4.2 Le Mannequin symbolique
Au XIXème siècle, certains artistes investissent leur mannequin d’une dimension polémique, onirique, esthétique, érotique, théorique…
L’atelier
Ferdinand Tellgmann, 1834, Museumslandschaft Hessen, Kassel
Tellgmann réfléchit devant un paysage qu’il peint de mémoire ; derrière lui, un autre peintre oeuvre lui-aussi sans modèle, tandis qu’un troisième recopie un dessin. Les plâtres entassés derrière le paravent sous-entendent que l’Art ne se limite pas à une copie de l’antique, mais est avant tout chose mentale.
Le voile a demi détaché semble dire : laissez entrer la Lumière. Le drap qui cache le mannequin met en valeur le geste de sa main : sortez de l’atelier, allez voir le monde.
Scène d’atelier
Johann Peter Hasenclever, 1836, Museum Kunstpalast Dusseldorf
Hasenclever s’est représenté au centre, embarquant un mannequin sur son épaule. Derrière lui, une grande toile académique, retournée en guise de paravent, est constellée d’essais de couleurs. A gauche, le plâtre du Gladiateur borghèse a été amputé du bras gauche, celui qui tient le bouclier. Son noble geste a été remplacé par celui de Carl Engel de Rabenau, juste derrière, brandissant des pinceaux en lutinant la vieille servante qui apporte le café. Au centre, le tout petit Joseph Wilms, armé d’un appuie-main démesuré, lève lui aussi le bras gauche pour tendre une bouteille de vin à un condisciple.
Le sermon du Hussite
Carl Friedrich Lessing, 1836, Alte Nationalgalerie, Berlin
On comprend qu’il s’agit là d’une charge contre la grande peinture académique, en particulier contre ce tableau emphatique réalisé le même année.
L’éviction du mannequin hors de l’atelier prend ici valeur de manifeste : celle de la recherche du naturel, contre l’idéalisme et la bienséance de l’art académique de l’époque [0].
« La défaite du style natte ou perruque, lequel est représenté comme un Cerbère ou un monstre à trois têtes avec des physionomies françaises prononcées, car il a fait rage dans les trois domaines de l’art »
Wilhelm von Kaulbach, 1851, Etude pour la fresque de la Neuen Pinakothek, Neue Pinakothek, Münich [00]
Deux groupes attaquent le monstre :
- à gauche les tenants du classicisme – l’architecte Schinkel, avec son équerre, le peintre Carstens avec un glaive, le sculpteur Thorwaldsen avec son marteau, le théoricien Winkelmann avec son encrier – sous la sage protection de Minerve ;
- à droite les nazaréens – Von Cornelius (le professeur de von Kaulbach) armé d’une épée, le peintre Overbeck brandissant la bannière de l’art sacré, le peintre Veit aidant un barbu armé d’un pistolet (von Kaulbach lui même) à monter lui aussi sur Pégase, le symbole de l’Inspiration.
Le cheval sacré piétine un peintre en perruque enlaçant un mannequin : le très académique Gérard de Lairesse, tenant sous son bras son oeuvre maîtresse, le Grand Livre des Peintres ;tandis qu’au centre les Trois Grâces capturées par le Monstre espèrent leur libération.
L’atelier du peintre (détail)
Courbet, 1855, Musée d’Orsay
Le « mannequin d’artiste » relégué dans l’ombre derrière le chevalet est en général interprété de la même manière, comme le rejet de la peinture académique au bénéfice du naturalisme, incarné par la femme nue qui observe et inspire le peintre.
Vue stéréoscopique de l’atelier de Courbet par Eugene Feyen, juin 1864
Cependant, la mise en scène de la mannequine, dans cette vue stéréoscopique savamment organisée pour conduire le regard jusqu’à elle, assise au pied du miroir où pend la blouse du maître, trahit plus une fascination qu’un rejet.
