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1 Prémisses

11 mars 2025

Ces trois articles sont consacrés aux Résurrections dans lesquelles la tombe du Christ est montrée ostensiblement fermée, de manière à suggérer la traversée miraculeuse de la dalle.

Le premier article étudie les prémisses de cette idée, avant que ne se développe pleinement l’iconographie typiquement germanique de la dalle perméable (à partir de 1437).

Article précédent : Deux Résurrections atypiques



Un précurseur lointain : la Résurrection du Missel de Stammheim

1170 ca stammheim_missal_resurrection Paul Getty Museum, MS. 64, fol. 111Résurrection
Vers 1170, Miissiel de Stammheim (Hildesheim), Getty Museum, MS. 64, fol. 111

Cette composition cruciforme comporte, aux angles, quatre scènes de l’Ancien Testament liés typologiquement à la Résurrection :

  • Élisée ressuscitant le fils de la Sunamite (2 Rois 4:8-36) ;
  • Samson enlevant les portes de Gaza (Juges 16 :3) ;
  • David tuant Goliath (1 Rois 17:51) ;
  • Benaiah tuant le lion [1] (2 Samuel 23 :20) ;

Le registre médian

Le registre médian suit l’iconographie ancienne de la Résurrection :

  • à gauche le soldats endormis
  • au centre l’ange accueillant les deux saintes femmes ;
  • à droite Isaïe pointant du doigt le tombeau vide et disant « son tombeau sera glorieux » (Isaïe 11:10).

On comprend que cette formule inclut obligatoirement la cuve vide, avec son couvercle déplacé sur lequel l’ange est assis :

« Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus ». Matthieu 28,2

Malgré le texte de Mathieu, l’art occidental représente très rarement la pierre roulée (voir Deux Résurrections atypiques), et lui préfère la dalle décalée ou brisée.


Le bas et le haut

Les montants verticaux de la croix montrent :

  • en bas le phénix renaissant de ses cendres le troisième jour, prêt à s’envoler vers sa patrie [2] ;
  • en haut, le Christ traversant la coupole pour retourner vers son Père, avec un dialogue extrait du psaume 57,8 : « Réveille-toi, mon âme…. Je me réveillerai à l’aube ».

On voit que cette traversée tout à fait exceptionnelle résulte de la composition d’ensemble :

  • analogie verticale avec l’envol du phénix ;
  • analogie horizontale avec deux scènes miraculeuses, qui évoquent les deux parties du dialogue :
    • le réveil du fils de la Sulamite ;
    • Samson en pleine puissance (matérialisée par ses cheveux), quittant sa prison à minuit.

La porte .de Gaza défoncée, avec son cadre bleu clair et son fond rouge, fait écho au sarcophage décapoté.


En Italie

Impossible dans l‘iconographie ancienne de la Résurrection, la formule de la tombe fermée va devenir possible dans l’iconographie moderne, où l’ange et les saintes femmes sont supprimés, laissant les soldat seuls face au Christ [3] . Elle restera néanmoins extrêmement minoritaire par rapport à la représentation canonique, où le sarcophage est béant.

Le Christ en lévitation

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Two miniatures from a Laudario, by Pacino di BonaguidaColla madre del be(ato gaudiamo), Feuille d’un Laudario de la Compagnia di Sant’ Agnese, Florence
1330-1340 , Fizwilliam Museum, MS 194

Cette page superpose les deux formules de la Résurrection :

  • en bas l’ancienne, avec le tombeau ouvert, les saintes femmes et l’ange assis ;
  • en haut la moderne, avec le tombeau fermé et le Christ lévitant, dans une mandorle rayonnante aspirée par le firmament.

Ce débordement remarquable permet de caser le Christ debout dans un format horizontal (voir 8 Débordements gothiques : quelques cas locaux).


1388, Fragment de Graduel, Don Simone Camaldolese, Resurrection, coll partFragment de Graduel, Don Simone Camaldolese, 1388, collection particulière 1410 ca Lorenzo_Monaco,_Graduale Corali_3,_Biblioteca_Medicea_Laurenziana,_FirenzeLorenzo Monaco, 1410, Graduel Corali 3, Laurenziana, Florence

L’opposition entre les deux scènes et les deux tombeaux n’a rien de systématique :

  • à gauche, ils sont tous les deux ouverts ;
  • à droite, seule la formule moderne est conservée, répartie sur les deux compartiments de la lettre.

1370 Resurrection - Jacopo da Cione National GalleryJacopo da Cione, 1370, National Gallery 1390-1410 Lorenzo di Niccolò coll part fototeca zeriLorenzo di Niccolò, 1390-1410, collection particulière (fototeca zeri)

Résurrection

Autant le Christ en lévitation au dessus du tombeau ouvert est fréquent en Italie, autant la formule avec tombeau fermé est rare. Tandis qu’un couvercle pivoté ou renversé ouvrait des possibilités graphiques innombrables, le formule fermée pouvait passer pour une solution de facilité. Aussi fallait-il l’agrémenter d’un détail pittoresque :

  • dans le premier cas, couvercle en bâtière vu de biais (comme le montent les six motifs du flanc) ;
  • dans le second, scellement par des lanières.


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Le pied sur la margelle (SCOOP !)

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1324-25. Ugolino_di_Nerio._The_Resurrection.__London National GalleryRésurrection
Ugolino di Nerio, 1324-25, National Gallery

La formule où le Ressuscité sort du tombeau en prenant appui d’un pied sur la margelle est courante en Italie.


1371 Lorenzo Veneziano, Résurrection, Milan, Pinacothèque du Château SforzaRésurrection
Lorenzo Veneziano, 1371, Pinacothèque du Château Sforza, Milan

Lorenzo Veneziano lui donne une tonalité toute vénitienne, en couvrant le Christ d’une robe rouge et or, ouverte pour montrer la plaie du flanc, et dont la somptuosité rivalise avec le pourpre du marbre. Les soldats sont tous endormis, sauf un qui se cache les yeux, ébloui par le rayonnement. Deux monts déchiquetées flanquent les bords, l’un portant une ville forte (Jérusalem), l’autre abritant la grotte du sépulcre.


 

1371 Lorenzo Veneziano, San Pietro trittico della sete Accademia VeniseSaint Pierre, Accademia, Venise 1371 Lorenzo Veneziano, Résurrection, Milan, Pinacothèque du Château SforzaRésurrection, Milan 1371 Lorenzo Veneziano, San Marco trittico della seta Accademia VeniseSaint Marc, Accademia, Venise

Trittico della Seta

Le panneau constituait la partie centrale d’un triptyque réalisé pour l’Office de la Soie, ce qui peut expliquer le luxe des tissus, y compris pour les panneaux latéraux :

  • du côté de la ville, et de la main qui bénit, est placé Saint Pierre avec ses clés, tenant un rotulus fermé ;
  • du côté du sépulcre et de l’étendard victorieux est placé Saint Marc tenant ouvert son Evangile à la page de la Résurrection (Marc 16,1-7).

On voit que la composition équilibre subtilement la puissance papale et la puissance vénitienne.


1371 Lorenzo Veneziano, Résurrection, Milan, Pinacothèque du Château Sforza detail
La comparaison avec la cuve ouverte d’Ugolino di Nerio rend évidente une autre subtilité qui n’a pas été relevée : tandis que le tissu rouge et le tissu blanc se replient à droite en se posant sur la margelle, le tissu blanc tombe verticalement sur la gauche. On pourrait à la rigueur imaginer que le bord intérieur de la margelle (ligne pointillé) est masqué entièrement par les tissus : reste que la margelle serait beaucoup trop large pour laisser un vide central suffisant, et de plus son bord arrière est manquant (ligne rouge).

Compte-tenu du caractère très ambitieux de la composition, la maladresse est exclue : c’est donc bien intentionnellement que Lorenzo Veneziano, pour la seule et unique fois en Italie, à représenté le Ressuscité émergeant directement de la pierre.


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Autres Résurrections italiennes avec tombe fermée

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1430 ca Livre de prières (Milan) Michelino (de' Molinari) da Besozzo. Morgan library MS M.944 fol 26v
Livre de prières (Milan), Michelino da Besozzo, vers 1430, Morgan library MS M.944 fol 26v.

Le Christ est ici perché sur un sarcophage en bâtière, sans couvercle et avec chargement frontal. L’ouverture est obturée par un rocher brut, scellée par trois bouts de papier tenus par des points de cire.


1430-35 Antonio_vivarini_e_aiuti,_polittico_della_passione,_13_resurrezione Ca d'Oro VeniseRésurrection
Antonio Vivarini et atelier, 1430-35, Polyptyque de la Passionne, Ca d’Oro, Venise

On trouve ici le même type de sarcophage, sans pommes de pins, et avec quatre bouts de papier et quatre points de cire. Le sigle SPQR, le scorpion et l’aigle sont des symboles péjoratifs qui apparaissent couramment sur les écus ou les oriflammes des soldats païens [4]. Leur position couchée de part et d’autre du Christ triomphant et l’association entre un animal venimeux et un oiseau monstreux font ici probablement allusion à la victoire du Christ sur le mal :

 » Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic » Psaumes 91:13 .


1446-47 giovanni Boccati Montee au calvaire Galleria Nazionale dell'Umbria PérouseMontée au calvaire
Giovanni Boccati, 1446-47 Galleria Nazionale dell’Umbria, Pérouse

On retrouve en tout cas l’association basilic-scorpion en tête de ce cortège tragique.

