4 Les figure come fratelli : autres cas
Article précédent : 3 Les figure come fratelli dans les Flagellations
Ce troisième article parcourt d’autres cas particuliers et les replace dans la chronologie d’ensemble.
Longin et Stéphaton
Dans l’immense majorité des Crucifixions, Longin – le porteur de lance – et Stéphaton – le porteur du roseau, de l’éponge et du vase de vinaigre – apparaissent en symétrie hiératique, tous deux vus de face. Mais les autres configurations apparaissent sporadiquement : tous deux vus de dos, ou bien en figure come fratelli.
Les deux vus de dos
820-840, Groupe Liutard, National Museums, Liverpool | 870, Ecole de la cour de Charles le Chauve, Bayerisches Nationalmuseum München, Inv. MA 160 |
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Plaques d’ivoire carolingiennes
Dans le premier ivoire, la taille réduite et la vue de dos de Longin et Stéphaton permettent de les distinguer des deux grandes figures qui les encadrent en position dominante, la Vierge et Saint Jean : la vue de dos les place en avant d’eux, accentuant l’effet de relief. Dans le registre inférieur gauche, la figure inhabituelle d’un soldat vu de dos, assis endormi devant le tombeau, contribue également à accentuer le relief, tout en créant une affinité péjorative entre le garde et les bourreaux.
Le second ivoire développe la composition en hauteur, en ajoutant deux registres intermédiaires :
- les personnifications d’Oceanus et de Tellus,
- les soldats endormis face à Jérusalem.
On voit que les deux justifications précédentes s’effondrent :
- la ligne de sol commune pour la Vierge, Longin, Stéphaton et Saint Jean contrecarre l’effet de profondeur ;
- les personnages négatifs (bourreaux et soldats) ne sont pas tous vus de dos.
860-870, Ecole de Reims, Victoria and Albert Museum | 870-80, Florence, Bargello inv 32 (collection Carrand) |
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La première plaque utilise deux procédés pour accentuer le relief :
- débordement sur le cadre du Soleil et de la Lune en haut, des ailes des anges, et de la queue du serpent ;
- enfilade des trois couples d’anges en haut, des quatre couples de morts sortant du tombeau en bas.
Longin et Stéphaton vus de dos, en arrière des morts mais en avant du couple Vierge-Saint Jean, s’inscrivent dans cette recherche de profondeur.
La seconde plaque présente deux personnages supplémentaires : l’Eglise qui vient recueillir le sang de la plaie du flanc, et la Synagogue qui s’éloigne en hors cadre sur la droite. Le reste de la composition est très proche, tant pour les débordements que pour les anges et les morts en enfilade. Néanmoins, ici, Stéphaton est vu de face, annulant l’effet de relief. On notera l’inversion rarissime de la Lune et du Soleil, dont la position est pourtant presque immuable : compte-tenu de l’extrême originalité de la plaque, il est probable que c’est pour une raison symbolique, que nous avons tenté d’analyser par ailleurs (voir Une-Soleil – 3) en Occident).
Ceux qui réalisaient ces plaques de très haut niveau artistique devaient, dans des scènes très codifiées, introduire des éléments de variation. Les degrés de liberté possibles touchaient :
- les personnages rares : ici l’Eglise et la Synagogue sont en mouvement vers la droite, l’une vers le Christ et l’autre vers l’extérieur ;
- les personnages secondaires : Longin et Stéphaton, de moindre poids symbolique, peuvent se retourner sans grand impact.
Le retournement paradoxal : Longin vu de dos
Codex Aureus d’Echternach, 985-87, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg
Cette plaque ottonienne a pour particularité iconographique la figure de Terra en atlante. Dans les compositions carolingiennes, très marquées par les Quaternités, on trouve habituellement le quatuor antiquisant Sol-Luna- Tellus-Océanus, qui évoque les Eléments Feu-Air-Terre-Eau.
Ici, le quatuor est remplacé de manière originale par le trio cosmique Sol-Luna-Terra (en bleu), qui s’oppose au trio humain Longin-Stéphaton-Christ (en vert). Cette composition très méditée est étayée par des débordements techniquement difficiles (en rouge).
L’intérêt des compositions très géométrisées est qu’elles se prêtent à des lectures multiples : dans une lecture binaire, on voit en haut la douleur des deux « divinités » cosmiques se concentrer dans la figure de IS NAZARENSIS (en bleu), tandis qu’en bas la figure oppressée de TERRA se déploie dans les deux bourreaux. Cette lecture verticale révèle en outre d’intéressantes affinités symboliques entre :
- le Soleil et Longin (masculinité des rayons et de la lance)
- la Lune et Stéphaton, dont le récipient est bien mis en évidence (féminité) ;
- le Crucifié et Terra (déploiement / compression).
Mais ces considérations n’expliquent pas le retournement de Longin. L’intention ici n’est pas paragonique, puisque les deux personnages sont bien différenciés, par leur chevelure et leurs vêtements. La seule explication est purement technique : le retournement de Longin rend naturel le coup de lance donné de la main droite.