Les références religieuses dans la pose du mannequin (Saint Sébastien, Saint Barthélémy, Déposition ?), son association avec un crâne et le Journal des Débats, suggèrent un sens plus profond.
Une interprétation maçonnique y voit la polarité masculine et solaire, opposée à la polarité féminine et lunaire [0a]. Pour Agurxtane Urraca [0b], le mannequin ferait l’éloge du naturalisme de l’art espagnol, et évoquerait les souffrances de l’Espagne.
On sait en tout cas, par la description de Courbet lui-même, que la femme assise par terre est un souvenir personnel, évocateur de la misère en Irlande :
« Ensuite un chasseur, un faucheur, un Hercule, une queue-rouge, un marchand d’habits-galons, une femme d’ouvrier, un ouvrier, un croque- mort, une tête de mort dans un journal, une Irlandaise allaitant un enfant. un mannequin. L’Irlandaise est encore un produit anglais. J’ai rencontré cette femme dans une rue de Londres, elle avait pour tout vêtement un chapeau en paille noire, un voile vert troué, un châle noir effrangé sous lequel elle portait un enfant nu sous le bras. » Courbet, Lettre à Champfleury, 1854
Trois bouts de tissu (SCOOP!)
Le mannequin, la toile et la modèle sont liées par le motif du bout de tissu qui les découvre. L’idée est peut être toute simple :
- à gauche la mort et la souffrance ;
- à droite la vie et la volupté ;
- au centre la toile qui se nourrit des deux, toute neuve comme l’enfant.
Le modèle endormi William Powell Frith, 1853, Royal Academy of Arts
Dans le dos de la jeune fille, l’armure qui veille sur le mannequin endormi matérialise, pour le spectateur avisé, le rêve romantique de la jeune modèle.
Le Kronprinz Friedrich rend visite au peintre Pesne sur un échafaudage à Rheinsberg
Adolph Menzel, 1861, gouache, Alte Nationalgalerie, Berlin
Très documentée historiquement (elle s’est produite en 1739), la scène mérite une description précise :
« A l’extrême gauche en arrière-plan, le prince héritier, suivi de son architecte Knobelsdorff et de son hôte Bielfeld (ou est-ce son lecteur Jordan?), monte par des marches qui nous sont cachées jusqu’à l’avant-dernière plate-forme d’un échafaudage, au milieu de laquelle un aide se penche pour nettoyer une palette. À l’extrême droite, à côté de lui, le musicien Franz Benda, debout, s’oublie dans sa musique, battant le rythme de la pointe de son pied droit. Le prince héritier et ses compagnons regardent d’en bas le plancher de l’échafaudage supérieur, où Pesne semble montrer une pose à un modèle. La femme recule devant le mouvement impétueux du peintre, s’appuie du bras gauche sur la balustrade en bois et renverse un pot de peinture. Deux pinceaux tombent de ce pot. Le prince héritier et ses compagnons peuvent seulement entendre les bruits provenant de la plate-forme supérieure, ainsi que l’alto de Benda, mais pas les voir, car les vestes de Benda et de l’aide pendent des poutres de l’échafaudage de telle sorte que l’altiste reste invisible au prince héritier. Nous seuls spectateurs sommes témoins du jeu de Bendas et de la danse d’amour du peintre, là-haut. En effet, le pas de danse de Pesne ne peut pas être la mise en place d’une pose pour le modèle, comme cela a toujours été dit depuis Max Jordan. Le peintre commence-t-il à danser sur les notes de l’alto ? N’est-il pas plutôt agenouillé devant une amante ? Souriante, la modèle repousse de la main droite l’approche amoureuse du peintre. Elle a risqué une chute malencontreuse sur le plancher inférieur, où un mannequin de bois… gît sous nos yeux, dans un raccourci extrême, comme brisé. Cet accessoire d’atelier semble être tombé du crochet du support placé plus à gauche. Menzel a arrangé les extrémités de la poupée de telle manière que ses jambes pointent vers la figure montante du prince héritier, tandis que sa main gauche tordue pointe vers une chaise avec un dossier tressé placée entre l’aide et le joueur d’alto. Que fait-elle là ? La poupée en bois inanimée, reposant sur son visage, est clairement une image de mort. En revanche, le modèle, dont la robe découvre l’épaule et la poitrine, semble susciter chez le peintre un entrain des plus érotique. » Matthias Winner [0c]
Un monde à l’envers
La scène pourrait se lire sur le mode plaisant, comme une sorte de monde à l’envers :
- le grand prince qui monte sur l’échafaudage et ne voit que des planches ;
- l’aide qui lui fait involontairement une révérence de dos ;
- l’altiste qui n’écoute que lui-même ;
- le peintre des déesses pris en flagrant délit de dévergondage.
