4-5 Le donateur-souris : en groupe
Aux pieds de la Madone vient parfois se prosterner un groupe de personnes : au début, on trouve surtout des religieux ; puis, de plus en plus souvent, des laïcs, et en particulier des familles.
La Madone avec des religieux
Je n’ai trouvé cette formule qu’en Italie
Madone des Franciscains
Duccio di Buoninsegna, vers 1300, Pinacoteca Nazionale, Siena
Dans cette représentation très originale, trois frères mineurs franciscains s’inclinent vers la Vierge, comme illustrant trois étapes de la prosternation byzantine (proskinesis) : le plus humble embrasse même son soulier. Leur entrée en position d’invitation se justifie doublement : par le geste de bénédiction de l’Enfant, mais aussi par le geste très particulier de Marie, qui le accueille en relevant de son bras droit le pan de son manteau .
Madone avec des moines carmélites, vers 1280, copyright Byzantine museum, Nicosie
Duccio s’inspire ici de modèles byzantins pour introduire dans sa Madone en majesté les prémisses d’une iconographie qui ne se développera en Occident que quelques années plus tard et sous l’influence cistercienne, celle de la Vierge de Miséricorde (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde).
Madone des Franciscains (inversée)
L’image inversée montre a contrario la puissance ascensionnelle de cette composition très innovante.
Madone des Clarisses
Giuliano da Rimini,1307, Isabella Stewart Gardner Museum, Boston
Cet autel a été commandé pour l’église San Giovanni Decollato d’Urbania, pour l’ordre des Clarisses. En position d’honneur dans le registre supérieur, Saint François d’Assise (patron de l’ordre) et Saint Jean-Baptiste (patron de l’église) forment couple avec Sainte Claire et Sainte Catherine dans le registre inférieur.
Le côté humble est construit symétriquement au côté honorable : en haut Saint Jean l’Evangéliste fait pendant au Baptiste, et l’apparition de l’ange à Marie-Madeleine au désert fait pendant à l’apparition de la croix à Saint François. En bas Agnès et Lucie complètent la galerie de saintes : à noter leurs quatre gestes différentiés pour tenir les pans de leur manteau.
Au centre huit nonnes, certaines très riches à en juger par leurs bijoux, élèvent les hras vers Jésus. L’inscription au dessous, un hymne grégorien, commente directement la scène :
Voici la véritable fraternité qui vainc les iniquités du monde ; Elles suivent le Christ, tenant dans leurs mains les célèbres royaumes célestes. |
Haec est vera fraternitas quae vicit mundi crimina; Christum secuta est inclyta tenens regna caelestia |
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Nous sommes donc ici très proches du thème de la Vierge de Miséricorde, mais sans l’image du manteau protecteur de Marie, et avec une tonalité plus offensive offensive que défensive. Pour vaincre (et non pas éviter) les iniquités du monde, nos huit Clarisses se recommandent, non de la protection verticale de la Madone, mais de leur propre fraternité, élargie aux quatre saintes exemplaires.
Triptyque de dévotion
Maître du Triptyque Wallraf, 1335, Collection Alana, Newark
Une jeune clarisse est présentée par Saint François, tandis qu’en face Sainte Claire intercède pour elle auprès de Marie. N’aurait-il pas été plus logique d’intervertir Claire et François, de manière à ce que les deux femmes se trouvent à droite, et le saint principal à gauche, en position d’honneur ?
Pour comprendre cette intrigante disposition, il faut lire la composition dans son ensemble .
En haut, comme souvent, on trouve dans les écoinçons une Annonciation sous sa forme canonique, avec Marie à droite en position d’humilité, en tant que servante du Seigneur (voir ZZZ).
Au centre, l’inversion méditée de la madone Hodegetria met l’Enfant en position de bénir sur la droite, et établit un parallèle visuel entre Marie mère de Dieu et Marie servante du Seigneur : l’absence de trône et la vue à mi-corps en font une sorte de Madone de l’Humilité avant la lettre.
En bas, la jeune impétrante et le plus humble des Saints se positionnent à l’imitation de Marie, côté Humilité, tandis que Saint Claire, en tant qu’intercetrice, se positionne côté Ange pour s’adresser à Marie.
