1 Globes en main
De taille plus importante que le disque palmaire (voir 2 Une figure de l’Incommensurable ), le globe tenu à main gauche est presque toujours un insigne de pouvoir : du Christ-Roi, d’un Archange, d’un Ange, ou encore de Lucifer. Après un panorama rapide de ces cas, cet article examinera quelques exceptions.
Le Globe du Christ-Roi
Dans l’immense majorité des cas, le globe dans la main gauche du Seigneur porte une marque christique ou est surplombé d’une croix : il extrapole le globe du Pouvoir à la Royauté cosmique, dont procède la Royauté terrestre.
Antependium de Bâle, 1015-23, Musée de Cluny (détail).
Au centre de ce devant d’autel, les deux donateurs (l’empereur Henri II et son épouse Cunégonde) se prosternent aux pieds du Christ, désigné comme :
Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs |
Rex regum et D(omi)n(u)s dominantiu(m) |
Il porte dans sa main gauche un globe frappé d’un chrisme entre l’alpha et l’omega, qui symbolise ce pouvoir suprême et éternel.
- A sa droite; l’archange combattant, Michaël porte à main gauche l’étendard et à main droite un globe marqué seulement d’une petite croix, emblème classique des archanges qui souligne leur pouvoir militaire, comme nous le verrons plus bas ;
- A sa gauche, l’archange Gabriel, celui de l’Annonciation, ne s’occupe pas de combattre, mais de transmettre la parole de Dieu : ce pourquoi il tient dans sa main droite son bâton de messager, et tend la paume gauche vers l’avant, dans un geste de prise de parole.
Cette composition savante [1] témoigne de la codification très précise, à l’époque ottonienne, du globe comme figure du pouvoir.
Sacramentaire du moine Ratmann (reliure), 1159, Trésor d’Hildesheim
Dans cette image du pouvoir suprême, le Christ est debout, foulant aux pieds « le lion et l’aspic » (Psaume 91,13). Il tient dans sa main gauche un livre avec l’inscription « Je suis le Seigneur, Votre Seigneur ». Le globe qu’il élève de sa main droite symbolise sa présence universelle, comme le précise l’inscription à l’intérieur : « Je remplis le ciel et la terre » Jérémie 23-24.
L’inscription du pourtour récapitule tous ces thèmes :
« Seigneur, qui règnes sur toutes choses, qui écrases ceux qui s’opposent à toi, et qui rejettes ceux qui ne sont pas avec toi, sauve-nous, humbles créatures, nous t’en supplions, bienveillant ».
L’Empereur Heinrich V, Châsse de Charlemagne, 1182-1215, Cathédrale d’Aix la Chapelle | Christ en majesté, Châsse de Notre-Dame de Tournai, Nicolas de Verdun, 1205 |
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L’Empereur, vice-roi du Christ ici-bas, ne diffère de lui que par la couronne (substitut terrestre de l’auréole) et le geste de la main droite : l’un place sous son sceptre ses terres, l’autre sous sa bénédiction la Terre : deux nuances du globe crucigère.
Dieu envoyant l’Archange Gabriel à Marie, fol 12v | Majestas Dei, fol 14 |
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Psautier Shaftesbury, Angleterre, 1130-40, British Library Lansdowne 383
Ce psautier baigne dans l’imagerie royale : couronne ou chrisme marqué REX.
Le globe dans la main
La position du globe, à main gauche puis à main droite, est ici particulièrement intéressante.
Dans la première image, Dieu ordonne de la main droite à l’Archange d’aller, en compagnie de l’Esprit Saint en approche, porter son message à Marie : le globe crucigère, à main gauche, indique à la fois le pouvoir royal et la direction à prendre, celle de la Terre (ce pourquoi il est vert et nuageux).
Dans la seconde image en revanche, le globe est passé dans la main droite au dessus de la donatrice prosternée, qui se présente donc par la droite du Christ : cette position, contraire à l’humilité, est habituellement celle du don – pour que le Christ puis recevoir l’objet de la main droite – ou de l‘invitation – en réponse à la main bénissante (voir 2-3 Représenter un don ). Or ici nous ne sommes dans aucun des deux cas.
