1 Prémisses
Ces trois articles sont consacrés aux Résurrections dans lesquelles la tombe du Christ est montrée ostensiblement fermée, de manière à suggérer la traversée miraculeuse de la dalle.
Le premier article étudie les prémisses de cette idée, avant que ne se développe pleinement l’iconographie typiquement germanique de la dalle perméable (à partir de 1437).
Article précédent : Deux Résurrections atypiques
Un précurseur lointain : la Résurrection du Missel de Stammheim
Résurrection
Vers 1170, Miissiel de Stammheim (Hildesheim), Getty Museum, MS. 64, fol. 111
Cette composition cruciforme comporte, aux angles, quatre scènes de l’Ancien Testament liés typologiquement à la Résurrection :
- Élisée ressuscitant le fils de la Sunamite (2 Rois 4:8-36) ;
- Samson enlevant les portes de Gaza (Juges 16 :3) ;
- David tuant Goliath (1 Rois 17:51) ;
- Benaiah tuant le lion [1] (2 Samuel 23 :20) ;
Le registre médian
Le registre médian suit l’iconographie ancienne de la Résurrection :
- à gauche le soldats endormis
- au centre l’ange accueillant les deux saintes femmes ;
- à droite Isaïe pointant du doigt le tombeau vide et disant « son tombeau sera glorieux » (Isaïe 11:10).
On comprend que cette formule inclut obligatoirement la cuve vide, avec son couvercle déplacé sur lequel l’ange est assis :
« Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus ». Matthieu 28,2
Malgré le texte de Mathieu, l’art occidental représente très rarement la pierre roulée (voir Deux Résurrections atypiques), et lui préfère la dalle décalée ou brisée.
Le bas et le haut
Les montants verticaux de la croix montrent :
- en bas le phénix renaissant de ses cendres le troisième jour, prêt à s’envoler vers sa patrie [2] ;
- en haut, le Christ traversant la coupole pour retourner vers son Père, avec un dialogue extrait du psaume 57,8 : « Réveille-toi, mon âme…. Je me réveillerai à l’aube ».
On voit que cette traversée tout à fait exceptionnelle résulte de la composition d’ensemble :
- analogie verticale avec l’envol du phénix ;
- analogie horizontale avec deux scènes miraculeuses, qui évoquent les deux parties du dialogue :
- le réveil du fils de la Sulamite ;
- Samson en pleine puissance (matérialisée par ses cheveux), quittant sa prison à minuit.
La porte .de Gaza défoncée, avec son cadre bleu clair et son fond rouge, fait écho au sarcophage décapoté.
En Italie
Impossible dans l‘iconographie ancienne de la Résurrection, la formule de la tombe fermée va devenir possible dans l’iconographie moderne, où l’ange et les saintes femmes sont supprimés, laissant les soldat seuls face au Christ [3] . Elle restera néanmoins extrêmement minoritaire par rapport à la représentation canonique, où le sarcophage est béant.
Le Christ en lévitation
Colla madre del be(ato gaudiamo), Feuille d’un Laudario de la Compagnia di Sant’ Agnese, Florence
1330-1340 , Fizwilliam Museum, MS 194
Cette page superpose les deux formules de la Résurrection :
- en bas l’ancienne, avec le tombeau ouvert, les saintes femmes et l’ange assis ;
- en haut la moderne, avec le tombeau fermé et le Christ lévitant, dans une mandorle rayonnante aspirée par le firmament.
Ce débordement remarquable permet de caser le Christ debout dans un format horizontal (voir 8 Débordements gothiques : quelques cas locaux).
![]() |
![]() |
---|
L’opposition entre les deux scènes et les deux tombeaux n’a rien de systématique :
- à gauche, ils sont tous les deux ouverts ;
- à droite, seule la formule moderne est conservée, répartie sur les deux compartiments de la lettre.
![]() |
![]() |
---|
Résurrection
Autant le Christ en lévitation au dessus du tombeau ouvert est fréquent en Italie, autant la formule avec tombeau fermé est rare. Tandis qu’un couvercle pivoté ou renversé ouvrait des possibilités graphiques innombrables, le formule fermée pouvait passer pour une solution de facilité. Aussi fallait-il l’agrémenter d’un détail pittoresque :
- dans le premier cas, couvercle en bâtière vu de biais (comme le montent les six motifs du flanc) ;
- dans le second, scellement par des lanières.
Le pied sur la margelle (SCOOP !)
Résurrection
Ugolino di Nerio, 1324-25, National Gallery
La formule où le Ressuscité sort du tombeau en prenant appui d’un pied sur la margelle est courante en Italie.
