8 Autres significations
Ce dernier article est consacré aux disques digitaux qui ne sont pas des petits mondes.
Article précédent : 7 Disques au féminin
7-1 Un pain rond ou une hostie
Ce cas se rencontre tout de même, mais bien plus rarement qu’on ne l’a cru.
Un pain
Cène ou repas à Emmaüs, diptyque en cinq parties, fin 5ème siècle, Musée du Duomo, Milan
Le pain rond marqué d’une croix comme une hostie se rencontre dès l’époque paléochrétienne.
Sacramentaire de Fulda, 975, 2 Cod. Ms. theol. 231 Cim., fol. 113r Niedersachsische Staats- und Universitätsbibliothek, Göttingen | Sacramentaire de Fulda, 1000-10, Msc. Lit. 1, Staatsbibliotek, Bamberg |
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Dans ces deux sacramentaires de l’abbaye de Fulda, Saint Martin est représenté donnant son manteau en bas à gauche, et endormi en bas à droite. A la vision qui lui apparaît durant son sommeil, il comprend qu’il a donné son manteau au Christ lui-même.
Dans la version la plus ancienne, celle de Göttingen, le Christ en majesté en encore assis sur le globe carolingien, mais sans disque digital : il bénit les calices que lui amènent les trois anges de gauche ; ceux de droite portent dans la main gauche des pains marqués d’une croix. L’image est placé entre l’Offertoire et la Préface de la Messe de l’Ascension : le moment où les fidèles sont sensés apporter leurs offrandes et, avant le IXème siècle, le pain et le vin destinés à l’Eucharistie : ici se sont les anges qui s’en chargent. Le motif des pains marqués d’une croix apparaît à d’autres endroits du manuscrit, et dans d’autres oeuvres du cercle de Fulda (fresques de Neuenburg).
Dans le sacramentaire de Bamberg, plus récent, le globe a été remplacé par la mandorle et les pains, colorés en vert, ont perdu leur croix.
Les sept anges aux sept plaies
Beatus d’Osma, 1086, Archivo de la Catedral, Cod. 1
« Après cela, je vis s’ouvrir dans le ciel le sanctuaire du tabernacle du témoignage. Et les sept anges qui ont en main les sept plaies sortirent du sanctuaire; ils étaient vêtus d’un lin pur et éclatant, et portaient des ceintures d’or autour de la poitrine ». Jean 15,5-6
Le copiste a choisi d’illustrer les plaies, au figuré, par les sept hosties brandies par les anges.
12ème siècle, Saint Nectaire | Psautier d’Eadwine , 1155-60,
Cantorbery MS 661 fol 4v , V&A (détail) |
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Multiplication des pains et des poissons
Autre scène para-évangélique propice à la multiplication des disques.
Melchisedek donne le pain et le vin à Abraham
Fresques de Saint Savin, XIIème siècle
Pour souligner qu’il s’agit ici d’une proto-eucharistie, l’artiste a représenté l’hostie comme un petit pain tenu dans la paume [0].
Daniel et Habacuc
Baptistère St Jean et Ste Radegonde, Poitiers
Le globe est ici une miche de pain, dans ce chapiteau illustre littéralement un passage de Daniel :
Or le prophète Habacuc était en Judée; après avoir fait cuire une bouillie et émietté du pain dans un vase, il allait aux champs le porter à ses moissonneurs. L’ange du Seigneur dit à Habacuc: « Porte le repas que tu tiens à Babylone, à Daniel, qui est dans la fosse aux lions. « Habacuc dit: » Seigneur, je n’ai jamais vu Babylone, et je ne connais pas la fosse. » Alors l’ange le prit par le haut de la tête, le porta, par les cheveux de sa tête, et le déposa à Babylone, au-dessus de la fosse, avec toute l’agilité de sa nature spirituelle ». Daniel 14, 32-35
Une hostie
Bible de St Aubin d’Angers, 1075-1100, Angers BM MS 4 fol 205v, IRHT
Dans ce manuscrit, les tables des canons présentent en haut des personnages décoratifs dont certains composent une petite saynette : l’objet que l’ange de gauche montre à celui de droite, en le tenant respectueusement dans sa manche, ne peut être qu’une hostie.