Triptyque avec des saints, la Crucifixion et une Vierge à l’Enfant avec six donateurs
Bernardo Daddi, 1335-40, Kunstmuseum Bern
Dans le volet droit, la répartition des spectateurs rassemblés devant le berceau à bascule de l’Enfant fait exception à la disposition traditionnelle, puisqu’on distingue deux femmes à gauche, deux moines au centre et deux hommes à droite.
Cette répartition est délibérée : elle a pour but de mettre en parallèle l’Adoration de l’Enfant et la scène tragique de la Crucifixion, qui quant à elle suit l’ordre habituel : les saintes femmes, un moine agenouillé au pied de la croix, deux hommes. Le parallèle va jusqu’aux couleurs des robes (rouge-jaune-vert-rouge).
Vierge avec Sainte Catherine, Saint Zénobie et trois donateurs
Ecole de Bernardo Daddi, 1335, Museo dell’Opera del Duomo Florence
Deux personnages sont en prière devant la Vierge à l’Enfant : à gauche, une noble dame en riche robe (la donatrice, peut être prénommée Catherine ?), à droite une femme en robe noire (la dirigeante d’une confrérie ?), suivie par un jeune porte-cierge. [1]
Cette image pose d’intéressants problèmes d’interprétation. On peut en distinguer au moins trois, qui se complètent sans s’exclure.
1) La représentation d’un miracle
Il existait à Bagnolo une icône miraculeuse, aujourd’hui perdue, mais dont on connait plusieurs copies (on sait qu’il s’agissait d’une Madonna del Parto, même si la grossesse ne saute pas aux yeux) . Ce panneau serait une copie commandée pour la même église de Bagnolo à l’usage de la Confraternité de Santa Maria Vergine e di san Zenobio [2]. Les confraternités médiévales étaient des associations cultuelles ayant pour but d’obtenir, grâce à la mutualisation de leurs prières. l’intercession de leur saint patron.
Seule copie de la Vierge de Bagnolo incluant des donateurs, ce panneau montre donc une « image à l’intérieur de l’image »[3], et plus précisément le miracle de l’icône prenant vie, la Vierge tendant sa main en dehors du cadre (le cierge de l’acolyte a manifestement pour fonction de souligner cette irruption).
2) Une « visio divina »
Je vais tenter de résumer en un schéma la très intéressante étude que Lars R. Jones a consacré à ce panneau, en le resituant dans le contexte théologique de l’époque [4]. Pour Lars R. Jones, nous sommes en face de ce qu’il baptise une « visio divina », à savoir un dispositif graphique délibérément ambigu, destiné à créer pour le spectateur une expérience tangible de présence du divin (un peu comme des lunettes 3D font sortir dans la salle les personnages de l’écran).
Un autre panneau de la même époque, la Madone des Flagellants de Vitale da Bologna, montre lui-aussi un tableau appartenant à une confrérie. Les flagellants sur le bord peuvent être vus comme « hors du cadre » (contour bleu clair), contemplant le tableau qui leur appartient (contour bleu foncé) ; mais ils peuvent aussi être vus comme « dans le cadre », donc dans le même plan que l’Enfant qui les regarde. Par une sorte d’effet de proportionnalité, le tableau induirait l’idée que, de même que l’Enfant regarde les Flagellants qui regardent le « tableau dans le tableau », de même la Vierge regarde le spectateur qui regarde le tableau, lui décochant un regard immédiat qui traverse tous les niveaux de représentation (flèche violette).
3) Une intercession d’intercession (SCOOP !)
Le livre affiche, en italien, une prière à la première personne :
Douce Vierge Marie de Bagnolo, je te prie d’implorer sa charité et sa puissance afin qu’il me fasse grâce de ce qui me fait besoin | Dolcissima Vergine Maria da Bangnuolo priegoui che preghiate lui per la sua charita et per la sua potenzia mi faccia grazia di ciò che mi fa mestiere |
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Selon moi, ce livre n’est autre que les prières cumulées des consoeurs, transmises par leur représentante (comme le suggère le fait qu’il est écrit à l’endroit) . Car le cadre est perméable dans les deux sens : la main gauche de la Vierge a été chercher le livre, et sa main droite ressort comme pour en accuser réception. Ce dialogue très exceptionnel entre le divin et l’humain est conforté par un détail tout aussi exceptionnel :
le carrelage en perspective inversée suggère que la plateforme continue, sur laquelle se trouvent les donatrices et les deux saints, est à voir non du point de vue du spectateur, mais du point de vue de l’icône !
