La cage à oiseaux : y entrer
La cage à oiseaux est un réceptacle qui intéresse les deux sexes, selon qu’on considère ce qui y entre ou ce qui en sort.
Voici quelques exemples où elle penche côté fille, en tant que lieu accueillant pour les petits oiseaux.
La dame étant arrivée, elle s’assit, ouvrit sa cage et y introduisit le rossignol, en tirant sur le faisceau au grand contentement de chacun.
Pietro Aretino, Sei giornate, 1534 (Bari, 1969), p. 28.
Avvedutasene madama, postasi a sedere, spalancata la gabbia e misocidentro il lusignolo, si tirò a dosso il fascio con gran contentezza d’ognuno’.
Le château mal défendu
Maitre du Livre de Raison, 1475-85, collection privée
Cette aquarelle ambigüe, comme d’autres du Livre de raison, a donné lieu à des commentaires variés.
Dans une interprétation sociologisante, Norbert Elias [1] y voit essentiellement les plaisirs de la noblesse, à gauche, et les labeurs des serviteurs, à droite.
Campbell Hutchinson [2] pense que la justification première de la page (illustrer des soins vétérinaires, dans le même esprit didactique que d’autres images du Livre de Raison) a été complétée par une charge contre l’amour courtois, montrant comment les femmes essaient de piéger les hommes de toute condition : le jeune chevalier portant l’écharpe de l’ordre de la Toison d’or aussi bien que le nourrisseur d’oies, à laquelle la fille du puits propose ce qui semble être une pomme. Dans cette lecture, la cage vide serait un dispositif de piégeage tout comme, juste au dessus, le lacet qui a capturé le paysan. On pourrait y voir aussi l’habituel emblème hollandais de la prostitution (voir La cage hollandaise).
Michael Camille [3] pousse encore plus loin l’interprétation en terme de monde à l’envers, où les femmes ont pris l’initiative et où sont dévoyées toutes les métaphores habituelles de l’amour courtois :
« Le jardin du printemps est devenu une branche hivernale à laquelle se balance un jeune abruti, la fontaine se transforme en un puits de lubricité d’où une prostituée fait signe, et, le plus pervers de tous, le Château de l’Amour lui-même, l’édifice qui devrait présenter son portail parfaitement proportionné pour la pénétration frontale, se révèle être, comme le cul de la jeune fille saisi par le jeune homme à l’extrême gauche, le derrière-même de l’amour. »
Toujours dans le thème de la chasse aux hommes, Christoph zu Waldburg Wolfegg [4] donne de la porteuse de cage une explication très précise :
« Une autre a retroussé ses jupes pour pouvoir courir plus vite. De manière appropriée, elle tient une cage vide dans sa main. Une dame plus convenable place une main prudente sur son bras dans une tentative infructueuse pour la retenir. L’objet de son désir est le paysan capturé, suspendu dans les airs à un piège. Agitée, la femme du paysan gesticule dans le champ à l’arrière-plan. »
Que le but de la fille à la cage soit de trouver au plus vite un volatile est confirmé par les métaphores aviaires du haut : la cigogne s’égosillant à la saison des amours et le vol d’oiseaux attirés par un leurre. La servante qui se montre à la fenêtre haute participe également à ce sex-appeal généralisé.
Personnellement, je pense que la scène de l’arrière-plan a une signification autre que celle que lui donne Christoph zu Waldburg Wolfegg : il s’agit de comparer le paysan enfermé dans la hutte et qui pour se nourrir doit tirer le seau par une ficelle, à un chardonneret, oiseau familier qui aux Pays-Bas était dressé pour ce type de situation (voir Le Chardonneret, et derrière).
Le nid d’oiseau
Nicolas Lancret, début XVIIIème, Musée des Beaux-Arts, Valenciennes
Ce petit tableau très explicite est exceptionnel pour Lancret, habituellement plus prude.
On y voit une jeune paysanne attirant du bras gauche un paysan qui lui présente un nid . Elle jette un regard intéressé sur l’oisillon, en s’appuyant du bras droit sur la cage toute prête à l’accueillir.