Une mécanique autonome
Mais la composition semble échapper à l’anecdote pour fonctionner de manière autonome, conduisant l’oeil successivement vers des détails signifiants :
- le mannequin en raccourci attire le regard vers l’ombre du Frédéric sur le mur brut : s’agit-il d’évoquer la future grandeur du Roi de Prusse (de même que la chaise encore vide évoquerait son futur trône ?) ; voire même de rappeler le mythe de l’invention du dessin, par le tracé autour d’une ombre ?
- les pinceaux qui tombent mettent en connexion le modèle en chair et en os et le mannequin (Winner pense que Mentzel a repris ici l’idée de Courbet) ;
- le verre vide sur la chaise renvoie à la carafe pleine, à l’aplomb.
Les interprétations d’une composition aussi complexe sont nombreuses. Mais la lecture en deux registres s’impose(flèches jaunes) :
- le grand roi en pleine lumière ne dessine derrière lui que son ombre, quand le grand peintre en contre-jour s’efface devant les images qu’il a créées ;
- les pots attendent les pinceaux, le verre vide attend la carafe,
- la musique de l’altiste fait valser les amours du plafond.
En avant-plan de l’ensemble, le mannequin joue un rôle pivot :
- en amorçant la lecture verticale, par le couple qu’il forme avec la modèle (flèche rouge) ;
- en amorçant également une diagonale ascendante, qui passe de la position couchée à la position penchée, puis à la position debout (flèche bleu) :
- comme si l’Art, peinture ou musique, avait le pouvoir de donner vie aux choses mortes.
Le modèle et le mannequin
(Berthe dans l’Atelier)
Boldini, 1873
Des étoffes sont éparpillées sur le plancher, sur le fauteuil, sur le canapé. Un tapis froncé conduit jusqu’à des pieds, des mollets et des jambes nues. Ce crâne luisant est-t-il celui d’un chauve sur lequel la fille est vautrée, lui plaquant le visage dans son aisselle ?
Heureusement la présence du chevalet dégonfle la double scandale de la femme habillée et de l’homme nu, de la fumeuse triomphante et du mâle transformé en pantin : puisque celui-ci en est réellement un. Ouf, la scène érotique n’est qu’une scène de genre.
Et le perroquet sur son perchoir, emblème et compagnon de la femme sensuelle, semble placé là pour affirmer qu’elle et lui sont bien les deux seuls êtres animés de la pièce.
Boldini, La toilette
Berthe était la modèle avec laquelle Boldini vivait à cette époque, en toute impudeur.
L’homme et le pantin,
portrait du peintre Henri Michel-Lévy
Degas, vers 1878, musée Gulbenkian, Lisbonne
Les deux tableaux
L’oeuvre du peintre impressionniste Henri Michel-Lévy a presque totalement disparu : on a pu identifier le tableau de gauche, Les régates, exposé au Salon de 1879. Mais celui du fond n’est pas certain : il pourrait s’agit de la Promenade au parc, exposée au Salon de l’année précédente.