Résurrection
Lorenzo Veneziano, 1371, Pinacothèque du Château Sforza, Milan
Lorenzo Veneziano lui donne une tonalité toute vénitienne, en couvrant le Christ d’une robe rouge et or, ouverte pour montrer la plaie du flanc, et dont la somptuosité rivalise avec le pourpre du marbre. Les soldats sont tous endormis, sauf un qui se cache les yeux, ébloui par le rayonnement. Deux monts déchiquetées flanquent les bords, l’un portant une ville forte (Jérusalem), l’autre abritant la grotte du sépulcre.
![]() |
![]() |
![]() |
---|
Trittico della Seta
Le panneau constituait la partie centrale d’un triptyque réalisé pour l’Office de la Soie, ce qui peut expliquer le luxe des tissus, y compris pour les panneaux latéraux :
- du côté de la ville, et de la main qui bénit, est placé Saint Pierre avec ses clés, tenant un rotulus fermé ;
- du côté du sépulcre et de l’étendard victorieux est placé Saint Marc tenant ouvert son Evangile à la page de la Résurrection (Marc 16,1-7).
On voit que la composition équilibre subtilement la puissance papale et la puissance vénitienne.
La comparaison avec la cuve ouverte d’Ugolino di Nerio rend évidente une autre subtilité qui n’a pas été relevée : tandis que le tissu rouge et le tissu blanc se replient à droite en se posant sur la margelle, le tissu blanc tombe verticalement sur la gauche. On pourrait à la rigueur imaginer que le bord intérieur de la margelle (ligne pointillé) est masqué entièrement par les tissus : reste que la margelle serait beaucoup trop large pour laisser un vide central suffisant, et de plus son bord arrière est manquant (ligne rouge).
Compte-tenu du caractère très ambitieux de la composition, la maladresse est exclue : c’est donc bien intentionnellement que Lorenzo Veneziano, pour la seule et unique fois en Italie, à représenté le Ressuscité émergeant directement de la pierre.
Autres Résurrections italiennes avec tombe fermée
Livre de prières (Milan), Michelino da Besozzo, vers 1430, Morgan library MS M.944 fol 26v.
Le Christ est ici perché sur un sarcophage en bâtière, sans couvercle et avec chargement frontal. L’ouverture est obturée par un rocher brut, scellée par trois bouts de papier tenus par des points de cire.
Résurrection
Antonio Vivarini et atelier, 1430-35, Polyptyque de la Passionne, Ca d’Oro, Venise
On trouve ici le même type de sarcophage, sans pommes de pins, et avec quatre bouts de papier et quatre points de cire. Le sigle SPQR, le scorpion et l’aigle sont des symboles péjoratifs qui apparaissent couramment sur les écus ou les oriflammes des soldats païens [4]. Leur position couchée de part et d’autre du Christ triomphant et l’association entre un animal venimeux et un oiseau monstreux font ici probablement allusion à la victoire du Christ sur le mal :
» Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic » Psaumes 91:13 .
Montée au calvaire
Giovanni Boccati, 1446-47 Galleria Nazionale dell’Umbria, Pérouse
On retrouve en tout cas l’association basilic-scorpion en tête de ce cortège tragique.
Résurrection (prédelle du Polittico della Passione)
Maestro dell’Osservanza (Sano di Pietro), vers 1440, Detroit Institute of Arts
Autre résurrection tout à fait extraordinaire avec ce Christ s’échappant sur un nuage dans une mandorle rayonnante : peu après le coucher du soleil, au milieu d’un paysage noir, la puissante lumière aveugle les soldats et projette sur la colline l’ombre du tombeau intact.
En Catalogne
![]() |
![]() |
---|
Résurrection, Pere Nicolau
Ces deux compositions proposent deux solutions bien différentes quant à la sortie du tombeau fermé :
- dans la première, le Christ est simplement posé dessus, sur le biais incurvé du couvercle en bâtière assujetti par six sceaux ;
- dans la seconde, il flotte en avant du tombeau parallélépipédique, dans une mandorle noire soutenue par deux anges.
![]() |
![]() |
---|
Résurrection (Retable de Verdú), Jaume Ferrer II , 1432-34, Musée épiscopal de Vic
Jaume Ferrer II retient une solution étrange : il supprime les anges et pose la pointe de la mandorle sur le couvercle plat, vers l’avant. Cependant, le pommeau de l’épée du garde situé à l’arrière masque la mandorle, en faisant un objet optiquement impossible.
