L'artiste se cache dans l'oeuvre
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Monthly Archives: juin 2015

Orpen scopophile

27 juin 2015
Comments (1)

Sir William Newenham Montague Orpen  a toujours été obsédé par sa propre image – et par les femmes.  Il avait surpris, dit-il, une conversation entre ses parents se demandant « pourquoi il était si laid et leurs autres enfants si beaux Je commençais à penser que j’étais une tâche noire sur la terre » Stories, page 22

Ce regard concerné sur les visages lui valut, après la première guerre mondiale,  un grand succès en tant que portraitiste. Parmi  ses quelques 600 portraits, voici, par ordre chronologique, les autoportraits au miroir que  nous a laissé « Ickle Orps », P’tit Orpen comme il se surnommait lui-même avec humour du haut  de ses 1,60 m.

https://www.facebook.com/SirWilliamOrpen#
http://www.articlesandtexticles.co.uk/2006/09/08/painters-i-should-have-known-about-006-william-orpen-part-4/

Le Miroir

William Orpen, 1900, Tate Gallery, Londres

The Mirror 1900 by Sir William Orpen 1878-1931

Orpen a peint ce tableau à 22 ans, alors qu’il était encore étudiant à la Slade School of Art de Londres.

La jeune fille est Emily Scobel, une modèle professionnelle qui exerçait dans cette école, et à qui Orpen avait promis le mariage. Tout en étant une représentation  réaliste du logement de Orpen, la composition paye  son tribut à deux oeuvres majeures :

wiki_arnolfiniLes époux Arnolfini
Van Eyck, 1434, National Gallery, Londres
Whistlers_Mother_1872 Orsay

Portait de sa mère
Whistler, 1872, Musée d’Orsay, Paris



William Orpen 1900_The_Mirror_detail

Cliquer pour agrandir

Dans le miroir sphérique, on peut voir Orpen à son chevalet, un lustre qui rappelle celui des Arnolfini, et une jeune fille blonde qui le regarde peindre.


William Orpen 1900   The English Nude (Emily Scobel)The English Nude  (Emily Scobel)
William Orpen, 1900, Mildura Arts Centre, Australie

Rembrandt Bethsabee 1654 LouvreBethsabée,  Rembrandt, 1654, Louvre

De la même année date ce portrait intime d’Emily, qu’Orpen a conservé jusqu’à sa mort sans jamais l’exposer : on voit par là qu’il s’agissait d’une vraie brune.


Il est possible que la blonde du miroir ne soit autre que Grace Knewstub, la belle-soeur du peintre William Rothenstein, une beauté dont plusieurs condisciples de la Slade School  étaient amoureux et qu’Orpen   épousera en Août 1901, après qu’Emily l’ait quitté « parce qu’il était trop ambitieux ».


William_Orpen_-_Portrait_of_Grace

Portrait de Grace
William Orpen,1907, Mildura Arts Centre, Australie



Orpen William et Grace
Voici restitués dans leur réalité de l’époque les visages pas si laid et pas si beau  de William et de Grace, qui deviendra Lady Orpen lorsque son mari sera fait Chevalier-Commandeur  de l’Empire Britannique en 1918, en récompense de ses peintures de guerre.


853px-William_Orpen_-_Night_(no._2)_-_Google_Art_Project

Night (no.2)
William Orpen,1907, National Gallery of Victoria, Melbourne

Réalisé après six ans de mariage dans le salon de leur maison de Londres,  ce tableau montre les époux Orpen s’embrassant efficacement, ainsi que le suggère la bougie. Le miroir sphérique est devenu obscur, opaque à tout voyeurisme, comme pour respecter l’intimité du couple et conjurer le miroir scabreux de l’épisode Emily.



Il faut dire que, depuis 1900, ce fameux miroir sphérique était devenu la marque de fabrique d’Orpen, que tous les amateurs réclamaient.

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George Swinton et sa famille
William Orpen, 1901, Collection privée

Madame Swinton, gants à la main, va ou vient de promener sa fille en chapeau, son fils avec son cerceau, et le chien, tandis que papa reste à la maison avec son livre.

Sous couvert d’une scène familiale édifiante, la composition inverse malicieusement les rôles en nous montrant le politicien écossais assis avec les enfants et le chien, tandis que sa moitié, main sur la hanche, dirige les opérations.

Orpen dans le miroir redresse un peu l’équilibre côté mâle, tout en se plaçant en position dominante, au dessus de la maisonnée.


sb-lineWilliam Orpen 1907 A Bloomsbury Family ,
A Bloomsbury Family
William Orpen, 1907, National Gallery Scottland, Edinburgh

Pas de doute en revanche sur la répartition traditionnelle des rôles dans la famille du peintre  William Nicholson. Le personnage dominant de la famille est le matou du premier plan, suivi de peu par la petite dernière, puis par son père qui joue de la babouche en faisant craquer ses phalanges. Les trois aînés simulent la sagesse, la mère fait tapisserie, et Orpen se dissimule au fin fond de son miroir fétiche, qui lui même se fait tout petit au milieu des cadres carrés.



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Miss Anne Harmsworth dans son intérieur
William Orpen, 1907, Collection privée

Boule dorée pour petite fille riche…



sb-lineWilliam Orpen 1909 portrait de Lewis R. Tomalin
Portrait de Lewis R. Tomalin
William Orpen, 1909, Collection Privée

Miroir classique pour collectionneur exigeant…

William Orpen 1909 portrait de Lewis R. Tomalin miroir



sb-lineBravura: Sir William Orpen 1914 by Sir Max Beerbohm 1872-1956

Bravura
Sir Max Beerbohm, 1914, Tate Gallery

Dans cette  amicale caricature, Max Beerbohm se moque des morceaux de bravoure d’Orpen :

« Mr Orpen étudiant s’il serait possible de peindre, pour les Offices, le reflet dans un miroir d’un autre reflet dans un miroir d’un reflet dans une bulle de savon de lui-même. May 1914 » « Bravura. Mr. Orpen trying whether it wouldn’t be possible to paint, for the Uffizi, one mirror’s reflection of another’s reflection of a soap-bubble’s reflection of himself. May 1914 »

Mais lassée  des miroirs sphériques trop repérés, la scopophilie du peintre se porta bientôt sur les miroirs rectangulaires, dans une série d’expérimentations de plus en plus compliquées.

Autoportrait dans le miroir

William Orpen, 1908, Dublin City Gallery Ireland

William Orpen 1908 Portrait of the Artist Dublin City Gallery Ireland

http://emuseum.pointblank.ie/online_catalogue/work-detail.php?objectid=1532

En 1908, Orpen commençait une longue liaison avec Mrs Evelyn St George,  une américaine richissime qui lui ouvrit les portes du grand monde.

Liaison qui ne passait pas inaperçue : l’héritière dépassait Ickle Orps d’une bonne tête, et le couple fut bientôt surnommé « Jack et le haricot magique ».

Il n’est pas exclu que cet autoportrait dans un miroir, en chapeau hypertrophié, au pied d’une Vénus opulente (*) , soit un clin d’oeil ironique à cette situation.

(*) Il s’agit d’une Vénus de Médicis sans bras, qui ornait un bassin dans la jardin  d’Orpen et figure dans plusieurs tableaux.


Sickert 1907 The painter in his studio

Autoportrait dans l’atelier
Walter Sickert, 1907, Art Gallery of Hamilton, Ontario

La composition semble également inspirée de ce tableau de son ami Sickert, réalisée l’année précédente : à noter le « truc » de la lettre glissée sous le cadre, qu’Orpen utilisera à de multiples reprises.



William Orpen Illustrated letter to Mrs St George

Lettre illustrée à Mrs St George

Ce n’est guère à son avantage qu’Orpen se représente dans cette lettre à sa maîtresse, écrite depuis sa maison de Londres, au 8, South Bolton Gardens à Chelsea (où il habita de 1907 à sa mort).