Par sa dorure, le globe prend une connotation plus abstraite, comme insigne du pouvoir divin. Il y a de fortes présomptions que la donatrice soit Adeliza de Louvain, veuve du roi d’Angleterre Henri I. Elle serait donc représentée ici en tant que veuve, quittant l’autorité du Roi pour se soumettre désormais aux commandements du Christ-Roi. Quoiqu’il en soit, il est clair que cette image très exceptionnelle a une forte composante biographique.
Le globe du Créateur
Elevé au ciel de la main gauche plutôt que tenu à hauteur de taille, le globe prend une nuance cosmique, sans la notion d’incommensurabilité que portait le disque digital miniature (voir 2 Une figure de l’Incommensurable).
Dieu acclamé par les Vieillards, Apocalypse Douce, 1265 -70, Bodleian Ms180 fol 039 | Bréviaire de l’abbaye de Chertsey, vers 1300,Bodleian Library MS. Lat. liturg. d. 42 fol 11r |
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Le globe terrestre en T commence à se populariser à partir de 1250 : c’est le lointain prémisse de la formule dite du Salvator Mundi qui n’apparaîtra que deux siècles plus tard (voir 7 Le Christ debout et le globe).
Gossouin de Metz, L’Image du Monde, 1320-25, BnF, Français 146 fol 136v, Gallica.
Dans cette image à vocation encyclopédique, la globe blanc quadriparti représente la Création en général, détaillée en dessous sous forme d’un emboîtement de sphères (pour leur description, voir 5 L’âge d’or des Majestas).
Missel du cardinal Bertrand de Deux, 1335, Vat Arch. Cap.S.Pietro.B.63 fol 188v
Dieu en Majesté est ici entouré des neuf hiérarchies angéliques. Ni leur ordre, ni leurs attributs, ne sont parfaitement fixés [1a]. On peut néanmoins proposer la lecture suivante, de haut en bas et de droite à gauche :
- 9 SERAPHINS : en rouge, au plus près du Seigneur ;
- 8 CHERUBINS : avec des couronnes ;
- 7 TRONES : représentés en Juges, avec leur calotte rouge ;
- 6 DOMINATIONS : avec des clés ;
- 5 PRINCIPAUTES : avec des portes fortifiées ;
- 4 PUISSANCES : avec des lettres cachetées ;
- 3 VERTUS : luttant contre des démons ;
- 2 ARCHANGES : priant ;
- 1 ANGES (gardien) : assistant les mourants
Détail | Traité d’astrologie et de médecine, vers 1450, UB Tübingen MD 2 fol 322v |
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Le globe est constitué de neuf couches colorées autour de la Terre, qui évoquent les niveaux de la hiérarchie angélique, mais aussi probablement d’autres hiérarchies appréciées par la pensée médiévale. A noter que les couleurs suivent un ordre précis, qu’on retrouve dans l’arc-en-ciel du bas, au dessus de la Terre fracturée qui figure les Limbes contenant les âmes des Justes.
Plus tardif, le schéma cosmique de Tübingen dessine au centre une Terre composée de deux hémisphères – Ertreich (le royaume terrestre) et Helle (l’Enfer) – d’où partent quatre hiérarchies à neuf niveaux :
Hiérarchie | Angélique | Humaine | Cosmique | Infernale |
1 | Angeli | Michahel | Luna | Stagnum ignis |
2 | Archangeli | Gabrihel | Mercurius | Terra oblivionis |
3 | Virtutes | Bichtiger | Venus | Terra tenebrosa |
4 | Potestates | Bischoff (évêque) | Soll | Tartarus |
5 | Principatus | Fursten (prince) | Mars | Gehenna |
6 | Dominationes | Herren (seigneurs) | Jupiter | Erebus |
7 | Troni | Apptln (apôtres) | Saturnus | Barathrum |
8 | Cherubin | Ppheten (prophètes) | Cherubin | Styx |
9 | Seraphin | Seraphin | Seraphin | Archeronta (Achéron) |
9 | Heiligen (saints) | Patriarches | Flegethon (Phlégéton) |
Les globes poitevins
Les fresques du Baptistère St Jean et Ste Radegonde
Fresques 11ème siècle
Baptistère St Jean et Ste Radegonde, Poitiers.
Ces fresques très complexes, où diverses époques se mêlent, ont été débrouillées par Marc Thibout [2]. Au dessus de l’arc triomphal, on rencontre la scène assez rare de l’Ascension du Christ, entre deux anges et les apôtres.
