4 Dieu sur le Globe : art ottonien et Beatus
Continuons à chercher des globes dans ces deux pôles de l’art roman à ces débuts : dans l’Empire germanique et dans la péninsule ibérique.
Article précédent : 3b Dieu sur le Globe : la renaissance carolingienne
Période ottonienne
On classe dans cette catégorie les oeuvres réalisées entre 950 et 1050 dans l’Empire germanique. Elles conservent encore des caractéristiques de l’art carolingien, et illustrent la transition vers les nouvelles tendances de l’art roman : le globe-siège, notamment, va passer totalement de mode.
Les Majestas ottoniennes
Le masquage comme profondeur de champ (SCOOP !)
Incipit de Marc, fol 79v |
Incipit de Jean |
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Evangéliaire de Saint Marien, Maria ad martyres, vers 800, Trèves, Staatsbibliothek HS 23
Cet Evangéliaire a très probablement été offert à Charlemagne lui-même par son précepteur Alcuin. Dans les quatre Incipit, les Animaux se succèdent dans l’ordre des Evangiles (dans le sens inverse des aiguilles de la montre), mais l’Evangéliste concerné est placé à la place d’honneur (en haut à gauche).
Majestas dei, fol 22v
Evangéliaire de Saint Marien, Maria ad martyres, 900-1000, Trèves, Staatsbibliothek HS 23
Au siècle suivant, le précieux manuscrit a été enrichi par cette Majestas Dei au globe, qui illustre de manière frappante les acquis iconographiques de la période carolingienne, et leur transmission aux enlumineurs ottoniens. La dominante rose du fond identifie le Christ en majesté à une aube nouvelle qui surclasse l’antiquité glorieuse : le portail corinthien qu’elle masque à demi.
Cette utilisation astucieuse du masquage pour étager la composition dans la profondeur est une innovation ottonienne qui est passée inaperçue. En voici un autre exemple :
Christ de l’Apocalypse, fol 11r
Evangéliaire et Capitulaire, 1000-15, Ms. theol. lat. fol. 283 Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin
Ce Christ en majesté très particulier a été inséré (à Trèves), juste avant les tables des Canons d’un manuscrit du siècle précédent (réalisé à Saint Maximin de Mayence). Il montre les sept chandeliers allumés de l’Apocalypse et Saint Jean sur le globe terrestre, se prosternant aux pieds du Seigneur assis sur son globe cosmique. Les sept chandeliers sont répartis symétriquement, et dans une logique d’ornementation croissante, de l’arrière-plan à l’avant-plan.
La sphère masque les deux chandeliers de l’avant, les seuls décorés de visages et agrémentés de pampres grimpantes.
Ainsi cette image à la gloire du chiffre sept est, discrètement, construite en sept plans superposés.
La technique du masquage trouvera son apothéose dans les mandorles en huit mises au point par l’école colonaise (voir 3 Mandorle double symétrique )
Reprise des schémas carolingiens et évolutions
Plaque de reliure, Trèves, 900-1100 |
Bible de Saint Paul Hors les Murs, 870-75 fol 259v |
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Cette plaque ne comporte pas de globe, mais illustre bien la grande créativité ottonienne à partir des schémas carolingiens. La mandorle en losange récupère la structure de la Majestas Dei de la Bible de Saint Paul Hors les Murs, les médaillons des pointes hébergeant maintenant, non plus les prophètes, mais la tête, la main droite, les pieds et la manche gauche du Seigneur. Les Animaux, devenus centripètes, murmurent à l’oreille de chaque Evangéliste, dans des contorsions élégantes. Notons la disparition du disque digital, passé de mode à la période ottonienne.