fol 2v | fol 2r |
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Vie de Saint Aubin, vers 1100, BNF NAL 1390, gallica
Ces deux images racontent un épisode de la vie de Saint Aubin, qu’un Seigneur anathème avait voulu forcer à bénir les hosties. Dans la première image, Saint Aubin fait face à un concile d’évêques conciliants [0a] :
Si je suis forcé de bénir les pains sur votre ordre, |
Si iussu vestro panes benedicere cogor |
La seconde image montre cette vengeance annoncée :
Quand il se trouva devant celui qui apportait les pains consacrés, |
Ante sacros panes quam qui patabat adesset |
Les hosties sont montrées recto-verso, avec les deux monogrammes IHS et XPS. Pour Magdalena Carrasco [0b], cette insistance pourrait faire suite à la condamnation de Bérenger de Tours, qui avait ranimé la controverse carolingienne en réfutant à nouveau la présence réelle dans l’hostie.
Missel à l’usage de Paris, vers 1220, BNF Lat 1112 fol 103r
La seule illustration importante du manuscrit met en regard délibérément deux figures élevant les mains :
- pour illustrer l’hymne Per omnia secula, Dieu Créateur avec dans sa gauche une Terre tripartite verte ;
- pour illustrer le Vere Dignum, un célébrant derrière un autel et un calice.
Implicitement, l’image met en connexion la Terre qu’on voit et l’hostie qu’on ne voit pas.
Missel de St Maur, vers 1220, BNF Lat 13247 fol 133
Cette page intervertit les vignettes par rapport aux prières, preuve de leur équivalence symbolique.
L’image de la célébration montre explicitement l’hostie, ce qui rend inutile la similarité des gestes. Trois célébrants de taille croissante, vus de profil, illustrent la consécration des espèces :
- le premier élève l’hostie ;
- le deuxième élève le flabellum, éventail liturgique destiné à éloigner les insectes des espèces consacrées, et qui symbolise le pouvoir purificateur de l’Esprit Saint [0c] ;
- le troisième joint les mains devant le calice.
Flabellum de Tournus, vers 870 Bargello, Florence
La Pain de la Folie
Psaume 53
Psautier, 1250-75 , BL Burney 345 fol 70
L’insensé est représenté ici par un fou tenant sa marotte :
« L’insensé dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu ! Ils se sont corrompus, ils ont commis des iniquités abominables ; il n’en est aucun qui fasse le bien. » Psaume 53, 1-2
Le disque rond qu’il porte à sa bouche est un pain, illustrant un passage des Proverbes où la Folie parle à l’homme :
Elle dit à celui qui est dépourvu de sens: «Les eaux dérobées sont plus douces, et le pain du mystère est plus agréable!» Proverbes 9,16
7-2 Les disques des psautiers de Thuringe
Psautier d’Hermann de Thuringe, réalisé à Hildesheim, 1211-13 Stuttgart Landesbibliothek HB II 24 fol 176v
Cette iconographie très étrange a été expliquée par une influence byzantine ([1], p 76) : il s’agirait :
- en haut du Paradis, avec un Reine et un Roi (et leurs serviteurs), autour d’un arbre à têtes, portant des globes blancs montés sur une tige verte ;
- en bas du sein d’Abraham, avec un enfant distribuant de part de d’autre des disques bicolores blanc et rouge.
Le pain de Vie (SCOOP !)