South Bolton Gardens, 8

La maison d’Orpen avec l’atelier à l’étage.


sb-line

William Orpen 1909 self portrait

Vision plaisante que j’ai eue en écrivant (A pleasent sight i have just seen while writing)
William Orpen, Lettre à Grace, 1909, Collection Privée

http://www.leicestergalleries.com/19th-20th-century-paintings/d/william-orpen/11192

Tout cela ne l’empêchait pas de se décrire avec la même ironie dans une lettre à sa femme  : professeur à la Metropolitain School of Art, il résidait souvent  à Dublin tandis que Grace restait à Londres avec les enfants.


sb-lineWilliam Orpen 1910 Myself and Cupid

Moi et Cupidon (Myself and Cupid)
1910, Collection privée

Aimé par deux belles femmes (sinon plus) et couvert d’or, le soi-disant disgracié pouvait remercier Cupidon par une guirlande de fleurs.


Devant le miroir

William Orpen 1910 Myself and Cupid detail

Orpen, bourreau de travail, met en valeur au premier plan les accessoires du métier :   tubes, flacons d’huile, bidon de térébenthine. Le chiffon orange et les pinceaux ont à gauche un pendant amusant :  une serviette bleu et un blaireau dans un bol.



sb-lineWilliam Orpen 1910 Myself and Venus Carnegie Museum of Art  Pittsburgh, Pennsylvania

Moi et Vénus (Myself and Venus)
William Orpen, 1910, Carnegie Museum of Art,  Pittsburgh, Pennsylvania

La même année, retour d’Orpen, de sa Vénus, de ses tubes et de son blaireau, dans le même miroir doré.


La baie vitrée

Le miroir reflète la grande baie vitrée de l’atelier, qui figure dans bon nombre de tableaux. Orpen s’inscrit dans le cadre d’une des fenêtres, la Vénus dans l’autre.

La baie est partiellement occultée par un  rideau vert, qui court sur une  tringle fixée sur le châssis qui sépare les deux niveaux de fenêtres.



sb-line
William Orpen summer-afternoon-artist-in-his-studio-with-a-model 1913 Museum of Fine Arts Boston

Après-midi d’été, l’artiste dans son atelier avec un modèle (Summer Afternoon, artist in his studio with a model)
William Orpen, 1913, Museum of Fine Arts Boston

A noter le Cupidon que son propriétaire, tout comme la Vénus, ballade à sa fantaisie d’un tableau à l’autre.

Il y avait donc trois niveaux de fenêtres, chacune  divisée en six rangées de trois  petits carreaux. Le rideau vert était accroché un carreau plus haut, et ne passait pas devant la fenêtre. Orpen aurait-il fait supprimer la tringle centrale entre 1910 et 1913 ?

Plus probablement, c’est la vue de 1910 qui a été « arrangée », pour fournir un fond vert à Orpen et à sa Vénus. Mentionnons un dernier détail…

Derrière le miroir

William Orpen 1910 Myself and Venus Carnegie Museum of Art  Pittsburgh, Pennsylvania detail

Témoin de la magnificence d’Orpen, le papier glissé sous le cadre est une note salée du Cafe Royal…


William Orpen 1912 The cafe Royal Musee Orsay

The Cafe Royal
William Orpen ,1912, Musee d’Orsay, Paris

…haut-lieu de rencontre des peintres à la mode, dans une débauche de miroirs. Orpen est le second à gauche, assis avec son chapeau-melon.
Plus de détails sur cette note et sur le Cafe Royal  sur le blog d’Angus Strumble :
http://angustrumble.blogspot.de/2013/02/the-bill_512.html
http://angustrumble.blogspot.de/2013/02/more-bill.html



Autoportrait dans le miroir

(Leading the Life in the West)

William Orpen, 1910, Metropolitan Museum of Art, New York

William Orpen 1910 Self-Portrait

http://www.metmuseum.org/collection/the-collection-online/search/480597

Et voici l’autoportrait le plus emblématique du jeune artiste tiré a quatre épingles, campé devant son miroir, le melon sur la tête, le noeud pap au cou, les gants dans une main et la cravache dans l’autre, les jambes écartées comme si le West End était un cheval à dompter.


Devant le miroir

Toujours les objets du métier : pinceaux et fiole d’huile jaune, laquelle entretient une ambiguïté voulue avec la bouteille de whisky jaune qui trône à côté du siphon.

William Orpen 1910 Self-Portrait objets
Couple qui se complique par une troisième fiole jaune posée au soleil sur le rebord de la fenêtre, comme le faisaient les peintres flamands (si c’est de l’huile), et à proximité de la main (si c’est du whisky).

La contradiction se résout élégamment si nous comprenons que, pour Orpen, la liqueur qui imbibe la peinture et celle  qui imbibe le peintre sont deux ingrédients indissociables de son art.


Derrière le miroir

William Orpen 1910 Self-Portrait IOW

Diverses feuilles de papier multicolores entourent le cadre. La seule  lisible est une reconnaissance de dettes signée par Orpen, sur papier bleu avec un timbre rouge.

A noter que deux feuilles de papier sont également coincées du côté intérieur du cadre.


La baie vitrée

A la différence des tableaux précédents qui montraient les quatre fenêtres, la composition est ici ternaire : Orpen, sans Vénus ni  modèle, s’inscrit seul dans la fenêtre centrale.


Petits accommodements avec la réalité

William Orpen 1910 Self-Portrait carreaux
Nous notons rapidement deux anomalies : les stores sont accrochés trop haut (au dessus des six rangés de carreaux reconstitués sur la fenêtre de gauche ; et le quadrillage de la fenêtre centrale est décalé d’un demi-carreau vers le bas.

L’élongation des stores se justifie par la nécessité d’éviter une seconde source de lumière en haut du tableau.


William Orpen 1910 Self-Portrait corrigeVersion corrigée William Orpen 1910 Self-Portrait non corrigeVersion originale

Le décalage des carreaux se comprend en comparant avec la version « corrigée » : cet arrangement pratiquement imperceptible sacrifie la précision obsessionnelle du peintre au profit d’une obsession plus personnelle : paraître plus grand qu’il n’était.


William Orpen 1910 Self-Portrait perspective
Mais le tableau contient un arrangement autrement plus conséquent : tandis que les objets de l’avant-plan sont vus depuis un point de fuite au niveau d’un personnage assis (le peintre en action), Orpen en représentation est vu en contreplongée, par une tierce personne qui se trouverait largement au dessus du tableau.



William Orpen 1910 Self-Portrait pinceaux
C’est pourquoi on peut voir dans le miroir un troisième pinceau à cheval sur le rebord de la tablette, et qui n’est pas un reflet des deux autres.

Dans ce chef d’oeuvre très pensé, venant après tant d’autres autoportraits au miroir, le peintre assoiffé de grandeur se représente non plus en train de peindre, mais de poser ; non plus en état d’introspection, mais d’inspection par un oeil céleste, seul désormais habilité à le juger.


sb-line

Autoportrait dans le miroir

William Orpen, 1er octobre 1912, The Cleveland Museum of Art

 William Orpen 1912 Self Portrait

http://www.clevelandart.org/art/1988.11?f[0]=field_artist%3AWilliam%20Orpen%20%28Irish%2C%201878-1931%29

La baie vitrée

Maintenant que nous connaissons bien l’atelier d’Orpen, nous notons immédiatement que les carreaux sont trop petits : quadrillage serré qui accentue l’effet d’enfermement.


La richesse

Pour la troisième fois, Orpen fait allusion à son opulence financière par un papier coincé à gauche du miroir : après la note de café et la reconnaissance de dettes en trompe-l’oeil , c’est maintenant un chèque réel qu’il colle à cet emplacement.

Les papiers, poursuivant la tendance amorcée dans le tableau précédent, prolifèrent maintenant à l’intérieur du cadre.