Triptyque byzantin, 11ème siècle, Bode museum, Berlin
Ce triptyque byzantin, aux volets très hiératique, manifeste dans son panneau central le même souci de réalisme, rendu nécessaire par la hauteur de la croix : Longin assène son coup de toute la force de son bras droit, et Stéphaton élève l’éponge, du même bras, jusqu’à la bouche du Christ.
Ce retournement de Longin est néanmoins paradoxal, dans le mesure où il contredit la symbolique qui lui est quelquefois attachée : il représente les Gentils convertis, tandis que Stéphaton représente les Juifs endurcis [22a]. Or la vue de dos connote plutôt les personnages négatifs.
Le retournement de Longin caractérise donc les artistes qui privilégient le réalisme du geste, au détriment d’une symbolique par ailleurs assez lâche.
Le retournement naturel : Stéphaton vu de dos
Avant 870, cathédrale Saint Just, Narbonne. | Grégoire de Nazianze, 879-83, BNF GR 510 fol 30v (gallica) |
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Cette formule apparaît très tôt, aussi bien côté carolingien que côté byzantin. Le retournement de Stéphaton n’a pas pour but d’accentuer la profondeur :
- dans l’ivoire, il est situé que la même plateforme rocheuse que Longin ;
- dans le manuscrit, son pied débordait autrefois sur le cadre, mais celui de Longin aussi (voir 1 Débordements : avant le Xème siècle).
Péricopes d’Henri II (Reichenau), 1007-12, Münich BSB Clm 4452 fol 107v | Sacramentaire d’Henri II, 1002-12, Münich BSB CLM 4456 |
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Réalisées pour le même empereur, ces deux oeuvres pourraient relever d’une formule commune. Cependant, les intentions sont radicalement opposées :
- dans le manuscrit, Longin est singularisé par son manteau de pourpre impériale, qui l’associe au Christ dont le manteau constitue le centre de gravité de toute la composition (voir 4 Débordements préromans et romans : ailleurs) ; le retournement de Stéphaton a donc probablement une valeur péjorative ;
- dans l‘ivoire, Longin forme une figure come fratelli avec Stéphaton, qui a perdu son seau pour accentuer la symétrie des gestes (seul le bonnet phrygien contredit marginalement le recto-verso paragonique) : cette gémellité contrevient à l’intention péjorative.
Bible de Ripoll, 1015-20 Vat.lat.5729 fol 369v | Eglise de Bagües, 1080-96, Museo Diocesano, Jaca |
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En Espagne, deux oeuvres aussi éloignées qu’une Bible catalane de haut niveau théologique et une fresque aragonaise rustique ne suffisent pas à établir une filiation. Il serait néanmoins étonnant que ces deux artistes aient eu l’idée du retournement de Stéphaton dans une intention péjorative : dans le couple des larrons, dont l’opposition symbolique est bien plus connue, aucune différenciation n’apparaît. A défaut d’une idée commune, c’est l’hypothèse d’un modèle espagnol commun qui se dessine.
Ivoire mosan, 1050-1100, Musées royaux d’art et d’histoire Bruxelles (Goldschmidt 1918 Band 2 fig 55)
Terminons par cette composition très complète, où nous retrouvons autour de la Crucifixion les binarités habituelles :
- larrons (en vert),
- Vierge et Saint Jean (en rose)
- Eglise avec gonfanon et synagogue avec palme (en jaune) ;
- Longin de face et Stéphaton de dos (en violet).
Deux ternarités les flanquent (en blanc) :
- en bas l’Enfant Jésus entre le boeuf et l’âne ;
- en haut le Christ, entre les deux anges de l’Ascension.
Enfin deux quaternités les entourent :
- les Evangélistes avec leurs symboles (en bleu) ;
- les morts ressuscitant de la Terre (sarcophage ou monument) et de la mer.
La vue de dos de Stéphaton, comme celui d’un des apôtres du groupe de droite (en rouge) sont des morceaux de bravoure qui soulignent la volonté de l’artiste d’animer une composition lourdement systématique.
En synthèse
Ces retournement sporadiques de Longin, de Stéphaton ou des deux, touchent des ateliers éloignés, sans continuité chronologique ni géographique. Le point commun est qu’on ne les trouve que dans des oeuvres de haut niveau technique, chez des artistes capables de maîtriser la vue de dos, encore très rare à l’époque. Les quelques exemples analysés conduisent à des conclusions nuancées :
- le retournement simultané des deux bourreaux ne vise pas toujours à créer un effet de profondeur ;
- le retournement de Longin seul rend son coup de lance plus réaliste ;
- le retournement de Stéphaton seul pourrait théoriquement avoir une intention péjorative, mais il est difficile à prouver (sauf dans le cas des Péricopes d’Henri II).
Plutôt que des traditions locales impossibles à discerner (sauf peut être dans les deux exemples espagnols) , ou une intention symbolique évanescente, c’est le souci de variété et d’animation qui motive le retournement de ces acteurs secondaires de la Crucifixion, moins codifiés que les autres.
Le cas des archers
Anonyme, 1100-90, Chiesa di San Lorenzo in Palatio ad Sancta Sanctorum, Rome (fototeca Zeri) | Pietro Nelli, 1366, chiesa San Lorenzo, Signa (photo beniculturali.it) |
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Martyre de Saint Sébastien
Dès la période romane, des artistes italien ont adopté la composition où Saint Sébastien se trouve au centre, avec les archers au premier plan. Pour que tous puissent tendre la corde de la main droite, la plus puissante, la solution évidente consiste à montrer de dos ceux qui se trouvent à droite.
