– Le Globe dans le Psautier d’Utrecht
Ce manuscrit, daté des années 820, est la copie d’un manuscrit perdu datant probablement du début du 6ème siècle
L’iconographie du globe y est particulièrement riche et cohérente : comme les images suivent le texte quasiment littéralement, elles constituent un lexique très précis des diverses significations du globe à cette période-charnière entre l’antiquité finissante et le renouveau carolingien [0].
Dieu assis sur un trône
Cette figuration existe dans le manuscrit, mais en deux occurrences seulement.
PSAUME 3 fol 2v
La montagne sainte dont il est question est le Mont Sion.
PSAUME 58 fol 33r
Ce trône quadrangulaire, qui ressemble à un autel de sacrifice, semble caractériser le Dieu d’Israël
Le globe-siège
PSAUME 59 fol 34r
Dans toutes les autres images où Dieu est assis, c’est sur un globe-siège posé par terre, selon la plus pure tradition paléochrétienne.
La mandorle
PSAUME 8 fol 4v
Cependant la représentation la plus courante dans le manuscrit est un globe-siège englobé dans une mandorle ovoïde, qui illustre l’idée de Gloire.
Il est souvent difficile, dans le manuscrit, de distinguer entre montagnes et nuages. Ici le texte, ainsi que les quatre anges en vol qui soutiennent la mandorle, précisent bien que Dieu trône dans le ciel.
PSAUME 17 fol 9r
Lorsque Dieu est debout, le globe-siège est omis : la mandorle est donc un élément indépendant du globe (pas une sorte de « dossier » qui serait assujetti derrière).
PSAUME 11 fol 6v
Ici le globe est conservé dans la mandorle afin d’illustrer le mouvement : Dieu vient de se lever pour descendre sur terre.
Ainsi il faut comprendre la mandorle comme une sorte de membrane lumineuse que le Seigneur peut traverser à loisir, selon qu’il veut se manifester dans sa gloire ou dans sa proximité.
PSAUME 51 fol 30r
Cette image distingue bien deux figurations de Dieu, et deux arbres :
- Dieu sans mandorle, descendu sur terre avec un tranchoir, pour déraciner le mauvais arbre ;
- Dieu trônant dans le ciel dans sa mandorle, avec l’olivier fertile à ses pieds.
A noter que les anges latéraux ne soutiennent pas la mandorle dans les airs (ils parlent aux Justes) : celle-ci est posée à même le sol du Paradis, au même titre que le globe-siège.
PSAUME 88 fol 51v
Même remarque ici : les deux boules représentant le Soleil et la Lune ne supportent pas la mandorle, mais sont posés devant. Ces deux planétaires font système avec le globe-siège, prouvant par là que ce dernier représente bien la Terre.
Apocalypse de Cambrai, 800-50, BM 0386 fol 27
La comparaison s’impose avec cette iconographie très particulière, remontant également à un manuscrit perdu du 6ème siècle, où l’image ne suit pas littéralement le texte :
« Puis il parut dans le ciel un grand signe: une femme revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête » Apocalypse 12,1
Tandis que l’iconographie apocalyptique concurrente, celle des Beatus, représentera la femme avec le soleil sur son ventre et debout sur le croissant de lune, le copiste préfère ici la figuration antique, moins fidèle au texte, où le Soleil et la Lune constituent une paire de boules symétriques.
PSAUME 71 fol 40v
Dans cette image très complète, la mandorle est posée au sol (les anges ne la soutiennent pas. Le globe terrestre est complété par l’image du Démon foulé aux pieds. On remarquera l’absence du Soleil, puisque le texte ne mentionne que la Lune.
Psautier d’Eadwine, 1155-1160, R.17.1 041 fol 20r (détail), Trinity College, Cambridge
Il est amusant de noter que ce psautier médiéval remodèlera l’image en la symétrisant : le Soleil est rajouté pour faire pendant à la Lune, et l’Homme à la pluie est recentré pour faire pendant au Pauvre.
PSAUME 92, fol 54v
Le Christ est ici représenté en combattant, debout dans la mandorle. Et son globe-siège réapparait au dessous, scindé en ses deux composantes :
- le trône lui-même ;
- le globe de La Terre, affermi par deux atlantes [1].
