2 Le nu de dos dans l’Antiquité (2/2)
Ce second article examine les nus de dos qui apparaissent pour des héros particuliers ou dans des iconographies spécifiques.
Article précédent : 1 Le nu de dos dans l’Antiquité (1/2)
D1 Hercule
Hercule libérant Prométhée enchaîné
Sarcophage de Prométhée, musée du Capitole, Rome
C’est ici la position de la scène, sur le petit côté droit du sarcophage, qui a imposé de représenter Hercule vu de dos, se dirigeant vers Prométhée. Mis à part cet exemple, la plupart des représentations d’Hercule vu de dos se trouvent sur quelques sarcophages dédiés aux Douze travaux.
Sarcophage d’Hercule, 150-80 ap JC, British Museum
Cinq des travaux d’Hercule sont illustrés sur le couvercle, deux sur les faces latérales, et cinq sur la face avant. Le seul des travaux où Hercule est vu de dos se trouve en plein centre : la cueillette des pommes d’or du Jardin des Hespérides.
Sarcophage d’Hercule, 240-250 ap JC, Museo Nazionale Romano, Palazzo Altemps, Roma
Dans ce type de sarcophage, Hercule est vu de dos en neuvième position, pour la capture des juments de Diomède. Il est représenté vieillissant au fil des travaux : sa barbe pousse et sa musculature s’épaissit.
Sarcophage d’Hercule, Palais ducal, Mantoue
Hercule vu de des se trouve au même emplacement et pour la même épreuve. Ici deux travaux supplémentaires sont conservés.
Sarcophage d’Hercule, 2ème siècle ap JC, Museo Civico Velletri
Ici encore Hercule apparaît de dos une seule fois, mais pour son cinquième travail : les oiseaux du lac Stymphale.
Sarcophage d’Hercule, musée d’Antalya
Même formule ici. A noter que dans la plupart des sarcophages des Douze Travaux, Hercule n’est jamais vu de dos. Ces apparitions, confidentielles dans l’art funéraire, sont bien plus fréquentes dans les fresques.
Hercule reconnaissant Télèphe en Arcadie
Fresque de la Basilique d’Herculanum, 50-79 ap JC, Musée archéologique, Naples
Le fils secret d’Hercule avait été caché par sa mère, Augé, dans les monts d’Arcadie, où il fut nourri par une biche. Le consensus sur cette fresque est aujourd’hui que la femme assise, couronnée de fleurs et à côté d’un vase, est une personnification de l’Arcadie heureuse, la contrée du jeune Pan qui sourit derrière sa tête. La femme ailée qui désigne l’enfant à Hercule serait la nymphe Virgo.
Il est clair que les siècles nous ont fait perdre le mode d’emploi de cette composition très travaillée, dont l’inhabituelle vue de dos constitue un élément majeur. La disproportion entre l’enfant et son père, le lion (de Némée ?) qui semble halluciné par l’Aigle (de Jupiter ?), l’affinité entre l’arrière-train de la biche et celui du héros : nous ne savons pas si ces effets, à la limite du comique, sont voulus ou purement fortuits.
Cette fresque, une copie d’un original grec, était située, dans la même niche, au dessus de la copie d’un autre tableau grec montrant l’Education d’Achille par le centaure Chiron. Dans cette situation, le bras tendu de la nymphe ailée désignant l’enfant à Hercule, se prolonge, en miroir, dans celui de Chiron désignant la lyre à l’enfant. Ainsi s’instaure un jeu de correspondance entre les deux héros :
- le musculeux Hercule vu de dos et en contreplongée sur fond nuageux,
- le gracile Achille vu de face au niveau du spectateur, sur fond d’architecture.
L’appariement des deux sujets semble donc ici résulter moins de leur vague thème commun, l’Enfance, que de leur correspondance plastique.
Dédale présente à Pasiphaé la vache de bois
1er s av JC, Casa dei Vettii, Pompei
La même composition, avec un père vu de dos et son fils au premier plan, face à une femme puissante, se rencontre dans cette scène où Dédale ouvre ostensiblement le capot de la vache factice sous les yeux de Pasiphaé intéressée : amoureuse folle du taureau blanc de Poséidon, elle va se cacher à l’intérieur pour s’accoupler avec lui (et donner naissance au Minotaure).