Nous sommes donc ici face à une cascade d’intercessions : les consoeurs, à l’extérieur du panneau, demandent à leurs représentants (trois humains et deux patrons) d’intercéder auprès de la Vierge pour qu’elle intercède elle-même auprès du Christ, figuré bénissant dans le fronton.
Vierge avec Saint Thomas d’Aquin et Saint Paul
Bernardo Daddi, vers 1330, Getty Museum, Malibu
Cette autre copie de la Vierge de Bagnolo, par Daddi, est également une « image dans l’image » (comme le montre le parapet) mais sans interaction bidirectionnelle. Le livre porte le début du Magnificat – la prière que Marie adresse à Dieu lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte (Luc 1:39-56)
Le texte dévotion privé, le niveau intermédiaire d’intercession, celui de la confrérie, n’a pas sa place.
Madone des Flagellants (Madonna dei Battuti) Vitale da Bologna, 1350, Pinacothèque du Vatican |
Vierge de miséricorde |
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Ce panneau a été commandé par la confrérie de Flagellants blancs de la Compagnia di Santa Maria Novella à Ferrare. Le peintre s’est contenté d »appliquer la formule de la bénédiction sur la gauche au groupe de confrères, qui se présentent comme un seul homme sous l’index de l’Enfant.
L’iconographie de la Vierge de la Miséricorde, qui se développera un peu plus tard, favorisera au contraire une répartition bipartite, sous le manteau unificateur.
La Madone avec une famille
Commençons par deux deux cas particuliers, dans lesquels la Madone abaisse une main vers les donateurs (peut être sur le modèle de celle de Bagnolo).
Le panneau de gauche, malheureusement tronqué en bas, comporte deux groupes de donateurs, sept hommes à gauche est sept femmes à droite, chaque groupe ayant donné un vase de fleurs.
Le panneau de droite montre une famille idéale (un père et ses deux fils, une mère et ses deux filles), mais sans don d’un objet. Cette composition fait exception à la « règle » que nous avons dégagée dans l’Art italien pour les Madones avec couple (4-4 …en couple) : l’Enfant est pratiquement toujours du côté féminin.
Giovanni di Pietro da Napoli, 1400-10, Pinacoteca Nazionale, Siena |
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C’est sans doute la présence des filles en escalier devant la mère, dans une composition marquée par les diagonales ascendantes, qui a donné l’idée de positionner l’Enfant « devant » sa mère.
Cette effet d’imitation entre la mère terrestre et la mère céleste est clairement marquée dans la Madone de droite, où les deux mères tiennent de la même manière leur enfant dans les bras.
Mais au XIVème siècle, la formule de loin la plus courante est celle où la Vierge en majesté est indifférente à la présence des donateurs-souris.
Vierge à l’Enfant avec Saint Grégoire, Saint Jean Baptiste et deux couples de donateurs
Segna di Bonaventura, 1298-1326, Collegiata di S. Giuliano, Castiglioni Fiorentino
On connaît ici les noms des deux couples de donateurs : Mona Vanna derrière son mari Goro di Fino, Mona Miglia derrière Fino di Bonajuncta. Aucun n’a de prénom en rapport avec les deux saints. On peut imaginer que la position de l’Enfant et du Saint le plus prestigieux, Saint Jean Baptiste contribue, en valorisant la moitié droite, à résoudre le problème diplomatique que posait la représentation des deux couples de donateurs.Il est clair que la séparation habituelle selon les sexes aurait été bien plus problématique, l’un des hommes devant nécessairement précéder l’autre dans sa proximité avec la Vierge.
La solution retenue préserve à la fois l’égalité entre les couples et le préséance du mari sur son épouse.
Vierge à l’Enfant avec des anges, deux prophètes et trois donateurs inconnus
Francesco di Neri da Volterra, 1338-76, Galleria e Museo Estense, Modène
Sous une apparence rangée, cette Madone cumule les petites originalités :
- en haut les deux prophètes inversent la position de leur bras droit et celle de leur banderole ;
- plus bas, les anges ne tiennent pas le drap d’honneur, mais l’ont déposé sur la chaise ;
- au centre, l’enfant Jésus ne touche pas l‘oiseau,
- en bas, les trois donateurs négligeables occupent deux avancées qui les mettent en valeur.