Ramwold, indigne abbé, fol 1
Codex aureus de Saint Emmeram, vers 870, Münich, Bayerische Staatsbibliothek Clm 14000
Cette page illustre de manière amusante le passage de témoin entre les ateliers carolingiens et ottoniens. Commandé par Charles le Chauve et probablement composé à Saint Denis, le manuscrit fut conservé à Saint Maximim de Trèves, avant d’arriver à Ratisbonne en 975 [0]. Un siècle plus tard, lorsqu’il fut restauré sur l’ordre de l’abbé Ramwold, celui-ci fit rajouter son portrait à la toute première page, au centre du losange des quatre vertus et du carré des quatre Evangélistes : cette appropriation d’une Majestas Dei carolingienne pouvant sembler quelque peu sacrilège, il prit la précaution de se faire qualifier d’Indigne, juste en dessous de la Prudence.
Une nouveauté : l’arc-en-ciel byzantin
Sacramentaire réalisé à Fulda et Mayence, 1025–50, Getty MS Ludwig V2 fol 22
La nouvelle formule, qui va devenir hégémonique à l’époque romane, est une mandore céleste, dans laquelle s’inscrivent deux arcs en ciel servant de siège et de marche-pieds. Ici celui du bas est rempli de collines et de fleurs pour rappeler qu’il représente la Terre.
Cette nouvelle formule traduit une volonté de schématisation et de sacralisation : Dieu qui était descendu s’asseoir près de chez nous (fut-ce sur le globe du Monde) rentre dans sa mandorle céleste, dont la Terre n’est plus qu’une région minuscule à la pointe de ses chaussures.
Ascension, coupole de Hagia Sophia (Thessaloniki), 9ème siècle
Le motif du siège en arc en ciel n’est pas une évolution du globe-siège, mais une importation byzantine, qui apparaît en Italie dès le 9ème siècle ([0b], p 44).
Parabole du Riche et de Lazare
Codex aureus Epternacencis, vers 1030-50, , réalisé à l’abbaye d’Echternach, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg, Hs 156142 fol 78r
A noter que le globe-arc en ciel n’est pas réservé au Christ : on le trouve ainsi, de manière isolée, dans cette représentation d’Abraham recueillant dans son sein l’âme du pauvre Lazare. La signification commune est donc « en haut du ciel ».
Saint Luc, p 58 |
Saint Jean, p 86 |
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Evangiles d’Otto III, vers 1000, Münich, BSB Clm 4453
Ce manuscrit témoigne de la virtuosité du scriptorium de Reichenau. Chaque évangéliste y bénéficie de la somptuosité d’une Majestas Dei : il est représenté dans une mandorle spécifique, surplombé par les médaillons de son Symbole et de ses cinq inspirateurs : quatre prophètes et un Roi (David pour Saint Luc, Salomon pour Saint Jean) : d’où les cinq livres sur ses genoux.
Deux Majestas impériales
L’Empereur Konrad II et son épouse Gisela
Codex Aureus Escorialensis, vers 1045-46, réalisé à l’abbaye d’Echternach, Cod. Vitr. 17, fol 2V, Biblioteca del monasterio El Escorial, Madrid
Mandorle pas hermétique pour tous puisque les mandants de Dieu sur terre, l’Empereur et l’Impératrice, sont admis à y passer la tête pour baiser son Petit Orteil : sans doute parce qu’ils étaient décédés tous les deux au moment où cette enluminure a été réalisée.
Une boutonnière spatio-temporelle (SCOOP !)
Pour comprendre l’image, il faut bien lire les couleurs, qui n’ont pas le même sens partout :
- à l‘extérieur de la mandorle, on passe du vert de la Terre au bleu du Ciel, puis aux couleurs irisées du Paradis où prient les Anges ;
- à l’intérieur de la mandorle, on passe du jaune du globe Terrestre (indiqué comme tel par sa position sous la ligne d’horizon) puis au bleu et au vert du globe du Cosmos, puis au doré du « ciel au dessus du ciel » où seul Dieu réside.
La zone extérieure montre le monde tel que les hommes le voient (y compris une éventuelle apparition angélique tout en haut).
La mandorle fonctionne ici comme une fente chirurgicale qui nous révèle, sous la surface apparente, la réalité telle que Dieu la voit : la Terre englobée dans le Cosmos englobé dans la Divinité.
