4.1 Revers armoriés : à la manière d’un sceau
Les revers armoriés étant très nombreux, j’ai sélectionné les exemples les plus significatifs et je les ai répartis en trois catégories.
Ce premier article est consacré aux revers qui fonctionnent, à la manière d’un sceau, en tant que marque de propriété ou d‘élément d’authentification.
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Marque de propriété
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Portement de croix
Simone Martini, 1335, Louvre
Les armoires sont celles des Orsini. Comme le commanditaire probable, le cardinal Napoleone Orsini, a quitté Rome pour la cour pontificale d’Avignon en 1336, on en déduit la date du polyptyque, l’année d’avant.
Reconstitution P.Bousquet
Aujourd’hui dispersés et pour deux d’entre eux sciés dans la largeur, les quatre panneaux s’ouvraient en portefeuille [0], les armoiries formant couvercle.
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La Grande Piéta ronde
Johan Maelwael, vers 1400, Louvre
La Piéta porte a son revers les armes de son commanditaire, Philippe le Hardi Duc de Bourgogne. Comme le revers n’était pas destiné à être vu, on n’en tient pas compte pour l’accrochage, ce qui laisse le blason incliné de 30 degrés, mais a l’avantage de rendre horizontal le vol de la colombe et verticaux les éléments soumis à la pesanteur : le filet de sang et le pendentif de Marie.
L’accrochage rectifié (SCOOP !)
Schéma P.Bousquet
Si l’on rectifie l’accrochage en tenant compte du revers, la composition perd en réalisme, mais gagne en intensité théologique :
- les personnages célestes, Dieu et ses anges, occupent la moitié gauche ;
- les personnages terrestres, Marie et Saint Jean, occupent le quart inférieur droit ;
- la tête du Christ occupe le quart supérieur droit, avec de part et d’autre celui qui tient le cadavre et ceux qui le reçoivent : la pesanteur matérialise, visuellement, le Don du Fils à l’Humanité ;
- dans le cercle central voisinent, sans se toucher, les mains du Père céleste, qui laisse glisser son fardeau, et la main de la Mère terrestre, qui l’accepte.
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Déploration
Simon Marmion, vers 1473, MET, New York
Ce panneau porte au revers les armoiries de Marguerite d’York, partition entre les armes de sa famille (à droite) et celle de son mari Charles le Téméraire (à gauche), épousé en 1468. Aux quatre coins on retouve les initiales C et M attachées par des noeuds d’amour.
Un couple floral (SCOOP !)
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On remarque sur les rochers latéraux des Coquelicots (coquerico en vieux français, par référence à la crête du coq) et des Marguerites, allusion élégante aux commanditaires . On notera que le coquelicot est représenté, de droite à gauche, en bouton qui s’ouvre, en fleur flétrie et en fruit : c’est donc l’identification précise de la plante qui compte plutôt que sa couleur, qui ne la rattache que très vaguement à la symbolique de la Passion ( [1], p 59)
Diptyque Matheron, Nicolas Froment (atelier), vers 1475, Louvre, Paris
Le Duc René d’Anjou fait face à sa seconde épouse Jeanne de Laval. A noter la médaille de Saint Michel et la patenôtre à gros cylindres qui se prolonge sur le cadre, dans un effet de réalisme (pour un autre exemple d’un tel trompe-l’oeil, voir 3.2 Trucs et suprises) :
Le diptyque a été offert en cadeau à Jean Matheron de Salignac, dont figurent sur les deux revers la devise :
Une foi intacte l’enrichit. |
DITAT SERVATA FIDES |
et l’emblème qui illustre cette devise : une couronne (la richesse) autour d’une tige de lys (la foi intacte).
Elément d’authentification
Lorsque les armoiries se situent au revers d’un portrait isolé, elle fournit une sorte une sorte d’identité abstraite de l’individu, son lignage. Parfois elle s’accompagne du nom et de l’âge, souvent dans une inscription confirmant la ressemblance.
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Portrait de François d’Este
Rogier van der Weyden, vers 1460, MET, New York
Le verso arbore les armoiries de la famille d’Este. Le « m » et le »e » entrelacés signifient « marchio estensis », Marquis d’Este. L’inscription énigmatique rajoutée en haut à gauche, « non plus / courcelles », fait probablement référence au village de Bourgogne où il est mort. [2].
L’inscription en lettres d’or, « v[ot]re tout…francisque » (tout à vous, François), est la dédicace au destinataire inconnu du portrait : peut-être la dame à qui était destinée l’anneau (la signification du marteau est obscure).
Ce premier exemple montre le statut bien particulier du revers armorié : il sert moins à identifier le modèle (pour cela un petit blason côté face suffirait) qu’à le glorifier dans son lignage : en cela il est toujours un portrait moral qui complète le portrait physique, mais qui le situe dans un paysage social. Il reste cependant d’un usage privé, puisqu’on peut y faire ajouter un message personnel.
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Portrait d’Antoine, grand batard de Bourgogne
Copie d’époque d’après Memling, 1467–70, Musée Condé, Chantilly
La cordelière qui enlace les lettres « N » « I » « E » est un emblème d’Antoine de Bourgogne, fils de Philippe le Bon, qu’on retrouve dans plusieurs oeuvres et dont on ignore la signification [3]
Au milieu se trouve une barbacane, élément de fortification d’où l’on pouvait jeter des matériaux enflammés (ici des bûches) sur les assaillants : d’où la devise « NUL NE SI FROTTE ».
