4 La cruche cassée (version révolutionnaire)
Le peintre Michel Garnier (1753-1819) a laissé peu de traces. Deux de ses tableaux ont pour intérêt de récapituler une dernière fois, en pleine tourmente révolutionnaire, tous les éléments de la rhétorique de Greuze.
La rose faiblement défendue
Michel Garnier, 1791, Minneapolis Institute of Arts
L’amour est aveugle
Une guitare est posée contre le mur, un livre de musique ouvert est jeté par terre : la partie de musique vient de s’interrompre brutalement.
Une cage recouverte d’un tissu moucheté est accrochée au mur : sans doute un serin que la musicienne prive de lumière pour mieux lui apprendre à chanter.
Mais de même que la jeune fille a limité la vue de son oiseau, le jeune homme a insolemment jeté son chapeau à plumes sur la tête du Cupidon joufflu : manière de signifier qu’il prend le contrôle sur l’oiselle.
Cueillir la rose
Le jeune homme s’apprête à cueillir la rose (sous prétexte de l’offrir à la belle). Celle-ci lui saisit la manche (on comprend que c’est pour protéger la fleur).
Notons que le double sens entre la manche et le manche était alors le même qu’aujourd’hui.
Casser la cruche
L‘eau de la cruche cassée inonde le parquet en direction de la robe de la fille : précision rajoutée par Garnier à titre pédagogique.
La feinte résistance
Schall, fin XVIIème, Collection particulière
Presque la même mise en scène : le violoncelle a été posé à la hâte sur le fauteuil de gauche, avec le chapeau et la canne de l’homme. Des livres gisent par terre et une cuillère a chu de la table préparée pour la collation, à droite la fameuse rose est tombée du bouquet : tout indique une accélération soudaine de l’action, sous-tendue par la canne et le manche de la théière qui bandent fort gaillardement.
Ici, la fille n’est pas idiote, ni aveugle : elle fait mine d’attraper le cordon pour sonner la servante (à proximité du gland, voir Surprises et sous-entendus pour une métaphore identique). Mais le garçon retient le cordon d’un doigt, sans paraître forcer beaucoup.
Seul le chien, qui ne comprend rien, attaque le mollet de l’assaillant.
A noter que le tableau, vu de loin, devait émoustiller les amateurs de fouet.
La rose faiblement défendue
Gravure de Debucourt, 1791
Dans cette gravure, plus crue que la peinture de Garnier qui l’inspire, nous voici dans la chambre à coucher. Le livre, le chapeau et le gant jetés par terre, le tiroir débordant de fanfreluches, la chaise renversée sous le manteau de l’homme, disent le désordre et la précipitation.
A la différence de la peinture , cette fois c’est la fille qui mène les opérations : elle brandit la rose le plus loin possible de l’homme, dans l’intention qu’il la bouscule.
Laquelle rose se trouve ainsi positionnée, par le plus grand des hasards, à la verticale d’une pomme de pin.
La Lettre
Michel Garnier, 1791, Minneapolis Institute of Arts
Un pendant
Garnier a réalisé un pendant de sa Rose faiblement défendue. Nous sommes dans la même pièce (on reconnaît le parquet et les pilastres cannelés). La fille en robe blanche est sans doute la même, avec des couleurs inversées (ceinture bleue, chaussures roses). La guitare a été remplacée par un piano forte sur lequel la partition a été remise à sa place.. Et le galant par une vieille dame, qui doit être la belle-mère.
La lettre tant attendue
La jeune femme vient de se mettre debout précipitamment (sa robe traîne encore sur la chaise du piano). Dans sa hâte, elle a jeté l’enveloppe par terre. Sa belle-mère a renversé sa tasse sur la table.
Le médaillon
De la main gauche, la jeune femme exhibe la miniature qui est arrivée avec la lettre. La mère émue a chaussé ses lunettes pour admirer le portrait de son fils.
Femmes au foyer
1 : La rose | 2 : La lettre |
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Jouer du piano, siroter du chocolat, lire ou coudre (un livre et une boîte à ouvrage sont posés sur l’étagère du guéridon), telle est la vie confortable que partagent l’épouse et la belle-mère, tandis que le héros de la famille vit des aventures lointaines.
Les deux grosses roses dans le vase résument le destin féminin :
être cueillies, rester plantées là.
Un pendant réversible
L’intérêt particulier de ce pendant est qu’on peut tout aussi légitimement le présenter dans l’autre sens :
1 : La lettre | 2 : La rose |
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Dans ce cas, La Lettre représente la réception de la preuve d’amour que constitue le médaillon ; la mère émotionnée est celle de la jeune fille ; et le second tableau illustre l’arrivée en chair et en os du soupirant.
L’amant jaloux
Boilly, 1791, Musée Sandelin, Saint Omer
A l’appui de la seconde lecture, ce tableau réalisé la même année montre que l’envoi et l’acceptation d’une miniature était le dernier cri de la séduction : le protecteur, un vieux jaloux, piétine un médaillon qu’il a trouvé dans le portefeuille de sa jeune protégée.
De sa colère,
- la mère protège sa fille,
- le chien protège sa maîtresse,
- et le paravent protège l’amant de coeur.
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