1.3 Le Diptyque de Dublin : l'Ecriture
De manière exceptionnelle, les deux pendants « Lecture » et « Ecriture » ont été conservés, et sont toujours restés groupés au cours des ventes successives. Ils se trouvent actuellement à Dublin, où les deux amoureux continuent à vivre leurs destins séparés, à cinquante centimètres de distance.
Article précédent : 1.2 Le Diptyque de Dublin : la Lecture
Jeune homme écrivant une lettre,
Gabriel Metsu,1662-65, National Gallery of Ireland, Dublin
Le jeune homme en habit noir
Ainsi, le promis de la jeune femme est ce très beau jeune homme aux traits angéliques. Son habit noir, vêtement d’extérieur, ses jambes posées parallèlement à la table, l’absence de livres, montrent qu’il n’est pas de ceux qui se complaisent dans l’étude et les travaux d’écriture : c’est un homme d’action qui ne se pose que le temps de donner de ses nouvelles.
Le chapeau
Le chapeau fait penser à la pantoufle, autre accessoire vestimentaire isolé. Tandis que celle-ci exprime le confinement de la jeune femme et son incapacité de bouger, le chapeau posé en équilibre instable au bord du dossier, côté porte, exprime l’inverse : le mouvement qui va reprendre, la tension vers le dehors.
Le nécessaire d’écriture
Il s’agit du pendant masculin des ustensiles de couture (le dé et le coussin à broder). L’encrier, la boîte à cire et la boîte à sable sont en argent. Couché sur la table, on remarque un sceau à cacheter de taille imposante qui signale que, malgré son jeune âge, l’homme jouit d’une reconnaissance certaine.
Le tableau champêtre
En contraste avec le paysage maritime du pendant féminin, le tableau dans le tableau est ici un petit paradis pastoral dans lequel on distingue un chien et des moutons couchés, une chèvre noire et blanche et, derrière, un bouc brun.
Le troupeau fait indirectement référence à l’autre poncif de la poésie amoureuse de l’époque : après l’amant nautonnier, l’amant berger, qui n’est cependant pas figuré dans le tableau. Il reste que le paysage bucolique, pendant du paysage tempétueux représente, après les tourments, l’autre facette de l’amour : l’amour arrivé à bon port, accompli, apaisé.
Le cadre doré
Dans le tableau maritime, l’agitation des vagues était contenue par un simple cadre noir. Ici, un épais cadre doré au décor mouvementé contraste avec la simplicité et le calme de la scène, comme si tout le mouvement, cette fois, avait été expulsé à l’extérieur, figé dans ces lourdes volutes et ces motifs de fruits. La colombe dorée qui trône en haut du cadre rajoute le symbole de la paix à ceux de l’abondance et de la fertilité.
Ce magnifique cadre baroque, que l’on retrouve dans d’autres tableaux de Metsu, existe encore de nos jours : il est la propriété d’un antiquaire new-yorkais.
Le vitrail
Tandis que dans le pendant féminin, la fenêtre est fermée, elle est ici grande ouverte. De ce fait, le vitrail prend une place considérable, occupant presque un quart du tableau. Par ailleurs, on peut voir en bas à gauche les franges d’un rideau qui dépasse, ce qui renforce la similarité avec la fenêtre de la jeune femme.
Le vitrail grand ouvert
Vermeer utilisera lui-aussi un vitrail grand ouvert dans la Liseuse de Dresde, dans un but bien précis : montrer le reflet du visage dans le miroir, ce qui a pour effet d’enfermer la jeune femme dans l’intimité de sa lecture.
« En faisant du carreau le lieu d’un reflet, Vermeer dédouble le regard posé sur la lettre et souligne ainsi le caractère intime, replié sur lui-même, de la relation à la missive venue de l’extérieur » (Arasse, L’ambition de Vermeer, p 149)
Le vitrail de Metsu lui, ne reflète rien ; au contraire, en totale transparence, il montre le globe posé sur la table.
Femme lisant un livre à sa fenêtre, Gabriel Metsu, 1653–54, Collection Leiden
Il existe chez Metsu un antécédent à cette disposition, dans cette peinture datant d’une dizaine d’années plus tôt. Elle marque la transition entre la première manière du peintre (sujets bibliques ou mythologiques) et la seconde (scènes de genre). On suspecte donc que cette femme habillée à l’antique, entre ses deux livres et ses deux lettres, est l’allégorie d’un concept (Lecture, Sagesse, Connaissance) dont le secret s’est perdu [1]. En l’absence de tout attribut, il est vain d’émettre des hypothèses : sans doute l’explication était-elle donnée par les inscriptions sur le livre ouvert, aujourd’hui indéchiffrables.