Le voyage

Cinq billets de ferry pour l’Irlande (Première Classe), deux réservations de train et une page de son journal d’atelier font du tableau le souvenir d’un voyage à Dublin en juin 1912, avec John Shawe Taylor.


La colle et le chiffon

Le procédé du collage semble ici très différent dans son intention de celui que Braque et Picasso expérimenteront la même année.

Coincé (comme un papier) entre les petits carreaux de la fenêtre en voie d’occultation par le store, et ces grands rectangles opaques qui viennent occulter son reflet, le peintre courroucé, le chiffon à la main, semble décidé à en finir avec le genre de l’autoportrait au miroir.


Il faudra attendre cinq ans et la période de la guerre pour voir Orpen revenir, d’un oeil renouvelé, à la scrutation de lui-même.


Prêt à partir (Ready to start)

William Orpen, Cassel 10 juin 1917, Imperial War Museums, London, UK

William Orpen 1917    Ready To Start

© IWM (Art.IWM ART 2380) http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/20758

Ce tableau marque une étape importante dans l’oeuvre et dans la vie  d’Orpen.

En premier lieu, Prêt à partir manifeste une auto-dérision typiquement  orpérienne : la carte de France, les guides bien empilés, les siphons d’eau de Selz, suggèrent une vision encore  touristique de la guerre ; le casque et la peau de chèvre excentrique, devant les fleurettes violettes du papier peint, semblent un déguisement de soldat.

Dans un second sens, on peut entendre « prêt à repartir » : après l’ennui des portraits mondains bien léchés, bienvenue à une touche plus moderne et mordante.

Dans un troisième sens, sombre et prémonitoire, la bouteille de whisky, le verre vide et la boîte d’allumettes marquent effectivement un tournant :  c’est à Cassel qu’Orpen commença à boire beaucoup ce qui, combiné à une moyenne de 70 cigarettes par jour et à une probable syphilis, devait le conduire à une mort prématurée en 1931, à 53 ans.

« Prêt à partir » : dans seulement quatorze ans…


sb-lineWilliam Orpen 1917 My Work Room

My Work Room,
William Orpen, Cassel, 11 juin 1917, Imperial War Museums, London, UK

© IWM (Art.IWM ART 2967)  http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/20796

Toujours un regard ironique sur cet « atelier » où le peintre se réduit à un pyjama rayé dans un lit en bataille, tandis que sous le casque et à côté du carton à dessin un gros pot de chambre blanc rappelle la Grande Guerre et le Grand Art à un minimum d’humilité.

On sent néanmoins, dans tous ces effets dument préparés  – le pardessus militaire, le paquetage, le chevalet de campagne  replié comme un fusil,  le pliant, la besace, l’écharpe, une certaine fierté et l’ exaltation de l’aventure.


sb-lineWilliam Orpen 1917  Self Portrait in Helmet

Autoportrait avec un casque
William Orpen, 1917, Imperial War Museums, London, UK

© IWM (Art.IWM ART 2993)  http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/20822

Dans la même pose que dans le miroir de sa chambre, voici Orpen en alerte au milieu du champ de bataille. Son casque le place  en communauté de destin avec les héros qu’il admire : l’un est sommairement enterré sous un tertre (on voit un pied qui dépasse),  marqué par son fusil planté en terre et son casque. Un troisième casque est retourné par terre, d’un soldat dont il ne reste rien d’autre.

Autant la peau de chèvre est un colifichet illusoire comme pare-balles,

autant l‘autoportrait casqué constitue une protection efficace contre l’oubli.

D’autres tableaux d’Orpen en guerre :

http://www.articlesandtexticles.co.uk/2006/08/19/painters-i-should-have-known-about-006-william-orpen-part-3/#sthash.n4fGtQNz.dpuf



sb-lineWilliam_Orpen_-_The_Signing_of_Peace_in_the_Hall_of_Mirrors,_Versailles

La signature de la Paix dans la galerie des Glaces
William Orpen, 1919,  Imperial War Museums, London, UK

En même temps que l’anoblissement, la paix revenue offre à notre scopophile une apothéose de rêve, dans le lieu emblématique des jeux de miroir et de pouvoir.



William_Orpen_-_The_Signing_of_Peace_in_the_Hall_of_Mirrors,_Versailles perspective
Il n’est pas difficile de le trouver, ombre chinoise minuscule dénoncée par l’exactitude des lignes de fuite. Petit par la taille, mais éminent par sa place, du côté où il n’y a personne  : entre les jardins de Louis XIV et le dos accablé du plénipotentiaire entre  la France redevenue grande et l’Allemagne vaincue.



William_Orpen_-_The_Signing_of_Peace_in_the_Hall_of_Mirrors,_Versailles peintre

De ce point privilégié, il peut observer, au dessus des grands hommes, le chaos de reflets,

présage de la fragilité de l’ordre qu’ils viennent d’instituer.

Pour le liste des personnalités représentées :

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:William_Orpen_-_The_Signing_of_Peace_in_the_Hall_of_Mirrors,_Versailles.jpg

Après guerre…

William Orpen 1924   Self Portrait, Multiple Mirrors

Autoportait aux miroirs multiples
William Orpen, 1924, Fitzwilliam Museum, University of Cambridge, UK

Orpen déjà marqué par la maladie se représente dans un effet d’abyme impossible : s’il s’agissait d’un jeu de miroirs, on le verrait alternativement de face et de dos (voir Quelques variations sur l’abyme. Il s’agit ici en fait d’un Effet Droste (voir L’effet Droste).

Le tableau a été fait à Paris (on voit le Sacré Coeur au fond).


sb-lineOrpen Summer 1924 Collection privee

Summer
Orpen, 1924, Collection privée

Dans cette oeuvre vibrante, nous reconnaissons, au rideau vert  au fond du miroir et aux ombres de la baie vitrée sur le mur, l’atelier de South Bolton Gardens. Pour une fois, le chevalet est là mais le peintre se planque.



Orpen Summer 1924 Collection privee perspective
Tandis que les fuyantes  des carreaux (en jaune) désignent l’emplacement où il est assis, les fuyantes du reflet (en bleu) le situent en hors champ sur la gauche. Pour que les deux points de fuite ne coïncident pas, il suffit que le miroir soit légèrement en biais par rapport au plan du mur.

Dans ce tableau, Orpen expérimente déjà les procédés qu’il va déployer dans son chef d’oeuvre de l’année suivante…

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Sunlight

William Orpen, 1925, Leeds Art Gallery

William Orpen, Sunlight, 1925, (Leeds Art Gallery)

 

Vermeer dans le West End

Retour à l’atelier, avec ses stores verts. Orpen au sommet de son art met à contribution quatre procédés typiquement vermeeriens  :

  • le premier plan occupé par un objet qui barre la route au spectateur (le fauteuil rouge) ;
  • le pavement de petits carreaux ;
  • le splendide jeu d’ombres et de lumières sur le mur blanc, qui nous montre, en projection, le troisième niveau de fenêtres, dont l’une est fermée par un store ;
  • la carte de géographie, qui n’est autre qu’un plan de Londres.

Plan de Londres-reduit

Un remake désabusé

William Orpen 1910 Self-Portrait remake
La bouteille, posée à portée de main, est quant à elle totalement operienne, et nous rappelle, avec les stores verts et les petits carreaux, le portrait triomphal de 1910 : Leading the Life in the West.

Sauf qu’Orpen n’est plus un dandy debout, mais un ivrogne avachi.

William Orpen, Sunlight, 1925, (Leeds Art Gallery) bouteille
Ainsi cet autoportrait apparaît comme une sorte d’autocitation mélancolique,

un « Ending the Life in the West ».