On ne sait rien sur eux, sinon qu’il s’agit apparemment d’un homme, d’une femme et d’une petite fille.
Vierge à l’Enfant avec la famille de Nofrio Santi, entre Saint Michel Archange et Sainte Ursule.
AllegrettoNuzi , 1365, Pinacoteca vaticana
Ce triptyque est intéressant à deux points. D’une part, il étend aux panneaux latéraux la bipartition masculin/féminin du panneau central. D’autre part, le cantique grégorien inscrit sur le socle exprime parfaitement la psychologie servile du donateur-souris :
Vers toi, j’ai levé les yeux, qui habites dans les cieux. Voici, comme les yeux des serviteurs sur les mains de leurs maîtres. Et comme les yeux de la servante sur les mains de sa maîtresse. Ainsi nos yeux vers le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous. Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous. | « At te levavi oculos meos qui habitas in coelis. Ecce sicut oculi servorum in manibus dominorum suorum. Et sicut oculi ancillae in manibus dominae sue, ita oculi nostri ad dominum deum nostrum donec misereatur nostri. Miserere nostri domine Miserere nostri. » |
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Vierge à l’Enfant avec la famille de Bonacchorso Compagni
Giovanni del Biondo, 1387, presbytère de l’église San Felice a Ema Florence
Cette Madone est tout ce qui reste d’un polyptyque à cinq panneaux volé en 1921 [5] . Il montre Bonacchorso Compagni à gauche avec ses huit fils, son épouse à droite avec ses six filles. Les inscriptions du bas sont intéressantes par leur différence de statut.
L’inscription du haut s’adresse à la Vierge en latin :
« ave dulcis virgo maria succhure nobis mater pia »
Celle du dessous, autrefois accompagnée sur la prédelle par les armoiries du couple, s’adresse au passant en italien :
Questa tavola a fatto fare bonacchorio chompagni per rimedio del anima sua e de suoi
Anni domini MCCCLXXXVII Adi XXV del mese Dottobre
Ce panneau a le mérite d’illustrer une évidence que nous n’avons pas mentionnée jusqu’ici : toutes les figures sacrées sont vues de face (y compris l’ange avec la couronne du fronton et l’Ecce Homo au centre de l’inscription), tandis que celles des donateurs sont vues de profil : cette position, logique puisqu’ils lèvent les yeux vers la Madone, a aussi deux autres vertus :
- fournir une second procédé graphique (outre la taille souris) pour distinguer le divin et l’humain ;
- faciliter pour le peintre l’obtention d’une ressemblance avec les modèles, au moins pour le père et la mère.
Sainte Anne trinitaire avec trois donatrices
Benozzo Gozzoli, 1460-70, Museo Nazionale di S. Matteo, Pisa, photographie www.museobenozzogozzoli.it.
Logiquement, la donatrice aurait dû se trouver à gauche, en position d’honneur au bénéfice de l’âge. En la plaçant sous le genou de Sainte Anne, et les deux jeunes femmes sous celui de Marie, l’artiste nous fait comprendre qu’il y a entre elles le même rapport mère-filles qu’entre les deux saintes figures.
Vierge du lait avec un donateur Vers 1457, Iglesia de San Pedro y San Pablo, Ademuz |
Vierge à l’enfant avec des donateurs 1470, Musée des Beaux-Arts de Bilbao |
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Bartomeu Baró
On ne sait pas grand chose sur Baro, et rien sur les donateurs représentés dans ces deux tableaux.
Dans le premier, l’Enfant désigne du doigt le donateur qui le regarde ; il tient des cerises dans la main gauche, tandis que sa mère s’apprête à lui donner le sein.
Dans le second, l’Enfant agrippe l’index de Marie en tenant un chardonneret dans sa main droite , indifférent à la famille qui ose à peine lever les yeux vers lui : seuls les deux anges sont admis à le regarder. Il se peut que, à cet étage sacré, les fleurs de lys à gauche et le vase de roses à droite représentent les échos idéaux, en pureté et en beauté, des garçons et des filles assignés au rez-de-chaussée. Mis à part la séparation des sexes, la famille fait montre d’une joyeuse anarchie : tous ont la même taille et on distingue à peine le père de ses quatre fils (il porte une cape et un turban), la mère de ses quatre filles (elle est la seule à tenir un livre).