1440 ca Maestro dell’Osservanza (Sano di Pietro) prédelle du Polittico della Passione Detroit Institute of ArtsRésurrection (prédelle du Polittico della Passione)
Maestro dell’Osservanza (Sano di Pietro), vers 1440, Detroit Institute of Arts

Autre résurrection tout à fait extraordinaire avec ce Christ s’échappant sur un nuage dans une mandorle rayonnante : peu après le coucher du soleil, au milieu d’un paysage noir, la puissante lumière aveugle les soldats et projette sur la colline l’ombre du tombeau intact.



En Catalogne


1398-Pere-Nicolau-Retablo-de-los-siete-gozos-de-la-Virgen-Maria-museo-bellas-artes-BilbaoRetablo de los siete gozos de la Virgen María, 1398, Museo bellas artes, Bilbao 1404 Pere Nicolau Retaule dels Set Gojos de la Mare de Déu, museo bellas artes valenciaRetaule dels Set Gojos de la Mare de Déu, 1404, Museo bellas artes, Valencia

Résurrection, Pere Nicolau

Ces deux compositions proposent deux solutions bien différentes quant à la sortie du tombeau fermé :

  • dans la première, le Christ est simplement posé dessus, sur le biais incurvé du couvercle en bâtière assujetti par six sceaux ;
  • dans la seconde, il flotte en avant du tombeau parallélépipédique, dans une mandorle noire soutenue par deux anges.

1432-34. Jaume Ferrer II Retable de Verdú, La résurrection Musee Episcopal de Vic 1432-34. Jaume Ferrer II Retable de Verdú, La résurrection Musee Episcopal de Vic detail

Résurrection (Retable de Verdú), Jaume Ferrer II , 1432-34, Musée épiscopal de Vic

Jaume Ferrer II retient une solution étrange : il supprime les anges et pose la pointe de la mandorle sur le couvercle plat, vers l’avant. Cependant, le pommeau de l’épée du garde situé à l’arrière masque la mandorle, en faisant un objet optiquement impossible.


1451-54 Jaume Ferrer II Retaule de la Verge dels Paers Paeria de LleidaRetaule de la Verge dels Paers
Jaume Ferrer II,1451-54, Paeria de Lleida

Dans cette version tardive par le même peintre, l’influence du réalisme flamand a fait son chemin, et gommé le surnaturel : le Christ est campé sur le sarcophage tel Sartre sur son bidon à Billancourt, son sang dégoulinant sur la pierre.



A Avignon


1390 Jean de Toulouse et collaborateur bohémien, Missel de Clement VII BNF Lat 848 fol 160rMissel de Clément VII, Jean de Toulouse et collaborateur bohémien, 1390, BNF Lat 848 fol 160r 1384-1398 Jean de Toulouse Missel (Avignon) Cambrai BM 0150 (146) fol 181vMissel, Jean de Toulouse, 1384-1398, Cambrai BM 0150 (146) fol 181v

On a attribué à cet enlumineur avignonnais, actif à la fin du XIVème siècle, une série de manuscrits, dont certains comportent une Résurrection [5]. Ces deux initiales R montrent un Christ debout ou montant sur le tombeau fermé. On remarquera dans le premier cas que le sarcophage est construit en perspective inversée (le point de fuite en avant).


1390-95 Jean de Toulouse Atelier Livre d'Heures (Avignon) Spencer 49 II, fol. 11v New York Public LibraryRésurrection, fol. 11v 1390-95 Jean de Toulouse Atelier Livre d'Heures (Avignon) Spencer 49 II, fol. 12r New York Public LibraryDescente aux Limbes, fol 12r

Livre d’Heures (Avignon) , Jean de Toulouse (Atelier), 1390-95, Spencer 49 II, New York Public Library

Dans ce bifolium pleine page très exceptionnel, la figure du Christ faisant un pas en avant a été utilisée pour la Descente aux Limbes.

Pour la Résurrection, un Christ debout sur le tombeau aurait créé une disproportion de taille : l’enlumineur a donc inventé cette posture très inhabituelle d’un Christ à genoux sur la dalle, se retournant vers le seul soldat réveillé (qui fait le geste de l’éblouissement). Deux grands rubans noirs masqués par le vêtement barrent la route à l’idée que la jambe gauche cachée pourrait être prise dans la pierre : ces scellés très voyants sont à mon avis la preuve que le dessinateur était conscient de l’ambiguïté graphique quant à la perméabilité de la dalle, et a cherché à l’éviter.


1380-1400 Jean de Toulouse Atelier) Livre d'Heures (Avignon) Harley 2979 fol 94v detailLivre d’Heures (Avignon)
Jean de Toulouse (Atelier), 1380-1400, Harley 2979 fol 94v

Cette miniature tout à fait unique dénote le choix inverse : l’arrière de la robe tombe droit et le scellé a été supprimé (on devine encore sa trace). Ne sachant trop comment traiter l’émersion hors de la pierre, l’illustrateur a tracé une sorte de fente tout près du bord, par où se faufile un Christ bidimensionnel.


L’habitude très particulière du tombeau fermé, vu en perspective inversée, a conduit l’atelier de Jean de Toulouse à différentes expérimentations, dont une au moins a voulu développer l’idée du Christ traversant la pierre, mais avec des moyens graphiques insuffisants.



Dans les pays germaniques

A Cologne

 

1403 Conrad von Soest Wildunger Altars Sankt Nikolaus Kirche, Bad Wildungen INVERSEConrad von Soest, 1403, Wildunger Altars, Sankt Nikolaus Kirche, Bad Wildungen (inversé) 1410 Maitre de Sainte Veronique Trityque volet droit Cologne Museum Boijmans Van Beuningen RotterdamMaitre de Sainte Véronique (Cologne), 1410, Triptyque (volet droit), Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

La similitude des deux compositions plaide sur une influence de Conrad von Soest, de Dortmund, sur le Maitre de Sainte Véronique, un des artistes marquants de l’école colonaise du début du XVème siècle. Ce dernier a inversé certaines parties de la composition : le tombeau en biais, la jambe gauche du Christ tendue à l’extérieur, les bras croisés du soldat du premier plan. Mais tandis que Conrad von Soest montrait la dalle pivotée, le Maitre de Sainte Véronique l’a supprimée, de manière à gagner de la place dans le format étroit du volet d’un triptyque [6], et à caser le troisième soldat. Mais n’osant pas la suppirmer complètement, il a conservé une demi-dalle à l’arrière-plan, pour que le soldat du fond puisse y poser ses coudes.


1410 Maitre de Sainte Veronique Trityque volet droit Cologne Museum Boijmans Van Beuningen Rotterdam1410, Maitre de Sainte Véronique, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam 1415-1430 Maître de Saint-Laurent (Cologne) Wallraf-Richartz, Cologne WRM 00291415-1430, Maître de Saint-Laurent, Wallraf-Richartz, Cologne (WRM 0029)

C’est un élève du Maître de Sainte Véronique qui fit le pas décisif, en refermant la dalle sur la gauche. La solution est un compromis :

  • le manteau repose sur la dalle, comme le montre le revers retourné à l’extrémité gauche ;
  • la jambe invisible ne peut être repliée sous le manteau (le genou droit devrait être au niveau du bord, comme le genou gauche).

C’est donc par pure déduction qu’on comprend qu’elle est encore prise dans la pierre, tandis que le manteau a totalement émergé : on en arrive ainsi à la conception purement théorique d’une dalle perméable à la chair divine, mais imperméable au tissu.


1400-20 Heures à l'usage de Cologne (Cologne) Avignon, BM, 0208 fol 42v IRHTMise au tombeau, fol 42v 1400-20 Heures à l'usage de Cologne (Cologne) Avignon, BM, 0208 fol 43v IRHTRésurrection, fol 43v

Heures à l’usage de Cologne, Peintre colonais travaillant à Avignon, 1400-20, Avignon, BM, 0208 IRHT

Cet illustrateur a bien vu la difficulté : en reculant le corps, il laisse suffisamment de place au genou droit pour se poser sur la dalle. On notera l’influence de Jean de Toulouse :
dans la perspetive inversée du tombeau ;

  • dans le geste du Christ se retournant vers le soldat qui se protège les yeux ;
  • dans le choix de la Résurrection avec tombeau fermé, qui crée ici un contraste marqué avec la miniature précédente, celle de la Mise au Tombeau.

Ce contraste pourrait être une des raisons de l’apparition de cette formule, bien qu’aucun manuscrit conservé de l’atelier de Jean de Toulouse ne présente la même séquence Mise au Tombeau / Résurrection. Par ailleurs, cet artiste prouve l’existence de liens qui ont pu propager, d’Avignon vers Cologne, la formule de la Résurrection avec tombeau fermé.


1420 maitre-de-st-laurent Wallraf-Richartz 1420 maitre-de-st-laurent Wallraf-Richartz WRM 0737 schema

1420, Maître de Saint-Laurent, Wallraf-Richartz, Cologne (WRM 0737)

A Cologne, le Maître de Saint-Laurent essaye cette variante, dont l’intention semble être de laisser au spectateur le choix entre les deux options : dalle imperméable ou dalle perméable. L’inclinaison du corps impose un appui du côté droit, mais le tissu masque aussi bien l’appui du genou replié sur la dalle, ou de la jambe tendue sur le fond.


1430-35 Meister der Passionsfolgen, Leben und Leiden Christi in 31 Bildern, Wallraf-Richartz-Museum Cologne
Leben und Leiden Christi in 31 Bildern (détail), Meister der Passionsfolgen, 1430-35, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne

Au final, c’est cette formule indécidable qui s’impose à Cologne, avec un tissu suffisamment couvrant pour offrir les deux possibilités. En masquant le pied posé derrière le soldat, l’artiste a même laissé le choix entre le gauche ou le droit. On notera le couvercle en bâtière et, pour la première fois en Allemagne, l’ajout des scellés rouges, qui étaient omniprésents à Avignon.