William Orpen, Sunlight, 1925, (Leeds Art Gallery) perspective
La preuve définitive réside dans la perspective : dans les deux tableaux, le peintre ne se place pas au point de fuite et deux autres regards habitent le tableau :

  • ici, Orpen vieilli, le modèle et la fenêtre, autrement dit tout ce qui est du domaine de la lumière, sont vus par un personnage debout (lignes bleus) : comme si c’était Orpen dandy qui était revenu peindre et illuminer son vieil âge ;
  • en revanche, le pavement est vu d’un point de vue surplombant, un peu au dessus de la carte : il y a déjà, planant assez bas dans la pièce, une entité qui n’est pas la gloire, ni la postérité, qui ne s’intéresse ni à la lumière du soleil, ni aux plaisirs de la boisson et de la chair : seulement aux ombres, aux quadrillages et aux cartes – ce qui reste quant on est mort.


William Orpen, Sunlight, 1925, (Leeds Art Gallery ) cupidon

Dernière ironie  : entre la chair malade du peintre et la chair blême de cette Vénus d’atelier, s’élève, comme dans un songe, la réminiscence de Cupidon vainqueur…

sb-lineSleator-James-Sinton-Studio-Interior-a-Portrait-of-Sir-William-Orpen-1931

Intérieur d’atelier, un portrait de Sir William Orpen
James Sinton Sleator, 1931, Russell-Cotes Art Gallery and Museum, Bournemouth, UK

Terminons avec ce portrait bien moins talentueux peint par son ami Sleator, seulement quelque mois avant la mort d’Orpen. Nous reconnaissons une dernière fois l’atelier, dont la baie a été simplifiée (deux niveaux de fenêtres seulement).


En dernier pied de nez aux fans d’Orpen,  deux astuces quasi posthumes se sont glissées dans les deux miroirs de la pièce :

  • Comment le miroir de la cheminée peut-il refléter ainsi le chevalet ?
  • Pourquoi le coin de plafond que reflète le miroir vénitien n’est-il pas inversé ?

Voir la réponse...

  • Il s’agit d’un second chevalet : celui de Sleator en train de peindre Orpen en train de peindre.
  • Parce que ce miroir montre non pas le coin que nous voyons, mais le coin symétrique, de l’autre côté de la baie.

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Le miroir transformant 1 : conversion

21 juin 2015
Comments (0)

Le miroir ne se borne pas à  inverser ce qu’il reflète : conversion, transfiguration gratifiante ou macabre , hallucination, transgression, voici quelques exemples de son pouvoir transformant.

Tout d’abord, le pouvoir de conversion…

La conversion de Madeleine

Caravage, 1597, Institute of Arts, Detroit

Caravaggio-Martha-and-Mary-Magdalene-1598, Detroit Institute of Arts
Deux soeurs,deux amies

A gauche, Marthe, la soeur sage, humblement vêtue, le visage dans l’ombre ; à droite Marie-Madeleine, la soeur volage, splendidement vêtue, en pleine lumière . Les deux dialoguent des mains et du regard, sans s’occuper du miroir circulaire.

Dans la vie, celle qui fait Marthe était Anna Bianchini, dite « Annuccia » : une amie et une collègue en prostitution de Fillide Melandroni, qui joue Madeleine (tout ce qu’on sait sur les copines de Caravage est dans http://www.cultorweb.com/Caravaggio/Fi.html)


Le dialogue des objets

Caravaggio-Martha-and-Mary-Magdalene-1598 objets
Les deux objets posés sur la table comme des pièces à conviction font voir le sujet du dialogue :

  • côté Marthe, la coupe blanche [1] dit  propreté,  démaquillage, voire même  pardon  : passer l’éponge ;
  • côté Marie-Madeleine, le peigne  qui commence à perdre ses dents, répond  quant à lui  saleté, artifice, séduction.


Le dialogue des mains

Caravaggio-Martha-and-Mary-Magdalene-1598 schema
Marthe énumère sur les doigts de ses mains jointes les raisons de suivre Jésus.

Madeleine tient contre sa poitrine, dans sa main droite, une fleur blanche d’oranger [2] : signe que malgré son métier, son coeur est pur.

Sa main gauche est  posée machinalement sur le miroir luxueux, ce compagnon habituel de débauche : mais pour l’instant elle ne le regarde pas, et le miroir ne montre rien…


Caravaggio-Martha-and-Mary-Magdalene-1598 main droite Caravaggio-Martha-and-Mary-Magdalene-1598 main gauche retournee

Sauf que, en inversant cette main par la pensée, on saisit que le carré du reflet de  la fenêtre joue le même rôle que la fleur  :

un marqueur de blancheur, mais céleste.

Ainsi, pour  nous donner l’intuition de la conversion mystique en train de se produire, Caravage la suggère géométriquement, par une symétrie spéculaire : il nous faut imaginer un miroir, non pas  vertical comme celui de la courtisane, mais horizontal comme l’eau pure, qui transformerait sa main gauche en main droite.


Caravaggio-Narcisse

Narcisse, Caravage, vers 1597-1599, Galerie nationale d’art ancien, Rome

Comme dans cet autre tableau spéculaire, réalisé à la même période.


[1] Il s’agit d’un « sponzarol » (en dialecte vénitien) : l’éponge servait au maquillage et au démaquillage. Cet accessoire de coquetterie préfigure, avant la conversion, la pyxide en albâtre qui deviendra l’attribut de Marie-Madeleine (pour rappeler l’huile avec laquelle elle avait oint les pieds de Jésus dans la maison de Simon)
[2] La fleur d’oranger, symbole nuptial, associé à l’anneau que Madeleine porte à l’annulaire gauche, tout près du rectangle lumineux, suggèrent que la conversion coïncide avec le mariage mystique de la prostituée avec son rédempteur. Pour une analyse approfondie du tableau, voir The Meaning of Caravaggio’s ‘Conversion of the Magdalen’ , Frederick Cumming, The Burlington Magazine, Vol. 116, No. 859, Special Issue Devoted to Caravaggio and the Caravaggesques (Oct., 1974), http://www.jstor.org/stable/877817


sb-line

Caravaggio-Martha-and-Mary-Magdalene-1598, Detroit Institute of ArtsLa conversion de Madeleine
Caravage, 1597, Institute of Arts, Detroit
Orazio_Gentileschi_--Martha_tadelt_ihre_Schwester_Maria vers 1620Marthe réprimande sa soeur Marie
Orazio Gentileschi, vers 1620,Alte Pinakothek, Munich

 

Vingt ans plus tard,  Gentileschi reprend la composition de Caravage, en modifiant le trajet du regard : montant de gauche à droite jusqu’au miroir  sphérique chez Caravage, il descend ici de Marthe debout à Marie assise jusqu’au miroir carré.

La différence entre les deux soeurs n’est plus traduite par les objets sur la table, mais par le voile qui cache les cheveux de la ménagère, quand ceux de la pécheresse sont splendidement dénoués.

En passant du cercle au carré, le miroir – objet tiers et fenêtre vers le Sacré  chez Caravage, est  devenu terrestre et charnel :  intégré au corps de Marie-Madeleine,  enchâssé dans le cadre des mains en angle droit (l’une  tient le bois, l’autre touche le verre) – il ne montre rien d’autre que Marie-Madeleine…

Orazio_Gentileschi_--Martha_tadelt_ihre_Schwester_Maria vers 1620_miroir

…très précisément son bas-ventre.

Nous sommes ici juste avant la conversion, tandis que Madeleine n’est encore qu’un sexe et qu’un miroir braqué sur ce même sexe, dans un cercle vicieux qui ne demande qu’à se rompre.



Jeune femme à sa toilette ou Vanité

Nicolas Régnier, 1626, Musée des Beaux Arts de Lyon

Nicolas Regnier Jeune femme a sa toilette

Splendide et séducteur, ce tableau  désarçonne les commentaires : trop complexe pour un tableau de charme, trop charmant pour une Vanité (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeune_femme_%C3%A0_sa_toilette_ou_Vanit%C3%A9_%28Nicolas_R%C3%A9gnier%29)

Remarquons néanmoins un détail qui n’est visible que dans le miroir : la fleur blanche d’oranger, symbole traditionnel de pureté, que la belle tient dans sa main gauche… et que le miroir transforme en main droite.