En contrebas, se trouvaient quatre cavaliers, dont l’un est désigné par l’inscription « Constantin ». Les deux les mieux conservés chevauchent en tenant un globe de la main gauche ou de la main droite, l’autre main tenant les rênes ou le sceptre dans le cas de Constantin. Il n’est donc pas douteux qu’il s’agisse d’un globe impérial. Le « cavalier Constantin », assez fréquent dans l’art roman de l’Ouest de la France, résulte probablement d’une assimilation entre cet empereur et le premier des quatre Cavaliers de l’Apocalypse.
Y. Labande-Mailfert [3], se basant sur des commentaires d’Orose et d’Adam Scot, identifie quant à elle ces cavaliers à l’ensemble des souverains chrétiens qui « accourent vers le centre pour offrir au Christ un monde, image des terres qu’ils gouvernent ».
Fresque du XIIIème
Dans l’abside, le Christ élève le globe impérial dans sa main gauche. La fresque, quoique plus récente que celles des quatre cavaliers, recouvre des fresques antérieures. Il n’est donc pas impossible que le globe dans la main du Christ soit celui que les cavaliers lui ont apporté.
L’originalité de ce programme iconographique pourrait expliquer la fréquence de ces globes élevés de la main gauche, dans d’autres fresques poitevines.
Les globes de Sainte Radegonde de Poitiers
Fresque du 13ème, refaite au 19ème
Eglise Sainte Radegonde, Poitiers
Il est impossible de porter un jugement sur la fresque de la voûte, très vigoureusement « restaurée » vers 1850 par Honoré Hivonnait. On ne connaît pas l’état initial des trois disques :
- celui que le Christ présente dans sa manche gauche,
- celui que la Vierge en dessous élève dans sa main droite
- celui dans la main gauche du Christ en buste :
Chapelle Sainte-Madeleine, fin XIIIème, Eglise Sainte-Radegonde, Poitiers
La chapelle Sainte-Madeleine présente dans sa clé de voûte un Dieu trônant et portant un petit globe dans sa main gauche, au dessus des symboles des quatre Evangélistes et des huit consoles en forme de têtes de rois et de reines.
Dans ce contexte particulier d’une ancienne salle capitulaire, il est probable que le globe a ici sa valeur impériale (le Roi des Rois) plutôt que la valeur cosmique d’un disque palmaire.
Le globe de l’archange
Archange, Ivoire byzantine, 525-550, British Museum
On pense que ce panneau formait probablement un diptyque avec un panneau représentant l’Empereur Justinien, auquel l’archange remettait ce globe crucigère : il s’agit donc d’un globe impérial habituel, emblème du pouvoir sur la Terre, mais délégué par Dieu à l’empereur.
Diptyque du Christ et de Marie, Constantinople, vers 550, Staatliche Museum, Berlin
Ici en revanche, le globe non crucigère, mais marqué par deux grands cercles orthogonaux; représente le globe céleste, royaume de Marie reine des Cieux.
Solidus de Magnus Maximus, 383-84, British Museum
Nous avons vu apparaître ce globe en X dans les mains de deux co-empereurs divinisés, comme symbole flatteur, à l’antique, d’un pouvoir de type cosmique (voir 1 Epoque romaine ). Dans ce cas particulier, la forme en X favorisait l’idée d’union et de cohésion du pouvoir, tandis que la forme en croix aurait pu suggérer une partition. Remarquons aussi que, graphiquement, la forme du X se prête à la préhension latérale et par dessous.
Diptyque de Murano (détail), 500-550, Museo Nazionale, Ravenne
Deux siècles plus tard, cette composition byzantine montre, de part et d’autre de deux anges élevant une croix dans un clipeus à l’antique, deux archanges tenant un étendard cruciforme. Le fait que l’artiste n’ait pas représenté les deux globes marqués d’une croix, montre une claire séparation des symboles dans le monde byzantin :
- le globe en X, lu désormais comme un khi, représente le pouvoir céleste du Christ ;
- le globe crucifère représente le pouvoir terrestre de l’Empereur.
Auparavant divinisé (« deus » ou « filius dei »), l’empereur byzantin n’est plus que le représentant du Christ sur terre, partageant son pouvoir avec le patriarche.
