4 Trois pincées d’épices

Au final, l’essentiel de la production Carrier-Belleuse a pour ressort l’érotisme, mais manié avec la prudence et la dissimulation qui siéent à toute carrière officielle.

Il est amusant, pour terminer ce parcours très subjectif et partial, de souligner trois procédés permettant d’épicer un sujet sans tomber dans le trivial.

Article précédent : 3 Galantes métaphores

Le point de vue avantageux

Pierre Carrier-Belleuse 18921892 Pierre Carrier-Belleuse 1895 b1895

Pour ces deux danseuses en banc et noir, la vue plongeante met en valeur la double opulence du tutu et de la poitrine.


Pierre Carrier-Belleuse 18951895 Pierre Carrier-Belleuse 1898 Aguicheuse au voile vert1898

Le cadrage a mi-corps fait ressortir ce qui est à l’époque l’objet d’une obsession universelle :

Publicite 1901Publicité pour les pilules orientales, 1901


Surprises de dos

Pierre Carrier-Belleuse 1890 The Dancer

1890

Dans une pose peu plastique, cette danseuse relace son chausson. Ainsi immobilisée, elle est prise à l’arrêt, tel un animal au repos. Le tutu relevé laisse deviner un liseré de chair, et sous la pression du pied menu, le tabouret à quatre pattes est très satisfait de son sort.


Pierre Carrier-Belleuse 1901 de dos1901 Pierre Carrier-Belleuse 1905 de dos1905

Là encore la danseuse est surprise dans un moment d’intimité, tandis qu’elle allonge ses bras dans son dos pour s’échauffer. Les mains serrées attirent l’oeil sur sa croupe, tout en en déniant l’accès.


Pierre Carrier-Belleuse 1912 Le jour de l'examenLe jour de l’examen, 1912

Le piment des épieuses épiées


Pierre Carrier-Belleuse 1910 ca ballerinaBallerines, 1910 Pierre Carrier-Belleuse 1910 ca Le regiment qui passeLe régiment qui passe, vers 1910

Même dispositif, à deux ou à trois amies…


Pierre Carrier-Belleuse L'heure divineL’heure divine, date inconnue

Le recto d’autres beautés gazeuses, un poil plus jeunes.


Le décalage à la plage

En 1894, naissance d’une fille opportunément nommée Pierrette, et établissement à Wissant, dans une villa du même nom. C’est l’occasion d’un nouveau filon : aux filles des planches s’ajoutent les filles des plages.

villa_pierrette2 villa_pierrette

Villa Pierrette, merci à l’Association Art et Histoire de Wissant

« Dans sa maison de Wissant, durant l’été, il emmenait ses modèles. C’était pour lui un plaisir suprême que l’épanouissement de ces filles, vivifiées par le souffle de la mer.
Nous emmenions toujours quelques petits « rats » de l’Opéra avec nous, me racontait un de ces derniers jours la fille de l’artiste. Il les peignait sans trêve il eût tout donné, pour le reflet d’un rayon de soleil contre la chair. Pierrette Carrîer-Belleuse, très émue, ajoute : Les dernières paroles de mon père ont été pour son art ».

La Matin, 15 mars 1933


villa_pierrette 3 villa_pierrette 4

Photograhie histopale.net [0]

Facilement reconnaissable à ses deux auvents, la villa se trouvait en haut de la dune, donnant sur la plage. Elle a disparu depuis longtemps, de même d’ailleurs que la plupart des villas et chalets Belle-Epoque de la station.


pierre carrier-belleuse 1890 nu-sous-un-parasolNu sous un parasol, Pierre Carrier-Belleuse, 1890

L’idée de transporter un nu féminin sur la plage semble un peu antérieure à l’acquisition de la Villa Pierrette.

On voit bien l‘intérêt plastique : harmonie entre ton chair et ton sable, jeu d’ombres violentes. Sans négliger le piment érotique de la nudité hors de l’atelier.


wissant-Carrier Belleuse

A en croire cette photographie, le peintre amenait vraiment ses modèles sur le motif (du moins quand elles étaient habillées).


pierre carrier-belleuse 1896 sur_le_sable_de_la_dune Petit PalaisSur le sable de la dune, 1896 pierre carrier-belleuse 1900 Jeune femme sur la dune Petit PalaisJeune femme sur la dune, 1900

Petit Palais, Paris

Durant les premières années de cette veine balnéaire, les poses, nues ou habillées, restent académiques.


pierre carrier-belleuse 1910 Le coquillageLe coquillage, 1910, Collection-jfm.fr pierre Carrier-belleuse 1911 en-attendant-la-vagueEn attendant la vague, 1911

A partir de 1910, la soixantaine arrivant, on note une audace croissante chez les baigneuses. Il est probable que ces pastels rapides aient été prévus d’emblée pour l’exploitation en cartes postales.


Pierre Carrier-Belleuse 1912 La dune enchanteeLa dune enchantée, 1912 Pierre Carrier-Belleuse 1912 La farandoleLa farandole, 1912

Un vague prétexte symboliste justifie la multiplication des nymphettes dans les oyats.


Pierre Carrier-Belleuse 1911 Le colin-maillardLe colin-maillard, 1911 Pierre Carrier-Belleuse 1912 La chatouille (le jeu innocent)La chatouille (le jeu innocent), 1912

Ou bien c’est un simple jeu de société qui explique ces poursuites saphiques.


pierre carrier-belleuse 1913 Nu sur la plage (L'epave)Nu sur la plage (L’épave), 1913 Alexandre_Cabanel 1863 La naissance de Venus Musee d'OrsayLa naissance de Vénus, Alexandre Cabanel, 1863, Musée d’Orsay

Cet hommage à son maître Cabanel s’épice d’un zeste de voyeurisme enfantin…


<>pierre carrier-belleuse 1913 La Poursuite
La Poursuite, 1913

…tandis que cette baigneuse très contemporaine se voit pourchassée par un faune antique.


Carrier-Belleuse Pierre Vers l'amour

Vers l’Amour, Salon de 1910

Trois Gracieuses se ruent vers le spectateur en robes transparentes et les yeux enamourés. Moins celle de gauche qui masque son regard de la main, en un geste qui pourrait être de pudeur charmante, à la dernière minute de l’enfance. En fait, c’est juste qu’elle a perdu son chapeau (tombé à l’arrière-plan) et que le soleil l’éblouit.


Carrier-Belleuse Pierre Vers La Victoire

Vers la Victoire, 1915

Fidèle à son économie de recyclage, Pierre Carrier-Belleuse en pleine guerre se contentera de remplacer le chapeau de celle de droite par l’Union Jack, et de vêtir celle du centre aux couleurs tricolores, non sans renforcer le message par un petit drapeau pédagogique à l’arrière plan. Quant à celle de gauche, il suffira de lui déplier le bras pour lui faire brandir le drapeau russe.

Ainsi  les fillettes excitantes d’Avant-guerre se transforment, à peu de frais, en propagandistes enthousiastes de la Triple Entente, ouvrant  le marché prometteur des cartes postales de guerre.


pierre carrier-belleuse 1924 ca La siesteLa sieste, 1924

Après guerre, les nymphettes se raréfient et s’assagissent : l’une daigne gratifier le passant d’un clin d’oeil rapide, tandis que l’autre n’interrompt même pas son roupillon au soleil.


Pierre Carrier-Belleuse Un instant de surpriseUn instant de surprise, date inconnue

Au stade terminal par cette déliquescence, l’estivante se métamorphose en échassier et le voyeur en batracien.

Références :

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