiplicité).


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La Divine comédie, de Dante

Blake Dante's Divine Comedy 1827 Agnolo Brunelleschi Attacked by a Six-Footed Serpent National Gallery of VictoriaAgnolo Brunelleschi attaqué par un serpent à six pieds
Blake, 1827, National Gallery of Victoria

Dans le chant XXV des Enfers, Cianfa de Donati, sous l’apparence d’un serpent à six pattes, attaque le voleur florentin Agnolo Brunelleschi et leurs deux corps se confondent en un seul.

La main droite aux doigts écartés vers le bas est comme celle de Dante (en rouge devant Virgile), du côté des vivants. Tandis que la main gauche tournée vers le haut, exprime la même terreur que les deux autres damnés.

Celui qui est vu de face, aux traits féminins, est probablement Buoso degli Abati, qui va être mordu au nombril par un serpent et se transformer lui-aussi. Le troisième est Puccio Scanciato, qui échappera à la métamorphose. La vue de dos sert ici d’élément différenciateur au service de la narration, et joue le rôle symbolique de protection contre la morsure du serpent.


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Jérusalem The Emanation of The Giant Albion

Blake a travaillé à cette oeuvre immense entre 1804 et 1820. Les planches, difficiles à interpréter, font l’objet de débats entre spécialistes. J’ai suivi ici les interprétations de l’ouvrage de référence d’Erdman [35]. Les images sont celles de la version E, du Yale Center for British Art, imprimée en 1821.


Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p18 From every-one of the Four RegionsVala et Jérusalem, planche 18

Un homme ailé couronné de lys, vu de dos, s’oppose à une femme ailée vue de face, couronnée de roses. Ils tiennent un couple plus petit, composé d’une femme vue de dos embrassant un homme vue de face. Chaque figure ailée soutient donc le sexe opposé, sou un croissant de lune qui s’inverse. Cette imbrication complexe de deux figure come fratelli illustre la phrase : « Car Vala a produit les corps, Jérusalem a donné les âmes ».

Si la figure suit l’ordre du texte, le couple interne représente le corps (féminin) et l’âme (masculine) et les figures externes Vala (masculin) et Jérusalem (féminine). Ce qui est cohérent avec un passage de la page suivante :

« Il trouva Jérusalem sur les rives de sa Cité, reposant doucement dans les bras de Vala, s’assimilant avec lui, Vala, le lys de Havilah ».


Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p19 dancing daughtersplanche 19 Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p21Hand poursuivant les filles d’Albion Cordelia, Sabrina et Conwenna, planche 21

Ces deux planches forment probablement pendant.

En haut de la première, trois femmes au cheveux longs et un homme forment une chaîne de figure come fratelli, symétriques par rapport au centre : ainsi l’homme en queue de chaîne apparait comme le recto de la femme qui mène la danse.

En bas de la seconde, le mouvement s’est arrêté et la différenciation sexuelle s’est opérée : les trois femmes à la chair pâle forment une masse unique, soumise aux coups de fouet de Hand.


Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p46 Leaning against the pillars.Leaning against the pillars, Planche 46 Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p81« I have mockd those…. », Planche 81

Dans la première planche, Vala, à côté de l’église Saint Paul, prépare un voile pour envelopper la nudité de Jérusalem et de ses trois filles, à côté de l’Abbaye de Westminster. La vue de dos de Vala, qui cache ainsi son sexe masculin, est cohérente avec celle de la planche 18.

Beaucoup plus loin dans le texte, la même composition confronte cette fois Gwendolen à sa soeur Cambel, accompagnée des dix autres filles d’Albion. Gwendolen cache un « objet mensonger » dans sa main gauche (un pomme ?) et montre de l’autre un texte en écriture miroir :

Au Ciel, la seule manière de vivre
C’est oublier et pardonner
Surtout à la Femelle

In Heaven the only Art of Living
Is Forgetting & Forgiving
Especially to the Female

Ce message « officiel » est amendé par une seconde partie, cachée dans l’ombre :

Mais si sur Terre tu pardonnes
Tu ne trouveras pas où vivre.

But if you on Earth Forgive
You shall not find where to Live

Encore une fois chez Blake, la figure vue de dos, aux cheveux sagement tressés, représente la Vertu, face à l’impudicité de la femelle vue de face.


Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p69 Then all the Males.Then all the Males, planche 69

« Une orgie de torture explose au bas de cette page. Sous une lune mince et quatre étoiles tombantes, de tailles très inégales, deux filles ivres brandissent des couteaux au-dessus d’une victime abasourdie dont les poignets sont menottés. Les prêtresses nues portent les scalps d’autres victimes pendant à leurs poignets gauches. L’une tient « l’image sombre d’un visage écorché » (W) dans sa main gauche. » ([35], p 348).

L’autre, vue de face, tient dans la même main une coupe, offert en libation à un dolmen et un menhir.

Les figure come fratelli servent ici à apparier les deux couteaux, et les deux offrandes (la face écorchée et la coupe de sang). La femme vue de face, au sexe ouvert, est délibérément placée du côté du menhir phallique (on sait que Blake avait dessiné toute une oeuvre érotique, que son épouse a détruite à sa mort).


Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p75 And Rahab Babylon the GreatTirzah et Rahab embrassant les dragons, Planche 75 Blake Jerusalem The Emanation of The Giant Albion Copy E (Printed c. 1821) p76 Albion before ChristAlbion devant le Christ crucifié sur l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, Planche 76

Tizah et Rahab sont deux femmes bibliques que Blake a détournées pour en faire des figures négatives, synonymes d’asservissement [36]. L’une utilise la fausse pudeur pour arriver à ses fins, l’autre est une prostituée flamboyante, mais toutes les deux sont des dragons. Rien ne les distingue dans l’image, sinon la vue de dos et la vue de face.

Dans la planche suivante, le recto-verso est utilisé à nouveau pour figurer l’égalité de deux figures, positives cette fois. Albion s’identifie au Christ, tandis que le soleil naturel se couche à gauche pour laisser place, au centre, au soleil au zénith de l’Imagination.


William Blake 1804 Jerusalem Plate 100 (Bentley Copy E)Los entre deux deux de ses formes, Planche 100

Los le forgeron est vu de face, entre deux personnages vus de dos : la femme de droite, dans une ambiance nocturne, est l’« émanation » de Los, Enitharmon. L’homme de gauche, dans une ambiance solaire, est probablement Urthona, la contrepartie masculine de Enitharmon, dont Los est la forme déchue.

Les figure come fratelli sont ici utilisées pour signifier l’identité entre Los et ses deux transformations.



Chez László Hegedűs

Hegedűs László 1899 Kain and Abel Hungarian National Gallery
Caïn et Abel
László Hegedűs, 1899, Hungarian National Gallery, Budapest

En général le couple est traité de manière dissymétrique, Caïn debout dominant Abel allongé. Hegedűs est le seul à les représenter par des figure come fratelli : Caïn est identifié par sa chevelure rousse et par la fumée de son sacrifice dirigée vers le bas, puisque refusé par Dieu. Nous sommes donc non pas au moment du meurtre, mais au moment où la jalousie s’empare de Caïn. La vue de dos, bras et jambes serrées comme les troncs de l’arrière-plan, est ici synonyme de violence obtuse.


Hegedűs László 1890-1911 Hercule a la croisee des chemins coll partLe choix d’Hercule, 1890-1911, collection particulière

A l’inverse, la vue de dos, avec son voile pudique, représente ici la Vertu ; la vue de face, associée à la rousseur de la femme fatale et aux fleurs du chemin facile, le Vice.


Hegedűs László 1909 Sur la voie étroite Coll partSur la voie étroite, 1909, collection particulière

Dans le même ordre d’idée, le héros voit ici son chemin barré par une vue de dos écarlate, tandis que quatre autres femmes l’entourent et lui proposent leurs faveurs.



Chez Eugène Laermans

Eugene Laermans 1899 Perversite coll partiPerversité, Eugène Laermans, 1899, collection particulière

Ce triptyque fait partie d’une série de six huiles réalisées la même année, sous l’influence des Fleurs du Mal de Baudelaire. En voici la description par Eggermont [36a] :

« Le panneau central du triptyque affronte, debout sur un socle, entourées de la multitude de squelettes, deux femmes nues. L’une triomphe. Déjà la supplantée écarte ses bras aux mains crochues, sa tête diabolique se rejette en arrière. Elle est maigre et efflanquée. Elle perd l’équilibre et, bientôt, tombée du piédestal, elle deviendra squelette parmi les squelettes. La pleine lune ajoute sa clarté aux lueurs de l’incendie. La femme rouge, victorieuse, trône sur le socle des panneaux latéraux, dominant les roseaux, les gibets et les croix. A ses pieds se couchent tantôt le cochon, tantôt le bouc. Des oiseaux noirs traversent le ciel. »

Si l’on en croit les animaux emblématiques et les sources lumineuses, le Recto est pornographique et terrestre (le porc sur fond d’incendie) tandis que le Verso est satanique et céleste (le bouc sous le croissant). Au centre, leur combat est cosmique : l’urne enflammée est supplantée par le soleil rougeoyant.