Casa dei Vettii, murs N et E, Pompei
Cette scène fait partie d’une décoration en trompe-l’oeil, qui imite elle-aussi une collection de tableaux, entrecoupés par de fausses fenêtres ouvrant sur une architecture fictive. Les deux « tableaux » de cet angle ont souvent été considérés comme des pendants :
- même thème du « châtiment » (de Pasiphaé ou d’Ixion) ;
- même composition :
- au premier plan un homme nu debout (Dédale vu de dos et Mercure vu de face) ;
- au bord l’instrument du châtiment (vache factice ou roue sur laquelle est attaché Ixion) ;
- à l’arrière-plan une femme assise (Pasiphaé ou Junon).
Cependant, la présence d’une fresque intermédiaire, et d’un troisième « tableau » sur le mur Sud, limitent l’importance de cette lecture en pendant. Le programme iconographique de la maison des Vetti nous échappe largement, malgré de nombreuses interprétations plus ou moins arbitraires (une des dernières étant celle de Beth Severy‐Hoven, basée sur la théorie du genre [11] ).
Hercule, Déjanire et le centaure Nessus, provenant de la Maison du Centaure à Pompéi, Musée archéologique, Naples
La même composition – Hercule de dos en position latérale au premier plan – a été reproduite ici pour un sujet très différent : Hercule, portant sur son dos son fils Hylus, regarde le centaure Nessus, qui lui propose de prendre sur son dos sa femme Déjanire pour lui faire traverser un fleuve. Celui-ci n’est pas représenté, mais l’histoire est suggérée par des détails :
- les chevaux attelés au dessus du centaure soulignent leur rôle commun de moyen de transport ;
- le regard méfiant d’Hercule sous-entend ce qui va se passer : Nessus, resté seul avec Déjanire, va tenter de la violer.
Ici, la vue de dos, pour Hercule et les deux chevaux, indique ceux qui vont partir.
Hercule tue Laomedonte, roi de Troie | Hercule donne la princesse Hésione (fille de Laomédon) en mariage à Télamon |
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Fresques du triclinium de la maison d’Ottavio Quartione (ou Casa di Loreio Tiburtino), Pompéi
Ces deux scènes consécutives montrent encore Hercule vu de dos : cette posture, qui met en valeur sa puissante musculature, semble avoir été, du moins à Pompéi, un marqueur visuel courant du héros, peut être par contagion avec la posture courante du lutteur.
Mythe d’Hercule, Casa dell’Ara Massima or de Pinarius or de Narcisse, www.pompeiiinpictures.com
Ce marqueur n’est bien sûr pas exclusif : dans cette scène non interprétée, Hercule, identifié par sa massue, est vu de face, discutant avec un autre homme nu vu de dos.
En synthèse
Dans les sarcophages, Hercule est rarement vu de dos, et pour des Travaux différents : la posture apparaît sporadiquement, dans un souci de variété.
Dans les fresques, la posture est plus courante, et répond à des objectifs distincts :
- pour imiter un type grec de composition, où un homme puissant, au premier plan, dialogue avec une femme à l’arrière ;
- pour indiquer celui qui part ;
- par contagion avec une autre figure souvent montrée de dos, le lutteur.
D2 Admète
Admète, condamné à mort par Minerve, fut gracié par Apollon, à condition que quelqu’un d’autre (sa femme Alceste) veuille bien prendre sa place.
Sarcophage d’Alceste, autrefois dans les jardins de la ville Faustina à Cannes, Warburg institute database
L’homme nu vu de dos est Admète, implorant sa mère et son père le roi Pharsès, qui malgré leur grand âge refusent de se sacrifier à sa place. Les deux rois, le jeune et le vieux, sont escortés chacun par un soldat porteur de lance. A gauche assiste à la scène l’épouse d’Admète, Alceste, accompagnée d’une servante.
La moitié droite du sarcophage montre la suite : la mort d’Alceste, qui s’est empoisonnée pour son mari.
Sarcophage d’Alceste, [4] N°22, p 26
La vue de dos d’Admète, qui apparaît dans plusieurs sarcophages du même type, a pour but principal d’exprimer l’idée d’un dialogue, entre celui qui arrive et ceux qui l’attendent. Un effet secondaire est le parallèle visuel avec les deux jeunes enfants nus, une fille et un garçon, qui pleurent leur mère au pied du lit. Ainsi l’égoïsme des parents par rapport à leur fils, dans la scène de gauche, a pour conséquence le désespoir de deux générations.
