1.3 A la loupe : les panneaux latéraux
Le panneau de gauche
Un jardin-antichambre
Triptyque de l’Annonciation Atelier de Van der Weyden, vers 1440, Louvre, Paris (panneau central) et Galleria Sabauda, Turin (panneaux latéraux)
L’idée du donateur adorant la Vierge depuis un jardin, devant un escalier et une porte donnant accès à la chambre de la Vierge, sera reprise plus tard par l’atelier de Van der Weyden, dans un triptyque dont la composition, si cette reconstitution est exacte, rappelle celle du retable de Mérode (sauf pour le panneau droit, qui représente la Visitation).
Le panneau gauche, repeint en totalité, est difficile à interpréter, et le donateur est inconnu. La porte cochère est surplombée par une bretèche à caractère défensif, mais le peintre a oublié la porte latérale donnant accès au chemin de ronde Le rempart porte trois créneaux, puis s’interrompt absurdement, sans qu’il s’agisse pour autant d’une ruine (la moulure du bas fait le tour du rempart). A voir les trois baies de la fenêtre, les trois fleurons de l’auvent (et d’autres triplets dans le panneau central, tels les coussins et les lys), on comprend que l’enjeu des trois créneaux est symbolique. Ce bout de fortification trinitaire est essentiellement un symbole marial, à la fois porte (janua coeli) et tour (turris eburnea).
De même la colonne en haut de l’escalier est probablement plus, vu son voisinage avec l’arbre, un symbole christique qu’un élément d’architecture réaliste.
Un lieu réaliste
A côté de ce jardin lourdement symbolique, celui du retable de Mérode, enclos d’un rempart dont on voit toutes les pierres, fortifié par une bretèche fonctionnelle, équipé de portes dont on voit toutes les planches et les ferrures, planté d’une pelouse dont chaque plante est reconnaissable, apparaît comme un modèle de réalisme.
Et pourtant, comme nous allons le voir, il comporte quelques symboles discrets.
La rose pour emblème
Reindert L. Falkenburg note que le mari a probablement décoré son chapeau avec une rose prise au rosier grimpant. Sa femme quant à elle tient un rosaire de corail. Cette insistance sur la rose, emblème de Marie, conduit la méditation jusqu’ « au drapé de la robe rouge de Marie, qui, par ses plis autour du genou gauche, ressemble à une grande rose, la « Rose Mystique » du sein de laquelle, selon la littérature dévotionnelle de l’époque, le Christ aurait bourgeonné. » [1]
Saint Christophe
Sur le rosaire est attachée une minuscule figurine dorée de Saint Christophe, le « porteur de Christ ». Selon Falkenburg, il s’agit probablement de l’indication que la jeune femme espérait être enceinte.
Le messager
En 1966, H.Nickel [2] a identifié le minuscule écusson que porte le personnage debout à côté de la porte ( trois bandes rouges sur fond d’or) : il s’agit des couleurs de la cité de Malines (Mechelen). L’homme n’est donc ni un serviteur du couple, ni un autoportrait de Campin, ni un marieur, comme on l’avait proposé auparavant.
Un exemple de badge de messager,
Metropolitan Museum, New York
C’est un de ces messagers professionnels, authentifiés par leur badge qui, avant la mise en place d’un service postal, étaient chargé de délivrer officiellement le courrier d’une ville. Son grand chapeau de paille le protégeait des intempéries, et sa bourse contenait les missives.
Selon Nickel, il apparaît dans le triptyque comme « la contrepartie terrestre du messager céleste, l’ange Gabriel. Peut-être a-t-il été mis là pour compléter un motif de trois personnages , femme, mari et messager, formant d’une manière séculière un contraste délibéré, et légèrement amusant, avec le groupe sacré de Marie, Joseph et Gabriel. »
Selon Falkenburg [1], il pourrait s’agir d’un héraut annonçant et solennisant la visite des donateurs auprès de Marie.
Les quatre oiseaux
Dans la foulée de sa découverte, Nickel a proposé une interprétation détaillé des quatre oiseaux, qui a eu moins de succès :
« …un rouge-gorge d’Europe, une pie, un chardonneret et un moineau. Le rouge-gorge, avec sa poitrine rouge, le chardonneret , qui se nourrit dans les ronces et le moineau, le plus humble des oiseaux, qui ne tombe pas sauf par la volonté de Dieu, sont des symboles de la Passion et de l’Incarnation du Christ. Le seul oiseau qui n’a pas de relation directe avec le Christ est la pie. Selon les bestiaires, cet oiseau parle et délivre des messages, et ce n’est probablement pas par hasard qu’il est perché juste au dessus de la tête du messager humain. De plus, la disposition des quatre oiseaux reproduit celle des quatre personnages dans les autres panneaux du triptyque. Ainsi le rouge-gorge, un des plus petits oiseaux d’Europe, correspond au minuscule enfant Jésus sur son rayon, dans le panneau central ; la pie à l’archange ; le chardonneret, qui apparaît fréquemment dans les représentations de la Vierge à l’Enfant, à Marie (de plus, le fait que Marie soit assise sur le sol est reproduit par le chardonneret, perché plus bas que la pie sur le mur) ; et l’humble moineau à Joseph, l’humble charpentier. »
La double porte
Nickel discute ensuite l’anomalie de la porte ouverte, si le panneau représente le « hortus conclusus », le jardin clos qui est un emblème marial. Il remarque que seule la partie « piéton » de la porte cavalière a été ouverte par le messager :
« ses doigts effleurent le bord de la porte tout comme le bout des ailes de l’ange effleurent la porte de la chambre. Ce type de porte pouvait laisser passer un cheval et son cavalier – peut être le cavalier dans la rue est-il là pour le souligner – et seule la petite porte étant ouverte, aucun cheval ne pouvait entrer. Le cheval dans l’iconographie médiévale est un symbole du désir… qui, naturellement, n’était pas admissible dans le jardin de la virginité. »
Le panneau de droite est très célèbre, et bien plus intéressant.