Archange Gabriel, stéatite byzantine, Museo Bandini Fiesole
Herbert L. Kessler [3a] pense que ce globe est un miroir reflétant l’image de Dieu, et rapproche cette représentation très exceptionnelle d’un texte du Pseudo-Dionysius décrivant la hiérarchie qui englobe tous les êtres :
« Une hiérarchie a Dieu comme chef de toute compréhension et action. Elle contemple en permanence la beauté de Dieu. Elle porte en elle la marque de Dieu. La Hiérarchie fait de ses membres des images de Dieu à tous égards, des miroirs clairs et sans tache reflétant l’éclat de la lumière primordiale et même de Dieu lui-même. Elle garantit que lorsque ses membres ont reçu cette pleine et divine splendeur, ils peuvent ensuite transmettre cette lumière, généreusement et conformément à la volonté de Dieu, aux êtres plus bas dans l’échelle. » Pseudo-Dionysius, L’échelle divine [3b]
Situé au sommet de la hiérarchie angélique, l’archange est le premier maillon de cette chaîne de miroirs.
Mosaïque de Cefalù, avant 1148
On voit ici dans les mains des archanges Michel et Uriel le globe byzantin sous sa forme médiévale la plus courante (une croix en haut d’un mont), en alternance avec l’autre symbole beaucoup plus rare dans les mains de Raphaël et Gabriel (une croix entre deux monts).
Jugement particulier, 1263, San Pellegrino, Bominaco
A Bominaco, l’archange Michel effectue le Jugement particulier d’un défunt [4] derrière un meuble en forme d’autel : d’où une ambiguïté visuelle entre le globe archangélique et une hostie. Le monogramme (la croix en haut du mont) a probablement été choisi pour son contraste avec le fléau incliné : il exprime l’ordre divin du monde, délivré de Satan et remis en équilibre.
Le globe de l’ange
A l’époque carolingienne
Angelus Domini
Abbaye de Lorsch, début IXème MS Vat Lat Pal 1719 fol 8
Ce dessin, dans un blanc d’un manuel scolaire, est intéressant par le mot CELUM inscrit à l’intérieur du globe : il s’agit donc bien d’un emblème de pouvoir, mais du pouvoir dans le Ciel.
La troisième tentation du Christ, Psaume 91, Psautier de Stuttgart, 820-830, Stuttgart, Wurttembergische Landesbibliothek, Cod. Bibl. 2o 23, fol. 107v
Dans cette image contemporaine, le globe bleu « semblable à un miroir » ( Kessler [3a]) représente ici encore le Ciel, plus précisément la domination céleste offerte au Christ par les anges, par opposition à la domination terrestre (les objets dorés) offerte par le diable lors de la troisième tentation.
L’association entre le Psaume 91 et la Tentation du Christ tient à ce que que, dans le texte de Matthieu, le Diable cite explicitement le psaume lors de la deuxième tentation :
« il lui dit: Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit: Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet; Et ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre. « Matthieu, 4,6
Sacramentaire de Drogon 845-855 MS lat. 9428, fol. 43v
Cet autre globe bleu carolingien constitue une énigme iconographique : on a proposé une patène (en écho au calice dans lequel Ecclesia recueille le sang du Christ) ou un miroir ( Kessler [3a]), et on a exhumé des textes contemporains permettant de relier ces objets au personnage de Nicodème. Or le texte primordial concernant Nicodème est son dialogue avec Jésus, où ce dernier lui explique la signification de la Crucifixion :
« Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. » Jean 3,12-15
Le serpent de bronze est bien là, au pied de la croix. Alors pourquoi pas le globe du Ciel dans les bras de Nicodème ?
Dans l’orfèvrerie rhénane et mosane
Le globe est parfois décerné à de simples anges, sans doute par assimilation avec celui des archanges. Exceptionnellement, ce disque représente une hostie.
Chasse de St Héribert 1146-60 , église de Deutz (Cologne)
Les quatre anges lateraux portent un disque marqué d’une croix selon les quatre combinaisons gauche/droite et main nue/main voilée. La couleur bleu ciel confère aux disques une valeur cosmique, et exclut qu’il s’agisse d’hosties.
La même châsse présente sur un des pans du toit d’autres possibilités de combinaisons, dans les émaux comme dans les figures en repoussé.
Phylactère mosan, 1160-70, Cleveland Museum of Art
Ici les quatre anges féminisés représentent les Vertus. Les globes de diverse couleurs font écho au globe rouge de l’Enfant, tout en constituant des sortes de « jokers » graphiques qui évitent de donner à chaque Vertu son attribut spécifique.