D3 Pluton et Proserpine
Enlèvement de Proserpine par Pluton, collection particulière
Pluton à droite masque de son dos puissant le corps de la jeune fille qu’il enlève. Par rapport aux autres versions de la scène, qui le montrent de face, cette vue de dos apparaît comme une sorte de figure de style, qui traduit l‘enlèvement par une double occultation : de la victime, et du ravisseur lui même.
Enlèvement de Proserpine par Pluton, Villa Albani, Rome (N°410 p 489 [5])
La composition complète fait apparaître une grande symétrie : de part et d’autre du trio de déesses, deux compositions similaires se répondent :
- Proserpine cueillant des fleurs à l’avant du char de sa mère,
- Proserpine enlevée à l’arrière du char de Pluton.
Les deux nus de dos servent d’indication dynamique permettant de différencier le véhicule de l’enlèvement, qui sort vers la droite, du char triomphal, qui stationne à gauche (bloqué par le groupe central des trois déesses).
D4 Vulcain dans sa forge
Fresque, 50 ap JC, Maison VII, Pompei | Mosaïque de Dougga, 3eme-4eme siècle, musée du Bardo, Tunis |
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Forge de Vulcain
La mosaïque se conforme à la tradition des trois cyclopes travaillant dans la forge, que Virgile nomme précisément :
« Dans un antre immense, les Cyclopes, Brontès, Stéropès et Pyracmon, tous nus, travaillaient le fer. « Eneide, Chant 8
Forge de Vulcain, 160-170 ap JC, Musées capitolins, Codex coburgensis pl 18, Coburger Landesstiftung
Vulcain forgeant le bouclier d’Achille, Sarcophage, 160-70 ap JC, Musées capitolins
Dans ces deux compositions décentrées, il est logique que Vulcain soit assis à gauche, pour bien montrer son bras droit en train de frapper. Les trois cyclopes en revanche tiennent leur masse des deux mains, on aurait donc pu placer le troisième de face ou de profil : la vue de dos, et la masse tenue vers le bas, ont donc été préférées pour une raison non pas logique, mais graphique : clore visuellement la scène.
Sarcophage des Parques avec Prométhée, Musée du Louvre (Ma 355)
On constate la même solution dans cette composition centrée, où Vulcain est assis entre les deux cyclopes (le troisième a été escamoté pour harmoniser le scène de la forge avec les autres groupes, qui comptent chacun trois personnages). La partie gauche du sarcophage célèbre Prométhée comme Créateur de l’Homme, la droite comme donneur du feu à l’Humanité.
En synthèse
Dans les représentations antiques de la Forge du Vulcain, le cyclope vu de dos est toujours le dernier du groupe, constituant une sorte de parenthèse fermante.
D5 Jason et Médée
Ce thème assez rare n’est traité dans une trentaine de sarcophages de l’époque impériale . Quelques-uns, dans les années 170-80, montent Jason de dos face à Médée.
Jason et Médée, petit côté d’un sarcophage, vers 170 ap JC, Musée national, Rome
Jason vu de dos décroche la toison d’or de l’arbre gardé par un serpent, auquel Médée, qui est amoureuse de Jason, donne une pomme pour détourner son attention.
Jason et Médée, vers 170 ap JC, catacombes de Pretextat
La même scène se trouve ici en plein centre. A gauche, dans une scène très mutilée, Jason cette fois vu de face domptait les taureaux du roi de Colchide, Aiétès.
La scène de l’extrême gauche pose des problèmes d’interprétation. Le personnage nu vu de dos et levant le bras est encore Jason, comme le prouve le fait qu’il n’est chaussé que d’une seule sandale. L’officier romain, à sa gauche, semble poser la main sur le fourreau de son épée. Pour Vassiliki Gaggadis-Robin, la présence de l’officier démythifie et modernise la scène : cet autre Jason vu de dos et dont le geste anticipe la prise de la Toison d’Or, pourrait être une représentation héroïsée du défunt, comme c’est souvent le cas dans les sarcophages. Par ailleurs,
« le fait que l’officier de gauche ôte l’arme du personnage monosandale pourrait donner à croire qu’il s’agit de Jason en Colchide avant le domptage des taureaux, qui ne doit accomplir l’exploit que par sa force et son intelligence sans recourir à aucune arme. Son corps, enduit de l’onguent que Médée lui a procuré, est à présent invulnérable. » ( [12], p 48)
Jason et Médée, 170-80 ap JC, Kunsthistorisches Museum, Vienne.