Fol 177r (détail)
La page en regard est le début de l’Office des Morts, dont un verset attire l’oeil :
« (Ils lui dirent donc: « Seigneur, donnez-nous toujours de ce pain. » Jésus leur répondit: « Je suis le pain de vie:) celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Jean 6, 34-35
Ce passage est extrait du discours de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm, qui développe l’opposition entre le pain terrestre et le pain de vie :
« Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera. » Jean, 6, 27
« Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour le salut du monde. » Jean, 6, 51
A la lumière de ce texte :
- l’enfant dans les bras du vieil homme illustre « le Fils de l’homme » ;
- les disques blanc et rouge sont le pain de vie distribué ici-bas (le rouge signifiant la vie) ;
- le registre du haut montre les Elus au Paradis, qui cueillent ces pains directement à l’Arbre de vie : vie non plus sanguine, mais végétale, puisqu’il s’agit des fruits de l’arbre.
Le Paradis avec le Christ dans le sein d’Abraham, vers 1239, NGA, Washington (détaché du Psautier de Hildesheim, BNF NAL 3102, avant fol 147)
Dans un second temps, dans le même scriptorium d’Hildesheim, l’image a été simplifiée en fusionnant les deux registres à l’intérieur du Paradis, cerné par ses quatre fleuves : du coup, plus de distinction entre le pain du haut, que les Elus cueillent directement dans l’arbre, et le pain du bas, distribué directement par Jésus / « Fils de l’Homme » , identifié maintenant par son nimbe. Cette image aujourd’hui détachée précédait les Litanies et l’Office des Morts qui, dans ce psautier ne comporte pas l’extrait de Jean : d’où la simplification par rapport à la première image, qui ne se comprenait que grâce au texte associé.
7-3 Un cas complexe : le Scivias de Hildegarde de Bingen, vers 1180
Les deux dernières miniatures de ce célèbre manuscrit, disparu durant la Seconde guerre mondiale, comportent de nombreux disques difficiles à interpréter : heureusement, le texte va ici nous aider.
La représentation des Eléments dans le Scivias
Commençons par une image préliminaire, qui montre le haut degré de cohérence logique et graphique de l’ouvrage.
La Chute et la Perturbation des Eléments, fol 4r
Scivias, vers 1180, manuscrit de Wiesbaden (disparu)
Aux angles sont disposés, dans l’ordre harmonieux, les symboles des quatre Eléments : la Terre (des montagnes vertes), l’Eau (une bande ondulante), l’Air (des langues bleues), le Feu (des langues rouges).
A l’intérieur de l’image, la chute de l’Homme s’accompagne d’une perturbation des Eléments : on retrouve la Terre (les arbres) et le Feu, au bas d’un arbre noir brisé qui symbolise le Paradis perdu. L’Eau est monté au ciel, sous forme d’une couche rouge qui sépare ce monde perturbé et l’Ether pur (Purus aether) où résident les étoiles fixes. Caché dans l’arbre, le serpent crache une unique feuille représentant l’Air, qui embarque ici-bas les étoiles déchues (Lucifer) [2]
Les disques du Jugement (SCOOP !)
Cieux et mondes nouveaux, Vision 12, fol 224v
La Douzième vision décrit le Jugement Dernier. Cette image montre le résultat, à savoir une une remise en ordre des Eléments, illustrée par le cercle du bas : dans la lentille supérieure, bleue et remplie d’étoiles, on reconnaît l’Ether pur, à nouveau contigu avec l’Air (les langues bleues). Viennent ensuite l’Eau, La Terre en en bas le Feu, empilés dans l’ordre harmonieux.
Le cercle central montre, autour de Saint Pierre, les Elus admis à rejoindre le ciel après le Jugement. Ils y rejoignent les Martyrs qui y étaient monté auparavant, isolés dans la lentille supérieure (et ainsi comparés à des étoiles fixes) : deux d’entre eux brandissent de la main droite un fleuron doré, et tiennent dans leur manche gauche un grand disque doré. En dessous, dans la foule des Elus, de la main droite, un homme brandit un petit disque doré, et une femme une palme dorée. Si ce vocabulaire graphique est cohérent ;
- le fleuron est la forme sanctifiée de la palme, tous les deux synonymes de joie ;
- du même coup le grand disque dans la manche sanctifie le petit disque dans la paume.