L’ancien globe-siège est toujours présent, mais visible seulement par la fente.
Cette fonction de rendre visible le monde divin depuis le monde humain nous est confirmée par le texte, en latin mais écrit en caractères grecs, qui monte et descend sur les deux flancs. Il n’a pas été choisi par hasard :
Béni soit à jamais son nom glorieux! |
benedictum nomen majestatis ejus in æternum; |
Ainsi la branche montante conduit au mot Eternité, et la branche descendante au mot Terre.
L’Empereur Heinrich III et son épouse Agnès
Codex Caesareus Upsaliensis, 1045, réalisé à l’abbaye d’Echternach, Uppsala, Carolina Rediviva, Cod. C 93
Cette image, l’équivalente de celle réalisée par les même moines d’Echternach pour le couple impérial décédé, est dédiée au fils de Konrad II, Heinrich III et à son épouse Agnès.
L’image est totalement différente :
- L’Empereur et son épouse, bien vivants, sont représentées debout ;
- la mandorle-boutonnière a été remplacée par une mandorle en deux parties.
Sa signification est donnée, ici encore, par un psaume habilement coupé en deux et réparti dans les deux cercles :
Le ciel du ciel revient au Seigneur ; |
CAELUM CAELIS DOMINO |
La mandole cosmique ottonienne
L’image apparaît donc comme une succession de trois couches :
- au plus près du lecteur, le Christ, le Tétramorphe et le couple impérial ;
- derrière eux, le globe cosmique avec la Terre au milieu ;
- derrière encore, le « Ciel du Ciel » réservé à Dieu.
Ainsi l’enfoncement de l’oeil dans l’image équivaut à une avancée vers la transcendance.
Les deux parties de cette mandorle sont clairement dissymétriques :
- la partie haute, plus grande et de forme légèrement ogivale, est le domaine réservé de Dieu ;
- la partie basse, plus petite est de forme parfaitement circulaire, est son globe-siège, le Cosmos, accessible à l’Homme.
L’idée d’une mandorle en deux parties reflétant une division cosmique n’est pas nouvelle (voir 1 Mandorle double dissymétrique) : mais c’est dans l’art ottonien et mosan qu’elle acquiert une signification explicite et rigoureuse.
Frontispice des Opera Gregorii nazianzis (détail), abbaye de Stavelot,
vers 1020-1030, KBR II 2570 fol 3, Bruxelles
Dans l’inscription du cercle supérieur, le Christ proclame sa puissance cosmique :
Le ciel, je le gouverne à jamais par droit de puissance, et sous mes pieds le monde courbe ses masses. |
caelum perpetuo virtutis iure guberno. Atque meis pedibus incurvat pondera mundus |
Les mots Caelum et mundus, identifient les deux grands cercles comme le ciel supérieur, demeure de Dieu, et le Cosmos. Mundus, répété à nouveau sur le troisième cercle, désigne cette fois la Terre, en forme de T dans l’O.
Cette image nous enseigne que le même mot de « mundus » désigne à la fois la planète Terre et le Cosmos qui l’entoure, autrement dit tout ce qui n’est pas divin (Le « Ciel du Ciel »).