Nicolas Regnier Jeune femme a sa toilette detail
Ajoutons les doigts sans bague, le cou et les oreilles sans perles, le flacon de parfum et le cruche d’eau qui pointe derrière le miroir, encore luxueuse, mais qui sent sa pénitente…

Si Régnier s’est souvenu des leçons de Caravage, alors cette jeune personne avec  un miroir, un peigne et deux mains droites, partage tous les attributs de la Madeleine…


Vaine est la Beauté (Vana est Pulchritudo)

Maître de la Vanité, vers 1700, Collection privéeMaitre de la Vanite vers 1700 VANA EST PULCHRITUDO

Le sablier et la bougie sont deux figures du temps limité. Ici, le sablier est renversé et la bougie en train de s’éteindre : deux figures de la mort qui vient.

Parmi ces objets d’étude austères (grimoires empilés, lunettes, boîte à archives), seul le miroir et le bouquet font  allusion à la Beauté fugitive.


Maitre de la Vanite vers 1700 Haec sola virtus

Haec sola virtus (Ici est la seule vertu)
Maitre de la Vanité vers 1700, Collection privée

Le pendant complète l’explication. La  maxime inscrite sur le papier qui s’échappe du livre précise où se situe la vertu : dans l’étude (la mappemonde céleste, le compas) et non  dans les divertissements (le tabac, les cartes, les dés).

Sans doute faut-il comprendre que le crâne à côté du bouquet est ce qui reste de la Belle qui se contemplait dans le miroir.



Maitre de la Vanité vers 1700 VANA EST PULCHRITUDO miroir
Miroir dont le pouvoir est ici renversant : non seulement la femme-bougie s’éteint, mais la coquetterie  précipite sa chute.


Femme à sa toilette

Gustave Caillebotte, 1873, Collection particulière

Caillebotte_Woman_at_the_dressing_table_1873

Sans craindre le grand écart temporel, sautons jusqu’à cette autre femme à sa toilette, avec sa brosse à cheveux, son broc d’eau et ses flacons de parfum.
Ajuste-t-elle sa jupe, ou est-elle en train se se déshabiller ? Impossible de décider, la scène est totalement réversible.

La perspective en grand angle est d’une exactitude photographique, on peut faire confiance à Caillebotte sur ce point. La ligne d’horizon basse  a pour effet de grandir la femme et la lampe à pétrole  posée sur le marbre de la cheminée. De plus,  le point de vue a été choisi de manière à ce que la   bordure rose du papier-peint apparaisse comme une ligne continue, escamotant l’angle entre les cloisons.

Le miroir est visiblement l’objet d’intérêt principal : sa très forte inclinaison permet de faire apparaître, sur sa gauche, la lampe à pétrole, et sur sa droite le buste de la femme.

Nous nous rendons alors compte que cette femme blanche et noire, mi-déshabillée et mi-habillée,  est une première fois coupée en deux par la bordure rose, qui isole tous les accessoires de la toilette et du sexe sous cette ligne de flottaison.

Et une seconde fois recoupée par le miroir qui, en les fusionnant dans le même cadre, identifie  les deux renflements de la lampe avec la tête et le buste :

cette femme-lampe est  éteinte, qui va peut-être s’allumer.

 


Caillebotte_Woman_at_the_dressing_table_1873 detail

En inclinant cette silhouette, les bras derrière le dos, dans une sorte de prosternation,

le miroir nous montre – pourquoi pas –  une femme qui se repent.


Miroirs mormons

A child’s prayer, Doc Christensen

La Bible posée sous la lampe n’empêche pas la petite fille d’aimer ses poupées. Au mur, l’image du Christ au dessus de celle de l’ange anticipe ce que nous montre le miroir : les poupées se transforment en Jésus au dessus de la petite fille. En sus de ce message déjà chargé, la composition nous gratifie d’une seconde métaphore : la petite fille est le reflet de sa mère.

 

Armor of god Witness for His Name

Doc Christensen

Les missionnaires mormons, hommes ou femmes, n’ont pas besoin de miroir pour se dupliquer. Comme dans la composition précédente, celui-ci a pour fonction de rendre vivante l’image du Christ affichée au mur, transformant le téléphone en épée de chevalier.


Voir la suite dans Le miroir transformant 2 : transfiguration

Le miroir transformant 2 : transfiguration

20 juin 2015
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Abordons maintenant le pouvoir de Transfiguration, par lequel le miroir arrange ou aggrave   la réalité.

Le miroir gratifiant

Supprimer l’outrage

Sirene Breviaire à l usage de Besancon. Rouen, avant 1498Sirène, Bréviaire à l’usage de Besançon, Rouen, avant 1498 halloween-pin-ups-olivia-de-berardinisPinup pour Halloween, Olivia de Berardinis

Associée à la musique, à la vanité et à la coquetterie, la sirène aux longs cheveux a mauvaise réputation. Pourtant qu’est-ce qu’une sirène ? Une pauvre fille qu’on croit séductrice, alors que son peigne compulsif la rassure sur sa féminité et que son miroir lui cache sa moitié inférieure, puissant objet de répulsion.

De même la pin-up ne voit d’elle que son visage, pas la partie dangereuse pour les marins.


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Rehausser la blancheur

Raoux _la-jeune-fille-au-miroirThe Wallace CollectionJeune femme au miroir Jean Raoux, 1720-30,The Wallace collection , Londres raoux_la-jeune-fille-au-miroirJeune femme au miroir
D’après Jean Raoux Collection privée

Le pouvoir blanchissant du miroir avait déjà intéressé  Jean Raoux, ce grand maître des éclairages théâtraux dans les portraits du XVIIIème siècle.

La blancheur de porcelaine était à l’époque l’optimum de la Beauté : le miroir contribue à cet idéal, en forçant le contraste entre la partie inférieure et la partie supérieure du visage.

Ainsi sont mis en valeur les appas et les appétits, tandis que la pensée  reste dans l’ombre.

Le miroir de toilette, porté  dans les bras de la jeune fille au lieu d’être posé sur la table, et dont la forme  galbée fait écho à sa silhouette, est ici plus une confidente qu’un accessoire de coquette.


jean raoux lady at her toilet 1727Femme à sa toilette
Jean Raoux, 1727

Raoux a repris le même tête-à-tête au sein d’une composition plus large, qui lui fait perdre son intimité. Plus de pouvoir transfigurant ici  : le miroir sert à rappeler la jeune femme à ses devoirs en lui faisant voir, derrière elle, son époux en grand uniforme. L’absence du guerrier est suggérée par le bureau vide,  la  lettre reçue et les deux montres qui, comme les  deux coeurs, battent toujours à l’unisson.

Le miroir-rétroviseur, par lequel le seigneur et maître  garde l’oeil  sur la toilette de sa femme, illustre cette grande hantise des nobles au XVIIIème siècle : que la voie des honneurs publiques mène à celle du déshonneur privé.


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Gratifier la petite fille

 
Premier sentiment de coquetterie, 1804 Pauline-auzou
Pauline Auzou,1804, Collection privée

Sur la cheminée sont posés, à hauteur de sécurité,  des objets pour grandes personnes, hommes et femmes : une bouteille de liqueur, un verre vide, un coussin pour épingles à cheveux.

La petite fille, ceinte d’un collier de perles trop long, prend appui du bout des orteils sur un tabouret de velours rouge : elle atteint ainsi tout juste le miroir de toilette , qu’elle incline  pour s’admirer.

On peut se demander si la scène de genre charmante ne  cache pas une leçon de morale. Car  en faisant basculer le miroir,  la petite fille, comme piégée par la cheminée, voit son visage enfantin nimbé de flammes et sa croupe menacée par ces compagnons dangereux que sont la pince et le  pique-feu.