Petit triptyque Dutuit, vers 1150, Petit Palais
Ce petit reliquaire montre, de part et d’autre des reliques de la vraie Croix, deux anges en pied portant le roseau et la lance. En haut des volets avec les reliques des douze apôtres, deux autres anges portent un disque à main nue, de la main gauche et de la main droite.
M.Angheben ([5], p 99) voit dans ces disques des hosties, et identifie ces anges à celui dont il est question dans la prière du « Supplices » :
« Nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, ordonnez que ces offrandes soient portées par les mains de votre saint Ange sur votre autel céleste, à la vue de votre divine majesté » |
« Supplices te rogamus, omnipotens Deus, jube hæc perferri, per manus sancti Angeli tui, in sublime altare tuum in conspectu divinæ majestatis tuæ » |
L’interprétation théologique de cet ange transportant les offrandes est très obscure [6], et il n’en existe pas de représentation certaine. Le seul cas où un disque mosan est indiscutablement une hostie est celui-ci :
Croix mosane 1150-75 Walters art museum Baltimore
L’ange qui exhibe une hostie blanche et un ciboire est ici une allégorie de l’Espoir (SPES), de même que son compagnon portant un agneau représente l‘Innocence et le troisième avec une cuve baptismale la Foi. Isoler l’ange du haut pour y voir celui du Supplices est donc difficile, d’autant que la main de Dieu située en dessous contrarie l’idée de l’autel céleste et du regard de Dieu.
L’ange du « Supplices »
Abside, 1100-20, église de Tavant (photo J.Mossot, structurae.net)
Marcello Angheben ([7], p 145) reconnaît également l’ange du Supplices dans les figures difficilement lisibles, en bas à gauche de la Majestas Dei de l’abside. Leurs gestes d’offrande, en contrebas de la figure divine, viennent à l’appui de cette interprétation.
Un cinéma eucharistique (SCOOP !)
Une large frise divise le ciel de l’abside en deux registres, chacun montrant la même succession de couches colorées :
- en haut sont placés les deux Animaux qui volent, l’Ange et l’Aigle ;
- en bas on trouve tout ce qui marche : les deux autres animaux (le Lion et le Taureau), la procession des trois anges, flanqués par deux figures composites (séraphins par leur six ailes, chérubins par les boules de feu sous leurs pieds).
Le fait que les anges processionnaires se soient posés au premier étage de ce ciel à deux étages renforce l’idée qu’il sont montés depuis le rez-de-chaussée, à savoir l’autel terrestre où se déroule l’Eucharistie.
La gestuelle des trois anges décompose en trois temps l’idée d’élévation :
- le premier tient le ciboire à deux mains, en dessous de la ligne d’horizon ;
- le deuxième élève une hostie de la main gauche ;
- le troisième élève l’hostie des deux mains, dans le geste de l’Ostension.
Les trois anges de la partie droite, malheureusement très abimés, montrent des gestes différents, mais qui semblent suivre une logique similaire :
- le premier (en partant de la droite) est illisible ;
- le deuxième tient une coupe de sa main gauche baissée, en élevant sa main droite vide ;
- le troisième élève la coupe de la main gauche, avec le même geste de la main droite.
Les anges de Tavant pourraient donc bien être une décomposition en six figures de l’ange du Supplices montrant à Dieu les offrandes : à gauche l’hostie, à droite le vin.
Dans une fresque tyrolienne
Castel Appiano (près Bolzano), chapelle du château, vers 1200
Ces deux anges présentant dans leurs mains couvertes un globe à la Vierge à l’Enfant semblent une simplification des archanges byzantins, avec suppression de la lance et position inclinée due au manque de place : l’idée étant de reconnaître Marie, sur son trône, comme Reine des Cieux.
Dans cette chapelle très exigüe, les globes lumineux formaient comme un rappel, de part et d’autre de Marie, des fenêtres latérales autour de la fenêtre centrale.
Une iconographie très spécifique, où deux anges portent les disques du Soleil et de la Lune, fait l’objet du chapitre suivant : 2 Les anges aux luminaires.