A Nuremberg

1430-35 Meister der Passionsfolgen, Leben und Leiden Christi in 31 Bildern, Wallraf-Richartz-Museum Cologne recomposéMeister der Passionsfolgen, 1430-35 (recomposé) vRetable de Deocarus (volet droit), 1436-37, Eglise Sankt Lorenz, Nuremberg (photo Theo Noll).

On peut facilement, en coupant la figure du Christ à la taille, inverser la diagonale du tombeau.

C’est ce qu’on trouve dans le retable de Deocarus, considéré par Schrade comme un des premiers exemples de dalle perméable en Allemagne : mais on peut tout aussi bien considérer qu’il s’inscrit dans la continuité des expériences menées à Cologne depuis une quinzaine d’années, puisqu’il conserve encore l‘ambiguïté sur la jambe masquée : repliée ou traversante.



En Bohème

Le Christ debout

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1380 ca Mise au tombeau maitre de trebon Galerie nationale PragueMise au Tombeau 1380 ca Resurrection_maitre de trebon Galerie nationale PragueRésurrection

Maître de Trebon, retable de Trebon, vers 1380, Galerie nationale, Prague

La Résurrection vient en contrepoint de la Mise au Tombeau, dans deux vues plongeantes très novatrices. La cuve, identique dans les deux vues, se complète d’un couvercle ostensiblement hermétique : bombé, muni de deux anneaux pour le déplacer et scellé aux armes de quatre autorités différentes. Le Christ donne l’impression de descendre de la dalle mais en fait il flotte en avant : seul le bas du manteau prend appui sur la pierre.

Le tombeau fermé donne à la figure du Christ une élongation maximale : c’est donc le choix purement compositionnel d’un artiste exceptionnel, qui ne s’inscrit pas dans une tradition antérieure.

[

1410-1420, Graduel de České Budějovice, Musée de Bohême du Sud, České BudějoviceGraduel de České Budějovice, 1410-1420, Musée de Bohême du Sud, České Budějovice 1470, Graduel de Kourim, Bibliothèque nationale tchèqueGraduel de Kourim, 1470, Bibliothèque nationale tchèque
1425-35 Österreichische Nationalbibliothek cod. 485 fol. 69v (c) imareal1425-35 Österreichische Nationalbibliothek cod. 485 fol. 69v (c) imareal 1439-42 Chanoine Friedrich Zollner de Langerzenn, , Bibliothèque de l'Abbazzia di Novacella, BolzanoChanoine Friedrich Zollner de Langerzenn, 1439-42, Bibliothèque de l’Abbazzia di Novacella, Bolzano

Cette composition frappante aura une grande fortune au siècle suivant, en Bohème et dans les régions avoisinantes.


1420 ca Speculum humanae salvationis Boheme Prague, Knihovna Národního muzea, III.B.10 fol 36rSpeculum humanae salvationis, vers 1420, Prague, Knihovna Národního muzea, III.B.10 fol 36r

Ce dessinateur a même osé faire dépasser le tombeau en avant-plan, dans un des très rares débordements du manuscrit. Ainsi est mise en évidence la valeur symbolique des trois sceaux rouges, qui encadrent les deux blessures sanglantes. Il aurait été facile de les fixer un peu plus bas, sur le joint que l’artiste a omis : placés sur l’arête, ils se transforment en gonds et font de la dalle une sorte de porte horizontale : ainsi est confrontée la sortie miraculeuse du tombeau et la sortie fracassante de Gaza.


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Le Christ assis sur le tombeau

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1380-90 Bohemian_School_coll part ancienne collection WaldesAnonyme bohémien, 1380-90, collection particulière (ancienne collection Waldes)

Cette oeuvre bohémienne, contemporaine du retable de Trebon, témoigne d’un autre type de Résurrection présent en Bohème, où le Christ est assis au centre du tombeau (ici fermé), dans une composition très symétrique : deux arbres à l’arrière-plan, et deux soldats au premier plan, l’un endormi et l’autre aveuglé (plus un troisième sur le bord droit).


1360 Prag_Emmauskloster_resurrectionFresque du cloître du monastère d’Emmaüs, Prague

Le Christ en robe blanche est ici placé au centre du tombeau ouvert, la jambe droite passant à l’extérieur.

La symétrie est assurée par les deux anges de l’arrière-plan, Ce motif de remplissage se rencontre assez souvent, avec des attitudes variées : anges en adoration (retable de Quedlinburger, 1270), tenant des encensoirs, des cierges, jouant de la harpe ou du violon, soulevant le linceul du Christ (retable de Schotten, 1385) ou déplaçant le couvercle comme ici (quadriptyque d’Anvers Baltimore, 1380).


1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny MuzeumVolet droit du Triptyque de Garamszentbenedek
Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás), 1427 , Esztergom, Kereszteny Muzeum

Cette composition de très haut niveau, due à un maître hongrois connu par ce seul triptyque, cumule les singularités.

  1. Le tombeau pourrait être ouvert, puisque le moitié gauche est absente : mais le sceau posé sur le joint nous prouve qu’il est bien fermé.
  2. Les deux anges tiennent chacun un linge blanc : probablement une allusion aux deux linges, les bandes et le suaire couvrant la tête, qui étaient resté à l’intérieur du tombeau (Jean 20,6-7) : ainsi les anges exhibent ce que nos yeux ne peuvent pas voir sous la pierre.
  3. La mandorle rayonnante est ici située à l’arrière-plan : alors que dans toutes les oeuvres avec tombeau fermé qui l’utilisent, elle enveloppe le Christ et sert de véhicule à son échappée hors de la pierre. De forme parfaitement circulaire, elle tangente l’auréole de la tête, et fonctionne comme une seconde auréole autour du torse du Christ.

1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny Muzeum detail

La jambe visible échappe au regard du soldat aveuglé, de même que la plaie presque refermée échappe à la pointe de son épée. La jambe invisible, du côté du soldat endormi, est indubitablement fusionnée avec la pierre.

Dans une étude récente [7], cette singularité a été utilisée comme argument pour une influence de l’école de Nuremberg : or, comme nous l’avons vu, la première oeuvre avec couvercle fermée est le retable de Deocarus en 1437, qui joue encore la double lecture de la jambe manquante : repliée sur la dalle ou prise dedans. Ici toute ambiguïté est exclue : Tomas de Kolozsvar veut nous faire voir que son Christ est encore pris dans la pierre.


1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny Muzeum schema

Toute l’oeuvre semble imprégné d’une réflexion sur la vision : les anges montrant les linges, et le Christ en train de se matérialiser au dessus de la dalle nous donnent à voir ce dont les soldats dont incapables, l’un parce qu’il est ébloui par le rayonnement et l’autre parce qu’il dort.


D’où la possibilité d’une oeuvre théorique, illustrant la double nature du Christ :

  • divine et céleste dans sa partie circulaire,
  • humaine et terrestre dans sa partie rectangulaire.

La jambe manquante a pour effet de mettre en exergue la nudité de l’autre jambe, qui est parfois, depuis l’époque gothique, le symbole de l’Humanité du Christ (voir 1 Toucher le pied du Christ : la Vierge à l’Enfant).


1290 The-Resurrected-Christ-Photograph-Wolfgang-Brandis-(C) Kloster-WienhausenRésurrection, 1290, (C) Kloster-Wienhausen, Photo Wolfgang Brandis

En définitive, l’étrangeté de cette nouvelle conception devient toute relative si on la compare, non pas aux représentations picturales de la Résurrection, mais à des groupes sculptés montrant le Christ assis sur un tombeau plein : les conventions de la sculpture justifient le fait que le tombeau ne soit pas évidé, et la jambe manquante ne choque pas : d’autant plus qu’elle concentrait la dévotion des moniales, à l’aplomb de la plaie du flanc et piétinant l’impie, sur le seul pied visible, offert à leurs baisers.

La Résurrection de Tomas de Kolozsvar est ainsi le tout premier témoignage, en peinture, de cette iconographie du Christ unijambiste qui va exploser en Allemagne exactement dix ans plus tard.



Synthèse

DallePermeable_PremissesSchema
Les plus anciens précurseurs de la dalle perméable germanique sont, paradoxalement, méditerranéens :

  • en Italie, l’expérimentation très discrète de Lorenzo Veneziano n’a eu aucune fortune,
  • en Avignon, les essais sont restés cantonnés à un atelier spécialisé dans les Résurrections avec tombe fermée, celui de Jean de Toulouse.

Le cas d’un artiste de cet atelier ayant travaillé pour Cologne permet d’établir un lien fragile avec l’apparition du motif dans cette ville vers 1420, puis de là à Nuremberg une quinzaine d’années plus tard.

Dans l’état actuel du corpus, la version de Tomas de Kolozsvar en Bohême apparaît comme une invention ex nihilo, tout comme l’avait été celle de Veneziano en Italie.



Article suivant : 2 La dalle perméable

Références :

[2] Physiologus latin version Y :

Le troisième jour, on trouvera un grand aigle : et, en s’envolant, il salue le prêtre et se rend à son ancien lieu.

Tertio die inueniet aquilam magnam: Vet evolans, salutat sacerdotem, et vadit in antiquum locum suum.