La Perversité consiste donc en ce combat du même avec le même, le Recto attaqué par le Verso, lequel à la fin reste seul, contemplant une mer vide.



Chez Franz von Stück


Les danseuses serpentines

Franz-Von-Stuck 1896 -Dancers-coll part1896, collection particulière Franz-Von-Stuck 1898 Dancers-Salle de Musique Villa Von Stuck photo dalbera1898, Salle de Musique, Villa Von Stuck (photo dalbera)

Franz Von Stuck, Danseuses

Dans le style art nouveau impulsé par la Sécession de Munich, Von Stuck rhabille le vieux couple de bacchantes endiablées (voir 1 Les figure comme fratelli : généralités) avec la robe serpentine de la danseuse à la mode, Loïe Fuller. La brune sérieuse, qui montre sa croupe fait pendant à la rousse joyeuse, qui montre sa poitrine, de sorte que tout le monde est content.

La version en bas-relief, qui décore plusieurs pièces la Villa von Stuck, retravaille le motif en style grécoromain, et sera largement diffusé par des plâtres ou des bronzes.


Franz von Stusck 1897 18 septembre Jugend18 septembre 1897 Franz von Stusck Jugend 1898 1 octobre1 octobre 1898

Franz von Stuck, Couverture de Jugend

La promotion est assurée par la couverture de Jugend, où c’est désormais la rousse qui fait la gueule, face à une brune exubérante.

L’année suivante, Stuck reprend l’idée des figure come fratelli dans une composition « art and craft », qui montre la Peinture et l’Art décoratif partageant les mêmes lauriers.


Une flagellation détournée

Flagellation 1496 ca Durer Albertina PassionFlagellation, (Passion Albertina) Dürer, vers 1496, Albertina, Vienne Franz-Von-Stuck 1907 The Duel frye art museumLe Duel, Franz Von Stuck, 1907, Frye art museum

Dix ans plus tard, Von Stuck transpose la plus symétrique des Flagellations de Dürer en une scène de genre à l’espagnole, où deux prétendants se défient au couteau dans une salle voûtée. Comme souvent chez les symbolistes germaniques, le tragique flirte délibérément avec le comique. Le schématisme des figure come fratelli vient à l’appui de cette esthétique « coup de poing ». Souriant devant sa colonne, la femme fatale ajoute, pour les connaisseurs, un zeste de profanation christique.


Un combat amélioré

Franz-Von-Stuck 1908 Medusa Galleria di Ca Pesaro Venise
Medusa
Franz Von Stuck, 1908, Galleria di Ca Pesaro, Venise

Le thème des lutteurs à l’épée est efficacement mélangé avec celui de la Gorgone qui paralyse. Les figure come fratelli permettent de superposer, au centre, la main droite qui tient la tête et celle qui lâche le glaive.


Franz-Von-Stuck 1928 The Temptation of St. Antony coll part
La Tentation de Saint Antoine
Franz Von Stuck, 1928, collection particulière

Von Stuck revient une dernière fois aux figure come fratelli en coinçant un Saint Antoine en bure entre une rousse et une brune en déshabillé de velours. Comme dans Le duel, le côté primaire de la formule sert l’outrance du propos.



Chez Georgette Agutte


Georgette Agutte 1910 ca No3 Lutteuses fibrociment Musée de l’Hôtel-Dieu Mantes-la-JolieLutteuses
Georgette Agutte, vers 1910, penture sur fibrociment, Musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie

Georgette avait commencé par la sculpture, en tant qu’élève de Louis Schroeder. Devenue peintre, elle invente vers 1910 la peinture sur fibrociment, dans une série de trois tableaux de nus féminins [37]. Le troisième, très symétrique, renoue avec l’origine sculpturale des figure come fratelli.


Georgette Agutte 1911 Musee Paul Dini Villefranche sur SaoneDanseuses
Georgette Agutte, 1911, Musée Paul Dini, Villefranche sur Saöne

Dans la même veine, elle en vient naturellement à l’autre figure obligée, les Danseuses.