Giovanni del Biondo, 1380-90, Museo dell’Opera del Duomo, Florence | Pietro di Miniato, 1390-99, Chiesa sant Ambrogio, Florence (fototeca Zeri) |
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Cette composition simple permet en outre de séparer les deux groupes d’archers par une figure d’intérêt, l’officier ou le donateur. Elle se multiplie à Florence à la fin du 14ème siècle, jusqu’à l’éclipse que nous avons observée chez Fra Angelico, en 1440 (voir 1 Les figure comme fratelli : généralités ): comme si, trop usée, la formule attendait un renouvellement.
Martyre de Saint Sébastien
Benozzo Gozzoli, 1464, Duomo de San Giminiano
Benozzo Gozzoli revient au recto-verso, mais fait varier le nombre d’archers : trois à gauche et un seul à droite, derrière l’officier : il oppose ainsi le monde terrestre, désordonné et violent, au monde céleste, entre la tête auréolée du Saint et Dieu le Père, où règne une symétrie strictement hiératique.
Martyre de Saint Sébastien
Antonio Pollaiuolo, 1475, National Gallery
Pollaiuolo innove à nouveau avec cette vue plongeante, qui permet de placer les archers sur deux niveaux, dans une composition pyramidale très étudiée :
- les deux habituels archers latéraux deviennent de véritables figure come fratelli, qui s’apparient par l’inversion des couleurs vert et bleu ;
- au centre s’ajoute un second couple de figure come fratelli, les deux arbalétriers qui se penchent recto verso pour retendre leur arme, morceau de bravoure qui promeut manifestement ses compétences de sculpteur :
« Prises ensemble, deux ou plusieurs de ces formes donnent corps à une réalité équivalente à la sculpture. Cela était vrai d’un point de vue théorique mais aussi d’un point de vue simple et pratique. On a déjà noté que des modèles tridimensionnels ont probablement été nécessaires pour dessiner les deux archers chargeant leurs arbalètes dans Saint-Sébastien de Pollaiuolo, et la sculpture a en effet joué un rôle essentiel dans les débuts de la symétrie tridimensionnelle. » ([1], p 64)
L’intention de montrer la maîtrise du volume se voit encore dans les deux couples de cavaliers à l’arrière-plan, vus de face et vus de dos.
Les deux soldats placés derrière le saint et près du centre, un arbalétrier et un archer, peuvent quant à eux tirer en vue de face, avec des gestes parallèles.
Le retable apparaît donc comme un compendium des cas d’emploi des figure come fratelli :
- obligé pour les archers situés en avant de la cible ;
- superflu pour ceux situés en arrière ;
- avantageux pour promouvoir la double compétence du peintre et du sculpteur.
Martyre de Saint Sébastien
Signorelli, 1498, Pinacothèque Municipale, Città di Castello
Vingt ans après Pollaiuolo, cette toile en prend le contrepieds en remplaçant la vue plongeante par une contreplongée, qui développe à droite une sorte d’anamnèse : depuis les trois arbalétriers, par la rue d’une ville contemporaine, jusqu’au cirque antique et, tout en haut, au Créateur.
Réciproquement, on descend à gauche de l’époque romaine (2) aux temps modernes (3), en passant par l’arc de triomphe et les deux archers nus.
Signorelli a remplacé la symétrie trop apparente des figure come fratelli de Pollauiolo par une construction purement intellectuelle, qui explique comment le Saint antique vient se faire martyriser par les hommes d’aujourd’hui, puis retourne à l’Eternité du Père.
La Tentative de lapidation du Christ
Michael Pacher, 1471–81, Pfarrkirche, St. Wolfgang
Michel Pacher combine ici deux effets spatiaux : celui des figure come fratelli et celui de la diminution des tailles imposé par la perspective centrale : deux innovations italiennes que Pacher avait ramenées dans le Nord [23]. Les deux lanceurs accroupis rappellent les deux arbalétriers de Pollaiulo, mais dans une intention différente, que l’on pourrait qualifier de pré-cinématographique :
En regardant les six porteurs de pierre comme la décomposition d’un seul mouvement, on peut les voir successivement se baisser pour la ramasser et se redresser pour la lancer.
Le but est d’insiter sur la multiplicité des pierres, qui est au coeur de cet épisode rarement représenté :
En ce temps-là, de nouveau, des Juifs prient des pierres pour lapider Jésus. Celui-ci reprit la parole : « J’ai multiplié sous vos yeux les œuvres bonnes qui viennent du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider ? Jean 10, 31
Giovanni Canavisio, 1485-90, chapelle St Sébastien, St Etienne de Tinée
Très influencé par l’art germanique, cet artiste italien superpose, à la scène de la bastonnade, celle de la sagittation de saint Sébastien. Les figure come fratelli s’inversent d’un registre à l’autre (la vue de dos devenant une vue de face et réciproquement), de manière parfaitement délibérée.