[3] Tandis que la formule ancienne illustre avec précision des textes évangéliques, la formule nouvelle résulte d’une construction progressive, sans source textuelle claire (un peu comme l’appariton un peu plus tardive de l’iconographie de la Mise au Tombeau, voir 1 Les Mises au Tombeau : quelques points d’iconographie). La question de l’apparition de cette formule nouvelle , au milieu du XIIème siècle à Reichenau [3a], a fait l’objet de nombreux travaux et théories. Pour une synthèse récente , voir Lotem Pinchover « Representations of the Resurrection in the Convents of the Luneburg Heath », Master dissertation, 2012 https://www.academia.edu/38712009/Representations_of_the_Resurrection_in_the_Convents_of_the_Luneburg_Heath_Part1
[3a] Franz Rademacher « Zu den frühesten Darstellungen der Auferstehung Christi » Zeitschrift für Kunstgeschichte , 1965, 28. Bd., H. 3 (1965), pp. 195-224 https://www.jstor.org/stable/pdf/1481590.pdf
[4] Jean Louis Schefer « L’Hostie profanée: Histoire d’une fiction théologique » p 23 et ss https://books.google.fr/books?id=eKmbDwAAQBAJ&pg=PA23
[5] Francesca Manzari, « Harley MS. 2979 and the Books of Hours Produced in Avignon by the Workshop of Jean de Toulouse » Electronic British Library Journal 2011  https://bl.iro.bl.uk/downloads/060e0966-40c1-41ed-ab85-fa9b29d98155?locale=en
Francesca Manzari, « La miniatura ad Avignone al tempo dei papi, 1310-1410 » https://archive.org/details/laminiaturaadavi0000manz/page/220/mode/2up
[7] Zsombor Jekely, « Painting at the Court of Emperor Sigismund: the Nuremberg Connections of the Painter Thomas de Coloswar », Acta historiae artium Volume: 58 Pages: 57-83 2017 https://real.mtak.hu/72067/1/170.2017.58.1.3.pdf

2 La dalle perméable

11 mars 2025

Cette iconographie très particulière naît en Bavière en 1437 et se développe au XVème siècle exclusivement dans les régions germaniques, avant de disparaître à tout jamais. Mon point de départ est le livre d’Hubert Schrade consacré à l’Iconographie de la Résurrection, qui a étudié et nommé ce motif sous le vocable durchsteigen (grimper au travers) [8].

Article précédent : 1 Prémisses

L’irruption de la formule (1437)

Multscher

1437 Hans Multscher (Ulm) eglise de Landsberg am Lech Resurrection Wurzacher_Altars Gemäldegalerie BerlinRésurrection (Wurzacher Altar), Multscher, 1437, Gemäldegalerie, Berlin vRetable de Deocarus (volet droit), 1436-37, Nuremberg

Réalisé par ce peintre d’Ulm pour l’église de Landsberg am Lech, la même année que le retable de Deocarus, ce panneau abandonne radicalement l’ambiguïté encore entretenue par les écoles de Cologne et de Nuremberg : le tombeau est toujours en biais et scellé ostensiblement, mais le Christ ne fait plus mine d’en descendre : il trône au centre du tombeau, la jambe gauche plantée dans la dalle, même si le manteau rouge cache encore la crudité du moignon.

Schrade ( [8] , p 193) met cette innovation audacieuse sur le compte d’une autre, le réalisme flamand que Multscher importe dans l’art de l’Allemagne du Sud : on le ressent dans le traitement des matières (par exemple le métal de la croix ) ou des ombres (celle de la hampe barrant l’aine du Christ), ainsi que dans la brutalité du modelé des chairs et du rendu des blessures. Cependant, ce réalisme matériel va en sens inverse du caractère miraculeux de la dalle perméable, que les artistes précédents avaient toujours évité d’affronter (sauf le lointain Tomas de Kolozsvar). C’est donc plutôt l’esprit novateur de Multscher qui explique ce progrès simultané dans deux directions contradictoires.

L’innovation de la dalle perméable n’allait pas de soi : pour la faire remarquer au spectateur, Multscher a eu l’idée de faire écho à cette posture toute nouvelle du Christ avec ce sarcophage étrange, libéré du rocher du côté gauche, et fusionné avec lui du côté droit.

Une autre étrangeté de la composition est la palissade incurvée, qui ferme l’horizon et contrecarre tout effet de surplomb, bloquant le Christ dans sa position assise. Cette palissade, présente dans de nombreuses Résurrections, trouve sa justification dans le texte de Jean :

« Or, au lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans le jardin un sépulcre neuf, où personne n’avait encore été mis. C’est là, à cause de la Préparation des Juifs, qu’ils déposèrent Jésus, parce que le sépulcre était proche. «  Jean 19,41-42

Jean Wirth [9] y voit une image du jardin clos marial et l’associe à la dalle traversée : les deux souligneraient l’analogie entre la sortie miraculeuse du tombeau et l’accouchement virginal, qui est développée par plusieurs textes de l’époque. Cependant, cette palissade n’apparaît pas dans toutes les Résurrections à dalle perméable qui vont fleurir en Allemagne.



Les successeurs immédiats de Multscher (1445-1450)

A Nuremberg

1445-50 Tucheraltar Frauenkirche NurnbergTucheraltar, 1445-50, Frauenkirche, Nuremberg

Le maître du retable Tucher marque l’arrivée des influences néerlandaises dans l’école de Nuremberg, jusqu’alors plutôt marquée par les influences bohémiennes [10]. Une dizaine d’années après Multscher, cette composition ne retient que la percée conceptuelle de la dalle perméable, et en tire la conséquence graphique : montrer le mollet sectionné. Les autres caractéristiques n’ont pas été reprises, du fait des contraintes du triptyque :

  • le Christ est décentré, debout à gauche devant le tombeau, puisque tous les panneaux sont bipartis ;
  • le tombeau est incliné en sens inverse (diagonale montante) pour laisser la place aux soldats du premier-plan, dont l’un est assis sur la dalle.


A Munich

1445 Gabriel_Angler (Munich) Resurrection_Tabula_Magna (abbye de Tegernsee originally with brocade background) Berlin, Bodemuseum, Inv. Nr. 1938 1445 Gabriel_Angler (Munich) Resurrection_Tabula_Magna (abbye de Tegernsee originally with brocade background) Berlin, Bodemuseum, Inv. Nr. 1938 schema

Résurrection (Tabula Magna de l’abbaye de Tegernsee )
Gabriel Angler (Munich), 1445, Berlin, Bodemuseum, Inv. Nr. 1938

Le grand peintre bavarois reprend dans ses grandes lignes la composition de Multscher, mais en inventant une nouvelle posture pour le Christ : sa jambe pliée ne se pose pas à l’extérieur, comme dans les compositions antérieures de Cologne et de Nuremberg, mais prend appui sur la dalle.

Sans le paysage (ajouté au XVIIème siècle), l’élan de cette gestuelle est restauré : doublement cerné par les quatre gardes et par la palissade, le Christ s’échappe vers le haut. La dalle perméable coupe le genou droit à mi-rotule, mais de manière suffisamment discrète pour éviter de focaliser le regard sur le moignon.

Les deux anneaux de levage sont un marqueur visuel récurrent dans la formule de la dalle perméable, qui manifeste le paradoxe de sa lourdeur et de sa matérialité.

En aparté : la jambe gauche mobile

Dans pratiquement tous les exemples de dalle perméable, la jambe mobile est cohérente avec la main qui bénit, la droite. La composition d’Angler est la seule, en peinture, où le Christ sort du « mauvais » pied.


1450-1470 master-der-berliner-leidenschaft-die-auferstehung Art Institute Chicago Rhénanie-du-NordRhénanie du Nord, 1450-70, Meister der Berliner Leidenschaft, Art Institute Chicago 1450-1470 master-der-berliner-leidenschaft-die-auferstehung Art Institute Chicago Rhénanie-du-Nord rectifiéeComposition « rectifiée »

Je ne l’ai retrouvée que dans cette gravure rustique, où l’avancée du pied gauche résulte peut être simplement d’une maladresse du graveur, voulant caser tous les orteils.


1488 Epitaphe de Johannes von Winstein Cathedrale de Worms RhenanieEpitaphe de Johannes von Winstein, 1488, Cathédrale de Worms (Rhénanie) 1512 Osnabrück,_Johanniskirche,_Hochaltar_des_Evert_van_Roden Resurrection (Basse Saxe)Retable de Evert van Roden, 1512, Johanniskirche, Osnabrück (Basse Saxe)

On la trouve également dans ces deux sculptures tardives, dont la seconde marque la pointe extrême de l’avancée de la dalle perméable en Allemagne du Nord, a une période où elle est complètement passée de mode dans le Sud. Dans ces deux cas, on voit bien que le « contraposto » entre la main qui bénit et le pied qui avance résulte d’un souci d’équilibre proprement sculptural.



En Silésie

1447 Wilhelm Kalteysen von Oche, Breslauer Barbaraltar Detruit en 1945Résurrection, Breslauer Barbaraltar (pour l’église Sainte Barbe de Wroklaw)
Wilhelm Kalteysen von Oche, 1447, détruit en 1945

Ce retable, dont les deux paires de volets ont été perdus, présentait une Résurrection tout à fait particulière : presque réduit à un homme-tronc, le Christ passait sa jambe visible sur l’arrière du cercueil. Le retable est dû à la collaboration entre un artiste silésien et un artiste rhénan, récemment identifié comme étant Wilhelm Kalteysen von Oche (d’Aix la Chapelle) [11] .


1447 Wilhelm Kalteysen von Oche, Breslauer Barbaraltar detail
Saint Barbe s’échappant de la tour (Breslauer Barbaraltar)
Wilhelm Kalteysen von Oche, 1447, National Museum in Warsaw

Cet artiste avait si bien assimilé le procédé de la dalle perméable qu’il l’a appliqué, de manière tout à fait unique, à Saint Barbe extraite par un ange à travers le rempart de sa prison [12]. Il s’est même payé le luxe de comparer la fluidité de cette fuite à celle du ruisseau traversant le rez-de-chaussée.