Le pantin
Le pantin en robe rose, seule note de couleur dans cette toile sinistre, est manifestement celui qui a permis de peindre la femme du tableau de gauche : simulacre d’un simulacre.
On pourrait tout aussi bien dire qu’elle vient de sortir du tableau de gauche,
pour rejoindre le peintre dans sa solitude.
Le peintre
L’attitude de ce dernier est étrange : adossé à la surface peinte, comme si celle-ci n’avait pas plus de valeur que le mur, il contemple la poupée d’un regard en biais.
On pourrait tout aussi bien dire qu’il vient de sortir du tableau du fond
pour rejoindre la poupée dans l’atelier.
Une tension sexuelle
Une tension sexuelle gênante lie ces deux êtres opposés : l’homme de chair debout en noir et blanc, la femme de son affalée en rose et rouge, sous la boîte à couleurs ouverte…
L’Intérieur, ou le Viol
Degas, 1868-69,Philadelphia Museum
…auto-citation du mystère charnel qui, dans ce tableau réalisé dix ans plus tôt, met également en scène dans un huis-clos la puissance menaçante de l’Homme, adossé les mains dans les poches, et le retrait de la Femme qui lui tourne le dos, de part et d’autre d’une boîte à couture.
Sauf que, dans la version lisboète, dénoncé par un bout de liquette, l’Artiste manifestement bande…
.. à l’instar des pinceaux près du gant.
En plus d’un portrait de Henri Michel-Lévy, peintre sincère et solitaire hanté par les fastes des Fêtes Galantes et le regret du Rococo, c’est surtout un autoportrait de Degas qui transparaît, en homme « frustré et amer, dont les besoins profonds sont restés inassouvis ».Théodore Reff[1]. Ce tableau profondément pessimiste illustre l’état d’esprit d’une lettre de 1884 :
« Si vous étiez célibataire et âgé de 50 ans, vous auriez de ces moments-la, où on se ferme comme une porte, et non pas seulement sur ses amis; on supprime tout autour de soi, et une fois tout seul, on s’annihile, on se tue enfin, par dégoût. » [1].
Son modèle préféré (His Favorite Model)
John Ferguson Weir, 1880-86, Yale University Art Gallery
Dans le tableau dans le tableau, une femme drapée se contemple dans un miroir, sans aucun contact avec son reflet.
Dans le tableau, le peintre tend les bras à son mannequin-femme : si le reflet figé est intouchable, cette autre forme de reflet en 3D que constitue le mannequin, est quant à lui souple et manipulable.
Ces bras tendus transgressant la limite du cadre posent brillamment toute la question du rapport de force entre le peintre et son modèle :
l’artiste réussira-t-il à le faire entrer dans le cadre, ou bien
le modèle résistera-t-il, éloignant le peintre de l’oeuvre qu’il a derrière la tête ?
Dans l’atelier
Wilhelm Trübner
Dans l’atelier Wilhelm Trübner, 1872, Bayerische Staatsgemäldesammlungen – Neue Pinakothek München |
Intérieur d’atelier Wilhelm Trübner, 1888, Museen der Stadt Nürnberg, Gemälde und Skulpturensammlung |
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En 1872, le thème reste obscur dans tous les sens du terme. Sans le titre, impossible de comprendre que cet homme en chapeau et manteau noir, au visage dans l’ombre et qui vient de jeter son mégot, est un peintre venu observer de plus près son modèle ; et que sa main gauche posée sur le dossier n’est pas en train d’esquisser une caresse, mais de rectifier une position.
En 1888, l’homme a gardé le même costume et presque la même pose, sinon que sa main droite ne tient plus son menton, mais un bloc de papier. Ce pourrait être un livre de poèmes lu à une jeune fille, mais la posture figée de celle-ci nous fait comprendre qu’il s’agit d’un modèle, et que le bloc est un carnet de croquis.