La scène du domptage des taureaux est ici complète. En revanche, les deux nus de gauche, l’un vu de face et l’autre de dos, ont une interprétation totalement différente (il n’y d’ailleurs plus d’effet d’imitation entre le nu vu de dos et Jason, ici vêtu d’une cuirasse) : il s’agit des Dioscures, les frères-jumeaux Castor (le mortel) et Pollux (le divin). Celui vu de face présentait verticalement une charrue, et celui vu de dos portait horizontalement un joug, outils aujourd’hui pratiquement disparus ([5], N°188, p 200). La vue de dos caractérise donc ici celui qui enclenche le mouvement (en tirant le joug) et la vue de dos celui qui résiste. Nous verrons plus loin d’autres cas de Dioscures recto-verso.
En synthèse
Malgré leurs différences, ces deux compositions utilisent la vue de dos de la même manière, pour son expressivité dynamique : à gauche Jason (ou le premier Dioscure) entre en scène, à droite Jason arrive à l’arbre. La vue de face, au centre, exprime en revanche la stabilité : Jason équilibrant les deux taureaux.
D6 Méléagre et le sanglier de Calydon
La chasse au sanglier de Calydon, 170—180 ap JC, Galerie Doria Pamphili, Rome
Cette scène, une des plus fréquentes sur les sarcophages romains, présente très souvent, à droite du sanglier, un chasseur vu de dos qui bloque l’animal, associé à un héros barbu vu de face (Thésée ou Jason). Avec sa lance prête à frapper, il fait évidemment pendant avec le héros, Méléagre, qui de l’autre côté porte le coup fatal à l’animal monstrueux. A gauche de celui-ci sont très souvent représentés les Dioscures Castor et Pollux, identifiables à leur bonnet conique.
La chasse au sanglier de Calydon
4ème s av JC, Amphore apulienne à figures rouges, Musée archéologique, Trieste (fig 1 [13] )
Dans son travail de reconstruction d’un tableau antique perdu, Fred S. Kleiner [13] a recensé plusieurs occurrences de ce guerrier nu vu de dos, dont cette amphore serait un des plus anciens témoignages.
Reconstruction d’une peinture du cercle de Polygnotos (fig 6, [13]).
Ce personnage H, dont l’intérêt compositionnel est évident, s’est transmis dans les sarcophages romains, de même que la chasseuse Atalante avec son arc (E) et les Dioscures (I et J).
Chasse au sanglier de Calydon, Palazzo dei Conservatori, Musées du Capitole, Rome
Les sarcophages romains décomposent souvent le sujet en deux scènes :
- à gauche la préparation de la chasse (Méléagre vérifie sa lance et Atalante ses flèches) ;
- à droite la chasse proprement dite (Méléagre plante sa lance et Atalante sa flèche).
Le dioscure qui ouvre la seconde scène est ici vu de dos, par effet de symétrie avec notre lancier vu de dos, qui la clôture.
Chasse au sanglier de Calydon, Musée des Offices, Florence
Les Dioscures, ici parfaitement identiques, se développent vers la gauche au détriment de la première scène. Le héros à l’extrême-droite a perdu sa barbe, ce qui accentue son fonctionnement en couple avec le lancier : il pourrait donc s’agir d’une seconde occurrence des Dioscures, cette fois descendus de cheval et décoiffés.
Fragment d’une Chasse au sanglier de Calydon , 250-60, Liebieghaus Francfort
L’identification possible du personnage vu de dos avec un Dioscure est attestée, dans ce fragment, par le bonnet conique. La lance dans la main droite a été remplacée par une pierre, mais il reste les deux autres lances dans la main gauche.
Ces modifications illustrent la méthode de composition des marbriers, par assemblage de motifs préétablis mais à la signification élastique.
Chasse au sanglier de Calydon, 200 ap JC, Eleusis, Musée archéologique, l, Inv. No. 5243
Certains ateliers restent capables de recompositions complètes : ici la chasse court de droite à gauche, les Dioscures se déplacent au dessus du sanglier et le personnage nu de dos passe au centre : Méléagre en personne.
Retour du corps de Méléagre, sarcophage disparu ( [4], cat N° 287)
Dans cet épisode terminal de l’histoire, Méléagre est mort par la faute de sa mère Althée, qui a jeté dans le feu le tison magique qui protégeait sa vie. L’homme nu debout devant la porte du palais joue ici un rôle compositionnel mais aussi rhétorique : en servant de pivot au dernier groupe, il met en symétrie Althée, soutenue par une de ses filles, et son père le roi Thestios, soutenu par un serviteur : ainsi, non content de tuer son propre fils, Althée a aussi causé le malheur de son propre père.