Supportée par les archanges Gabriel et Raphaël, la mandorle est encadrée par les deux personnages de la Déesis, la Vierge et saint Jean-Baptiste implorant la miséricorde du Christ :
Pitié pour lui, Seigneur |
Hoc cuncti oramus: miserere ei Deus . |
En dessous, une foule formée de onze apôtres se tient de part et d’autre, comme s’il s’agissait de l’Ascension. À gauche du groupe central, saint Pierre lève les deux mains au ciel, tandis que sur la droite, l’autre patron de Stavelot, saint Paul, frappe le scribe sur l’épaule, tout en levant l’autre bras. Au centre Grégoire de Nazianze, vêtu en évêque, élève du bras gauche son livre vers le Christ, et de l’autre tire par le bras le scribe, un moine bénédictin, en s’écriant:
Enlève-lui autant de péchés qu’il y a qu’il y a de signes tracés dans ce livre |
Postulat extensis Gregorius brachiis: Aufer buic sceletera (sic) quot sunt hic grammata scripta. |
Lequel a inscrit en haut de la page sa propre supplique :
Toi qui es le dispensateur de la vie, pardonne au scribe ses péchés » |
Qui dator es vitae, scriptori crimina parce. |
Bible de Stavelot, 1094-97, Add 28107 f.136, British Library
Dans cette Majestas réalisée dans la même abbaye de Stavelot à la fin du siècle, seul le frottement de la mandorle avec les médaillons des animaux volants, en haut, avec ceux des animaux terrestres, en bas, rappelle la polarité cosmique du motif. Le globe sous les pieds, en revanche, est ici complété par la figuration dite du T dans l’O, qui l’identifie clairement comme la Terre.
Le globe dans les Apocalypses ottoniennes
Le globe-siège, très présent au 9ème siècle dans l’Apocalypse de Trèves (voir 3b La Renaissance carolingienne), disparaît complètement dans les Apocalypses du siècle suivant : le Seigneur y est toujours assis sur l’arc-en-ciel.
Le trône de Dieu et la cour céleste Apocalypse 2,4 Folio 10 v
Apocalypse de Bamberg, vers 1000, réalisée à Reichenau, Staatsbibliothek,Bamberg, MS A. II. 42d
« Celui qui était assis avait un aspect semblable à la pierre de jaspe et de sardoine; et ce trône était entouré d’un arc-en-ciel, d’une apparence semblable à l’émeraude. Autour du trône étaient vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, avec des couronnes d’or sur leurs têtes. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres; …. et sept lampes ardentes brûlent devant le trône: ce sont les sept Esprits de Dieu. En face du trône, il y a comme une mer de verre semblable à du cristal et devant le trône et autour du trône, quatre animaux remplis d’yeux devant et derrière… Ces quatre animaux ont chacun six ailes… Puis je vis dans la main droite de Celui qui était assis sur le trône un livre écrit en dedans et en dehors, et scellé de sept sceaux« Apocalypse 2-4 a 3-1
L’image essaye le suivre le texte, mais difficilement :
- huit vieillards au lieu de vingt quatre, et ils ne sont pas assis sur des trônes ;
- pas d’yeux sur les animaux, et leurs six ailes sont déportées sur la face ronde en bas ;
- le livre est un rotulus ouvert, sans les sceaux et tenu de la main gauche.
Ne sachant pas comment illustrer le « trône entouré d’un arc-en-ciel <et d’où> sortent des éclairs », l’artiste en reste à la solution traditionnelle :
- un arc-en-ciel servant de siège ;
- un globe terrestre (la terre verte entourées d’eau bleue et d’air blanc) servant de marchepieds, sur lequel il branche cinq éclairs.
Cantique de louange sur la ruine de Babylone, Apocalypse 19,1-9, fol 47v
Apocalypse de Bamberg, vers 1000, réalisée à Reichenau, Staatsbibliothek,Bamberg, MS A. II. 42d
Un autre passage de l’Apocalypse, le Cantique sur la ruine de Babylone, décrit une nouvelle apparition de la Divinité, mais il n’y est plus question ni de livre, ni d’éclairs ; le texte parle en revanche d’un manteau blanc, et d’un ange devant lequel Saint Jean se prosterne.
L’artiste, avec économie, a repris la composition de la première planche, en supprimant le globe (puisqu’il n’y a plus d’éclairs à caser) et en rajoutant le manteau blanc.
Les Beatus
On appelle ainsi un commentaire sur l’Apocalypse rédigé par le moine Beatus de Liébana. On en a conservé une trentaine d’exemplaires, tous réalisés (sauf un) dans la péninsule ibérique, et qui dérivent certainement d’un prototype commun (disparu). Avec beaucoup de fantaisie et de variété dans le style, ils présentent des compositions stéréotypées, riches en détails et très proches du texte.