Martyre de Saint Sébastien
Le Pérugin, 1505, Panicale
Le Pérugin prend la structure en deux registres de Gozzoli, devenue habituelle en Italie :
- le céleste obéissant à la symétrie hiératique ;
- le terrestre sous l’emprise de la variété :
- couple d’archers recto verso,
- couple mixte arbalétrier-archer,
- vêtements d’époque et antiques ;
- décomposition didactique du mouvement (avant et après le tir).
Fresque de Galatée, Raphaël, 1512, Farnésine
L’année même où Michel-Ange termine son Dieu tourbillonnant au plafond de la Sixtine (voir 1 Les figure comme fratelli : généralités), Raphaël réplique avec ce trio d’angelots, en approche tournante au dessus de Galatée. La sempiternelle contrainte du recto-verso pour les archers est ici intégrée et dépassée, dans un dynamisme gracieux.
Combat de Raison et Amour
A. de Salamanca d’après Baccio Bandinelli, Rome, 1545, Rijksmuseum
La vieille formule se trouve ici reprise au centre d’une allégorie néo-platonicienne, expliquée par les distiques en latin : Apollon (« la divine Raison ») affronte Cupidon (« la répugnante Concupiscence humaine« ), sous l’arbitrage de la « généreuse Intellligence » [24]. La Raison semble mal barrée, puisqu’elle a déjà tiré alors que Cupidon a encore sa flèche, plus les deux que Vénus lui tend et celles que forge Vulcain.
L’intérêt est que les figure come fratelli sont ici exploitées dans une optique morale, la vue de face signifiant le positif et la vue de dos le négatif.
Martyre de Saint Sébastien
Simon Bening, 1535–40, MET
Simon Beining en revanche applique mécaniquement le procédé , sans variété ni dynamisme.
Le cas des lutteurs
Pour tenir leur épée de la main droite, ils sont soumis à la même contrainte que les archers. Cependant, l’absence de cible centrale en fait un cas limite des figure come fratelli.
Les lutteurs de Pollaiuolo
Combat de dix guerriers nus
Antonio Pollaiuolo, 1470-95, Albertina, Vienne
C’est encore Pollaiuolo qui, en tant que sculpteur, explore le premier la question (pour une analyse détaillée de ce combat, voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2)).
« Léonard a écrit que deux points de vue diamétralement opposés suffisaient pour rendre compte de l’ensemble d’une sculpture ; ces points de vue se rencontrant – idéalement parlant – sur leur contour identique. Le peintre, en montrant ce contour deux fois, montrait tout ce que la sculpture était capable de montrer et ce, simultanément – un effet que la sculpture ne pouvait espérer égaler… Il convient également de noter que l’accent mis sur le contour… est parfaitement cohérent avec la pratique ancienne et encore vivante du dessin et le puttoinversé. » ( [1], p 65)
Les deux guerriers centraux, qui se tiennent par une chaîne unique, ont ici pratiquement le même contour.
Les lutteurs de Zoppo
Personne ne sait s’il y a une logique d’ensemble parmi les cinquante dessins sur velin de l’album Rosebery, que ce soit dans l’ancienne numérotation (1er chiffre) ou l’actuelle (second chiffre). Toujours est-il que le thème de la lutte, en particulier entre puttis, y revient de manière très obsessionnelle.
N° 7-19 | N° 9-3 | N° 15-11 |
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Combat de six puttis, Album de Marco Zoppo, 1465-74, British Museum
Ces trois dessins de combats de rue sont composés de la même manière :
- à l’arrière-plan un couple statique vu de face monte la garde, avec des armes variées (bouclier/lance, massue/rien, lance/lance) ;
- en bas deux porteurs habillés et armés d’un gourdin :
- en haut deux enfants plus petits, nus sauf le ruban qui serpente ou forme cercle, armés d’un gourdin et d’un bouclier.
Lus dans l’ancienne numérotation, ces trois dessins, quoique non consécutifs, semblent illustrer trois phases de la rencontre :
- le défi , où les quatre lutteurs tiennent leur arme en main, ce qui impose leur disposition en figure come fratelli ;
- la mêlée, où ils ont lâché leur arme et s’empoignent par les cheveux ;
- la victoire, où l’un des couples se renverse sur l’autre.
Chaque dessin contient un détail égrillard (gourdin phallique, main baladeuse, bouche bée) qui ne laisse guère de doute sur l’orientation érotique de la série. Tous ces lutteurs sont à la fois des petits Hercules et des puttis à ruban (autrement dit des figures pédérastiques, voir plus haut la lectue de Wind). La formule suggestive du petit garçon nu enfourchant un grand garçon habillé devait être suffisamment excitante pour mériter la répétition.
Combat de deux centaures, N° 18-24
Album de Marco Zoppo, 1465-74, British Museum
Magnifique figure come fratelli pour ces deux centaures, armés l’un d’un gourdin, l’autre d’une pique. Appliquée à la partie cheval, elle permet de mettre au premier plan une croupe fessue et boursue, hypertrophie des reins et fantasme de la même farine. Les carquois, en l’absence d’arc, indiquent que la phase courtoise du combat amoureux est terminée : nous en sommes au corps à corps. Les deux animaux antagonistes, cerf et chien, proie et chasseur, sauvage et domestique, sont probablement, dans cette métaphore, une allusion qui nous échappe aujourd’hui.