La dalle selon la diagonale montante

Les compositions combinant la diagonale montante et la dalle perméable sont mécaniquement plus rares, puisqu’elles rendent difficile la posture du Christ assis : si l’on veut que la jambe libre soit la droite, alors elle est partiellement cachée derrière le tombeau comme nous venons de le voir dans le seul cas connu, celui du Barabaraltar. La diagonale montante impose donc un Christ debout.

1450-60 Meister der Passionsfolgen Andachtsbild mit zwölf Szenen aus dem Leben Christi, Wallraf-Richartz-Museum Cologne1450-60, Meister der Passionsfolgen, Andachtsbild mit zwölf Szenen aus dem Leben Christi, Wallraf-Richartz-Museum 1478-80 Meister von Liesborn (Johann von Soest) Auferstehung für das Klarissenkloster St. Klara, Cologne , GNM Nuremberg Inv.-Nr. Gm33Résurrection pour le Klarissenkloster St. Klara, Cologne, Meister von Liesborn (Johann von Soest), 1478-80, GNM Nuremberg Inv.-Nr. Gm33

Cette composition se contente se conforme à la tradition colonaise du tombeau sur la diagonale montante, modernisée par une dalle perméable discrètement suggérée.


1493 Holbein le Jeune Predelle d'un panneau de la Vie de Marie, nef de la cathédrale d'Augsburg (Baviere), Foto-Leander-Stork 1493-Holbein-le-Jeune-panneau-de-la-Vie-de-Marie-nef-de-la-cathedrale-dAugsburg-Baviere-Foto-Leander-Stork.jpg 11 mars 2025

Panneau 1/4 de la Vie de Marie, Holbein le Jeune, 1493, nef de la cathédrale d’Augsburg (Bavière), Foto-Leander-Stork

La diagonale montante était imposée par l’harmonie avec les deux autres scènes du panneau : tombeau ouvert de la Mise au Tombeau, et l’autel du Sacrifice de Joachim. La solution retenue est de montrer le Christ debout sur la jambe gauche cachée, prenant appui du pied droit sur la dalle.


1495 Altarretabel aus der St. Pankratius ( Kirche in Rothenschirmbach) Kunstmuseum Moritzburg Halle Foto Punctum-Bertram Kober
Retable provenant de l’église St. Pankratius de Rothenschirmbach, 1495, Kunstmuseum Moritzburg, Halle (photo Punctum-Bertram Kober)

La solution est ici l’inverse : le Christ est debout sur la jambe droite visible, extrayant sa jambe cachée, restée en arrière : pour éviter une torsion impossible, l’artiste a fait sortir le Christ par le petit côté, dans le plan du tableau : dans cette configuration très particulière (je n’ai pas trouvé d’autre exemple), le tombeau peut être placé indifféremment sur l’une ou l’autre diagonale.



La dalle selon la diagonale descendante

Les Résurrections avec dalle perméable descendante sont de loin les plus nombreuses : forte présomption en faveur du rôle fondateur de la composition de Multscher.

1450 ca Oberrhein Freiburg-im-Bresgau, Staedtische Museen, AugustinermuseumRhénanie du Sud, vers 1450, Freiburg-im-Bresgau, Augustinermuseum 1450-75 Meister der Berliner Passion Blatt 10 (von 12) Serie Das Leben Christi Niederrhein, Kupferstich-Kabinett, Staatliche Kunstsammlungen DresdeCologne, 1450-60, Meister der Passionsfolgen, Andachtsbild mit zwölf Szenen aus dem Leben Christi, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne

Ces deux panneaux reprennent timidement la posture du Christ assis de Multscher, en escamotant sous le tissu la question de la jambe gauche : il devient néanmoins impossible de l’imaginer repliée.


1460 ca _St._Georg Nördlingen (Baviere)
1460, église St. Georg, Nördlingen (Bavière)

Cette compositions combine la dalle de Multscher avec le Christ debout à gauche du Tucheraltar.


1455 Meister des Wolfgangaltars wolfgangsaltar Sankt lorenz nurnberg__foto_theo-nollWolfgangsaltar, 1455, église Sankt Lorenz, Nuremberg (photo Theo Noll) 1448-49 Meister des Wolfgangaltars Zwölf-Boten-Altar (anciennement Lorenz Kirche , Nuremberg), Kolumba Museum, Cologne detailZwölf-Boten-Altar, Kolumba Museum, Cologne

Meister des Wolfgangaltars

La longueur du manteau est réglable, telle celle des jupes dans les sixties, pour montrer plus ou moins du moignon scandaleux. Le même maître a réalisé pour la même église Sankt Lorenz de Nüremberg ces deux variantes (nous reviendrons plus loin sur la formule du tombeau vu de face).


1450-75 Meister der Berliner Passion Blatt 10 (von 12) Serie Das Leben Christi Niederrhein, Kupferstich-Kabinett, Staatliche Kunstsammlungen DresdeMeister der Berliner Passion (Rhénanie du Nord), 1450-75, Feuille 10/12 de la série Das Leben Christi , Staatliche Kunstsammlungen, Dresde 1481 ca spiegel der menschen behaltnis Speyer (Peter Drach d.M.). BSB GW M43020 fol 113r RhenanieIllustration du Spiegel der menschen Behaltnis de Speyer (Peter Drach d.M.), Rhénanie, vers 1481, BSB GW M43020 fol 113r

Ces deux gravures entérinent la popularité de la dalle perméable en Allemagne du Sud, entre 1450 et 1480.


1437 Hans Multscher (Ulm) eglise de Landsberg am Lech Resurrection Wurzacher_Altars Gemäldegalerie BerlinWurzacher Altar, Multscher, 1437 1470 ca Maître d’Uttenheim (Sud Tyrol) La Résurrection, Retable de Saint-Étienne Musee d'Art et d'Archeologie, MoulinsRetable de Saint-Étienne (détail), Maître d’Uttenheim (Sud Tyrol), vers 1470, Musée d’Art et d’Archéologie, Moulins

A quarante ans de distance, cette composition remarquable sonne comme un hommage à celle de Multscher. La sempiternelle vue plongeante est remplacée par une vue de bout très originale, mais les autres idées sont toujours là, et même exacerbées :

  • croix métallique,
  • ombres portées violentes (celle de la hampe et celle du plumet),
  • ellipse ostensible de la jambe prise,
  • posture assise du Christ, à cheval sur l’arête.

A ce Christ ouvrant grand ses bras, au torse dénudé et blessé, s’oppose le soldat assis en contrebas, engoncé dans son armure, replié sur sa masse d’arme.

1470-1480, Pfarrkirche St. Kilian, Wartberg an der Krems, Autriche (c) imareal 1485 Meister von 1477 (Augsburg) Auferstehung, früher Sammlung BeckerMeister von 1477 (Augsburg), 1485, anciennement collection Becker

Ces deux oeuvres sont significatives de la période terminale, où la formule commence à passer de mode : les deux artistes imitent une dalle perméable mais l’un montre le pouce du pied gauche en appui et l’autre le cache, revenant à l’ambiguïté de la période pré-Multscher.



Le tombeau de face

1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny Muzeum
Volet droit du Triptyque de Garamszentbenedek
Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás), 1427 , Esztergom, Kereszteny Muzeum

Contrairement à la formule avec dalle inclinée inaugurée par Multscher, la formule plus simple inventée par Tomas de Kolozsvar (voir 1 Prémisses) n’a pas eu de postérité directe, ni en Hongrie, ni en Allemagne. Du moins si l’on retient comme traits caractéristiques la posture assise, le manteau blanc découvrant le torse et le bras droit, le genou plié au niveau de l’arête et les anges portant le linceul.


1440-50 maître du Retable de Heisterbach (Cologne) Resurrection Wallraf-Richartz Museum WRM 0762Maître du Retable de Heisterbach (Cologne), 1440-50, Wallraf-Richartz Museum, Cologne (WRM 0762) 1448-49 Meister des Wolfgangaltars Zwölf-Boten-Altar (anciennement Lorenz Kirche , Nuremberg), Kolumba Museum, Cologne detailMaître du Wolfgangaltar, 1448-49, Zwölf-Boten-Altar, anciennement à la Lorenz Kirche de Nuremberg, Kolumba Museum, Cologne

Les deux premières oeuvres à tombeau vu de face apparaissent en Allemagne durant la décennie après Multscher, dans les deux principaux foyers d’expérimentation de la dalle perméable :

  • à Cologne, une solution très radicale, où le Christ est englouti jusqu’au bassin ;
  • à Nuremberg, une version elliptique où le moignon se dissimule et où les soldats sont confinés derrière le tombeau.

1440-50 maître du Retable de Heisterbach, WolfgangsAltar schema
Dans les deux cas, la frontalité du tombeau et le triangle des fuyantes sont exploités pour leur symétrie, au service d’une idée forte : l’émergence vers le haut pour la première, la sortie vers l’avant pour la seconde.

Tout se passe comme si l’innovation de Multscher, en débloquant la question de la perméabilité, avait ouvert aux artistes de nouvelles pistes d’expérimentation graphique.


1455 losel-altar-(chapelle de Rheinfelden) Musée des Beaux-Arts Mulhouse Rhenanie SudLosel altar, 1455, provenant de la chapelle de Rheinfelden (Rhénanie du Sud), Musée des Beaux-Arts Mulhouse 1440 ca South German master Resurrection, woodcut, Budapest, Library of the Hungarian Academy of Sciences, Inc. 242Vers 1440, Allemagne du Sud, Budapest, Library of the Hungarian Academy of Sciences, Inc. 242

La frontalité peut être exploitée, comme chez Tomas de Kolozsvar, pour mettre en place deux angelots symétriques. La similarité des angelots et de la gestuelle du Christ fait supposer que le graveur s’est inspiré du peintre : la gravure, connue en un seul exemplaire trouvé dans la reliure d’un incunable publié à Ulm en 1473, devait donc être postdatée.