Ici le message gratifiant se double d’un  avertissement.


Julius Hare Dressing up 1885

Costumée (« Dressing up »)
Julius Hare, 1885, Collection privée

 Cette  très jeune fille a emprunté la robe, le chapeau à plume d’autruche et la houpette à poudre de sa mère, pour un relooking adulte. Elle est saisie non pas au moment où elle se poudre dans le miroir, mais au moment où elle nous prend à témoin de sa transformation.

Comme chez Raoux, le spot du miroir surajoute sa lumière blanche à la blancheur de la poudre.


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Gratifier l’animal

grandville Se regardant dans la glace, il se trouve joli garcon, dans Les Aventures d'un papillon 1842Se regardant dans la glace, il se trouve joli garcon,
Grandville,Les Aventures d’un papillon 1842
Gailuron rit de se voir si beau en ce miroirGailuron rit de se voir si beau en ce miroir, Gotlib, 1976
duck mirror swan painting birdreflection-Andrea Cullen 571487e94e6eaaf32783d717aa728df9

 

Le miroir inversant

Parfois le miroir ne se contente pas d’inverser la gauche et la droite.

Paul-Delvaux Le Miroir 1936 Collection privee

Le miroir
Delvaux, 1936, Collection Privée

Le miroir transforme :

  • l’intérieur en extérieur,
  • la lumière artificielle en lumière solaire,
  • les motifs alignés du papier-peint en rangées d’arbres,
  • la  décrépitude en sérénité,
  • l’habit corseté en nudité.

Toutes transformations positives et libératrices. Mais malgré l’alibi théorique, le  miroir dénudant  de Delvaux est le rêve du voyeur, surtout gratifiant pour le spectateur.

Imaginons la transformation inverse (la femme habillée dans le miroir, la femme nue dans la pièce) :  un miroir costumant traduirait plutôt le point de vue subjectif du modèle sur sa propre apparence.


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eric-gill-artist-and-mirror-i-1932

Artiste et miroir, Eric Gall, 1932

Un miroir qui inverse les sexes.


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 Max Beckmann

Max Beckmann vers 1920 Garderobe

Garderobe, Max Beckmann, vers 1920

En première lecture,  le miroir, d’une manière mystérieuse, semble ici aussi inverser les sexes. A mieux y regarder, on constate que les deux acteurs, homme et femme, sont assis tête-bêche, chacun se maquillant dans son propre miroir.


Portrait de Mina Beckmann-Tube (1924)Portrait de Mina Beckmann-Tube, 1924

Max Beckmann Nature morte avec deux bougeoirs 1930Nature morte avec deux bougeoirs, 1930

Le miroir transforme en rideau la première femme de Max Beckmann : symbole de l’éternel mystère féminin ? Allusion à sa profession de chanteuse d’opéra ?

La nature morte de droite donne peut être  la clé : le miroir est comme une scène, avec son propre rideau et sa propre logique, qui révèle la nature théâtrale du monde

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BD Rose and Thorn 2004

BD Rose and Thorn, 2004

Le miroir est ici l’instrument qui, dès la couverture, révèle que la good girl Rose, qui habite dans la chambre bien éclairée, se double d’une bad girl, Thorn, qui cache ses  ustensiles dans l’armoire et gite dans une chambre nocturne aux rideaux déchirés.


Le miroir temporel

Un coup d’oeil sur le passé ou l’avenir

Rockwell Retour a la vie civile 1945Retour à la vie civile (Back to Civvies)
Norman Rockwell , couverture du Post, 15 décembre 1945
Norman Rockwell The-Prom-DressLa robe de bal (The Prom Dress)
Norman Rockwell , couverture du Post, 19 mars 1949

A gauche, l’aviateur vient de reposer son sac sous le poster qui le faisait rêver, dans sa chambre d’adolescent  au plafond bas. Il a accompli son désir de hauteur, et  s’amuse de voir si étriqué  le costume de son ancienne vie.

A droite, l’adolescente garçonnière se confronte à une image stupéfiante d’elle-même : ici, la transfiguration instantanée ne s’adresse qu’à la jeune fille, non  au spectateur qui comprend bien, à voir la chambre, tout le chemin qui reste à faire.


Doisneau La Cheminee de Mme Lucer

La Cheminée de Mme Lucerne, Doisneau, 1953

La pendule recto verso sert de pont entre deux images du couple : la photographie de leur mariage et leur reflet d’aujourd’hui. Tandis que la pendule externe marque cinq heures trente, celle au dessus du calendrier des Postes marque cinq heures trente cinq, suggérant que toute leur vie a passé en cinq minutes.

 

Tom Hussey Publicite pour Novartis 2013

Publicité pour Novartis, Tom Hussey  2013

Une autre forme d’inversion temporelle est illustrée dans cette série, dont le principe est de confronter une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer à un acteur qui lui ressemble.


Le miroir critique

Terminons par des transfigurations malicieuses dans lesquelles le miroir se fait grinçant.

Vanité de la Beauté

Sirene se coiffant, Heures dites de Yolande d’Aragon, Maitre de l’Echevinage de Rouen, Rouen, vers 1460, Aix-en-Provence, BM ms. 22, fol. 15Sirène se coiffant, Heures dites de Yolande d’Aragon, Maitre de l’Echevinage de Rouen, Rouen, vers 1460, Aix-en-Provence, BM ms. 22, fol. 15

Il suffit d’un enlumineur un peu plus moralisateur pour que le miroir nous révèle la face noire de la sirène.


1558 Vasari Toilette de Venus Staatsgalerie Stuttgart

Toilette de Vénus
Vasari, 1558, Staatsgalerie, Stuttgart

Tandis qu’elle s’humecte avec une éponge, Vénus contemple dans le miroir son image vieillie. Dans cette allégorie cumulative, Vasari joue sur toute la gamme de la symbolique du miroir, de la Beauté à la Luxure, de la Prudence à la Préscience de la décrépitude, quitte à dégrader la déesse de son statut d’immortelle. Comme le remarque Liana de Girolami Cheney ([1], p 99), la servante qui tient le miroir et le récipient fait écho à celle qui verse de l’eau dans le bassin des colombes. Ainsi les deux oiseaux écervelés, incapables de se reconnaître dans leur reflet, font contraste avec la déesse humanisée, qui se voit telle qu’elle sera.


Opnamedatum:2017-07-26
Allégorie de la richesse, de la luxure et de la bêtise
Jodocus van Winghe, gravure de Raphael Sadeler (I), 1588, Rijksmuseum, Amsterdam

La Richesse voit dans le miroir son véritable visage : celui d’une vieille femme hideuse. Une servante à tête de sanglier sert le vin, une autre portant un perroquet sur le bras (ici symbole de l’ébriété) l’évente avec un éventail (sybole de la flatterie). A l’aute bout de la table, le roi Midas se voit coiffé dun bonnet de fou, par dessus ses oreilles d’âne.


Vanitas. Paolini, Pietro (1603-1682). Oil State Hermitage, St. PetersburgVanitas, Pietro Paolini (1619-29). Ermitage, Saint Petersbourg Angelo Caroselli - La-strega (c.1630)La sorcière (La strega), Angelo Caroselli , vers 1630, Collection Richard et Ulla Dreyfus-Best, Bâle

Dans sa Vanitas, Paolini fait apparaître une vieille femme chauve dans le miroir de la belle femme qui se peigne. La présence incongrue, sur une table de toilette, de la bouteille, du livre ouvert et de l’objet non identifié sur la droite, place la peinture sous le signe de l’étrange et de la magie, qui la rapproche de la Sorcière de son maître Caroselli (sur ce tableau, voir  Le peintre en son miroir : Enigmes visuelles).