Portrait de Heinrich zum Jungen
Maître du Rhin moyen, 1477, Historisches Museum, Frankfurt
Les deux panneaux, aujourd’hui séparés, étaient probablement présentés recto verso.
Quand j’avais 34 ans,
voilà de quoi j’avais l’air. |
DO ICH WAR XXXIIII JOR ALT DO WAS ICH ALSO GESTALT |
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Portrait de Jan Bossaert
Maître des Portraits de princes, 1480, collection privée (ex-N. Mus., Poznan) [4]
L’inscription certifie la ressemblance :
Quoi de plus mien |
Wat is mijns meer |
Au verso, le blason des Bossaert est suspendu à une vigne attachée à un tuteur, symbole d’une lignée fructueuse. Sans doute s’agit-il d’un portrait de présentation en vue d’un mariage.
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Portrait de Sebastian Brant
Hans Burgkmair, 1508, Kunsthalle, Hambourg
Au dos du portrait de l’humaniste, ses armoiries ont été redécouvertes en 1949 sous un repeint : une roue de moulin noire sur un oreiller rouge carré posé sur un sol argenté.
Varia Carmina, Sebastian Brant, 1498
On les voit plus nettement sur cette gravure (les ancêtres de Brant auraient possédé un moulin à Spire).
Les armoiries du verso, tout comme la broche en forme de perle dorée au recto (insigne de juriste) sont des marqueurs d’ascension sociale.
Les portraits armoriés de Hans Maler
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Portrait de Anna Klammer von Weydach
Hans Maler, 1524-25, Musée Boijmans van Beuningen, Rotterdam
Les armoiries des Klammer (une agrafe) sont peintes en trompe-l’oeil au revers.
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Portrait d’Anton Fugger
Hans Maler, 1525, Allentown Art Museum.
A 31 ans et dix mois, voici de quoi j’avais l’air. |
ALS ICH WAS XXXI IARE X MONAT ALT DO WAS ICH ALSO GESTALT |
Au milieu du XVème siècle, la famille des riches commerçants Fugger se sépara en deux branches : les Fugger « au chevreuil » (qui firent faillite) et les Fugger « au lys » (qui prospérèrent), du nom des armoiries obtenues pour des services rendus aux princes. [5]
Anton, de la branche Lys, commanda à Hans Maler une série de portraits, destinés à orner ses différents châteaux, dont on a conservé une demi-douzaine.
Portrait d’Anton Fugger
Hans Maler, 1524, Schloss Decín/Tetschen
Cet autre portrait a pu former un diptyque avec un portrait aujourd’hui perdu de Ulrich Fugger, l’autre descendant de la famille ( [6], p 92) . Au verso est inscrit :
ANNO DOMINI M·D·XXIIII PRIMA IVLY / ANTONIVS FVGGER / ÆTATIS SVE ANNORVM XXXI DIERVM XXI·“,
et
HANS MALER VON VLM·MALER ZVO SCHWATZ
C’est le seul portait de Maler à la fois daté et signé.
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Portrait de Mathäus Schwartz
Hans Maler, 1526, Louvre, Paris
Le portrait est daté du jour du 29ème anniversaire de Mathäus Schwartz :
ADI·20·FEBRVARI· ANNO·1526· / HET·ICH·MATHEVS·SWARTZ· / DIS GSTALT·ZV ·SWATZ· / DA·ICH·WAS·KRAD·29· / IAR·ALT
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La broche porte les armoiries de Schwarz, un employé de Jacob Fugger, lequel était mort deux mois avant : d’où la tristesse de Mathäus qui joue du luth pour se consoler, et le sablier pendu sous la broche en guise de memento mori (pour un autre portait plus surprenant de Mathäus quatre mois plus tard, voir Comme une sculpture (le paragone)).
Le monogramme du recto, composé de majuscules superposées, n’a pas été déchiffré. L’abréviation M.S.A.V signifie Mathäus Schwartz Augusta Vindelicum (Augsburg).
Portrait de Hans Fieger von Melans
Hans Wertinger, 1526, Tyroler Landes Museum, Innsbruck
Récemment anobli (en 1511), le seigneur regarde fièrement son blason, porté par une femme noble : un trèfle sur des plumes noires et un chamois noir.
Au revers du panneau armorié, il s’est fait représenter en grand équipage, la lance à la main avançant de droite à gauche : de sorte qu’en ouvrant le diptyque, le guerrier laisse place au seigneur en majesté, déganté mais gardant la dextre sur le pommeau de son épée.
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Portrait de Hans von Schonitz
Conrad Faber, 1533, Sigmaringen
Angelica Dülberg suppose que le format exceptionnellement grand et le « magnifique tableau héraldique » au verso sont liés à l’élévation de Hans von Schenitz à la noblesse en 1532.
Au verso on lit d’abord la maxime suivante :
Trop de soumission et trop de confiance rendent faible et font grand tumulte. |
ZU FROM WILFAERIG UND ZU FIL VERTRAWE SCHWECHT KRENCKT U BRINGT GROS RAWEN |
Au dessus du lion levant ses pattes en signe de victoire, la banderole porte : « Le dernier, le préféré » (Das letzt das liebeste).
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