Le globe de Lucifer
12eme, Le Créateur entre Lucifer et St Michel, BSB Ambrosius Ambrosii hexaemeron libri VI – BSB Clm 14399 fol 1v
Lucifer est ici monté sous deux aspects :
- avant sa chute, à la droite du Créateur, avec son sceptre et son globe d’archange ;
- après sa chute, en bête sauvage capturée par Saint Michel archange.
Dieu créant les anges, Lucifer en gloire
Hortus deliciarum, 1159-75, brûlé en 1870, fol 3r
Texte du haut :
Dieu tout puissant et bon se trouve en haut, gérant les choses divines |
omnipotens dominus divina bonus gerens exstat |
Textes du bas :
Lucifer, sceau de la perfection, plein de sagesse et d’une beauté parfaite, dans les délices du Paradis paraphrase d’Ezéchiel 28,12 |
Lucifer signaculum similitudinis plenus sapientia et perfectus decore in deliciis paradisi |
Tu étais le chérubin oint pour protéger; je t’avais placé sur la sainte montagne de Dieu Ezéchiel 28,14 |
tu cherub extentus et protegens et posui te in monte sancto Dei |
Lucifer en gloire porte son sceptre et son globe d’archange protecteur. Le monticule placé sur ses pieds illustre « la sainte montagne de Dieu ».
Hortus deliciarum, 1159-75, dessin de Christian Moritz Engelhardt (1812), dans R. Green, Herrad of Hohenbourg: Hortus Deliciarum, fol 3v
Le verso de la page montrait la suite et la fin de l’histoire [8], où Lucifer déchu n’a plus de globe :
Scène du haut :
« Lucifer conçoit son plan contre le créateur »
Sur la banderole déroulée :
« Je monterai dans les cieux; au-dessus des étoiles de Dieu, j’élèverai mon trône; je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, dans les profondeurs du septentrion; je monterai sur les sommets des nues, je serai semblable au Très-Haut ! » Isa. 14:13-14
Ce texte explique pourquoi Lucifer ne tient plus les insignes du pouvoir : il élève ses mains nues vers le haut entre deux anges complices, dans la posture conventionnelle de l’Ascension (et il commence à déployer ses ailes).
Scène du bas :
« Michel et ses anges combattaient contre le dragon; et le dragon et ses anges combattaient; mais ils ne purent vaincre, et leur place même ne se trouva plus dans le ciel. » Apocalypse 12:7
Texte à gauche de Lucifer:
« Letifer ou Satanas ou Diabolus tombe avec ses conspirateurs, à savoir les démons, comme la foudre du ciel. Autrefois, il était semblable au Très-Haut, maintenant il n’est même plus égal au plus bas, c’est-à-dire aux êtres humains ».
Autres significations
Dans de rares exemples le globe porté à main gauche n’est pas un emblème du Pouvoir.
Dans l’Apocalypse de Trèves
Une pierre blanche
Fol 8v, Apocalypse de Trèves, codex 31 | Fol 4v,Apocalypse de Cambrai, BM Ms 386 |
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L’Eglise de Pergame, 800-50
Dans ces deux seuls exemplaires connus d’une Apocalypse carolingienne, l’illustrateur de Cambrai, en recopiant celui de Trèves, a rajouté un « globe » dans la main gauche de l’ange. Il sert ici à particulariser l’épisode de Pergame grâce à un détail caractéristique du texte, la pierre blanche :
« A celui qui vaincra, je donnerai de la manne cachée; et je lui donnerai une pierre blanche, et sur cette pierre est écrit un nom nouveau, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui le reçoit. » (Apocalypse 2,17).
Le symbole des Nations
Fol 33r, Apocalypse de Trèves, 800-50, Staatsbibliothek Trier Cod 31 | Fol 23,Apocalypse de Cambrai, BM Ms 386 |
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Jean et le roseau d’or, les Nations sur le Parvis
Puis on me dit: » II faut encore que tu prophétises sur beaucoup de peuples, de nations, de langues et de rois. Apo 10,11
Puis on me donna un roseau semblable à un bâton, en disant: » Lève-toi et mesure le temple de Dieu, l’autel et ceux qui y adorent. Mais le parvis extérieur du temple, laisse-le en dehors et ne le mesure pas, car il a été abandonné aux Nations, et elles fouleront aux pieds la ville sainte pendant quarante deux mois. Apo 11, 1-2
Les sept personnages du bas évoquent
- la fin du chapitre 10 : les peuples et les nations (portant des sphères), les rois (avec des couronnes) et les langues (faisant les gestes de la parole) ;
- mais aussi le début du chapitre 11, où les Nations occupent le parvis, que le copiste de Cambrai a pris soin de séparer du Temple par un trait de sol.