Retaule de la Verge dels Paers
Jaume Ferrer II,1451-54, Paeria de Lleida
Dans cette version tardive par le même peintre, l’influence du réalisme flamand a fait son chemin, et gommé le surnaturel : le Christ est campé sur le sarcophage tel Sartre sur son bidon à Billancourt, son sang dégoulinant sur la pierre.
A Avignon
![]() |
![]() |
---|
On a attribué à cet enlumineur avignonnais, actif à la fin du XIVème siècle, une série de manuscrits, dont certains comportent une Résurrection [5]. Ces deux initiales R montrent un Christ debout ou montant sur le tombeau fermé. On remarquera dans le premier cas que le sarcophage est construit en perspective inversée (le point de fuite en avant).
![]() |
![]() |
---|
Livre d’Heures (Avignon) , Jean de Toulouse (Atelier), 1390-95, Spencer 49 II, New York Public Library
Dans ce bifolium pleine page très exceptionnel, la figure du Christ faisant un pas en avant a été utilisée pour la Descente aux Limbes.
Pour la Résurrection, un Christ debout sur le tombeau aurait créé une disproportion de taille : l’enlumineur a donc inventé cette posture très inhabituelle d’un Christ à genoux sur la dalle, se retournant vers le seul soldat réveillé (qui fait le geste de l’éblouissement). Deux grands rubans noirs masqués par le vêtement barrent la route à l’idée que la jambe gauche cachée pourrait être prise dans la pierre : ces scellés très voyants sont à mon avis la preuve que le dessinateur était conscient de l’ambiguïté graphique quant à la perméabilité de la dalle, et a cherché à l’éviter.
Livre d’Heures (Avignon)
Jean de Toulouse (Atelier), 1380-1400, Harley 2979 fol 94v
Cette miniature tout à fait unique dénote le choix inverse : l’arrière de la robe tombe droit et le scellé a été supprimé (on devine encore sa trace). Ne sachant trop comment traiter l’émersion hors de la pierre, l’illustrateur a tracé une sorte de fente tout près du bord, par où se faufile un Christ bidimensionnel.
L’habitude très particulière du tombeau fermé, vu en perspective inversée, a conduit l’atelier de Jean de Toulouse à différentes expérimentations, dont une au moins a voulu développer l’idée du Christ traversant la pierre, mais avec des moyens graphiques insuffisants.
Dans les pays germaniques
A Cologne
![]() |
![]() |
---|
La similitude des deux compositions plaide sur une influence de Conrad von Soest, de Dortmund, sur le Maitre de Sainte Véronique, un des artistes marquants de l’école colonaise du début du XVème siècle. Ce dernier a inversé certaines parties de la composition : le tombeau en biais, la jambe gauche du Christ tendue à l’extérieur, les bras croisés du soldat du premier plan. Mais tandis que Conrad von Soest montrait la dalle pivotée, le Maitre de Sainte Véronique l’a supprimée, de manière à gagner de la place dans le format étroit du volet d’un triptyque [6], et à caser le troisième soldat. Mais n’osant pas la suppirmer complètement, il a conservé une demi-dalle à l’arrière-plan, pour que le soldat du fond puisse y poser ses coudes.
![]() |
![]() |
---|
C’est un élève du Maître de Sainte Véronique qui fit le pas décisif, en refermant la dalle sur la gauche. La solution est un compromis :
- le manteau repose sur la dalle, comme le montre le revers retourné à l’extrémité gauche ;
- la jambe invisible ne peut être repliée sous le manteau (le genou droit devrait être au niveau du bord, comme le genou gauche).
C’est donc par pure déduction qu’on comprend qu’elle est encore prise dans la pierre, tandis que le manteau a totalement émergé : on en arrive ainsi à la conception purement théorique d’une dalle perméable à la chair divine, mais imperméable au tissu.
![]() |
![]() |
---|
Heures à l’usage de Cologne, Peintre colonais travaillant à Avignon, 1400-20, Avignon, BM, 0208 IRHT
Cet illustrateur a bien vu la difficulté : en reculant le corps, il laisse suffisamment de place au genou droit pour se poser sur la dalle. On notera l’influence de Jean de Toulouse :
dans la perspetive inversée du tombeau ;
- dans le geste du Christ se retournant vers le soldat qui se protège les yeux ;
- dans le choix de la Résurrection avec tombeau fermé, qui crée ici un contraste marqué avec la miniature précédente, celle de la Mise au Tombeau.