Ce transfert du nid à la cage illustre presque littéralement une vielle chanson vendéenne :
« C’est un petit oiseau, Isabeau,
c’est un petit oiseau, Isabeau
l’oiseau est trop volage
il pourrait s’envoler
prête-la-moi, ta cage
il pourrait s’envolerL’oiseau fut pas dedans, bonnes gens (bis)
Qu’il commence à s’étendre
Prendre du mouvement,
Bonnes gens,
Prendre du mouvementPendant c’temps-là, la belle (bis)
Prend du réjouissement,
Bonnes gens
Prend du réjouissement … »L’oiseau volage, folklore vendéen, cité par Marc Robine : « Anthologie de la chanson française. La tradition » Albin Michel. Paris. 1994.
O l’estroit élargir
Daniël Heinsius, Emblemata amatoria (1607/8)
La métaphore est présente dans les livres d’emblèmes, mais avec une grande hypocrisie.
Le texte latin donne ici un sens noble et général :
Cherchant les étendues, l’oiseau est capturé. Ainsi, nos liens
nous tiennent large, mais ne nous compriment pas moins.Laxa petens capitur volucris: sic vincula làte
Nostra patent, arctè nec minus illa premunt.Voir Emblèmes en ligne : http://emblems.let.uu.nl/he1608012.html
L’image rend visible l’ambiguïté du texte : la plainte « O l’estroit élargir » est censée concerner l’oiseau qui se trouve dans la cage (l’amoureux qui souhaiterait reprendre le large) ; mais ce que l’image nous montre, c’est un oiseau qui, encouragé par Cupidon, risque sa tête dans l’étroit vestibule, qui mène à la cage spacieuse où il pourra se déployer.
Le double-sens de la devise est traduit par un double sens de circulation dans l’image : de l’intérieur vers l’extérieur de la cage, ou vice versa.
En France, la signification sexuelle de la cage et de l’oiseau ne fait pas de doute :
« Cage amoureuse : métaphore pour la nature d’une femme, cage où l’oiseau de l’homme prend ses ébats »
« En sa cage amoureuse où il prit passe-temps » Parnasse des MusesDictionnaire comique,satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial,Par Philibert Joseph LE ROUX, Beringos, 1752
La cage dérobée
1753, Hallé, Collection particulière
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Une Bergère qui flatte de la Main un jeune Berger |
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Dans ce charmant pendant de Hallé, une bergère dort, adossée à une botte de foin et à une palissade peu dissuasive et déjà quelque peu disjointe. Un jeune berger passe le bras par-dessus, pour saisir la cage que la fille cache sous son jupon.
Dans un deuxième temps, la jeune fille se réveille sur le genou du garçon et, satisfaite de la prestation, lui caresse tendrement la joue.
On peut également présenter le pendant dans l’autre sens : la caresse comme préliminaire et la cage comme plat de résistance.
La cage dérobée ou Le voleur adroit
Vivant Denon d’après Hallé, 1761 et 1763
Dans la gravure de Vivant Denon, la symbolique de la cage est complétée par celle de la quenouille traversant le panier.
La cage
Fragonard , vers 1760, 65,
The Norton Simon Foundation, Pasadena
Le berger présente entre ses mains une blanche et fidèle colombe, qui aspire à rejoindre la cage brandie haut par la jeune bergère.
De l’autre main, celle-ci tient discrètement la corde qui déclenche le piège à oiseaux situé en contrebas : manière de signaler que, si la colombe n’est pas fidèle, des remplaçants sont faciles à trouver.
Les dénicheurs d’oiseaux (The Bird catchers)
Boucher, carton pour une tapisserie de Beauvais,
1748, Getty Museum, Los Angeles
Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program
Cette orgie pastorale contient deux chérubins, trois cages, quatre garçons, quatre oiseaux et cinq filles : c’est dire que les combinaisons possibles sont nombreuses, et devaient faire la joie des amateurs de scènes galantes.
A l’extrême gauche, la corde tenue par un garçon fait allusion au piège que Fragonard nous montrait, mais qu’il faut ici deviner.
A l’extrême droite, symétriquement, un chérubin laisse voleter, en hors champ, un oiseau retenu par une ficelle.