Outre la différence de style (encore gothique pour le premier, marqué par les influences italiennes pour le second [6]), les deux panneaux caractérisent bien les deux formules, avec et sans interaction avec l’Enfant.
Vierge à l’Enfant avec des Saints et la famille Tornielli (détail)
Anonimo di Borgomanero , 1470-80 , Pinacoteca Civica del Broletto, Novare, provient de la paroi Sud de l’église San Clemente de Barengo.
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La famille se range devant la Madone dans l’ordre suivant :
- au plus près de l’Enfant Jésus, le fils cadet, présenté par Saint Clément, le patron de l’église ;
- ses cinq frères par ordre d’âge croissant,présentés par Saint Jean Baptiste, Sain Fabien (?), Saint Sébastien, Saint Jean l’Evangéliste (?), Sainte Marguerite
- le père Giovanni Tornielli, seigneur de Barengo, présenté probablement par Sainte Marie Madeleine,
- les deux soeurs, présentées par un saint cavalier et saint Jules
- la mère, présentée par un saint moine (Saint Benoît ou saint Bernard).
En face de cette procession d’humains et de saints agenouillés vers la gauche, donc en direction du choeur, la paroi Nord de l’église présentait une fresque centrée : le Christ au milieu des douze apôtres. [7]
Vierge à l’Enfant avec des anges et une famille de donateurs
Master of Castelsardo, 1475-1500, Birmingham Museums Trust
Ce maître sarde manifeste un sens encore très médiéval de la hiérarchie, matérialisé par une architecture à trois étages :
- au rez de chaussée, les humains : une famille dont on ignore tout (un fils unique, son père et sa mère) mais qui constitue clairement des portaits d’après nature ;
- au premier étage, les divins bambins : l’enfant Jésus bénissant, entre deux putti délégués à tenir des oiseaux ;
- au deuxième , la Mère en gloire, deux ange soulevant sa couronne et deux autres son drap d’honneur ;
- au troisième, dans la coquille du trône, trois angelots musiciens évoquant la voix de Dieu le Père.
Retable de Pierre Artaud
Simon Masclet, 1488, Eglise Saint Denis, Ventabren
De manière exceptionnelle, l’abbé Requin a d’abord retrouvé dans les archives le contrat établi pour un tableau entre Pierre Artaud, éleveur à Ventabren, et Simon Masclet, peintre. Selon ce contrat, le tableau devrait montrer Pierre Artaud et ses deux fils avec Saint Pierre, son épouse avec Saint Jean Baptiste ; la prédelle figurerait Jésus entre les 12 Apôtres ; au revers, on montrerait Dieu le Père peint sur un fond d’azur semé d’étoiles dorées.
Puis en 1952 Jean Boyer a retrouvé le tableau correspondant au contrat.
On remarquera que, à l’inverse de la tradition des pays du Nord, où les fils respectent la hiérarchie en se plaçant derrière leur père, les enfants sont ici poussés en avant vers l’Enfant Jésus.
On ne sait rien sur les familles représentées dans ces deux panneaux, qui ont l’intérêt de montrer que la taille des donateurs est conçue à la fin du XVème siècle plus comme une commodité graphique que comme un trait de modernité :
- le panneau de gauche, de style Renaissance, a conservé la taille souris tout en accordant une place centrale aux donateurs, dans une encoche qui leur est réservée, au plus près de la Madone et de l’inscription « AVE REGINA CELORUM » ;
- le panneau de droite, nettement « old school », leur donne la taille enfant tout en les reléguant dans les marges.
La Madone avec des laïcs
Madonna del Ceppo
Filippo Lippi, 1452-53, Museo Civico, Prato
On trouve une juxtaposition de taille « souris » et taille « enfant » dans ce panneau, sur lequel on sait beaucoup de choses [8] : le « Ceppo » était une organisation d’assistance fondée à Prato grâce au legs énorme du marchand Francesco Datini, mort sans enfants. Le panneau a été commandé par les quatre administrateurs, les « Buonomini del Ceppo » (Andrea di Giovanni Bertelli, Filippo Manassei, Pietro Pugliesi et Jacopo degli Obizzi) représentés en taille souris face au saint patron de Florence, Saint Jean-Baptiste, et sous le saint patron de Prato, Saint Etienne (celui-ci porte sur le crâne les cailloux de sa lapidation et tient en main le gonfalon du Peuple de Florence).