Deux lutteurs, N° 20-20
La prise debout est une raison, autre que l’arme tenue à main droite, de justifier la figure come fratelli : les deux lutteurs sont pratiquement identiques (mis à part un bas qui manque). A l’arrière-plan, deux gentilhommes bien habillés (l’un à la moderne, l’autre à l’antique), mettent en valeur leur dague et leur pique, sous une tour triomphale. Ils lorgnent un autre couple composé d’un chauve en toge, d’âge mur, qui protège derrière lui un jeune éphèbe chevelu : peut être l’enjeu du combat.
Combat de quatre puttis, N°26-9
L’album se termine (dans l’ancienne numérotation) avec une composition qui est substantiellement la même, sinon que les deux lutteurs ont été remplacés par quatre puttis ailés.
Le jeune homme de l’arrière plan, entre les deux gentilhommes vêtus à l’antique et à la moderne, est probablement l’enjeu du combat.
Pour un autre dessin très clairement homosexuel de l’album, voir 1-3a Couples germaniques atypiques.
Les lutteurs de Van Heemskerck
Ici les figure come fratelli sont utilisées pour leur caractère didactique : montrer le même geste sous deux angles.
fol 43v | fol 44r |
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Maarten van Heemskerck, 1552, série Fencers and Wrestlerse, Cod.I.6.2o.5
Ces deux poses ouvrent une série de quatre consacrées au combat à l’épée longue. On voit ici l’ouverture puis la première parade du combat, entre deux adversaires facilement identifiables : un jeune imberbe et aux cheveux ras, un vieux barbu et chevelu.
L’amusant est que, malgré l’effet de continuité recherché, un faux raccord crève les yeux : le cache-sexe change de propriétaire d’une image à l’autre. Ce détail montre le caractère purement conventionnel de l’accessoire : un peu comme une zone qui se superpose à l’image, mais dont tout le monde comprend qu’elle n’en fait pas partie.
En aparté : Hercule, de Pollaiulo à Dürer
Je résume ici une des plus tonitruantes interprétations de Panofsky en 1930 [25], suivie de sa réfutation par E.Wind en 1939 [25a], bien moins connue mais qui est un régal de finesse et d’érudition. Suivie encore par une réplique cinglante de Panofsky en 1945 [26].
Un Hercule perdu de Pollauiolo
Le Rapt des Sabines
Dürer, 1495, Musée Bonnat, Bayonne
Selon Panofsky ( [26a], p 245), Dürer a recopié ici un dessin perdu de Pollauiolo, lequel aurait quant à lui eu sous les yeux une statue antique d’Hercule soulevant le sanglier d’Erymante (voir 7 Le nu de dos chez Dürer). Outre le fait que les références antiques fournies ne sont guère convaincantes, il est absurde de penser que le recto-verso provienne ici de la copie d’une statue : puisque les deux femmes ont des poses complètement différentes, et que le porteur fléchit tantôt la jambe gauche, tantôt la droite : comme si l’un était l’image de l’autre dans un miroir.
Summers ([1], p 66), qui a remarqué cette impossibilité, pense que le dessin a été construit en translatant (plutôt qu’en inversant) le contour : ce qui n’est pas exactement le cas (en bleu).
La raison d’être de ces fausses figure come fratelli me semble être un double jeu sur le recto-verso, à visée anatomique et possiblement érotique : l’homme dont le sexe est caché porte une femme qui montre le sien, et réciproquement.
Hercule à la croisée des chemins (Panofsky)
Hercule, dit Hercule à la croisée des chemins
Dürer, 1498-999, NGA
On sait, par le journal de voyages de Dürer, que celui-ci appelait cette gravure « mon Hercule », bien qu’elle ne corresponde à aucun épisode connu de la mythologie. Panofsky a imposé depuis 1930 son interprétation : le Choix d’Hercule entre le Vice – la femme nue dans les bras d’un faune – et la Vertu qui la combat.
Le combat de la Vertu contre la Volupté (Concertatio virtutus cum voluptate) ou le Songe d’Hercule
Sébastien Brandt, La nef des Fous La nef des Fous (Stultifera navis) Bâle, 1498, vue 264, BNF Gallica
Or le plus souvent, le sujet est traité de manière symétrique : le héros entre les deux femmes et deux chemins, l’un facile et l’autre rocailleux. Panofsky passe sous silence le fait qu’ici Hercule n’est pas équidistant des deux, mais en plein du côté du Vice. Et que si le paysage est moralisé, il l’est à rebours : la « forteresse de la Vertu » est côté Vice et la vallée plaisante côté Vertu.
On a depuis longtemps remarqué que la gravure est un patchwork :
- Hercule reprend presque à l’identique l’homme vu de dos du dessin perdu de Polllaiuolo, sauf la jambe fléchie ;
- la Vertu est une des deux bacchantes de la gravure perdue de Mantegna, ici coiffée d’un voile pudique ;
- de même le putto effrayé, ceinturé d’un ruban, est celui de la gravure d’Orphée, avec en plus un oiseau dans une main ;
- le Vice reprend un groupe de divinités marines d’une autre gravure de Mantegna, la femme étant désormais affublée de tresses voluptueuses.