Le globe tenu dans la manche droite (marqué d’une croix ou du motif des deux monts) est donc l’ attribut distinctif des Nations.
Fol 61r, Apocalypse de Trèves, 800-50, Staatsbibliothek Trier Cod 31 | Fol 43, Apocalypse de Cambrai, BM Ms 386 |
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La Jérusalem céleste, avec l’Agneau et l’Arbre de vie
« Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur magnificence » Apocalypse 21,24
On reconnaît à gauche la figuration des nations avec leur globe au motif à deux monts, cette fois complété par une croix (Trèves) ou une boucle (Cambrai).
Ces exemples ont l’intérêt de montrer que tenir le globe dans la manche n’implique pas un caractère sacré : c’est ici un signe de respect envers un emblème profane.
1060, BNF 12117, fol 106v
Cette page illustre la Chronologie biblique établie par Saint Jérôme [9]. A gauche de la chouette incarnant la Sagesse figure Salomon, tête de liste du Quatrième âge (colonne de gauche). La colonne de droite, le Cinquième Age, ne liste que des rois païens sans iconographie précise : ils sont illustrés par un roi générique, dont les deux disques ornés de signes étranges évoque des nations lointaines.
Dans le Commentaire sur l’Apocalypse
Vers 1150, Allemagne MS. Bodleian 352 fol 5v
Ce Commentaire sur l’Apocalypse très spécial (lointain descendant du type de l’Apocalypse de Trèves) propose trois disques différents.
Un bonnet
Dans l’image concernant l’église de Laodicée, le disque bleu tenu de la main droite vers le bas est un bonnet, qui va avec la tunique bleue tenue par un autre aide :
« je te conseille de m’acheter de l’or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche; des vêtements blancs pour te vêtir et ne pas laisser paraître la honte de ta nudité… » Apocalypse 3,18
Une pierre précieuse
Dans la main gauche de Dieu, le disque rouge qui fait cependant au livre rouge représente probablement le jaspe et la sardoine qu’évoque le texte juste au dessus :
« Celui qui était assis avait un aspect semblable à la pierre de jaspe et de sardoine » Apocalypse 4,3
Une hostie
Vers 1150, Allemagne MS. Bodleian 352 fol 6r
Dans l’image suivante, le livre grandit et devient doré :
Puis je vis dans la main droite de Celui qui était assis sur le trône un livre écrit en dedans et en dehors, et scellé de sept sceaux. Apocalypse 5,1
La couleur dorée rend sacré et abstrait ce livre que l’artiste renonce à représenter.
L’agrandissement et la dorure contaminent également l’objet de la main gauche, que la proximité avec deux des coupes dorées des Vieillards apparente à une hostie. A noter l’objet bleu de forme variable qu’ils tiennent dans l’autre main, et qui n’est autre qu’une harpe :
« les vingt-quatre vieillards se prosternèrent devant l’Agneau, tenant chacun une harpe et des coupes d’or pleines de parfums, qui sont les prières des saints. » Apocalypse 6,8
Dans le Cantique des cantiques
Frontispice du Cantique des cantiques, Reichenau, vers 1000, Bamberg Staatsbibliothek Bibl.22 fol 5r
Cette illustration, la plus ancienne connue du Cantique des Cantiques, constitue la partie droite d’un bifolium à l’iconographie unique, qui a été très commenté [10]. Je n’aborde ici qu’un détail ordinairement négligé, le disque dans la main gauche du Seigneur.