Georgette Agutte 1910-12 Les Femmes à la coupe d'oranges Musee de GrenobleLes Femmes à la coupe d’oranges
Georgette Agutte, 1910-12, Musée de Grenoble

De manière plus originale, elle féminise Adam dans cette transposition malicieuse du Péché originel.



Chez Alfons Walde

Connu pour ses paysages tyroliens, ce peintre a gardé pour son usage privée une production érotique dans laquelle abondent les figures recto-verso.

Vues recto-verso

1956 ca Les Soeurs Kessler photo Levin Sam alfons Walde 1919 ca Akt mit Haube coll priv superosition

Nu au bonnet
Alfons Walde, vers 1919, collection privée

Comme au tout début des figure come fratelli, les deux vues sont obtenues par décalque.


alfons Walde 1919 ca Nu biface vers 1919 recto coll part alfons Walde 1919 ca Nu biface verso coll part

Vers 1919, dessin biface, collection privée

Très influencé par Schiele , Alfons Walde est à ses débuts un adepte de l’érotisme du trait.


 

alfons Walde 1919 ca Femme aux bas biface recto coll part alfons Walde 1919 ca Femme aux bas biface verso coll part

Vers 1919, dessin biface, collection privée

Ici, le retournement achève le déshabillage.



alfons Walde 1922 Fünf Akte bei der Gymnastik coll partCinq nus à la gymastique
Alfons Walde, 1922, collection privée

Ces études servent d’alibi à une jouissance sous tous les angles.


Figures come fratelli

Alfons Walde 1919 ca Deux dames se deshabillant coll partDeux dames se déshabillant, vers 1919 Alfons Walde 1920 ca Tänzerinnen coll partDeux danseuses, vers 1920

Alfons Walde, collection privée

L’usure de la vue recto verso conduit mécaniquement vers la jouissance, non pas de deus points du vue sur une seule femme, mais de deux femmes sous un même point de vue.


Alfons Walde 1922 ca um Kirchweg coll partSur le chemin de l’Eglise (um Kirchweg), vers 1922 Alfons Walde 1935 ca um Kirchgang coll partEn allant à l’église (um Kirchgang), vers 1935

Alfons Walde, collection privée

C’est sans doute avec une secrète ironie que Walde rhabille ses figure come fratelli pour les envoyer à la messe.



v

Rêves d’hiver (Winterträume), 1925
Alfons Walde, collection privée

Elles commencer à émerger de la neige, sous un prétexte onirique…


 Alfons-Walde-1925-ca-Tanzende-im-SchneeDanseuses dans la neige (Tanzende im Schnee), vers 1925 Alfons Walde 1926 ca Badende im Schwarzsee COLL PARTBaigneuses dans le lac Noir (Badende im Schwarzsee), vers 1926

Alfons Walde, collection privée

…puis s’ébattent joyeusement à la patinoire ou au lac.


Alfons Walde Frühlingserwachen coll partRéveil printanier (Frühlingserwachen) Alfons Walde Lichtgestalten coll partFigures de lumière (Lichtgestalten)

Alfons Walde, date inconnue, collection privée

Les mêmes en version symboliste…


Alfons Walde 1928 Liebesspiel mit PeitscheJeu d’amour au fouet (Liebesspiel mit Peitsche), 1928 Alfons Walde 1935-50 Zwei strenge Damen coll partDeux femmes sévères (Zwei strenge Damen) 1935-50

Alfons Walde, collection privée

…ou en version flagellante.



Alfons Walde 1937 Erotische-Szene-mit-Badenden-Freikorperkultur coll partScène érotique avec des nudistes au bain (Erotische-Szene-mit-Badenden-Freikorperkultur)
Alfons Walde, 1937, collection privée

Terminons par ces doubles figure come fratelli, où le couple se prépare en vue de dos, puis triomphe en vue de face.



Plus récemment

1956 ca Les Soeurs Kessler photo Levin SamLes Soeurs Kessler
Vers 1956, photo de Sam Levin

 

Références :
[35] David V.Erdman « The Illuminated Blake », 1974
[36] June Sturrock « BLAKE AND THE WOMEN OF THE BIBLE », Literature and Theology , March 1992, Vol. 6, No. 1 (March 1992), pp. 23-32 https://www.jstor.org/stable/23925234
[36a] A.Eggermont, La vie et l’oeuvre d’Eugène Laermans, Peintre pathétique des Paysans (1864-1940), Bruxelles, 1943

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