Hercule gallicus (Wind)
Tandis que l’interprétation binaire de Panofsky s’avale en deux coups de cuillère, l’interprétation subtile et bien plus complète de Wind nécessite d’être dégustée à petites bouchées. L’analyse se focalise sur trois détails passés sous silence par Panosfky : la forme étrange de la massue, le casque très original d’Hercule, et la présence du putto.
Wind remarque que Dürer a conservé très exactement le geste des mains de l’Enlèvement des Sabines, totalement inadapté pour tenir fermement la massue, qui est ici, bizarrement, le tronc arraché d’un arbuste. Il faut, selon Wind, lire le geste symboliquement : les doigts ouverts et les racines serpentines évoquent la multiplicité des Vices, le poing fermé et le tronc droit l’unicité de la Vertu. L’horizontalité du bâton et la stabilité des deux jambes montrent qu’Hercule essaie, par ses paroles (il a la bouche ouverte) d’établir une concorde entre le Vice et la Vertu.
Dans une analyse comparative impossible à résumer, Wind explique la présence du coq sur le casque par une fusion, d’actualité à l’époque, entre Mercure (avec son caducée) et Hercule (avec sa massue) en un « Hercule gallicus », qui est une figure de l’Eloquence.
Je rajouterai ici un détail que Wind a oublié, mais qui va dans son sens : les deux personnages masculins portent l’un un symbole de l’Eloquence (le coq), l’autre de la Stupidité (la mâchoire d’âne).
Pour Wind, le putto effrayé a dans la gravure d’Hercule la même signification que dans le dessin d’Orphée (car selon certaines traditions l’un était aussi pédéraste que l’autre), aggravée par la symbolique sexuelle du petit oiseau (voir L’oiseau licencieux) : le putto nous montre ce que les fesses d’Hercule nous cachent.
Les deux oeuvres, Orphée et Hercule, moqueraient la dérive de l’orphisme, inauguré quinze ans plus tôt par les oeuvres de Politien et de Pic de la Mirandole, en une mode intellectuelle prétendant viser la Pureté et ignorer les Passions. Ici Hercule, en rêvant d’équilibrer la Pureté vertueuse et la Passion amoureuse, se retrouve sans l’une ni l’autre :
« La dépravation, selon Dürer, se cache sous les nobles rêveries du nouvel Orphée, comme sous les artifices oratoires de l’Hercule gaulois. S’il est un champion ambigu de la Pureté, c’est parce ses propres pulsions amoureuses diffèrent des instincts des hommes normaux. Tandis qu’il s’attaque avec une indignation morale à une Passion qu’il ne connaît pas, il tente de conjurer les coups d’une Vertu qu’il n’est pas capable de suivre. » ([25a], p 216)
La réplique de Panofsky
En 1945, Panofsky s’élève vigoureusement contre Wind, sans le nommer ([26], p 74). Pour sauver l’interprétation moralisée, il dénue au putto toute signification pédérastique : c’est simplement l’enfant du couple, effrayé par la bagarre. La couronne de lauriers ne récompense pas l’éloquence supposée d’Hercule, mais sert seulement de contraste avec la couronne de feuille de vigne du Dieu marin. Quant au coq, il ne fait nullement référence à Hercule gallicus :
Apocalypse, Le Dragon à sept têtes et la Bête aux cornes de bélier (détail)
Dürer 1496-98
Dans cette gravure de la même époque, Dürer coiffe un soldat du même type de casque. Or le coq blanc, dans les bestiaires du Moyen-Age, était le seul animal que le lion craignait. Le casque dans l’Apocalypse s’explique par la patte de lion de la Bête, juste au dessus ; celui d’Hercule par une allusion au tout premier travail qui va suivre l’épisode du Choix, à savoir le Lion de Némée. Ce qui explique également (mais Panofsky n’y pense pas) l’absence de la massue, qui d’après Apollodore l’Athénien sera coupée par Hercule dans les bois de Némée, donc après le Choix.
En synthèse
Pour ma part, je trouvent que ces remarques judicieuses complètent l’interprétation de Wind plutôt qu’elles ne la réfutent : Dürer a pu vouloir à la fois évoquer l’Hercule Gallicus (pour son public cultivé) tout en respectant scrupuleusement, par l’absence de massue et la présence annonciatrice du coq, la chronologie des Travaux d’Hercule.
Le cas du Choix d’Hercule
Le principe du sujet est de conserver le suspense : la Vertu et le Vice sont presque toujours montrés de face, équidistants du héros, comme sur les plateaux d’une balance en équilibre, et rappelant d’ailleurs, par leur emplacement (la Vertu à main droite du héros), la structure des Jugements derniers. Cet effet de balance dans le plan du tableau se trouverait contrarié par l’effet de rotation, en dehors du plan du tableau, qu’impulsent les figure come fratelli. Ces cas sont donc très rares, et d’autant plus intéressants à étudier [27].
En Italie
Hercule entre la Vertu et le Vice,
Cristofano Robetta, 1500-20, Florence, BNF
Panofsky ([25], p 104) considère cette gravure comme un fatras maladroit, où le graveur a accumulé dans le désordre quatre amours en vol, les trois déesses du Jugement de Pâris, et le Choix d’Herule entre la Vertu – la femme vénusienne vue de face – et le Vice – la femme « asexuée » vue de dos.