D7 Couples de héros
L’association vue de face / vue de dos est parfois utilisée pour exprimer la fraternité et la complémentarité entre deux héros masculins.
Les Dioscures
108-109 av JC, denier Mn. Fonteius | 161-169 ap JC, médaillon MARCUS AURELIUS and LUCIUS VERUS |
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La représentation dominante des jumeaux est la plupart du temps strictement égalitaire : soit parallèle, soit en miroir. Noter que cette dernière représentation implique que l’un était gaucher et l’autre droitier.
340-20 av JC, drachme de Moesia Istros (plateau danubien) | 225-212 av JC, Didrachme ou quadrigatus |
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Ces deux formes sont discutées : le quadrigatus pourrait tout aussi bien représenter le dieu Janus.
Jason et Médée, 170-80 ap JC, Kunsthistorisches Museum, Vienne (détail)
Cette représentation recto-verso s’explique, comme nous l’avons vu plus haut, par la présence du joug (élément dynamique) et de la charrue (élément qui résiste au mouvement).
Codex coburgensis planche 31, Villa Medicis, Rome (détail) | Palazzo dei Conservatori, Musées du Capitole, Rome (détail) |
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Chasse au sanglier de Calydon, Broadloands ([6], p 312, N°242)
Mais la plupart du temps, le recto-verso a une autre cause : permettre au premier Dioscure de retenir du bras droit le bras droit de Méléagre (on ne connaît pas la signification de ce geste).
Les Dioscures faisant boire leurs chevaux | Les Dioscures avec des ruines et une architecture |
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Giorgio de Chirico, vers 1934
L’idée reste nénamoins rarissime, jusqu’à Giorgio de Chirico, qui exploitera dans plusieurs toiles cette composition recto-verso.
Achille et Patrocle
Les adieux d’Achille et Briséis, Maison du poète tragique, Pompéi
Briséis, princesse captive dont Achille est amoureux, est réclamée par Agamemnon, qui envoie ses soldats pour l’emmener. L’ami d’Achille, Patrocle, s’interpose pour la remettre aux soldats. Vu de dos et touchant la princesse de la main droite, il apparaît comme l’alter-ego d’Achille vu de face, dont la main droite n’étreint plus que le vide.
Oreste et Pylade
Sarcophage d’Oreste et Iphigénie, Glyptothèque, Münich ([5], N° 167)
Le sarcophage illustre trois moments de la tragédie d’Euripide, Iphigénie en Tauride.
La scène de gauche montre Iphigénie venant voler dans le Temple une statue de Diane, avant de s’enfuir avec son frère Oreste et Pylade, l’ami d’Oreste, tous deux ligotés et gardés par un guerrier scythe.
La vue de dos a sa signification dynamique habituelle : Oreste est sur le point à suivre sa soeur, tandis qu’Oreste est encore captif.
D8 La chute de Phaéton
Parmi les seize sarcophages connus sur ce thème, certains comportent un homme nu, debout et vu de dos.
Le premier des quatre Vents
Sarcophage de la chute de Phaéton, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague
Il s’agit ici d’un des quatre Dieux des vents qui amènent à Phébus ses chevaux (les trois autres Vents sont représentés de profil au dessus, avec les têtes des chevaux) [13a]. Ces quatre Vents tournés vers la gauche ferment la première scène, où Phaéton convainct son père de lui confier son char : la posture à contresens des Vents traduit leur opposition à cette imprudence.
Sarcophage de Phaeton, vers 150 ap JC, Ince Blundell Hall [14]
Le même personnage nu vu de dos et tourné vers la gauche apparaît dans une composition très différente (première classe de C.Robert), mais toujours en tant que premier des quatre Vents : barbus et avec des ailes sur la tête, ils amènent ses quatre chevaux à Phébus, assis sur un rocher en compagnie de Luna (debout) et Océanus (couché).
Eole
Sarcophage de Phaeton, 2ème siècle, Museum-Lapidarium Maffei, Vérone
Le personnage vue de dos est ici de Dieu Eole lui même, au centre de ses quatre Vents : la vue de dos marque la démarcation entre les deux scènes : la chute de Phaéton à gauche, la cour de Phébus à droite.
Phébus
Dans la troisième classe de sarcophages (d’après C.Robert), l’homme nu vu de dos apparaît encore : mais cette fois il s’agit de Phébus.