Le tableau dans le tableau
Prométhée pleuré par les Océanides, Wilhelm Trübner, 1889 |
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Trübner réalisera cinq versions du thème de Prométhée [2]. Celle de 1889 suit le « Prométhée enchaîné » d’Eschyle : on le voit attaché à son rocher, puni pour avoir donné le Feu aux Hommes. Mais Prométhée est aussi celui qui a façonné les humains à partir d’eau et de terre, pour qu’Athéna ensuite leur insuffle la vie. La présence du Pantin amorphe sous le tableau en cours d’élaboration suggère fortement que le thème de la composition n’est rien moins que celui de la Création, et de la manière de donner vie.
Le paravent
Le paravent indique comment lire le reste de la composition :
- sur le panneau de gauche, un tissu rouge et or est posé, un échantillon de cuir ou de papier décoratif est collé, un visage les yeux ouverts est griffonné ;
- le panneau de droite porte seulement un tissu vert, qui fait ressortir la chevelure rousse ;
- le panneau du centre porte un autre tissu rouge et or, orné de grandes palmettes : ce motif tape-à-l’oeil marque l’endroit critique où deux regards convergent : celui du peintre sur le modèle, celui du spectateur sur le tableau.
Si Trübner a choisi de centrer sa composition autour d’un motif aussi voyant, ce n’est pas seulement par intérêt pour les arts décoratifs ou le japonisme : mais parce qu’il souhaitait que nous donnions un sens à cette pyramide inversée composée, de bas en haut, d’une, de deux, puis de trois palmettes.
Le schéma du tissu
Supposons que la palmette du bas, toute proche du carnet de croquis vierge, représente l‘oeuvre en gestation.
Supposons que les deux palmettes du dessus, qui joignent les yeux de l’homme et de la femme, soient les deux pôles de ce processus créatif : le Peintre et le Modèle.
Alors la ligne du haut pourrait schématiser l’Oeuvre achevée : un motif qui incorpore une moitié du Peintre, et une moitié du Modèle, car l’Art ne peut prétendre faire entrer dans le cadre et dans le plan du tableau la totalité du Réel.
Femme et mannequin
Jacques Villon, 1899, Moma, New York
La dame survêtue, avec ses gants, son chapeau et son grand noeud papillon qui ne laisse voir de sa peau que le visage, a passé son renard au cou du mannequin et laissé tomber à ses pieds son manchon.
En habillant le mannequin nu de ces accessoires, elle s’amuse à le tirer vers l’humain tout en lui rappelant que, tout comme la fourrure n’est qu’un résidu d’animal, lui aussi n’est qu’un objet dérivé.
Le modèle sur la table Carl Larsson, 1906 |
Modèle écrivant des cartes postales Carl Larsson, 1906 |
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Le modèle est la jeune Leontine Lindström, qui figure dans nombre d’oeuvres de cette époque [6], et faisait partie de la maisonnée.
Les deux images ont manifestement été conçues pour former des pendants : vue frontale, harmonie rouge et vert, modèle assis posant un pied près du tabouret dans l’un, de la poubelle dans l’autre. Mais la composition va bien au delà d’un simple jeu formel, et raconte une sorte d’histoire.
Dans la première image, la jeune fille est tournée vers l’intérieur de la maison, vers le poêle, et manipule rêveusement une petite fleur.
Il faut lire l’image de droite à gauche, en trois parties, scandées par les feuilles accrochées au mur.
Au dessus des deux mannequins « morts« , obscènement empilés l’un sur l’autre, le dessin leur montre ce qu’ils ne feront jamais : l’amour.
Derrière la jeune modèle, la feuille blanche illustre ce qu’elle n’a pas encore fait (le don de sa petite fleur).
A gauche, sur la troisième feuille, un homme nu se prosterne devant elle (ou tente de lui prendre sa fleur). Comme Larsson a tenu à signer ce dessin dans le dessin, il n’est pas interdit de penser que cet admirateur, au dessus du poêle aux charbons ardents, exprime son propre sentiment : une attirance impossible à satisfaire.