1430-40 Auferstehung Gebetsbuch mit 12 Holzschnitt der Passion Cim. 22, Berlin, Kupferstichkabinett1430-40, Livre de Prières avec 12 gravures de la Passion, Cim. 22, Berlin, Kupferstichkabinett 1455-65 Österreichische Nationalbibliothek cod. 1775 fol 1v (c) imareal AutricheAutriche, 1455-65, ONB cod. 1775 fol 1v (c) imareal

La solution sans angelots, très simple, se diffuse par cette autre gravure et est reprise par cet enlumineur autrichien.


1456 Speculum humanae salvationis (allemagne N) Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 81.15. Aug fol 60v Warburg database1456 (Allemagne du Nord), Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 81.15. Aug fol 60v (Warburg database) 1456 Speculum humanae salvationis (Rhin) Berlin, Staatsbibliothek, germ. fol. 945 fol 40v Warburg database(Rhénanie), Berlin, Staatsbibliothek, germ. fol. 945  fol 40v (Warburg database)

Speculum humanae salvationis

Malgré sa simplicité, on ne la retrouve que rarement dans le Speculum humanae salvationis, où c’est la formule du tombeau ouvert placé en biais qui prédomine.

On notera que le second illustrateur est tellement séduit par son sarcophage magique qu’il applique la perméabilité aux deux jambes, tout en multipliant les sceaux tel un prestidigitateur les cadenas.


1473 Munderkinger Passion Baviere Pfarrkirche St. Dioysius Munderkingen1473, Panneau de la Passion de Munderkinger, Pfarrkirche St. Dioysius, Munderkingen (Bavière)

La centralité de la formule met en valeur le contraste de matière entre les armures et la corolle rouge du manteau, qui attire le regard vers les plaies du torse et de la main gauche. On notera que l’artiste utilise encore la perspective inversée, totalement archaïque dans le cas du tombeau vu de face.


1490 Biblia germanica. Das ander teyl der Bibel, Augsburg Johann SchönspergerBiblia germanica (Das ander teyl der Bibel), Augsburg, imprimée par Johann Schönsperger, 1490

La formule apparaît une dernière fois dans ce frontispice de l’Evangile de Marc. La scène de l’arrière plan lie les deux scènes principale :

  • la porte de Gaza fait écho au pupitre de l’Evangéliste,
  • les deux battants emportés par Samson au bouclier lâché par le soldat.



Une excursion en Espagne

La dalle perméable inventée en 1437 en Allemagne du Sud se diffuse exclusivement dans les régions germaniques… mis à part deux oeuvres aragonaises isolées.

1464-65, Tomás Giner y Arnaldo de Castellnou Iglesia Santa María. Erla (Zaragoza)(Foto de Jesús Díaz)Tomás Giner y Arnaldo de Castellnou, 1464-65, Iglesia Santa María. Erla (Zaragoza) (photo Jesús Díaz) 1450-1500 Maestro de Morata, Iglesia de San Martín de Tours, Morata de Jiloca (Sargosse)Maestro de Morata, 1450-1500, Iglesia de San Martín de Tours, Morata de Jiloca (Saragosse)

Dans la seconde moitié du XVème siècle, la mode des sépulcres fermés touche quelques Résurrections en Aragon : le Christ est debout, soit devant la dalle, soit dessus.

On notera dans la première oeuvre l’intérêt de l’artiste pour la question de l’étanchéité, assurée par deux grosses chaines cadenassées. Le Christ sort miraculeusement par l’avant, en poussant du pied gauche sur le couvercle.

La seconde oeuvre montre un geste très particulier : le Christ plaque de la main gauche la hampe sur sa cuisse, remontant du même coup le manteau pour cacher ses parties honteuses.


1440 ca Resurrection atelier de Blasco de Grañen Maître de Lanaja (Aragon) coll partAttribué à l’atelier de Blasco de Grañen (Aragon), vers 1440, collection particulière 1430-40 Auferstehung Gebetsbuch mit 12 Holzschnitt der Passion Cim. 22, Berlin, KupferstichkabinettVers 1450, Livre de Prières avec 12 gravures de la Passion, Cim. 22, Berlin, Kupferstichkabinett

Cet anonyme aragonais a eu connaissance de la dalle perméable inventée en Allemagne grâce à cette gravure, dont il a repris la posture du Christ et les fuyantes en triangle, tout en dupliquant l’angelot.


1450 ca Mestre de Sant Bartomeu (attr) aragon METMestre de Sant Bartomeu (attr ), vers 1450, MET

Ce panneau peu ordinaire, qu’on a cru d’abord germanique, puis français, est attribué aujourd’hui à un maître aragonais [13]. La gestuelle du Christ est très étrange puisqu’il tient son étendard de la main droite et ne bénit pas de l’autre : cette main gauche semble hésiter entre deux gestes :

  • utiliser la hampe comme une gaffe posée sur le sol, puisque le pied droit ne repose sur rien ;
  • remonter le pan du manteau qui masque opportunément la jambe manquante.

1450 ca Mestre de Sant Bartomeu (attr) aragon MET detail
En fait la main ne fait ni l’un ni l’autre, ce qui rend incompréhensibles et l’équilibre du Christ, et celui de son manteau. On peut imaginer qu’il s’agit :

  • d’une imitation maladroite du geste du Maestro de Morata ;
  • d’un instantané, au moment où la main lâche à la fois la hampe et le manteau ;
  • d’un élément surnaturel, comme si l’artiste avait voulu pimenter la scène sans connaître la solution germanique de la perméabilité de la dalle.



La dalle perméable dans la Biblia pauperum

Il s’agit d’une série d’images typologiques (quelque fois accompagnées de texte) dont l’origine remonterait à l’Allemagne du Sud au XIIIème siècle. Les spécialistes ont classifié et ordonné chronologiquement la soixantaine d’exemplaires connus, bien que les datations précises restent très controversées. Comme la plupart des exemplaires comportent une page consacrée à la Résurrection, la série nous fournit un moyen pratique de confirmer la chronologie de la dalle perméable, tout au long du XVème siècle.

1430-50 Biblia pauperum Resurrection Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Pal. germ. 148 fol 135r1430-50 (Bavière), Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Pal. germ. 148 fol 135r 1450 Biblia pauperum resurrection Salzburg, BSB-Hss Cgm 155 fol 19v1450 (Salzburg) BSB-Hss Cgm 155 fol 19v

Biblia pauperum

Ces deux versions manuscrites montrent l’une la figuration la plus courante (tombeau ouvert, vu de face) , l’autre la première apparition d’une dalle perméable placée en diagonale. On pense que le second manuscrit aurait pu être illustré au sein même du couvent St Erentrud : ceci montre que la nouveauté de la dalle perméable s’était diffusée suffisamment, depuis l’Allemagne du Sud jusqu’en Autriche, pour qu’une nonne dominicaine ait l’idée de l’illustrer, d’une manière très atypique puisque la plaie du flanc n’est pas montrée et et que le Christ sort du pied gauche. Ce qui suggère que la dessinatrice n’a pas recopié un modèle existant, mais imaginé comme elle a pu une solution ad hoc.


1455-58 Biblia pauperum resurrection Blockbuch Ostmitteldeutschland Heidelberg, Cod. Pal. germ. 438 fol 129v1455-58 (Blockbuch), Allemagne du Centre-Est, Heidelberg, Cod. Pal. germ. 438 fol 129v 1462 Biblia pauperum resurrection Bamberg, Pfister1462, Bamberg,, imprimeur Pfister

La toute première version imprimée de la Biblia pauperum est peu lisible, du fait du caractère rudimentaire du dessin :

  • la bande à l’avant du sarcophage veut être une margelle, sur laquelle le Christ pose le pied ;
  • la bande coloriée à l’arrière est en revanche la paroi interne d’un tombeau peu profond ;
  • le coloriste a laissé en blanc la margelle arrière, sur laquelle un soldat pose son bras ;

le graveur a oublié de tracer la margelle à droite.

La version de 1462, en revanche, lève toute ambiguïté : il s’agit bien d’une dalle perméable, avec ses deux sceaux et ses deux anneaux réglementaires.


1465 ca Biblia pauperum Netherland blockbuch resurrection British Museum 1845,0809.30Vers 1465 (Blockbuch), Pays-Bas, British Museum 1845,0809.30 1465 ca biblia pauperum EsztergomVers 1465, Esztergom

Peu de temps après sort la version néerlandaise, qui semble avoir été conçue pour organiser l’ambiguïté (peut être parce qu’elle était destinée aux deux clientèles, hollandaise et germanique) : l’arête verticale, à droite, manque aussi bien pour le couvercle que pour la base : la bande supérieure peut donc aussi bien être interprétée comme le flanc d’un couvercle fermé, ou la margelle d’un tombeau ouvert.
C’est d’ailleurs ainsi que l’a comprise celui qui a colorié la version conservée à Esztergom.


1480 Bibliothèque nationale de France - Xylo-5, fol. 39 gallicaVers 1480 (Blockbuch), Pays-Bas, BNF Xylo-5, fol. 39 1472 Biblia pauperum, Blockbuch, Nürnberg München, BSB Xylogr. 26 fol 15r1472 (Blockbuch), Nuremberg, Munich BSB Xylogr. 26 fol 15r, Gallica

La version néerlandaise suivante supprime toute ambiguïté, en montrant l’intérieur du tombeau. L’élément peu lisible, entre la hampe et la banderole rajoutée, n’est pas la jambe manquante, mais la retombée du tissu sur la margelle, déjà présent dans la version précédente.