Le texte d’Hildegarde insiste plusieurs fois sur la marque distinctive des Elus :
« Et les uns avaient le signe de la Foi (les Baptisés), les autres en étaient privés. Et parmi ceux qui avaient ce signe, les uns le portaient sur leur front comme l’éclat de l’or, d’autres avaient comme une ombre qui était pour eux une flétrissure ».
Je pense que le disque doré que l’Elu élève vers son front illustre ce « signe de la Foi » qui n’a pas été flétri et rayonne (sans doute le montre-t-il à Saint Pierre comme jeton d’accès au Paradis). Par souci de logique, l’illustrateur en a décerné de plus grands aux Martyrs, sortes d’Etoiles fixes qui ont hautement témoigné de leur Foi.
Le cercle du haut représente la Trinité : la Colombe de l’Esprit Saint, l’Agneau tenant une croix dorée dans sa patte droite, le Père tenant son sceptre à fleuron de la main gauche. Autour du cercle on retrouve les figures habituelles de la Déesis : à droite Saint Jean Baptiste, à gauche la Vierge couronnée, représentée comme Reine du Ciel. Elle élève de la main droite un grand disque blanc, qui est logiquement une hostie puisque dans d’autres images du manuscrit, la Femme couronnée symbolise l’Eglise : après le Jugement, Maria et Ecclesia ne sont plus qu’une.
De l’analyse détaillée de cette image se dégagent deux conclusions :
- les attributs (disques, fleurons, palme, sceptre, croix) ont une signification bien précise ;
- en revanche la main qui les tient, gauche ou droite, n’en a pas.
Les disques de la Symphonie céleste (SCOOP !)
La Treizième et dernière Vision décrit une symphonie grandiose, que l’image illustre très précisément. De haut en bas, les sept médaillons suivent l’ordre du texte [3], et forment une sorte d’arbre, suggéré par les rubans blancs :
- 1) la Sainte Vierge,
- 2) les Anges,
- 3) les « hommes à jamais recommandables » : Prophètes et Patriarches de l’Ancien Testament, groupés autour de Saint Jean Baptiste montrant l’Agneau;
- 4) la « troupe aguerrie du rameau sans épines » : huit Apôtres groupés autour de Saint Pierre ;
- 5) les « victorieux triomphateurs » (les Martyrs), juste sous les Prophètes ;
- 6) les « courageux héritiers du Lion » (les Prêtres, les Confesseurs), situés dans la colonne des Anges et des Apôtres (« vous qui remplissez si bien les fonctions de l’ordre angélique ») ;
- 7) Les vierges au centre, sur un fond étoilé qui fait pendant avec le médaillon de la Vierge.
Pour ce qui nous intéresse ici, les disques, l’image en comporte trois qui ne sont probablement pas équivalents :
- 1) Celui tenu par l’un des martyrs, avec la palme dans l’autre main, établit un lien avec la représentation des Elus dans la Douzième Vision : tous se passe comme si l’illustrateur avait voulu intégrer visuellement, dans le médaillon le plus appropriés, ceux dont Hildegarde évoque seulement la présence sonore : les « louanges de joie des citoyens du Ciel«
- 2) Le disque d’une des Vierges pourrait obéir à la même préoccupation : mais la manière dont il est tenu, comme par un manche, le fait ressembler à un miroir brillant :
« oh bienheureuses vierges, que vous êtes nobles, vous en qui le Roi s’est miré, lorsqu’il a représenté en vous le splendeur même des cieux ».
- 3) Enfin, le troisième disque apparaît au sommet de la hiérarchie, dans la main droite de la Vierge. Avec sa couronne et son manteau rouge, celle-ci est maintenant assise à l’imitation du Père, un fleuron dans la main gauche. Ce fleuron marial évoque à la fois l’arbre de Jessé et le rejeton qui en est sorti :
« car l’âme de la Vierge étant initiée aux mystères de la Divinité, une fleur éclatante se produisit miraculeusement de la Vierge ».