Toilette - Frau vor dem Spiegel Ernst Ludwig Kirchner, 1913, Centre Pompidou

La toilette – Femme au miroir (Toilette – Frau vor dem Spiegel)
Ernst Ludwig Kirchner, 1913, Centre Pompidou, Paris

Le miroir renvoie une image de la mélancolie (la main sur la joue) à la jeune femme qui se fait belle : réinterprétation expressionniste de la Vanité au miroir, mais aussi portait psychologique : car la modèle est la compagne de Kirchner, Erna Schilling, une danseuse que le peintre décrit dans  son journal intime comme une fille attirante, mais triste.


Gil ElvgrenPinup  de Gil Elvgren mirror_pinup Women's health magazineIllustration de TAVASKA pour le  Women’s health magazine


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Caricatures

Goya Alguacil gato serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoPolicier et chat (Alguacil e gato) Goya Estudiante rana serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoEtudiante et grenouille (Estudiante e rana)
Goya La tortura del dandy serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoLa torture du dandy Goya Mujer serpiente serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoFemme et serpent (Mujer e serpiente)

Goya, série Reflets dans le miroir (Reflejos en el espejo), 1797-99, Prado


Goya Dandy mono serie Reflejos en el espejo 1797-1799 PradoDandy et singe (Dandy e mono) Goya, série Reflets dans le miroir (Reflejos en el espejo), 1797-99, Prado 1936 Publicité pour Dermo-Plastol, traitement contre le prurit1936, Publicité pour Dermo-Plastol, traitement contre le prurit


Georges Ferdinand Bigot 1887-05-01 Monsieur et Madame vont dans le Monde Tôbaé, journal satirique NYPlMonsieur et Madame vont dans le Monde
Georges Ferdinand Bigot, Tôbaé, journal satirique franco-japonais, 01-05-1887 (NYPl digital)

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magritte 1937 japprendslechinois.over-blogMagritte, 1937 (photo japprendslechinois.over-blog)

Le miroir dénonce l’hitlérisme du parti REX.


Un cas particulier de la transfiguration négative est celle du miroir fatal, dont il existe de multiples exemples : voir – Le miroir fatal.

Voir la suite dans Le miroir transformant 3 : hallucination, transgression

Références :
[1] Liana de Girolami Cheney, « Giorgio Vasari’s The toilet of Venus : Neoplatonic Notion of Female Beauty » dans « Neoplatonism and Western Aesthetics » https://books.google.fr/books?id=oMfK6WehjjwC&pg=PA106&lpg=PA99&dq=Giogio+Vasari%27s+The+Toilet+of+Venus:+Neoplatonic+Notion+of+Female+Beauty#v=onepage&q=Giogio%20Vasari’s%20The%20Toilet%20of%20Venus%3A%20Neoplatonic%20Notion%20of%20Female%20Beauty&f=false

Le miroir transformant 3 : hallucination

20 juin 2015
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Parfois, le miroir se déconnecte de la réalité,  et fait surgir une hallucination.

 

 

L’auteur revant de la Jerusalem celeste, Guillaume de Digulleville, Le Pelerinage de Vie humaine, Paris, v. 1404, Paris, BnF ms. fr. 829, fol 1vers 1404, BnF ms. fr. 829, fol 1, Gallica le pelerinage de la vie humaine Guillaume de Digulleville 1475-1500 Soissons - BM - ms. 0208 (f. 001 IRHT1475-1500 Soissons – BM – ms. 0208 fol 1 IRHT

Le pélerinage de la vie humaine, Guillaume de Digulleville,Paris, 

Durant son sommeil, le moine Guillaume de Digulleville a vu la Jérusalem Céleste lui apparaître dans un miroir, comme il l’explique dès le début du récit :

Avis m’ert si com dormoie
Que je pelerins estoie
Qui d’aler estoie excité
En Jherusalem la cité.

En un mirour, ce me sembloit,
Qui sanz mesure grans estoit
Celle cite aparceue
Avoie de loing et veue.


Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in BaltimoreRêverie (Daydreams)
Thomas Couture, 1859,
Walters Art Museum in Baltimore
Thomas Couture 1859 Les bulles de savon METLes bulles de savon (soap bubbles)
Thomas Couture, 1859,
MET, New York

Réalisées la même année, ces deux Vanités  confrontent la beauté d’un jeune garçon avec la fugacité  des enfantillages  (les bulles de savon), la robustesse de l’étude (les livres de classe liés, le cartable accroché au fauteuil), et la gloire (la couronne de feuilles pendue au clou).

Avec pratiquement les mêmes éléments visuels, les deux versions fonctionnent, grâce au miroir, de manière  totalement antagoniste.


Rêverie

Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore pocheThomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore bandoulière

Le mur qui s’écaille, le tiroir qui baille, la poche décousue, la bandoulière rafistolée avec une ficelle,  dénoncent l’ambiance de négligence dans laquelle vit ce galopin.



Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore miroir
Confirmée par cette  sentence comminatoire : « Le Paresseux indigne de vivre ».  Mais contrairement à ce que disent  les commentateurs, le papier n’est pas coincé dans le cadre : c’est bel et bien un reflet, puisqu’il est traversé par la fissure en diagonale.

Un reflet impossible, calligraphié à l’endroit d’une belle écriture d’écolier,

le reflet d’un papier qui n’existe pas.

Sauf  dans la rêverie du beau blond : peut-être  la sentence apprise en classe vient-elle le hanter dans son sommeil de feignant ? (remarquer l’analogie entre le miroir et une ardoise).


Bulles de Savon

Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET miroir

Dans Les Bulles de Savon, on lit sur le papier « Immortalité de l’un », la seconde ligne est  illisible, peut être délibérément.  Ici, impossible de décider si le papier est sur ou dans le miroir. Un reflet de lumière triangulaire vient, derrière la mousse du verre, mettre en valeur le mot « mortalité ».

Le beau brun est un philosophe en herbe, qui médite sur l’éclatement des bulles et la chute  inéluctable de la toupie.

Le miroir nous donne à voir sa pensée, encore fixée sur la mortalité, laissant dans l’ombre le préfixe.


Les deux garçons, le blond et le brun, sont deux figures antagonistes  : l’indignité de vivre de l’un fait contraste avec l’immortalité de l’autre. Et leurs couronnes, qui ne sont pas de laurier, ne sont clairement pas de la même feuille.


Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore couronne Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET couronne lierre
Thomas Couture 1859 Daydreams Walters Art Museum in Baltimore couronne feuilles pommier Thomas Couture 1859 Les bulles de savon MET couronne lierre feuille

On aimerait que la couronne de l’un soit faite de feuilles de pommier (la paresse est un péché capital),

et celle de l’autre de lierre (le symbole de l’immortalité).

http://www.metmuseum.org/collection/the-collection-online/search/436030
http://art.thewalters.org/detail/12349/daydreams/


Vanitas

Leo Putz, 1896, Collection privée

Leo Putz Vanitas, 1896

Au dessus de la fille allongée flotte un miroir ou un bouclier circulaire, qu’escaladent des femmes nues pour aller décrocher la lune.

Le visage effrayant est-il celui du destin fatal qui, comme dans toute Vanité, menace la beauté des filles, et  auquel celle-ci tente d’échapper en mettant sa main devant ses yeux ? Est-il le cauchemar de la dormeuse ? Ou bien – puisque celle-ci nous dissimule sa face – est-il le véritable visage de cette rousse incendiaire, que le miroir durant son sommeil nous révèle  ?

 


Somov

Konstantin Somov Magie 1898–1902

Enchantement
Constantin Somov, 1898–1902, gouache, Musée d’Etat de Russie, Saint-Pétersbourg

Cette fée vénéneuse en robe à paniers officie entre deux colonnes : l’une porte un philtre fumant, l’autre un esclave nu tenant un  miroir. On y voit le destin des jeunes gens qui, à l’arrière-plan, flirtent sur la pelouse : l’enchantement amoureux, une étreinte au milieu des flammes.


konstantin-somov enchantress 1915

L’enchanteresse
Constantin Somov, 1915

Un crapaud dans le calice, un diable nu qui soutient le miroir dans le dos de l’enchanteresse, toujours entre deux colonnes :  Somov s’autocite dans ce pendant nocturne réalisé quinze ans plus tard, où le miroir  transforme la fumée en une orgie ardente.