Sarcophage de la chute de Phaeton, 2ème siècle, Ermitage
Pour rassembler tous les personnages en une scène unique, l’artiste a joué sur le contraste entre Phaéton, vu de face et la tête en bas, et son père Phébus, vu de dos et levant le bras comme pour conjurer le malheur. La symétrie est accrue par l’importance donnée à deux des Héliades (ou Heures), les soeurs de Phaéton :
- Anatole (la deuxième heure, celle du lever de soleil) accompagne Phébus, comme lui vue de dos ;
- Dysis (la douzième heure, celle du coucher de soleil) accompagne Phaéton, comme lui vue de face.
Sarcophage de la chute de Phaéton, Cathédrale de Nepi
Dans cette autre version, l’antithèse Phébus / Phaéton est conservée, mais l’artiste n’a pas marqué par leur posture la symétrie Anatole / Dysis.
D9 Hippolyte et la lettre de Phèdre
Sarcophage d’Hippolyte et de Phèdre
225-250 ap JC, Ermitage Inv. A432, Saint Pétersbourg
Alors qu’il est à la chasse avec ses compagnons, Hippolyte reçoit, par l’intermédiaire de sa vieille nourrice, une lettre d’amour de sa belle-mère Phèdre. Il fait de la main droite un geste de refus, tenant de l’autre les rènes de son cheval. Le compagnon vu de dos a été complètement refait au XIXème siècle (seul les pieds sont authentiques), et aucun autre sarcophage sur ce thème ne montre un tel personnage. Sa posture semble avoir pour but d’attirer l’attention sur l’arrivée de la vieille.
Sarcophage d’Hippolyte et de Phèdre
Cathédrale de Grigenti [4] N°152, p 178)
Pour comparaison, ce sarcophage très similaire montre la suite de l’histoire : Hippolyte a pris la lettre dans sa main gauche et se retourne vers ses compagnons (pour prendre conseil ?), tandis que la nourrice lui tend un stylet pour la réponse.
D10 Les Trois Grâces
Musées du Vatican
Dans les plus anciennes représentations, les trois Grâces apparaissent côte à côte, habillées et se tenant par la main, parfois en procession [15] .
Disque d’or, 4ème siècle av JC, Chypre, MET | Miroir de bronze doré, 2ème siècle ap JC, MET |
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L’idée de les représenter nues est probablement liée au thème du bain :
« Un jour que les Grâces se baignaient ici , le petit Amour déroba leurs voiles divins , et se sauva en riant . C’est ainsi qu’elles sont restées , craignant de se montrer en dehors non vêtues » Anthologie Palatine, Livre IX, N°616
Dans toutes les représentations des Grâces nues, depuis le 4ème siècle avant JC, celle du centre est vue de dos.
100 av JC-50 ap JC, Pompeii, Regio IV, Insula Occidentalis Museo Archeologico Nazionale, Naples | Sarcophage des Grâces, Palazzo Mattei (détail) |
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Quelque soit le support, la structure d’ensemble est restée remarquablement stable.
Fig 3, Fig 4 [16]
Les variations touchent la jambe d’appui, l’inclinaison des têtes, et les attributs tenus dans les mains.
Après une éclipse complète durant le Moyen-Age, le groupe reprendra sa carrière à la Renaissance italienne [17] (voir 1 Les figure come fratelli : généralités.)
En synthèse
Il existe dans l’art gréco-romain un seul cas où la vue de dos est systématique : pour la figure centrale des Trois grâces nues.
Le héros pour laquelle la vue de dos est assez fréquente est Hercule ; ceci mais pour des raisons variées.
Dans les compositions complexes, même stéréotypées, le nu de dos n’est jamais une figure obligée. Il est utilisé :
- pour exprimer un mouvement (arrivée, enlèvement) ou une présentation à une figure statique (dialogue) ;
- pour une raison narrative (bloquer la route du sanglier de Calydon) ;
- pour souligner une fraternité (alter ego) ;
- comme élément de scansion (pivot central, parenthèse ouvrante ou fermante).
Cette variété des usages témoigne d’une grande maturité de l’art romain quant au nu de dos : il ne pose aucune difficulté technique, les artistes l’utilisent librement, et les spectateurs ont le regard suffisamment éduqué pour en apprécier les différentes nuances.
Il faudra attendre la Renaissance pour le dédiaboliser, le maîtriser à nouveau techniquement et lui inventer de nouveaux usages.
Article suivant : 3 Le nu de dos au Moyen-Age (1/2)
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1468-0424.2012.01697.x
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