Celui-ci comporte plusieurs scènes où Dieu apparaît en majesté. Bien qu’ils ne présentent jamais de globe-siège (mis à part l’exception remarquable du Beatus de Saint Sever), il est intéressant de comparer quelques-uns de ces manuscrits en prenant comme échantillons-témoin les deux mêmes passages que pour l’Apocalypse de Bamberg :
- Le trône de Dieu et la cour céleste (Apocalypse 2,4)
- Le Cantique de louange sur la ruine de Babylone (Apocalypse 19,1-9).
Les Beatus ibériques
Commençons par le Beatus de Silos, pratiquement contemporain de l’Apocalypse de Bamberg.
Apocalypse 2-4, fol 83r | Apocalypse 19,1-9, fol 194v |
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Beatus de Silos, 1109, British Library Add.11695
Dans un style très géométrique et schématique, ces deux scènes montrent bien le respect scrupuleux du texte propre aux Beatus :
- les vieillards sont bien vingt-quatre et assis sur des trônes ;
- le livre est carré et avec six seaux (le septième doit être caché par le pouce) ;
- l’arc-en-ciel est bien autour du trône, avec les éclairs qui en sortent ;
- on voit les sept lampes et la mer de cristal (du vert émeraude que le texte attribue au trône).
La seule divergence par rapport au texte est le livre tenu de la main gauche, due à la nécessité de bénir de la main droite.
Quelques choix graphiques sont spécifiques à cette image dans tous les Beatus :
- les quatre animaux sont omis ;
- le corps endormi de Saint Jean est allongé en bas ;
- il tient en laisse son Aigle qui, tel un moderne drone, est monté se placer au plus près de l’Apparition (l’oiseau symbolise bien sûr son esprit, qui s’échappe pendant le sommeil).
C’est dans la seconde scène, celle du Cantique sur la ruine de Babylone, que les Beatus décalent le Tétramorphe : cette seconde image est donc une Majestas Domini traditionnelle, que seul le registre inférieur (Jean s’agenouillant devant l’Ange) rattache à ce moment particulier de l’Apocalypse.
A noter un petit détail qui diffère ici des autres Beatus : le Christ bénissant tient de la main gauche une hampe en forme de croix, à la place du livre habituel.
Apocalypse 4,2 | Apocalypse 19,1-9 |
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Beatus de Gérone, 975, Ms.7, cathédrale de Gérone
Les éclairs sont figurés par des flèches. Les sièges sont de deux sortes, en A ou en X. Dans la Majestas Domini, la main gauche tient bien le Livre.
Apocalypse 4,2 | Apocalypse 19,1-9 |
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Beatus de l’Escorial, 1000 , Bibliothèque royale de l’Escurial
Ce manuscrit montre un extrême en terme de stylisation et simplification (dues en partie au fait qu’ici les deux images ne sont pas pleine page).
Dans la première image, on note en bas l’ajout de la mer avec des poissons, pour indiquer que la vision a lieu sur l’île de Patmos.
Dans la seconde il ne reste pas grand chose de la Majestas Domini : le trône et le Tétramorphe ont été éliminés.
Apocalypse 4,2 | Apocalypse 19,1-9 |
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Beatus d’Osma, 1086 , Burgo de Osma, Archivo de la Catedral, Cod. 1
Dans cette version elle-aussi très simplifiée, l’artiste a eu l’idée, dans les deux images, de faire porter l’arc-en-ciel par deux anges.
Mais l’intérêt particulier de ce manuscrit est l’ajout, juste après la première scène, d’une image supplémentaire par rapport à la structure habituelle des Beatus, et qui est une Majestas Domini à part entière :
- la mandorle est en lévitation au milieu du ciel, non plus portée, mais seulement désignée par un ange ;
- les symboles du Tétramorphe apparaissent aux quatre angles ;
- entre eux s’intercalent dix anges musiciens, jouant de la cymbale ou du psaltérion.