Pas plus le dessin que le peintre ne peuvent rejoindre le modèle.
Dans la seconde image, la jeune fille est tournée vers le jardin, devant un grand bouquet de fleurs épanouies. Elle laisse derrière elle les mannequins, confinés dans leur ambiance malsaine, et écrit sur une table surchargée de feuilles, comme autant d’amoureuses possibilités.
Anna Stina Alkman (épouse de Edvard Alkman, éditeur et critique d’art)
Larsson, 1905, Collection privée
Au dessus d’elle, en contrepoint face à un même vase de fleur, le portrait de ce qu’elle va bientôt devenir : une femme établie.
L’atelier (The shop)
George W Lambert, 1909, Art Gallery of New South Wales
Peint dans l’atelier londonien de Lambert, le tableau montre, de gauche à droite :
- un modèle debout, ressemblant au roi Edouard VII (dont Lambert venait de faire le portrait)
- un mannequin assis ,
- un jeune garçon,
- Lambert debout, en pendant au premier modèle.
Les moyens de l’Art
Voici comment un confrère décrit la composition :
« Dans « Shop », l’artiste a disposé les ingrédients de sa profession : le sujet du portrait – le major general moderne, la figure couchée (de première importance pour la maîtrise des drapés) ; et, finalement, le peintre lui-même avec sa complexion pâle et ses longs cheveaux d’ambre roux. » Norman Lindsay, 1919 [7]
Mais cette explication fait l’impasse sur la présence du jeune garçon.
Une fausse famille
Et si ces trois personnages représentaient, assiégeant le peintre par derrière, les trois sujets qu’on demande sans cesse à un portraitiste célèbre ? L’homme costumé (ce faux roi), la femme déshabillée (ce vieux mannequin) et l’enfant qui rêve : seul ce dernier sauvant par sa candeur cette caricature de famille.
Le verre et la coupe de fleurs au premier plan, transposant l’huile et la palette, rajoutent une touche d’humour à cet autoportrait critique.
Auto-portrait
Alexandre Iacovleff, 1917, Tretyakov Gallery.
La composition est conçue comme un exercice de style démontrant la virtuosité du peintre :
- le pinceau entre l’index et le majeur et l’appuie-main entre les autres doigts semblent voler (le pouce étant masqué) ;
- l’artiste est montré peignant du bras droit : donc il ne peint pas ce qu’il verrait dans un miroir (les photographies de la Croisière Noir en 1924 montrent que Iacovleff était droitier) :
- pourtant, le tableau dans le tableau, vu de biais, montre l’image inversée :
- du mur du fond (on devine même le mannequin assis, sous le petit doigt)
- et du tableau que nous voyons.
Première remarque : l’artiste se regarde bien dans un miroir, mais corrige la position de son bras pour respecter la réalité, ce que seuls font les auto-portraitistes les plus exigeants (voir 1 Le peintre en son miroir : Artifex in speculo) ;
Deuxième remarque : si nous nous asseyons mentalement sur le divan du mannequin et regardons comme lui dans le miroir (dans le dos du peintre), nous verrons le tableau tel que nous le voyons : autrement dit il est équivalent d’être au plus profond du tableau ou d’être devant : la composition mannequinise le spectateur, ou humanise le mannequin, comme on préfère.
Troisième remarque : situé entre le visage du peintre et le tableau dans le tableau, le mannequin a en quelque sorte le pouvoir d‘inverser l’image, au même titre qu ele miroir que nous devinons, mais qui nous est caché.
http://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_pictures_within_degass_pictures_the_metropolitan_museum_journal_v_1_1968
http://www.fitzmuseum.cam.ac.uk/sites/default/files/Silent_Partners_Immunity1.pdf
passionnant.