L’homme en rouge qui les présente, de taille enfant, est bien sûr le fondateur, Francesco Datini (le panneau est d’ailleurs resté accroché en plein air dans une cour de son palais jusque vers 1850, bon éloge de la résistance de la tempera). Datini étant mort en 1410, Lippi a pu reconstituer son visage d’après différents portraits subsistant à Prato.
Madonna del Berti, avec Francesco Datini et sa femme Margherita Bandini
Fresque de l’Oratoire de la Romita, Prato
Dans une étrange inversion, Datini apparaît ici du côté droit, toujours aux pieds de Saint Etienne (côté Prato) tandis que son épouse Margherita Bandini figure du côté gauche aux pieds de Saint Jean Baptiste (côté Florence). Les défunts sont représentés dans une jeunesse idéale ( Margherita était morte en 1423 à quatre vingt six ans) et une fausse proximité, Francesco étant enterré à Padoue et Margherita à Florence, où elle s’était retirée à la mort de son mari.
On en sait beaucoup sur ces deux-là grâce à la découverte exceptionnelle, dans un escalier muré, de leurs archives personnelles et commerciales : notamment l’efficacité avec laquelle Margherita gérait les affaires de son mari, éloigné de Prato la plupart du temps. C’est peut être cette réputation de femme de tête qui lui a valu, dans la ville où elle gérait ses affaires, cette place exceptionnelle à la droite de la Madone, mais sous l’égide de Florence, ville de sa naissance et de sa mort.
La Trinité avec Francesco Datini, sa femme Margherita Bandini et sa fille adoptive Ginevra
Niccolò di Pietro Gerini, 1400-10 Musées du Capitole, Rome.
Pour comparaison, nous connaissons un autre panneau plus officiel, réalisé cette fois du vivant des deux époux, et où chacun occupe sa position traditionnelle. On connait l’identité de la jeune fille qui précède Margherita : il s’agit de Ginevra, une fille naturelle de Francesco dont elle s’occupa jusqu’à sa mort [9].
Repas de Saint Dominique avec des Saints
Fresque attribuée à Bartolomeo Bochi, vers 1450, Conservatoire San Niccolò, Prato
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C’est selon la même image figée que les deux femmes ont été représentées bien plus tard, priant humblement à la gauche de Saint Dominique, tandis que deux anges et deux moines empressés assurent le service.
Premier triptyque de Valle Castellamo
Crivelli, 1472, Pinacoteca, Ascoli Piceno
Dans ce triptyque très détérioré [10] , le panneau central montre la Vierge à l’Enfant entre deux personnalités connues pour leur combat contre les hérétiques, représentées en taille intermédiaire entre les grands personnages et les donateurs-souris : en position d’honneur un Saint, le dominicain Pierre de Vérone , et en position d’humilité une personnalité locale encore vivante (il mourra en 1476), le franciscain Jacques de la Marche. Dans le panneau de gauche, on comprend que le grand Saint Pierre vienne épauler son homonyme, tandis que dans le panneau de droite Saint Sébastien n’a pas de rapport évident avec le bienheureux franciscain.
Une vierge de la Misericorde (SCOOP !)
Aux pieds de Marie prient un groupe d’homme en manteau noir et un groupe de femmes en capuche, dont les vêtements font écho à ceux des deux prieurs qui les dominent. Leur position devant le manteau de Marie évoque l’iconographie de la Vierge de la Miséricorde, où la famille humaine vient sous le manteau de sa Mère se protéger des différents maux qui l’accablent : ce qui pourrait justifier la présence de Saint Sébastien dont les flèches symbolisent ces fléaux, en particulier la peste.
Second triptyque de Valle Castellamo
Crivelli, 1472, Pinacoteca, Ascoli Piceno
Ce triptyque un peu plus petit et à peine moins détérioré a été réalisé la même année pour la même église San Vito de Valle Castellana [10]. On y retrouve Saint Sébastien dans le panneau droit, mais cette fois en tenue de ville, la coiffure impeccable et adossé non plus à un arbre, mais à un élégant papier peint. En face, Saint Antoine remplace Saint Pierre : son cochon figure sans toute dans la partie manquante au bas du bâton (on en devine l’oreille) et sa clochette d’ermite est tenue à l’envers, selon l’habitude de Crivelli.