Cet exemple montre l’influence, sur les enlumineurs des Beatus, des grandes compositions romanes qui commencent à fleurir aux tympans des églises. Elle montre aussi que la Majestas Domini se veut une image synthétique, indépendante de tel ou tel épisode de l’Apocalypse : sont significatifs à cet égard le sigle XPS qui désigne la figure comme étant le Christ, et la présence de deux livres : celui de l’Apocalypse, fermé avec ses sept sceaux ; et celui, ouvert, de l’Evangile.
Le Beatus de Saint-Sever
Apocalypse fol 121v 122r, Artiste A
Beatus de Saint Sever, vers 1050 , BNF MS Lat.8878, Gallica
Terminons par ce Beatus, un des plus tardifs et le seul connu à avoir été copié à l’époque romane au nord des Pyrénées. C’est aussi le seul à présenter un globe-siège.
Cette extraordinaire double page n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre :
- à la suite d’E.Mâle [1], toute une école d’historiens d’art y voit le prototype plus ou moins direct du tympan roman de Moissac ;
- pour une autre école (Schapiro, Grodecki [2]), c’est l’inverse : la preuve que les Beatus tardifs ont été influencés par l’art roman.
Sans prendre parti dans la polémique, précisons pourquoi cette image est si particulière.
Apocalypse fol 120v 121r Artiste B
Beatus de Saint Sever, vers 1050 , MS Lat.8878 BNF Gallica
On trouve juste avant elle une autre image double page, attribuée à un artiste différent, qui illustre le paragraphe 7,9 de l’Apocalypse :
« Après cela, je vis une foule immense que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue. Ils étaient debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches et tenant des palmes à la main. »
Il a été décidé ici de consacrer à ce passage deux illustrations consécutives, l’une montrant l’Adoration de l’Agneau et l’autre celle de Dieu. L’inscription dans le cadre en haut de la seconde illustration, difficilement lisible, est d’ailleurs la suite immédiate du texte, légèrement modifiée à la fin pour préciser qu’il s’agit de l’Adoration de Dieu :
« Et tous les anges se tenaient autour du trône, autour des vieillards et des quatre animaux; et ils se prosternèrent sur leurs faces devant le trône <et ils adorèrent Dieu>« . Apocalypse 7,11.
La suite du texte explique pourquoi Dieu est représenté de manière si particulière, en posture impériale avec lance et médaillon (sur ce dernier détail, voir 3 Dieu sur le Globe : haut moyen âge) :
Amen! La louange, la gloire, la sagesse, l’action de grâces, l’honneur, la puissance et la force soient à notre Dieu, pour les siècles des siècles! Apocalypse 7,11.
Comme le remarque L.Grodecki [2] , cette image remplace l’illustration habituelle du paragraphe 4,2, manquante dans ce Beatus si particulier.
Passons maintenant à notre seconde image-témoin, qui elle est bien présente à l’emplacement habituel :
Apocalypse 19,1-9, fol 199r, Artiste B
Beatus de Saint Sever, vers 1050 , MS Lat.8878, BNF, Gallica
Il s’agit bien ici d’une Majestas Domini christique, comme le montre l’abréviation CRistuS DoMinuS.
Deux Majestas bien distinctes (SCOOP !)
Fol 121v 122r (détail) | Fol 199r (détail) |
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Nous sommes donc dans ce riche manuscrit en présence d’un cas chimiquement pur de distinction entre les deux formules du trône, associé aux deux personnes de la Majestas :
- le globe-siège pour celle de Dieu « Puissant et fort », barbu avec lance et médaillon;
- le trône avec coussin pour celle du Christ imberbe.
Ce Beatus nordique est la seul à utiliser encore, pour le Seigneur tout puissant, la vieille formule cosmique conservée par les ottoniens :
- le globe-siège pour le ciel, constellé d’étoiles ;
- le globe-escabeau pour la Terre, semée de fleurs.
Article suivant : 5 Dieu sur le globe : l’âge d’or des Majestas
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