Ce contraste pourrait être une des raisons de l’apparition de cette formule, bien qu’aucun manuscrit conservé de l’atelier de Jean de Toulouse ne présente la même séquence Mise au Tombeau / Résurrection. Par ailleurs, cet artiste prouve l’existence de liens qui ont pu propager, d’Avignon vers Cologne, la formule de la Résurrection avec tombeau fermé.
![]() |
![]() |
---|
1420, Maître de Saint-Laurent, Wallraf-Richartz, Cologne (WRM 0737)
A Cologne, le Maître de Saint-Laurent essaye cette variante, dont l’intention semble être de laisser au spectateur le choix entre les deux options : dalle imperméable ou dalle perméable. L’inclinaison du corps impose un appui du côté droit, mais le tissu masque aussi bien l’appui du genou replié sur la dalle, ou de la jambe tendue sur le fond.
Leben und Leiden Christi in 31 Bildern (détail), Meister der Passionsfolgen, 1430-35, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne
Au final, c’est cette formule indécidable qui s’impose à Cologne, avec un tissu suffisamment couvrant pour offrir les deux possibilités. En masquant le pied posé derrière le soldat, l’artiste a même laissé le choix entre le gauche ou le droit. On notera le couvercle en bâtière et, pour la première fois en Allemagne, l’ajout des scellés rouges, qui étaient omniprésents à Avignon.
A Nuremberg
![]() |
![]() |
---|
On peut facilement, en coupant la figure du Christ à la taille, inverser la diagonale du tombeau.
C’est ce qu’on trouve dans le retable de Deocarus, considéré par Schrade comme un des premiers exemples de dalle perméable en Allemagne : mais on peut tout aussi bien considérer qu’il s’inscrit dans la continuité des expériences menées à Cologne depuis une quinzaine d’années, puisqu’il conserve encore l‘ambiguïté sur la jambe masquée : repliée ou traversante.
En Bohème
Le Christ debout
![]() |
![]() |
---|
Maître de Trebon, retable de Trebon, vers 1380, Galerie nationale, Prague
La Résurrection vient en contrepoint de la Mise au Tombeau, dans deux vues plongeantes très novatrices. La cuve, identique dans les deux vues, se complète d’un couvercle ostensiblement hermétique : bombé, muni de deux anneaux pour le déplacer et scellé aux armes de quatre autorités différentes. Le Christ donne l’impression de descendre de la dalle mais en fait il flotte en avant : seul le bas du manteau prend appui sur la pierre.
Le tombeau fermé donne à la figure du Christ une élongation maximale : c’est donc le choix purement compositionnel d’un artiste exceptionnel, qui ne s’inscrit pas dans une tradition antérieure.
[
![]() |
![]() |
---|---|
![]() |
![]() |
Cette composition frappante aura une grande fortune au siècle suivant, en Bohème et dans les régions avoisinantes.
Speculum humanae salvationis, vers 1420, Prague, Knihovna Národního muzea, III.B.10 fol 36r
Ce dessinateur a même osé faire dépasser le tombeau en avant-plan, dans un des très rares débordements du manuscrit. Ainsi est mise en évidence la valeur symbolique des trois sceaux rouges, qui encadrent les deux blessures sanglantes. Il aurait été facile de les fixer un peu plus bas, sur le joint que l’artiste a omis : placés sur l’arête, ils se transforment en gonds et font de la dalle une sorte de porte horizontale : ainsi est confrontée la sortie miraculeuse du tombeau et la sortie fracassante de Gaza.
Le Christ assis sur le tombeau
Anonyme bohémien, 1380-90, collection particulière (ancienne collection Waldes)
Cette oeuvre bohémienne, contemporaine du retable de Trebon, témoigne d’un autre type de Résurrection présent en Bohème, où le Christ est assis au centre du tombeau (ici fermé), dans une composition très symétrique : deux arbres à l’arrière-plan, et deux soldats au premier plan, l’un endormi et l’autre aveuglé (plus un troisième sur le bord droit).
Fresque du cloître du monastère d’Emmaüs, Prague
Le Christ en robe blanche est ici placé au centre du tombeau ouvert, la jambe droite passant à l’extérieur.
La symétrie est assurée par les deux anges de l’arrière-plan, Ce motif de remplissage se rencontre assez souvent, avec des attitudes variées : anges en adoration (retable de Quedlinburger, 1270), tenant des encensoirs, des cierges, jouant de la harpe ou du violon, soulevant le linceul du Christ (retable de Schotten, 1385) ou déplaçant le couvercle comme ici (quadriptyque d’Anvers Baltimore, 1380).