Si en revanche on accepte l’évidence – à savoir que ce nu de dos est masculin – s’impose une interprétation inverse de celle du vertueux Panofsky, pour qui le nu de dos – la Vertu – « semble semble repousser de sa main droite la main de Voluptas qui se tend vers le jeune homme. » Bien au contraire, c’est la femme vue de face, la Vertu, qui intercepte la main du Vice, que le vue de dos et l’habituel putto à ruban désignent clairement comme un Pédéraste.
Les Amours en vol, selon moi, donnent la clé de lecture :
- ceux au dessus des trois déesses désignent l’amour hétérosexuel (celui du Jugement de Pâris), auquel Hercule tourne le dos ;
- ceux au dessus du couple, devant lequel Hercule se gratte la tête, apportent chacun une couronne : c’est à Hercule de décider celui ou celle qu’il choisit (voire les deux).
Hercule entre la Vertu et le Vice
Carrache, 1596, Capodimonte, Naples
Cette composition célèbre sera très souvent reproduite (je laisse de côté les oeuvres qui en découlent). Carrache à eu l’idée de flanquer Hercule par des figure come fratelli, la Vertu habillée et vue de face, le Vice plutôt déshabillé et vu de dos. L’effet de rotation, ici, est bloqué par la posture statique des deux femmes, chacun désignant du bras, aux deux extrémités de la diagonale descendante, les récompenses promises :
- au plus haut à gauche, Pégase, le cheval céleste, emblème de la famille Farnèse [29] ;
- au plus bas à droite, les plaisirs du jeu, de la musique et de la comédie.
Cette invention, très admirée par les contemporains, a été décrite en détail par Bellori [30] : on sait ainsi que le personnage couronné de lauriers est un poète tout prêt à chanter la gloire d’Hercule, s’il suit la Vertu dans l’escalier. A l’autre extrémité de la diagonale montante, il n’y a rien qui ait retenu l’attention des commentateurs…
Voyez-vous quelque chose ?
Bellori désigne l’objet rare que tient la Vertu comme étant un parazonium, qui n’a pas été commenté alors qu’il est une des clés de la composition : par un ingénieux contrapposto, les deux mains gauches tiennent en parallèle, l’une vers le haut et l’autre vers le bas, le glaive honorifique et la massue herculéenne : comme s’il ne tenait qu’au héros de transformer l’une en l’autre.
1742, Palais Pitti, Florence | 1748, Musée Lichtenstein, Vienne |
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Hercule entre la Vertu et le Vice, Pompeo Batoni
La première version est très inspirée de Carrache : pour la Vertu, même geste de l’index et même couleurs rouge et bleu ; pour le Vice, mêmes attributs des plaisirs. Mais ici celle-ci ne montre pas plus que la poitrine, et c’est la Vertu qui est vue de dos. L’effet figure come fratelli est moins sensible, du fait que seule la Vertu est debout. Ces recompositions par rapport à Carrache s’expliquent par des contraintes spécifiques, le tableau fonctionnant en pendant avec un Hercule au berceau (voir Les pendants rhétoriques de Batoni).
Dans la seconde version, autonome, Batoni a corrigé les détails scabreux : la poitrine trop nue ainsi que le mufle et la rose mal placés, juste à l’aplomb du pipeau.
En Suisse
Aux armes de la famille Hirzel, 1595, Kunsthaus, Zürich | Aux armes de la famille Murer, 1590-1606, MET |
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Le choix d’Hercule (étude pour un vitrail), Cristoph Murer
Dans cette version germanique, on note l’influence de Sébastien Brandt (le Vertu tenant une quenouille, voir plus haut) et celle de la Melencolia de Dürer (les objets des Arts répandus autour d’elle). L’effet de rotation de l’ensemble est ici annulé par le fait que les deux figure come fratelli sont assises :
- la Vertu, vue de dos, est habillée ;
- le Vice, vu de face et la poitrine nue, tient une coupe et un luth ; dans la second version, elle se déshabille un peu plus et une table la masque, d’où le geste compliqué des bras.
Dans les deux versions, Hercule reluque la buveuse dénudée tout en tenant son gourdin du côté de la vertueuse lectrice, comme s’il entendait, plutôt que de choisir, profiter des charmes des deux femmes.
Le choix d’Hercule, Cristoph Murer, 1611-14 [28].
Cette oeuvre terminale évite toute hésitation en supprimant le gourdin et en « dandyfiant » Hercule, qui apparaît ainsi comme choisissant plutôt d’être l’homme de peine, derrière sa main droite, que l’homme du monde, que sa main gauche ignore. Le symbolique des deux femmes est également améliorée, puisque la vertueuse montre son côté face et la vicieuse son côté pile, ce qui lui permet de passer en avant de la table tout en simplifiant le geste des bras.
On mesure ici le caractère pratique de la vue de dos, à la fois plus obscène et moralement verrouillée, puisque les « parties honteuses » sont invisibles (pour un dialogue d’époque sur ce sujet, voir Angélique se cache de Roger, de Billvert, dans A poil et en armure).