Saint Antoine et Sainte Lucie (fragment de retable)
Crivelli, vers 1470, Muzeum Narodowe, Cracovie
Le peintre joue ici sur le contraste visuel entre le vieil ermite sourcilleux et la jeune fille sérieuse, le point commun étant évidemment leurs démêlées avec le sexe (Saint Antoine repoussant ses tentations, Sainte Lucie échappant au lupanar).
Dans le panneau central, le groupe des femmes voilées, priant sous l’égide de Sainte Lucie, n’a pour pendant que la pomme.
Comparée à celle de l’autre triptyque, la composition frappe par sa dissymétrie, accrue encore par la position couchée de l’Enfant qui décentre l’ensemble vers sa moitié « féminine« .
Les regards (flèches bleues) y créent une circulation subtile, dans laquelle chacun contemple en quelque sorte son « fruit » : Marie et les dévotes l’Enfant, et Jésus la pomme – à la fois le péché d’Eve et sa rédemption.
On constate également un rapport d’imitation (flèches jaunes) entre Saint Sébastien exhibant avec préciosité sa flèche et sa palme de martyr, et Sainte Lucie faisant de même avec sa coupelle et sa palme ; puis entre la sainte et les dévotes, dont la première porte des vêtements aux mêmes couleurs.
Il est peu probable que cette « donatrice » soit une femme réelle prénommée Lucie : on ressent plutôt ce groupe comme représentant les Femmes en général, de même que dans l’autre triptyque les donateurs et donatrices représentaient l’humanité en général.
Il est donc clair que ce triptyque est dédié aux femmes (probablement les membres d’une Fraternité féminine) : en les plaçant malicieusement au plus loin de l’Ermite qui les craint, et aux pieds du Saint le plus sexy du calendrier, Crivelli leur donne pour modèle de féminité la chaste Lucie (qui s’arracha dit-on les yeux pour dégoûter d’elle son fiancé) et pour modèle de maternité Marie.
Les familles de donateurs dans les pays du Nord
Pour les hautes époques, il ne reste que quelques rares exemples de Vierges à l’Enfant comportant une famille de donateurs. Elles sont plus fréquentes au XVIème siècle, mais le plus souvent associées à d’autres scènes que la Vierge à l’Enfant (voir des exemples dans 1-1 Les donateurs : vue générale).
Epitaphe de Yolande Belle
Anonyme, vers 1420, Museum Godshuis Belle, Ypres
Ce panneau est le plus ancien exemple des rares « mémorials » (ou épitaphes) peints dans les Pays du Nord (la grande majorité des survivants sont des panneaux sculptés) [11].
Saint Georges et Sainte Catherine présentent à la Vierge et à l’Enfant les membres masculins et féminins de la famille. Tandis que Marie salue de la tête les femmes en leur montrant une pomme – à la fois l’origine et la récompense de leurs douleurs, l’Enfant Jésus fait aux garçons le signe du silence, en se prenant comiquement le pied de l’autre main.
L’inscription en dessous donne l’identité de la famille :
« Ci-git madame Yolande Belle, Fille de sire Jean Belle, chevalier, Seigneur de Boesinghe, qui était Femme de Josse Brid et mourut le 1er février 1420. » | « HIER VOOREN LIGHT BEGRAVEN VRAWE YOLENTE BELLE DOCHTERE MER IAN BELLES RUDDERE HEERE VAN BOESINGHE IOOS BRIDS WYF WAS DIE STARF DEN EERSTEN DACH VAN SPORKEL 1420 » |
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A Saint Josse et Sainte Yolande ont donc été préférés deux Patrons mieux introduits. A noter les étoiles des Brid et les clochettes des Belle, qui alternent sur le fond d’or, et décorent également le drap d’honneur derrière la Vierge.
L’importance de chaque membre de la famille est proportionnelle à sa taille : ainsi Josse en armure, le seul à s’agenouiller, a la même taille que Saint Georges en armure. Les quatre fils, la mère et les trois filles sont classés par taille décroissante par rapport au centre.
https://it.wikipedia.org/wiki/Secondo_trittico_di_Valle_Castellana
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