Les deux souricières
Nous leur avons dédié un chapitre séparé (2.1 1945 : Schapiro and co : la bataille des souricières), car l’histoire de leur identification controversée mérite d’être racontée.
Les volets du haut (SCOOP !)
Les volets se rabattent à l’intérieur, et s’attachent au plafond par une clenche. On voit sur la gauche le coin d’un troisième volet, ce qui signifie qu’il y a une troisième fenêtre dans l’atelier de Joseph, et donc un espace entre son établi et le mur mitoyen avec la chambre de la Vierge. Nous verrons dans 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré que ce détail en apparence insignifiant a une grande importance pour l’intrigue.
Les volets du bas (SCOOP !)
Pour des raisons d’encombrement, ceux là ne pivotent pas : ils coulissent verticalement dans une glissière.
L’étal
L’étal à l’extérieur du magasin, qui porte pour attirer le client une production de l’atelier Joseph, se replie vers le haut lorsque les volets sont fermés.
Le banc
Son dossier extrêmement haut en fait une sorte de cloison entre la porte et l’atelier. Le clayonnage permet à Joseph, en se retournant, de voir qui entre dans son échoppe.
La porte
Elle est entrouverte vers l’intérieur. Le soleil découpe son ombre sur le mur de droite. Mais comme on voit aussi l’ombre du clayonnage en contrebas, c’est qu’il existe une source de lumière à l’intérieur de l’atelier, en haut à gauche, dans la partie cachée par le cadrage. C’est elle aussi qui baigne de lumière la face de Joseph.
Annonciation (détail)
Andrés Marzal de Sas, 1393-1410, Saragosse, Musée provincial
Sans doute est-ce une lampe à huile, comme dans cet autre atelier, traité de manière bien plus frustre.
La planche à trous
En tout cas, cette lampe cachée (SCOOP !) projette l’ombre du forêt sur la planche que Joseph est en train de perforer.
Certains (Jozef de Coo) doutent qu’il soit possible de faire tourner le vilebrequin d’une seule main, en coinçant la pomme contre sa poitrine. Mais Joseph est habile : il a déjà percé trois trous et attaque le quatrième.
Les trous sont répartis en quinconce. Ils forment une grille de 4×4 trous, repercée par une autre grille de 3×3 trous. [3]
La craie (SCOOP !)
Voici quelque chose que personne n’a remarqué : le petit objet blanc et rond sur l’établi, dans lequel beaucoup veulent voir un appât pour les souricières, n’est autre que la craie qui a servi à marquer l’emplacement des trous sur la planche. On le comprend car, à côté d’elle sur l’établi, Campin a pris soin de tracer une marque du même genre.
Les outils de la table
On devine au fond, dissimulée dans l’ombre du volet, une grande tarière en forme de T. Plus près, une soucoupe contenant des clous, d’autres s’étant échappés sur l’établi. Un ciseau et un marteau, une tenaille et un tranchoir complètent l’équipement.
La bûche
Joseph y plante non pas sa hache, mais sa doloire, un outil qui sert à écorcer et équarrir le bois. La lame porte un signe constitué de trois cercles, analogue aux trois trous déjà percés dans la planche et aux trois trous qui figurent sur les armoiries de droite, sur le vitrail du panneau central.
Le tabouret
Le petit tabouret en bas à gauche, sur lequel est posé la scie, est en fait un support sur lequel Joseph pose le pied pour scier (SCOOP !).
Légende de saint Joseph (détail)
1490-1500, Hoogstraten, Eglise de St Catherine
Cette fonction d’étau se voit bien sur ce détail d’un retable postérieur, mais clairement inspiré par les oeuvres de l’atelier de Campin.
Le doute de Joseph
Légende de saint Joseph, 1490-1500, Hoogstraten, Eglise de St Catherine
Au final, tous les outils de l’atelier sont bien ceux que l’on s’attendrait à trouver chez un honnête menuisier.
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http://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_metropolitan_museum_of_art_bulletin_v_24_no_8_april_1966#
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