Scène de chasse
Christoph Murer, 1579, NGA
Il est amusant de noter que le tout premier dessin précède d’un an la composition de Carrache, sans influence mutuelle possible : Murer a eu l’idée d’appliquer au Choix d’Hercule les figure come fratelli, pour une raison purement décorative, comme il l’avait déjà fait pour les deux piquiers latéraux de ce projet de vitrail
Mis à part ces exemples (et les oeuvres qui découlent directement de la composition de Carrache), il n’y a guère d’autre cas de figure come fratelli autour d’Hercule….
Sentinelles, Paul Rahilly, 1999, collection privée
…sauf ce détournement malicieux où Hercule se réincarne en boeuf, entre la Vertu sous sa citadelle (nue, blonde et occidentale) et le Vice (habillé, brune et asiatique) avec ses attributs (les fleurs jaunes et les deux poires suggestivement disposées).
Synthèse chronologique
A l’issue de ces trois articles, il convient de replacer dans une chronologie d’ensemble les différents cas de figure que nous avons parcourus séparément.
Les périodes en bleu clair sont celles où la formule est attestée, en bleu sombre celles où elle disparaît.
Il existe des figure come fratelli dans l’Antiquité, dans les cas obligés des archers et des lutteurs, mais aussi dans d’autres scènes centrées telles que le bain ou la danse. Leur rareté rend peu probable une transmission directe : la première flagellation recto-verso apparaît à l’époque carolingienne, les archers recto-verso sont réinventés au 12ème siècle. A ces dates précoces, ces proto-figure come fratelli sont utilisés comme solution naturelle au problème de la main droite, mais aussi pour leur qualité graphique propre, sans qu’il soit pour autant question d’une rivalité avec la sculpture. On note au début du Quatrocento à Florence une courte éclipse de ces formule, notamment chez Fra Angelico, sans doute par aversion envers la vue de dos. La seule exception, pour les saints Côme et Damien, tient à une raison symbolique et au caractère gémellaire des deux saints.
A la Renaissance, les premiers exemples de figure come fratelli inventés pour des raisons plastiques apparaissent chez Filippo Lippi dès 1437 : il s’agit à ce stade d’une variante de la symétrie hiératique. C’est seulement progressivement, avec une apothéose chez Raphaël et Michel-Ange, que la formule s’inscrit dans le débat sur le paragone.
Dans le cas particulier de la Flagellation en revanche, la formule traverse le temps et sera encore utilisée au XVIIème siècle, sous l’influence d’oeuvres célèbres telle celle de Sebastiano del Piombo.
Pour les archers et les lutteurs, c’est essentiellement Pollauiolo, qui relance la formule vers 1470-75, la plaçant de fait dans la question du paragone, de par sa double qualité de peintre et de sculpteur.
La conclusion de Summers mérite donc d’être sérieusement nuancée :
La « figure come fratelli » s’élaborait comme un mode particulier d’embellissement pictural, ou comme un élément du débat sur le paragone ; d’une manière ou d’une autre, ces figures, visibles simultanément recto et verso, étaient des exemples de contrapposto, eux-mêmes un moyen majeur pour réaliser la varietà. ([1], p 68)
En fait les figure come fratelli préexistent largement, du moins dans les cas obligés de la Flagellation et des archers, au moment où certains novateurs, tels Filippo Lippi vers 1430, se sont préoccupé d’« embellir » la symétrie hiératique. C’est dans un second temps, à la suite de Pollaiulo, que la figure a pu s’imposer progressivement comme un même paragonien, culminant en popularité au tout début du XVIème siècle. Elle disparaît ensuite durant le maniérisme (sauf chez un artiste très particulier de l’Ecole des maniéristes du Nord, Cornelis Cornelisz van Haarlem, voir 8 Le nu de dos dans les Pays du Nord), dépassée par des formules plus mouvementées, et ne sera pratiquement plus utilisée par la suite, sauf par quelques rares artistes qui feront l’objet du chapitre suivant.
Le cas très particulier des Larrons recto-verso mérite une étude à part, du fait que la lourde codification des polarités dans les Crucifixions prime largement sur les innovations esthétiques. Inconcevables en Italie, les Larrons formant des figure come fratelli apparaissent sur ses marges, dans une icône très singulière de la Renaissance crétoise (voir 1 Les larrons vus de dos : calvaires plans).
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https://archive.org/details/studiesiniconolo00pano/page/149/mode/1up?q=bandinelli
« Hercules am Scheidewege und andere antike Bildstoffe in der neueren Kunst » 1930 https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/panofsky1930/0196/image,info#col_text_ocr
http://s3.amazonaws.com/arena-attachments/2204056/34d872b156869cdd93c4556909039d9e.pdf?1526887229
https://archive.org/details/meaninginvisuala00pano/page/n342/mode/1up
https://www.ds.uzh.ch/wiki/Allegorieseminar/index.php?n=Main.HeraklesAmScheideweg
ainsi que le livre classique de Panofsky [25]
https://books.google.fr/books?hl=fr&id=MJBZAAAAcAAJ&dq=bellori+%22Vite+dei%22&q=carracci#v=snippet&q=carracci&f=false
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