Lus de gauche à droite, les quatre oiseaux obéissent à une certaine logique naturelle :
puis on s’amuse à leur faire étendre les ailes…
…et pour finir on les fourre dans la cage !
L’oiseau privé
Gravure de Debucourt, fin XVIIIème
Ici, la métaphore du piégeage, en se voulant plus directe, confine au grotesque : une dame seule renversée devant un porche béant, agite une rose vers un oiseau qui fond droit sur elle, telle la flèche qu’aurait pu décocher la statue de Cupidon.
On comprend que l’oiseau surexcité, dédaignant la rose (comprenons les tétons dénudés) va s’engouffrer tête la première dans la cage.
Les deux cages ou La plus heureuse
Gravure d’après Lafrensen, fin XVIIIème
Il se peut que deux cages se fassent concurrence, pour un seul oiseau à héberger.
La comparaison
Aquatinte de Jean-François Janinet d’après Nicolas Lafrensen , 1786
Le thème émoustillant de la comparaison pouvait concerner d’autres appâts.
La comparaison des petits pieds
Aquatinte de Alexandre Chaponnier d’après Boilly, fin XVIIIème
A noter l‘amateur à genoux, cherchant à voir derrière la robe.
Ma chemise brûle
Fragonard, dessin, Louvre, Paris
Restons dans le secret des alcôves féminines, avec ce dessin très enlevé de Fragonard.
Nous sommes dans la chambre des filles. L’une d’elles a le feu au cul. Une compagne lui propose sa cruche, pour résoudre ce petit problème.
La solution définitive consisterait sans doute à faire descendre la cage à oiseaux que ces dames gardent près du plafond, suspendue par un système de poulies.
La Cage inaccessible
Boilly, fin XVIIIème, localisation inconnue
Le comique tient ici au fait que la cage est inaccessible pour des raisons différentes : ni le vieux libidineux, trop vieux, ni le petit enfant, trop petit, ne réussissent à remettre l’oiseau dans la cage que leur présente la mère, ouverte juste à la bonne hauteur.
Reste au vieux ses lorgnons et son livre ; et au jeune, à attendre d’être assez grand pour comprendre et pratiquer la métaphore – si possible avec une cage moins inaccessible que celle dont il est issu.
L’oiseau s’est envolé
Ferdinand de Braekeleer, 1849, Musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg
Ce tableau réchauffe tardivement le symbolisme traditionnel hollandais, en forçant quelque peu sur la métaphore.
La fille grimpée sur la table agite un épi pour attirer l’oiseau et lui faire réintégrer sa cage. Le jeune frère retient le chat. Le père prend à témoin le spectateur : « Court toujours, qu’il va revenir ! » en désignant du pouce l’arrière-salle où un jeune homme – sans doute l’amoureux volage – conte déjà fleurette à l’autre soeur.
Les amatrices de colombes (Dove Fanciers)
Elizabeth Gardner Bouguereau, fin XIXème, Collection privée
Avec une grande ingénuité, l’épouse américaine de Bouguereau nous montre ces deux demoiselles assez intimes pour mettre l’oiseau à la cage avec des mines pénétrées.
Le canari
Carte postale portugaise, début XXième
En première instance, on constate que le canari vient de quitter sa cage et se dirige vers sa maîtresse, attiré par son pépiement.
En appel, on se rend compte que celle-ci n’est pas assise mais accroupie cuisses ouvertes : l’oiseau ne fait que changer de cage.
Le toucan
Pinup de Gil Elvgren
En rajoutant la cage – qui ne figure pas sur la photographie – l’illustrateur nous plonge dans des affres interprétatives : le toucan, double symbole phallique, est en effet capable d’attaquer la dame côté bec et la cage côté queue.
De plus, l‘appareil photo complique la donne : car tout comme le nid de Lancret, c’est un endroit qui héberge un petit oiseau.
Moralité : les femmes qui veulent juste faire sortir ce petit oiseau risquent fort de devoir mettre en cage un oiseau de taille redoutable.
Très intéressant cette thématique de l’oiseau dans la peinture… le XVIIIe siècle était très raffiné dans le libertinage !
Merci de votre intérêt. La métaphore était effectivement un aphrodisiaque raffiné dont nous avons perdu l’usage.