On peut voir dans cette mystérieuse lectrice la précurseuse de notre jeune homme écrivant, qui pourrait donc bien avoir lui aussi une valeur allégorique. A noter également un autre exemple de signature ostentatoire : « Gabriel Metsu » sur la lettre de gauche.
Le globe
Il n’y a pas dans le pendant féminin, d’objet équivalent au globe, du moins d’un point de vue fonctionnel. Si l’on remarque, d’une part qu’il frôle la tête du jeune homme (la sphère épousant la courbe du crâne), d’autre part qu’il s’inscrit dans le cadre du vitrail, on peut lui reconnaître une affinité formelle avec le miroir : celui-ci frôle également la tête de la jeune femme (le carré contrastant cette fois avec le visage ovoïde) et il inscrit dans son cadre le reflet du vitrail.
Pour résumer :
- la tête masculine frôle le vitrail qui encadre le globe,
- la tête féminine frôle le miroir qui encadre le vitrail.
Nous proposerons en conclusion de cette étude, une sur-interprétation retentissante de cette affinité formelle.
La plinthe
Côté masculin, la plinthe en carreaux de Delft est ornée de volatiles (noter le reflet des carreaux sur le carrelage impeccable).
Côté féminin, un seul carreau est visible (entre les pieds de la chaise) et représente une grappe et un soleil.
Comme les oiseaux ont tendance à picorer les grappes, les plinthes rappellent donc, avec discrétion, l’appétit du jeune homme pour les fruits de la jeune fille.
Ainsi se complète au ras du sol, le registre des passions animales illustré également par le chien.
Autres correspondances
Certains commentateurs ont suggéré que le jeune homme pourrait être d’une condition supérieure à celle de la jeune fille, d’après la richesse de son ameublement : cadre doré contre cadre noir, rideau à frange contre rideau simple, tapis contre estrade de bois blanc, dallage en marbre noir et blanc contre sol en pierre.
Mais ces nuances peuvent s’expliquer sans invoquer une différence de condition sociale : la pièce où écrit le jeune homme est une pièce de réception, tandis que celle où la jeune femme brode et lit est une pièce à usage privé.
Un contraste sexué
Les deux pendants sont néanmoins en fort contraste, pour des raisons qui tiennent, non à une différence sociale, mais à la différence des sexes.
Tout comme dans le diptyque-prototype de 1658, l’écriture, acte créatif et actif, est attribuée au côté masculin, tandis que la lecture, acte passif, se trouve côté féminin. Mais Metsu a renoncé aux dichotomies faciles (nuit/jour, extérieur/intérieur) au profit de différentiations plus subtiles : l’opposition entre fenêtre ouverte et fenêtre fermée renvoie aux rôles conventionnels de l’homme, ouvert sur l’extérieur, et de la femme, repliée sur l’intimité domestique.
Le contraste entre les « tableaux dans le tableau » va dans le même sens : ostentation du cadre doré contre humilité du cadre simple, scène pastorale proclamant la paix du troupeau, contre marine révélant, derrière le rideau, toute l’émotivité océanique de la femme.
Reste à expliquer le parallélisme que nous avons noté entre le globe et le miroir, qui semblent fonctionner en association étroite avec le vitrail de la fenêtre : vitrail dont le quadrillage attire l’oeil de manière insistante.
Juste derrière la tête du jeune homme, le vitrail encadrant le globe pourrait être une métaphore directe de l’acte auquel il se livre : Ecrire : autrement dit faire rentrer le monde dans des lignes.
Au-dessus de la tête de la jeune femme, le miroir encadrant le vitrail évoquerait, réciproquement, l’acte de Lire : refléter fidèlement les lignes qu’un autre a écrites.
Article suivant : 1.4 Le Triptyque de Dublin
Continuer comme ça aisi
c’est un tableau magnifique plein de poésie et de retenue
est-il toujours en irlande au musée de DUBLIN avec son pendant
merci de votre réponse
Oui, ils y sont toujours.