Le disque qu’elle élève de la main droite fonctionne ici avec le sceptre et la couronne, comme attribut de la Reine des cieux : le fruit d’or est la pomme du salut qui remplace la pomme d’Eve ([4], p 212).
7-4 Un autre cas complexe : le disque dans l’Adoration des Mages
Adoration des Mages (portail occidental)
1060-80, église Saint-Blaise, Rozier-Côtes-d’Aurec [5]
Ce tympan est un exemple précoce d’une nouvelle formule, dans l’iconographie relativement standard de l’Adoration des Mages : celle du cadeau en forme de disque. On pourrait penser à une facilité ou à une maladresse du sculpteur, mais le fait que ce globe se trouve à l’aplomb de l’Etoile, et en pendant à une autre disque que l’Enfant tient déjà dans sa main gauche, prouve une intention symbolique :
- l’Enfant tient déjà le globe du pouvoir sur le ciel,
- les Rois de la Terre viennent le reconnaître comme un des leurs en lui offrant le globe du pouvoir terrestre, sacralisé par l’Etoile.
Surprenante dans cette oeuvre rustique, cette idée recopie probablement un modèle plus prestigieux que je n’ai pas pu retrouver.
Adoration des Mages
Psautier de St Alban, réalisé à l’abbaye de St Albans, 1125-1130, cathédrale de Hildesheim.p 25
Il fait attendre 1130 pour voir cette iconographie se développer, dans une série de psautiers anglais : le plus jeune des Rois Mages, Gaspard (sans barbe) tend un petit disque doré à l’Enfant, qui avance la main gauche pour le saisir. Remarquer le manteau du dernier roi, montré au travers du portail pour suggérer le mouvement.
Adoration des Mages
Psautier d’Eadwine, réalisé à l’abbaye de Cantorbery, 1155-60, BL Add MS 37472 fol 1 (détail)
Le plus jeune Roi, qui chevauchait en dernier, est encore le premier à donner son cadeau. Le copiste a amélioré la composition en montrant le roi à genoux, et la main de l’Enfant en retrait, pour éviter le problème gênant de la préhension par la main gauche.
Adoration des mages
Psautier de Marguerite de Bourgogne, Angleterre, 13ème, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1273 fol 8v, IRHT
C’est maintenant le plus âgé des Mages, le roi Melchior, qui élève vers l’Enfant le disque doré : l’Enfant ne le prend pas, mais se contente de toucher la main du Roi, en le bénissant. Le deuxième Roi, Balthazar, tient dans sa manche gauche une fiole, et Gaspard un autre disque d’or de plus grande taille. Il s’agit probablement d’évoquer les trois cadeaux : l’or (le petit disque), la myrrhe (utilisée pour l’huile d’onction sainte) et l’encens (le disque de plus grande taille serait alors un encensoir).
Adoration des mages
Psautier d’Hildesheim, 1239, BNF NAL 3102 fol 7
Dans le contexte germanique, le disque d’or que Melchior tend à l’Enfant ne peut être que le globe royal, dont le roi terrestre fait hommage au Roi des Juifs prédit par l’Etoile : celle-ci, grand disque rayonnant à la verticale du petit, matérialise la Puissance divine.
Un siècle plus tard, Jean de Hildesheim racontera dans son Histoire des Trois Rois (une histoire romancées des rois mages) que Melchior avait offert à l’Enfant un objet qu’il tenait lui-même d’Alexandre le grand, « une petite pomme d’or que la main pouvait tenir… Elle représentait le Monde, comme si, dans sa main, il avait étreint le monde entier« . Pomme qui d’ailleurs se brise aussitôt que l’Enfant la saisit, illustrant sa toute puissance sur l’Univers ([1]; p 78).
Plus le temps avance, puis le disque-monde, figure carolingienne de l’incommensurable, agrège des significations supplémentaires, qui se superposent sans se contredire.