Complexités théologiques
La « charte graphique » du manuscrit résiste remarquablement face à la complexité de certains textes.
PSAUME 97 fol 56v
Dans cette illustration, le Seigneur apparaît dupliqué :
- debout avec la Balance de la Justice,
- assis sur le globe avec la Palme de la Victoire.
L‘auréole unique sert sans doute à signifier qu’il s’agit bien d’une seule Personne : en mouvement et au repos
La Terre est elle aussi dupliquée : dans le siège-globe et dans la demi-sphère qui le soutient.
PSAUME 109 fol 64v
Dans cette image très riche, Dieu (assis sur un globe, auréole simple) cohabite avec le Seigneur (assis sur un trône simple, auréole à chrisme). Le globe-siège apparaît donc de facto comme hiérarchiquement supérieur au trône quadrangulaire, ce qui traduit bien l’esprit du texte.
CANTICUM 13, fol 90r
Ici au contraire, l’artiste a dupliqué hors de la mandorle le globe-siège du Père, pour y poser le coussin du Fils : manière de signifier la parfaite égalité entre les deux, au sein de la Trinité.
A noter la même différence d’auréole : sans chrisme pour le Père, avec chrisme pour le Fils (dans les bras de sa mère ou sur Terre).
La mandorle sans Dieu
La mandorle n’est pas un attribut spécifiquement divin : ici elle entoure la figure du roi David, muni de quatre attributs de sa Royauté : le couronne, le sceptre, le trône, et le globe du Pouvoir sur ses genoux. La mandorle qui l’entoure crée une similitude voulue avec l’image divine. Symboliquement, elle montre que David, le Serviteur de Dieu, tente de lui ressembler ; et littéralement, elle image une sorte de « capsule de gloire » qui isole le Serviteur de la contagion des impies.
Le globe sans Dieu
PSAUME 49 fol 28v
Pour Suzy Dufrenne [1], « …la Terre-reine est figurée, au ps. 49 (f. 28v), couronne en tête, cornes d’abondance et globe terrestre sur les genoux ; elle tient deux bâtons, instruments de mesure, indiquant sans doute la plénitude de sa richesse. « .
Cette figuration de la Terre assise sur un trône quadrangulaire, et se portant elle-même comme attribut se distingue parfaitement de celle de Dieu assis sur le globe terrestre.
Elle se distingue aussi clairement des représentations antiques de Tellus :
Médaillon de Commode en Janus, 187, orichalque
Pour comparaison, rappelons cette représentation antique de Tellus stabilis (la Terre stable) où le globe est cette fois, comme c’est toujours le cas à Rome, la sphère céleste (voir 1 Epoque romaine).
Les deux bâtons
Je pense pour ma part que les « deux « bâtons », totalement originaux, ont été imaginés pour illustrer très précisément l’expression « du levant au couchant ».
Ces deux notions sont personnifiées dans les coins supérieurs par deux demi-soleils tenant un martinet (pour fouetter les chevaux du char), qui encadrent la figure céleste du Christ en gloire ; en dessous la Terre avec deux longs fouets domine les deux moitiés du monde.
PSAUME 49 fol 28v (ensemble)
En prenant un peu de recul, on ne peut qu’admirer l’intelligence avec laquelle l’illustrateur a réussi à organiser tous les éléments d’un texte touffu. L’axe vertical Seigneur-Terre divise la composition en deux moitiés symétriques, à la manière d’un Jugement Dernier :
- à gauche, entre temple et autel, les Bons, qui font des sacrifices ;
- à droite, entre les deux arbres à oiseaux, les Mauvais, qui se détournent de la Parole divin.
Chacune des scènes latérales contient un groupe d’hommes, un groupe d’animaux, et une tempête.
PSAUME 89, fol 53r
La même figure de la Terre-reine, son globe sur les genoux, complète celle de la Lune, prise ici par métonymie comme représentant le Monde.
Psaume 101, fol 58r
A noter que le psautier offre d’autres représentations antiques de la Terre : ici comme mère nourricière, offrant ses seins et tenant sa corne d’abondance.
Références :
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