 


Le miroir paradoxal

Escher 1934

Nature morte au miroir,
Escher, lithographie, 1934
 

Exploitant son homologie avec un cadre, Escher donne au miroir le pouvoir de faire advenir l’extérieur dans l’intérieur. Trois objets attestent qu’il s’agit bien d’un reflet, et non d’une image encadrée :

  • deux objets prosaïques :
    • la brosse à dents avec son tube de dentifrice PIM,
    • la corbeille suspendue avec son éponge ;
  • un objet sacré, l’image pieuse de Saint Antoine de Padoue avec ses « orazione », qu’il serait presque possible de déchiffrer sur le verso.

 

Butterfly on Shining White Teeth Advert Toothpaste Xsb791 SANT ANTONIO DI PADOVA num. 82

Avec ses objets de toilette (la boîte de cirage, le flacon de parfum, le peigne fiché dans la brosse), la table nous montre le quotidien du voyageur. Avec son unique bougie posée sur le napperon de dentelle, elle nous parle d’une célébration.


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dino valls MAnANA SERa NUNCA (1986)Demain sera Jamais (Manana sera Nunca), 1986 Dino Valls incubo 1992Incube, 1992

Dino Valls

A gauche, le miroir montre le futur désiré. A droite, le tableau d’ancêtre se transforme en un faux miroir qui propulse dans le réel un double somnambulique. 


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Jan De Maesschalck 1998 1998 Jan De Maesschalck 1

Jan De Maesschalck

A gauche, la vitre du train fait apparaître un livre que la voyageuse tente de déchiffrer. A droite, la vitre fait au contraire disparaître la voyageuse, mais conserve le journal que lit un voyageur caché.


Jan De Maesschalck 2

Toujours associé à la lecture, on pourrait croire que le miroir montre ici son avenir à la jeune femme. Mais les pièces de part et d’autre étant dissemblables, on peut aussi comprendre qu’il s’agit de deux femmes qui se ressemblent, de part et d’autre d’une vitre.


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Steven J. Levin

Cet artiste met en scène des dispositifs de duplication qui font semblant de créer un effet hallucinatoire tout en restant parfaitement réalistes.

Steven J. Levin Coming and GoingComing and Going Metamorphosis Steven J. LevinMetamorphosis

Une porte-tambour transforme une vue de face en vue de dos, et un super-héros en homme normal.


Steven J. Levin The Metro NorthThe Metro North Steven J. Levin Quiet_Restaurant_Quiet Restaurant

A gauche les deux guichets transforment une femme en homme. A droite la vitrine du restaurant mime un miroir révélant un couple fantôme.


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Genevieve Dael

 

Genevieve Dael Reflet ImprobableReflet Improbable Genevieve Dael Reflet InterieurReflet Intérieur

Le reflet révèle une femme vue de dos qui regarde par la fenêtre, comme dans les intérieurs danois énigmatiques de Hammershøi ou Horsoe.

Dans le tableau de droite, le miroir, non content de faire apparaître le fantôme, déforme les lignes des carreaux et escamote le poêle.


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Photo de nirrimi joy hakanson (Pretty_as_a_picture)

Photo de nirrimi joy hakanson (Pretty as a picture)

Saisir, ou être saisie ?


Le miroir d’Halloween

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En regardant dans un miroir à minuit pile, à la lumière d’une bougie, les jeunes filles pouvaient entrevoir l’image de leur futur mari.


LadyCandlePostcard pumpkinmirrorpc

Attention pourtant : ne pas se retourner, sinon il peut se passer des choses !


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Bien sûr la satisfaction n’était pas garantie dans tous les cas…

Sur ces cartes postales d’Halloween, voir  http://theskullpumpkin.blogspot.fr/2011_03_01_archive.html.


Le miroir trans-temporel

Appliqué à la lettre, ce thème produit un effet de naïveté qui le rend impropre à la composition courante.  Paula Vaugham l’a néanmoins exploité dans tous les sens :

  • sens rétrospectif...
Paula Vaughan Through A Mother s EyesThrough A Mother’s Eyes Paula Vaughan Through A Father s EyesThrough A Father’s Eyes
Paula Vaughan Through A Mother's Eyes IIThrough A Mother’s Eyes II Paula Vaughan Mama s Little GirlMama s Little Girl

 


…et sens prospectif.

Paula Vaughan May I Have This DanceMay I Have This Dance Paula Vaughan Beautiful DreamerBeautiful Dreamer
Paula Vaughan Nutcracker SuiteNutcracker Suite  


Le miroir faustien

Dans la tragédie de Goethe (1808), deux scènes ont comme accessoire un miroir :

faust-by-goethe-with-illustrations-by-willy-pogany-Boston Dana Estes & Company, 1908 miroirLe miroir magique dans la cuisine faust-by-goethe-with-illustrations-by-willy-pogany-Boston Dana Estes & Company, 1908.Gretschen devant le miroir

Faust de Goethe, illustrations de Willy Pogany, Boston Dana Estes & Company, 1908

Dans la cuisine de la sorcière, un singe, une guenon et leurs petits veillent sur une marmite où cuit un étrange breuvage. Faust doute de pouvoir rajeunir dans ce lieu répugnant. En attendant la sorcière absente, Faust regarde dans un miroir :

Que vois-je ? Quelle céleste image se montre en ce miroir enchanté ? … la plus belle image d’une femme !

Dans sa chambre, Greschen passe le collier laissé par Faust, et d’admire dans le miroir.

L’image – hallucinée ou réelle – que renvoie le miroir est dans les deux cas incomplète : Faust ne sait pas que la femme qu’il va rencontrer est Gretschen, et Gretschen ne sait pas que le collier est un cadeau de Faust.

Richard Roland Holst Plakat für Goethes Faust 1918Richard Roland Holst, affiche pour le Faust de Goethe, 1918 Vanity fair septembre 1923 Illustration de Hogarth, jr pour The Pact de Rockwell KentIllustration de Hogarth Jr pour The Pact de Rockwell Kent, Vanity fair, septembre 1923

Dans le premier cas, l’image est une pure hallucination, dans le second le reflet rationnel de la marionnette.


faust murnau 1926 2 Gretschen dans la cathedraleGretschen à la sortie de la cathédrale faust murnau 1926 3 Gretschen à sa fenêtreGrestschen à sa fenêtre

Faust, Murnau, 1926

Dans le film de Murnau, Faust rencontre Grestschen deux fois :

  • une première fois intentionnellement, en l’attendant à la sortie de la messe de Pâques,
  • une seconde fois par hasard, en passant devant sa fenêtre.


Faust Murnau 1926 affiche 1 Faust Murnau 1926 affiche 2

L’affiche américaine reprend la sortie de la cathédrale, mais en en faussant le sens : car loin de désigner Gretschen à Faust, Méphisto est dans le film hostile à leur amour et impuissant à l’empêcher.

L’affiche allemande va encore plus loin en montrant la scène du miroir magique, qui ne figure pas dans le film.

Dans les deux cas, l’illustration privilégie un message simpliste : la belle fille est un cadeau du diable.


scene-from-faust-by-gounod-The vision of Marguerite as staged at Covent Garden in 1864Représentation à Covent Garden, 1864 1892 Liebig Scene from Faust an opera by Charles GounodPublicité pour la sauce à la viande Liebig, 1892

La vision de Marguerite

A noter que dans l’opéra de Gounod, Marguerite n’apparaît pas dans un miroir, mais dans un effet spécial plus visible pour le spectateur.

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