Adoration des mages
Page isolée, Paris, 1225-70, Musée des Beaux Arts de Montréal
L’Enfant tient dans sa main gauche une boule dorée probablement prise dans la boîte que lui tend Melchior, qui par respect a enlevé sa couronne. Trois mains droites levées s’étagent sur une même verticale, avec des nuances distinctes :
- celle de l’Enfant bénit, en un remerciement muet ;
- celle de la Vierge fait le signe de la prise de parole : elle remercie oralement ;
- celle de Gaspard désigne comme d’habitude l’Etoile (le disque orangé).
Adoration des mages
Carrow Psalter, vers 1250, Walters Manuscript W.34, fol. 33v
Très similaire, cette composition se complique par la présence de trois types de boules :
- les rouges dans le plat de Melchior, probablement des cerises ;
- une noire dans la main de l’Enfant, probablement un globe crucifère ;
- une verte entre les doigts de Marie, un bulbe d’où surgit un fleuron.
Marie, sans auréole mais couronnée et juchée sur un trône, symbolise probablement ici l’Ecclesia, l’Eglise florissante, à laquelle viennent rendre hommage les têtes couronnées.
Adoration des mages
Page isolée, Würzburg, vers 1240, Getty Museum Ms. 4, leaf 2
La même composition prend ici une coloration eucharistique : Maria/Ecclesia prend le disque/hostie dans le récipient/ciboire que Melchior lui tend : le regard triste qu’elle lui-jette montre qu’elle anticipe déjà le futur tragique de l’Enfant.
Adoration des mages
Début XIIIème, église Saint Hilaire , Asnières sur Vègre
La vue de face fait de cette Vierge une image de Majesté, qui cumule l’auréole de Maria et la couronne d’Ecclesia. Melchior offre à l’Enfant un globe doré marqué d’une croix, qu’il faut sans doute interpréter, dans la zone d’influence du baptistère de Poitiers, comme un globe impérial (voir 1 Globes en main ).
A la verticale de ce globe, le disque de Maria-Ecclesia pourrait donc être une hostie, emblème du pouvoir spirituel de l’église qui, par l’excommunication, s’impose aux pouvoirs temporels.
7-5 Cas particuliers
La pomme du Péché
p 24 | p 28 |
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Genèse de Caedmon, 1000, abbaye de Canterbury, Bodleian Library MS. Junius 11
Ce manuscrit en vieil anglais, très original dans son iconographie, représente par un disque digital les pommes du Péché, et par un ange à la tête antipathique Lucifer qui les distribue à Eve et à Adam.
Un globe de fantaisie
Incipit du Livre XV, fol 118r | Incipit du Livre XXI, fol 199v |
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De civitate dei, XXI, 1201-10, Bibliothèque Laurentienne, MS Plut 12-17
Ce manuscrit anglo-normand présente en lettrine, au folio 199v, ce qui serait la plus récente manifestation du disque digital. Bizarrement, le manuscrit comporte précédemment une autre « Majestas Dei » atypique (un flambeau brandi dans la main droite, un globe plus grand posé sans la main gauche). Remarquons qu’aucune de ces figures n’est nimbée (alors que Dieu, les Anges et Saint Augustin lui-même le sont, dans les grandes images pleine page du début du manuscrit).
Incipit du Livre XIV, fol 107r | Incipit du Livre XVIII, fol 157r | Incipit du Livre XX, fol 185v |
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Le manuscrit comporte au total cinq lettrines à figure humaine, qui n’apparaissent qu’à partir du Livre XIV et s’intercalent avec des lettrines purement décorative. Aucun rapport direct n’apparaît avec le sujet de chaque Livre, d’ailleurs bien difficile à synthétiser en une seule image. Bizarrement, le chapitre qui se prêterait le plus à l’illustration, le chapitre XX consacré au Jugement dernier, s’ouvre par une lettrine purement abstraite.
Ces lettrines sont donc des figures de fantaisie, composées à partir du vocabulaire graphique que possédait le copiste, et à prétention purement décorative.
Texte latin : Volume 197 de Patrologiae cursus completus … Series Latina, Jacques-Paul Migne https://books.google.fr/books?id=4mPJnKgmU0MC&pg=PA725
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