La mandorle circulaire constitue l‘initiale O de la première phrase du Cantique des Cantiques :
Qu’il me baise des baisers de sa bouche. |
Osculetur me osculo o(ris sui). |
Le texte, qui se poursuit au verso, est agrémenté des commentaires d’Alcuin (pseudo-Isidore). Celui-ci interprète le verset 4 : « Entraine-moi après toi; courons ! Le roi m’a fait entrer dans ses appartements » de la manière suivante :
Pour que je te suive en montant au ciel |
Ut te ascendentem in caelum sequar |
C’est pour illustrer ce commentaire que l’artiste a adapté l’image habituelle de la Majestas Dei :
- en accentuant l’aspect de véhicule ascensionnel :
- deux anges (réduits à la tête) retiennent par en haut la coque dorée,
- deux autres (en pied) traversent cette coque pour soutenir par en bas le globe-siège, très exceptionnel à l’époque ottonienne (voir 4 Art ottonien et Beatus ) ;
- en montrant à droite l’Eglise dialoguant avec un ange qui s’apprête à lui donner l’accès à l’intérieur de la patrie céleste :
Les sept enfants noirs qui s’abritent sous son manteau illustrent le verset 5 « Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem » tel qu’interprété par Alcuin :
La voix de l’Eglise affligée. Noire dans l’affliction des persécutions, mais belle dans l’ornement de ses vertus. |
Vox Ecclesiae de suis pressuris. Nigra in pressuris persecutionum, sed formosa in decore virtutum. |
Le détail de l’enfant dont elle voile les yeux traduit probablement le verset suivant : « Ne prenez pas garde à mon teint noir, c’est le soleil qui m’a brûlée » ainsi interprété par Alcuin :
Ne me regarde pas, si j’étais méprisée et rejetée par les hommes à cause de la tempête des tentations |
Nolite mirari , si hominibus despecta sim foris ob temptationum æstus |
Une logique calligraphique (SCOOP !)
Le copiste a donc suivi, comme il a pu, les interprétations alambiquées d’Alcuin : mais rien, ni dans le texte ni dans le commentaire, n’explique la présence du globe doré.
L’anneau externe (en bleu) centré sur l’ombilic du Seigneur (voir 3 Mandorle double symétrique ), constitue l’initiale d’Osculetur. Les trois cercles dorés -la mandorle, le globe-siège et le globe dans la main – évoquent les trois O qui suivent : jeu calligraphique confirmé par le O isolé de Oris, qu’il aurait été bien plus lisible de placer au verso.
A la rencontre des deux disques à l’intérieur de la capsule divine répond, à l’extérieur, celle des deux O jointifs du baiser et de la bouche.
Les disques-donations de Trèves
Deux reliquaires réalisés à Trèves dans la première moitié du 13ème siècle témoignent d’une utilisation très particulière du globe pour symboliser un lieu ayant fait l’objet d’une donation. [11] .
Staurothèque de Mettlach (revers) , 1200-46, Eglise Saint Liudwinus, Mettlach
Au centre, le Christ élève de la main gauche le globe de son pouvoir.
Dans le registre du haut, l’abbé Folcold, à gauche, présente un globe contenant en bas une muraille et un bâtiment : il s’agit de sa donation, un lieu appelé Losheim (inscrit juste en dessous). A droite l’abbé Johannes et un anonyme présentent le même type de globe, symbolisant leur donation commune.
Dans le registre inférieur, quatre couples de nobles personnages présentent eux-aussi leur donation commune ou leurs donations séparées (troisième couple).
Staurothèque de Saint Matthias (revers), 1243-57, Eglise Saint Matthias, Trèves
Dans cet autre reliquaire, le Christ tenant le globe du pouvoir est représenté deux fois : au centre en Majesté, et en haut en tant qu’enfant dans les bras de Marie (sedes sapientiae).
Dans le registre inférieur quatre donateurs portent des globes plus simples : la comtesse Jutta , l’Empereur Heinrich III, le fondateur du monastère Liutwinus et l’évêque Everhard.
Dans ce contexte germanique où le globe du pouvoir impérial se voyait partout, les disques-donations constituent un cas particulier de possession, limitée à un lieu bien précis. Sous l’influence du globe cosmique du Seigneur, ils sacralisent et inscrivent dans l’éternité les donations et les donateurs, tous décédés depuis longtemps.
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Pour des images détaillées, voir https://foucautalain9.wixsite.com/patrimoine-urbain/single-post/les-peintures-murales-du-baptist%C3%A8re-saint-jean-de-poitiers
Hello,
Is it possible to reproduce one of your image of Lucifer, the one in Hortus deliciarum, 1159-75, brûlé en 1870, fol 3r ? It’s for my blog (in the condition to cite your reference of course…) ?
Thanks for your answer.
P.S. : I don’t know if it is possible to reproduce this image for a book ? (Surely we have rights to pay ?)
Pou un blog, pas de problème. Pour une utilisation commerciale, je ne sais pas.
Merci, oui c’est pour un blog uniquement.