Entretemps, la version germanique de 1472 a renoncé à la dalle perméable explicite, en montrant simplement le Christ sortant par la face étroite du tombeau.


  • La série des Biblia Pauperum germaniques montre une apparition asses précoce de la dalle perméable (dans un manuscrit de 1450),  reprise dès la seconde version imprimée (1462) et atténuée dans celle de 1472.
  • Les  Biblia Pauperum néerlandaises (à partir de 1465) organisent l’ambiguïté.



Synthèse

DallePermeable_DeveloppementSchema
Ce schéma de synthèse ne présente que les oeuvres-clés pour le développement de la formule.

Le Christ assis de Mutscher à Ulm en 1437 n’a pas été immédiatement recopiée, mais a débloqué le concept de dalle perméable, permettant des expérimentations inconcevables auparavant :

  • en Bavière, le Christ d’Angler, poussant du pied gauche pour s’échapper ;
  • à Cologne, celui du Maître du Retable de Heisterbach, présenté comme un homme tronc.

C’est à Nuremberg que la formule se développe le plus, avec des Christ debout ou assis, et des tombeaux vus en diagonale ou de face.

Après ces deux foyers traditionnels, la formule se diffuse vers :

  • la Silésie, avec le Maître du Babarbasaltar, qui rend perméable dalle et rempart ;
  • le Tyrol du Sud, avec le Maître de Uttenheim, qui pousse à l’extrême les idées de Multscher ;
  • l’Allemagne du Nord, avec un dernier exemple sculpté repéré en 1512 à Halle.

Une gravure permet d’expliquer l’écho lointain de la formule en Aragon, région qui possédait déjà une tradition de la Résurrection avec tombe fermée.



Article suivant : 3 Autres traversées miraculeuses

Références :
[8] Hubert Schrade « Der Aufstieg aus dem geschossenem Grabe in Werken des 15. Jahrhunderts », dans Ikonographie der Chrsitlichen Kunst, vol 1, Auferstehung der Christi, 1932 p 193 https://books.google.fr/books?id=zaBsDwAAQBAJ&pg=PA193
[9] Jean Wirth, Art et image au Moyen-Age, p 342
[11] Agnieszka Patała « Masters without Names in Medieval Silesia: the Master of the Years 1486–1487, the Master of the Gießmannsdorf Polyptych and Wilhelm Kalteysen von Oche » Journal of Art Historiography Number 22 June 2020 https://arthistoriography.wordpress.com/wp-content/uploads/2020/05/patala.pdf
[12] Merci à Raoul Bonnaffé de me l’avoir signalé. Le lien entre les deux traversées a été relevé par Adam S. Labuda, Wort und Bild im späten Mittelalter am Beispiel des Breslauer Barbara-Altars (1447), Artibus et historiae. 1984, Num. V/9, p p 44 https://www.jstor.org/stable/1483168
[13] Guadaira Macías Prieto. « Noves aportacions al catàleg de dos mestres aragonesos anònims, el Mestre de Sant Jordi i la princesa i el Mestre de Sant Bartomeu. » Butlletí del Museu Nacional d’Art de Catalunya 11 (2010), https://www.academia.edu/39209778/Noves_aportacions_al_cat%C3%A0leg_de_dos_mestres_aragonesos_an%C3%B2nims_El_Mestre_de_Sant_Jordi_i_la_princesa_i_el_Mestre_de_Sant_Bartomeu

3 Autres traversées miraculeuses

11 mars 2025

Dans le dernier quart du XVème siècle, le procédé quelque peu brutal de la dalle perméable passe progressivement de mode dans les pays germaniques, sans avoir pris racine ailleurs. Ceci n’a pas empêché quelques artistes de trouver d’autres moyens pour signifier la traversée miraculeuse de la dalle.

Article précédent : 2 La dalle perméable



En Italie : la dalle soufflée

Andrea_Mantegna_-_Jesus_Cristo_descendo_ao_limboLe Christ aux Limbes, Mantegna (attr.), vers 1468 Mantegna 1459 La résurrection Musee des BA ToursRésurrection (Prédelle de San Zeno), Mantegna, 1459, Musée des Beaux Arts, Tours

Mantegna a représenté plusieurs fois la Descente aux Limbes avec le Christ vu de dos (voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2) ).

Pour sa célèbre Résurrection, il a choisi d’implanter le sarcophage ouvert dans une arche rocheuse, jouant sur le contraste entre pierre rustique et pierre taillée qu’avaient mis à la mode les palais florentins.

A la suite de ces compositions marquantes, de nombreux peintres italiens s’inspireront de ces modèles.


1491 ca Benvenuto di Giovanni Predelle probable du retable de l'Acension monastère de Sant'Eugenio Sienne, NGA 1952.5.54Descente aux limbes, NGA 11952.5.54 1491 ca Benvenuto di Giovanni Predelle probable du retable de l'Acension monastère de Sant'Eugenio Sienne, NGA 11952.5.55Résurrection, NGA 11952.5.55

Benvenuto di Giovanni, vers 1491, Prédelle probable du retable de l’Ascension du monastère de Sant’Eugenio près de Sienne

Dans un premier temps, le Christ dégonde miraculeusement les portes de l’Enfer (sans abîmer ni le bois, ni le fer des charnières, ni la pierre) et en profite pour écraser le démon qui gardait l’entrée. Le Christ vu de dos – une nouveauté à Sienne – trouve un précédent dans la gravure de Mantegna, ainsi que les battants tombés à terre – mais l’idée paradoxale de les laisser intacts revient à Benvenuto.

Sa Résurrection présente quant à elle quatre miracles simultanés :

  • la dalle verticale qui fermait le tumulus est soufflée de l’intérieur, et retombe sur les soldats ;
  • le sarcophage, passé de l’intérieur à l’extérieur, fait office de marchepied ;
  • le Christ ressuscite en géant ;
  • il ne présente plus de blessures aux membres, et son flanc droit est caché.

Ces originalités s’expliquent peut être par le fait que Benvenuto avait peint, pour le réfectoire du même monastère de Sant’Eugenio, une fresque de la Résurrection beaucoup plus conventionnelle, avec un sarcophage ouvert et le Christ montrant ses plaies [14].


Quoiqu’il en soit, l’invention de la dalle soufflée s’écarte de la lettre des Evangiles (voir Deux Résurrections atypiques), en interprétant la « pierre roulée » comme une dalle renversée : mais elle gagne en symbolique, par l’écrasement des méchants.


1502 Luca Signorelli, Compianto sul Cristo morto particolare Museo Diocesano di CortonaLamentation sur le Christ mort (détail)
Luca Signorelli, 1502, Museo Diocesano, Cortone

Dix ans plus tard, Signorelli place en arrière-plan de sa grande Lamentation une Résurrection assez conventionnelle, avec un sarcophage enfoncé en longueur dans une arche rocheuse et un Christ qui en sort dans une mandorle rayonnante, les pieds sur un nuage. On peut reprocher l’absence de toute pierre déplacée.


1505 Signorelli Fragment de la Pala Matelica collection privee fototeca Zeri
Fragment de la Pala Matelica
Signorelli, 1505, collection privée (fototeca Zeri)

Dans une autre Lamentation aujourd’hui démantelée, Signorelli avait également placé une petite Résurrection en arrière-plan. L’amusant est qu’il :

  • recopie son propre Christ, en remplaçant le nuage sustentateur par des angelots ;
  • recopie partiellement, en l’inversant, son groupe de soldats ;
  • plagie son collègue de Sienne, Benvenuto di Giovanni, tout en rationnalisant ses excentricités :
    • les ombres dans l’encastrement sont désormais réalistes ;
    • le sarcophage est resté à l’intérieur du tumulus ;
    • le Christ est de taille normale ;
    • il montre toutes ses plaies.



En Italie : la dalle escamotée

Mantegna 1492 DescentLimbo_ Barbara Piasecka Johnson Collection Princeton Accademia Carrara BergameRésurrection et Descente aux Limbes, Mantegna, 1492 1500-50 Mantegna (imitateur) National Gallery LondresImitateur de Mantegna, 1500-50, National Gallery, Londres

Cette oeuvre pose un problème insoluble d’attribution et de datation, puisqu’il s’agit clairement d’un pastiche « à la Mantegna ». La spectaculaire contreplongée ainsi que la position astucieuse du Christ, posté à l’extrême bord du sarcophage, conduisent à ce qui pourrait être l’enjeu de la composition, à savoir un sarcophage indécidable :

  • s’il est ouvert, le Christ peut tout à fait trouver un appui stable sur les deux bords de la margelle ;
  • s’il est fermé, l’absence de tranche visible ne prouve pas l’absence d’un couvercle : il peut très bien être encastré, comme dans la Résurrection de 1459.

La presque disparition du rayonnement montre que l’artiste a cherché à éliminer les effets naïvement merveilleux, au profit de la construction rationnelle d’une énigme.



Pays-Bas et Allemagne : le tumulus à dalle verticale

1476 Meister des Ehninger Altars Staatsgalerie StuttgartMeister des Ehninger Altar, 1476, Staatsgalerie, Stuttgart 1480 ca Dirk Bouts (atelier) mauritshuisDirk Bouts (atelier), vers 1480, Mauritshuis, La Haye

Ces deux répliques d’une composition perdue de Dirk Bouts sont centrées sur un tumulus qui, en plus herbeux, rappelle les compositions italiennes que nous venons de voir : mais la dalle, loin d’être soufflée, est doublement maintenue en place : en haut par deux sceaux rouges, en bas par un bloc équarri. Le Christ s’est paisiblement téléporté devant la dalle restée intacte, sans effet spécial merveilleux, et sa matérialité est prouvée par l’ombre qu’il projette sur elle.

