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3 La fin du chemin (ou presque)

Enfin un tableau non réversible, et une interprétation chrétienne irréfutable !

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Paysage d’hiver avec une église

Caspar David Friedrich, 1811, National Gallery,  Londres

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La dernière station

Même avec la plus mauvaise foi du monde, impossible de soutenir que l’infirme a quitté l’église du fond, qu’il s’est retouvé guéri par le Crucifix miraculeux au point de balancer ses béquilles, et qu’il va dans un instant se relever pour redescendre tout guilleret dans la vallée !  Jouée à l’envers, la séquence ne tient pas la route.

Les béquilles jetées

Elles balisent le chemin qu’a pris le voyageur pour monter, et sont les traces  « d’un épisode précédent, théatral,  dans lequel, d’extase ou de souffrance, le voyageur a jeté ces soutiens l’un après l’autre, tandis qu’il approchait de la Croix. » J.L.Koerner, Caspar David Friedrich and the subject of landscape, Reaktion books Ltd, 2009, p 24

Ces pauvres bouts de bois charrient un riche échantillon d’interprétations sentimentales. Au choix : que la foi sauve, qu’il est temps d’abandonner la marche claudiquante que constitue la vie terrestre, que l’infirme maintenant  a fini de souffrir.  Couché contre un rocher qui sera son lit de mort, il n’a effectivement plus besoin de marcher.

Le Christ et le voyageur

Après sa montée au Calvaire, voici le voyageur en  symétrie avec le Christ : chair martyrisée face au bois taillé, spectateur face à l’oeuvre d’art, tête levée face à la tête baissée, mains jointes face aux bras cloués.

Le sapin-pivot

Koerner, toujours pertinent, fait remarquer que la composition met en balance – de part et d’autre du sapin de taille moyenne qui marque le centre du tableau – d’un côté la cathédrale néogothique, de l’autre le grand sapin qui abrite le crucifix. Ainsi les deux demeures du Christ, celle faite de pinacles et celle d’aiguilles, sont mises en équivalence : d’ailleurs, elles ont exactement la même hauteur.

La cathédrale cachée

Comment expliquer que, si près du refuge, dont on distingue la porte ouverte même dans le brouillard, le pélerin abandonne ses béquilles et renonce à avancer ? N’y-a -t-il pas là une sorte d’euthanasie douce dans la neige, à l’opposé du message chrétien ?

Koerner propose une solution ingénieuse : que le cathédrale soit  imaginaire ou pas, peu importe ; car depuis le chemin qu’a pris le voyageur, il lui était impossible de la voir,  masquée qu’elle était par le sapin central. Pour lui, elle n’est de toute manière visible que par la foi, comme une promesse cachée.

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La cathédrale explicitée

La cathédrale est destinée au spectateur du tableau, qui se trouve exactement dans son axe  : à son intention, elle joue le rôle d’une clé qui complète et explicite les autres éléments du paysage.

« Les sapins, le crucifix sculpté et l’église  occupent tout le spectre de la présence divine au sein du  paysage :  depuis la simple suggestion du sacré dans la géométrie gothique des sapins et leur symbolisme potentiel (toujours vert = foi inaltérable), en passant par la représentation traditionnelle de Dieu fait homme (le crucifix en tant qu’oeuvre d’art), jusqu’à l’irruption massive du sacré (l’église-apparition, qui transcende le naturalisme voulu du paysage). Tout comme les représentations traditionnelles de la Jérusalem Céleste, l’église de Friedrich aspire à être la fin au travers de laquelle tous les moyens – la nature, l’histoire, la peinture, l’expérience – découvrent leur vrai sens. » J.L.Koerner, op.cit. p 24

Pour le voyageur dans le tableau, le chemin se termine au pied de la croix. Pour le spectateur du tableau, le chemin se poursuit un peu plus loin.  Comme un film, la tableau est irréversible, mais comme la porte de la cathédrale, la fin de ce film est ouverte :  mirage dans l’esprit d’un mourant, vrai miracle ou sapin de pierre…

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