Volet droit du Triptyque de Garamszentbenedek
Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás), 1427 , Esztergom, Kereszteny Muzeum
Cette composition de très haut niveau, due à un maître hongrois connu par ce seul triptyque, cumule les singularités.
- Le tombeau pourrait être ouvert, puisque le moitié gauche est absente : mais le sceau posé sur le joint nous prouve qu’il est bien fermé.
- Les deux anges tiennent chacun un linge blanc : probablement une allusion aux deux linges, les bandes et le suaire couvrant la tête, qui étaient resté à l’intérieur du tombeau (Jean 20,6-7) : ainsi les anges exhibent ce que nos yeux ne peuvent pas voir sous la pierre.
- La mandorle rayonnante est ici située à l’arrière-plan : alors que dans toutes les oeuvres avec tombeau fermé qui l’utilisent, elle enveloppe le Christ et sert de véhicule à son échappée hors de la pierre. De forme parfaitement circulaire, elle tangente l’auréole de la tête, et fonctionne comme une seconde auréole autour du torse du Christ.
La jambe visible échappe au regard du soldat aveuglé, de même que la plaie presque refermée échappe à la pointe de son épée. La jambe invisible, du côté du soldat endormi, est indubitablement fusionnée avec la pierre.
Dans une étude récente [7], cette singularité a été utilisée comme argument pour une influence de l’école de Nuremberg : or, comme nous l’avons vu, la première oeuvre avec couvercle fermée est le retable de Deocarus en 1437, qui joue encore la double lecture de la jambe manquante : repliée sur la dalle ou prise dedans. Ici toute ambiguïté est exclue : Tomas de Kolozsvar veut nous faire voir que son Christ est encore pris dans la pierre.
Toute l’oeuvre semble imprégné d’une réflexion sur la vision : les anges montrant les linges, et le Christ en train de se matérialiser au dessus de la dalle nous donnent à voir ce dont les soldats dont incapables, l’un parce qu’il est ébloui par le rayonnement et l’autre parce qu’il dort.
D’où la possibilité d’une oeuvre théorique, illustrant la double nature du Christ :
- divine et céleste dans sa partie circulaire,
- humaine et terrestre dans sa partie rectangulaire.
La jambe manquante a pour effet de mettre en exergue la nudité de l’autre jambe, qui est parfois, depuis l’époque gothique, le symbole de l’Humanité du Christ (voir 1 Toucher le pied du Christ : la Vierge à l’Enfant).
Résurrection, 1290, (C) Kloster-Wienhausen, Photo Wolfgang Brandis
En définitive, l’étrangeté de cette nouvelle conception devient toute relative si on la compare, non pas aux représentations picturales de la Résurrection, mais à des groupes sculptés montrant le Christ assis sur un tombeau plein : les conventions de la sculpture justifient le fait que le tombeau ne soit pas évidé, et la jambe manquante ne choque pas : d’autant plus qu’elle concentrait la dévotion des moniales, à l’aplomb de la plaie du flanc et piétinant l’impie, sur le seul pied visible, offert à leurs baisers.
La Résurrection de Tomas de Kolozsvar est ainsi le tout premier témoignage, en peinture, de cette iconographie du Christ unijambiste qui va exploser en Allemagne exactement dix ans plus tard.
Synthèse
Les plus anciens précurseurs de la dalle perméable germanique sont, paradoxalement, méditerranéens :
- en Italie, l’expérimentation très discrète de Lorenzo Veneziano n’a eu aucune fortune,
- en Avignon, les essais sont restés cantonnés à un atelier spécialisé dans les Résurrections avec tombe fermée, celui de Jean de Toulouse.
Le cas d’un artiste de cet atelier ayant travaillé pour Cologne permet d’établir un lien fragile avec l’apparition du motif dans cette ville vers 1420, puis de là à Nuremberg une quinzaine d’années plus tard.
Dans l’état actuel du corpus, la version de Tomas de Kolozsvar en Bohême apparaît comme une invention ex nihilo, tout comme l’avait été celle de Veneziano en Italie.
Article suivant : 2 La dalle perméable
[2] Physiologus latin version Y :
Le troisième jour, on trouvera un grand aigle : et, en s’envolant, il salue le prêtre et se rend à son ancien lieu. |
Tertio die inueniet aquilam magnam: Vet evolans, salutat sacerdotem, et vadit in antiquum locum suum. |
Francesca Manzari, « La miniatura ad Avignone al tempo dei papi, 1310-1410 » https://archive.org/details/laminiaturaadavi0000manz/page/220/mode/2up