On notera le modèle de gonfanon typique des pays du Nord, rattaché par un cordon à la base de la croix et flottant horizontalement.


1480 Hans Memling Die Sieben Freuden Mariens detail Alte Pinakothek MunichLes Sept joies de Marie (détail), Hans Memling, 1480, Alte Pinakothek Munich

Memling, à Bruges, a pu avoir connaissance de la composition de Bouts, à Louvain. Mais son choix du même tumulus établit aussi un contraste bienvenu avec les scènes suivantes, qui se déroulent sous une arche ouverte : la Pentecôte, l’apparition du Christ à Marie et la Mort de Marie : comme si la dalle fermée, loin de clôturer l’histoire, servait au contraire de seuil entre les trois premières Joies de la Vierge et les trois dernières.



1505-07 Jan Joest von Kalkar, Resurrection of Christ St. Nicolai Kirche, Kleve, Nordrhein-Westfalen

Panneau du maître-autel de l’église Saint-Nicolas de Kalkar
Jan Joest von Kalkar, 1505-07, Kleve (Nordrhein-Westfalen)

En reprenant le tumulus fermé néerlandais, Jan Joest ajoute aux deux sceaux intacts une autre preuve que la dalle est restée en place : l’arbalète posée contre elle.


1520-30 Frei Carlos - Resurrection of Christ National Museum of Ancient Art LisbonneFrei Carlos, 1520-30, Musée d’Art Ancien, Lisbonne 1525-1550 Resurrection rei_Carlos_Workshop Museu_Nacional_de_Machado_de_Castro_-_CoimbraFrei Carlos (atelier), Museu Nacional de Machado de Castro, Coimbra

Frère Charles de Lisbonne, moine d’origine flamande, a importé la formule hermétique au Portugal, sans grande originalité. L’atelier a ensuite préféré la version ouverte, en escamotant les deux dalles sans autre forme de procès.

Mais c’est en Allemagne que le tumulus à dalle fermée allait trouver une éblouissante apogée.


1519 Jerg Ratgeb herrenberger altar Staatsgalerie Stuttgart CrucifixionCrucifixion 1519 Jerg Ratgeb herrenberger altar Staatsgalerie Stuttgart ResurrectionRésurrection

Jerg Ratgeb, 1519, Herrenberger altar, Staatsgalerie Stuttgart

Les deux panneaux sont jointifs, mais sans continuité topographique : le sépulcre dans lequel le Christ est déposé n’a rien à voir avec le rocher en pain de sucre, avec une face polie et une dalle découpée dans la même pierre, devant lequel il ressuscite : l’important est que son corps glorieux se substitue, sans changer de place, à son cadavre cloué.



1519 Jerg Ratgeb herrenberger altar Staatsgalerie Stuttgart Resurrection schema
Les diagonales (en violet) divisent très lisiblement le panneau en quatre secteurs.

  • à gauche, les morts sortant du sépulcre, au moment de la mort du Christ, renvoient au panneau précédent ;
  • à droite, est condensée la suite de l’histoire : deux anges descendant dans un rayon de lumière pour indiquer aux saintes femmes que le tombeau est vide, et l’Apparition à Marie-Madeleine.

Le secteur du haut est réservé au Ressuscité, et à une construction géométrique basée sur des cercles :

  • une bulle lumineuse autour de chaque plaie des membres (en bleu) ;
  • un faiceau de lumière sortant de la plaie du flanc, faisant écho au faisceau sortant des nuages (en jaune) ;
  • une grande auréole centrée sur le torse, englobant l’auréole autour de la tête, qui se retrouve en bas à droite autour de celle du Christ jardinier (en blanc) ;
  • un globe impérial de cristal (en vert), portant une croix dorée à laquelle est rattachée un gonfanon trifide, qu’on retrouve également à la croix du Christ jardinier.

Le dernier secteur, avec les trois soldats allongés et contorsionnés, exprime tout le désordre et les vices du monde. Les détails ont été très commentés, sans révéler d’autre signification symbolique : cartes à jouer dispersées, bourse crevée, pièces répandues sur le sol, gobelet et gourde, armements d’époque. A noter un élément rarement mentionné : le soldat de gauche tient une sorte de tromblon primitif (Luntenhandfeuerrohr) dont la mèche est enroulée autour de son épaule, la corne à poudre pendue en bandoulière dans son dos.


A cause du grand halo autour du torse, on a souvent invoqué l’influence de la Résurrection de Grünewald, avec son Christ-torche rayonnant dans la nuit au dessus d’un chaos rocheux. Mais Ratgeb a poussé la gageure plus loin en nous montrant, devant une dalle blanche, un cops lumineux qui se rematérialise en plein jour, aveuglant les soldats et projetant sur le sol des ombres tranchées.



Le tombeau fermé institutionnel

1494-1500 Hans_Holbein_d._Ä.-Graue_Passion Staatsgalerie StuttgartGraue Passion, 1494-1500, Staatsgalerie, Stuttgart 1501 Hans Holbein l'Ancien Staedel Museum Francfort Resurrection)Retable de l’église des Dominicains (détail), 1501, Staedel Museum, Francfort

Hans Holbein l’Ancien

Dans ses trois Résurrections, Holbein l’Ancien utilise le tombeau fermé, vu de bout, pour sa compacité et sa vertu symétrisante. La question de la traversée de la dalle n’est évoquée que pour mémoire, par des sceaux à peine visibles.

Dans la Passion grise, tout l’intérêt se porte sur le contraste entre les contorsions des sept soldats diversement habillés et la verticalité du Christ demi nu.

Dans la Résurrection de Francfort, le tombeau, toujours en position centrale, sert à diviser l’arrière-plan en deux scènes qui s’opposent :

  • à gauche l’ange accueille les trois Saintes Femmes ;
  • à droite un juif grimaçant, avec un arc et une bourse, en pousse deux autres à quitter la scène.


1502 Hans Holbein l'Ancien kaisheimer altar Alte Pinakothek MunichHans Holbein l’Ancien, 1502, Kaisheimer altar, Alte Pinakothek, Munich.

Dans ce dernier opus, le format oblong oblige à décentrer le tombeau, qui sépare les Juifs de l’arrière-plan en deux groupes centrifuges. Les effets spectaculaires (lumière, ébranlement du tombeau, geste d’effroi) n’ont pas lieu d’être : la Résurrection s’effectue incognito au milieu de la foule indifférente, qui ne voit que le tombeau fermé.

Après Holbein l’Ancien, c’est Dürer qui va reprendre cette formule, dans trois gravures canoniques.


1509-10 Durer Petite passion METDürer, 1509-10, Petite Passion MET 1501-04 Albrecht_Dürer_-_Apollo_with_the_Solar_Disc Bristih Museum dessin inverséApollon et le Soleil (dessin inversé), 1501-04,  British Museum

Dans ce premier essai (sur bois), le tombeau est peu exploité : placé en largeur, il montre juste les deux éléments traditionnels de l’étanchéité de la dalle : l’anneau de levage et le sceau.

Ce qui intéresse Dürer est une nouveauté iconographique : le soleil qui se lève derrière les Saintes Femmes arrivant au tombeau, conformément au texte de Marc (16, 12). Cette version aquarellée met bien en valeur la symétrie avec le Christ ressuscité, qui prend une allure de Dieu solaire.

Dürer a probablement repensé à son projet,  quelques années plus tôt, pour une gravure (jamais réalisée) sur le thème d’Apollon et le Soleil. Dans une allusion humaniste, il nous rappelle ainsi que le Jour de la Résurrection, le Dimanche, était pour les Romains le Jour du Soleil .


1510 Dürer_-_Large_Passion_12Dürer 1510, Grande Passion

Dans la version en grand format (toujours sur bois), Dürer opte pour une composition à la Holbein, avec le tombeau vu de bout pour symétriser la composition. Le ciel s’ouvre dans un V qui épouse la silhouette du Christ, écrasant de part et d’autre la troupe réduite à l’impuissance.


1512 Albrecht_Duerer_-_The_ResurrectionDürer, 1512, Passion gravée

Pour la dernière série (sur cuivre), Dürer reprend le schéma en V en supprimant les nuages surnaturels au profit d’effets purement graphiques : l’auréole cruciforme, le ciel rayonnant tout autour et la robe qui se soulève de part et d’autre, préludant à l’envol. La dalle, visible désormais jusqu’au fond, fonctionne comme une expansion immodeste du panonceau signé AD.


Ces trois gravures très diffusées figeront pour longtemps l’iconographie du tombeau fermé, et nous dispensent de suivre la postérité du thème.



En guise de conclusion

1555_Giovanni Capassini_Tournon, Lycee Gabriel FaureTriptyque de la Résurrection (panneau central)
Giovanni Capassini, 1555, Musée de Tournon

Réalisé pour le collège de Tournon, cette oeuvre didactique ressuscite bizarrement le thème en rajoutant, devant le scellé et les deux anneaux, la Mort qui tombe de la dalle et casse sa flèche contre la citation appropriée :

Le Seigneur précipitera la mort pour toujours (Isaïe 25,8)

Praecipitabit dominus mortem in sempiternum


Références :
[14] Aujourd’hui au musée Bardini de Florence. Voir Maria Cristina Bandera, Benvenuto di Giovanni, p 237