Les pendants d'histoire : XIXème siècle
Au XIXème siècle, avec la disparition des boiseries décoratives, les pendants perdent leur plus grand débouché. Mis à part quelques grands artistes qui continuent à en faire un moyen d’expression privilégié ( Turner, Wilkie, Thomas Cole, Boilly ) , on ne les trouve plus que sporadiquement, avec des sujets qui n’ont plus rien à voir avec les standards des siècles précédents.
On peut néanmoins les regrouper selon les grandes catégories habituelles : allégorie, mythologie, religion, reconstitution historique, sujets de société.
Allégories
Qui trop embrasse mal étreint
Pierre-Narcisse Guérin, 1816, lithographie
En 1816, pour essayer la technique de la lithographie, Guérin produit trois images originales de l’artiste : celui-ci, les bras chargés de trop de techniques et d’arts, tente de monter vers le Temple de la sagesse, tandis qu’un Amour lui tire les oreilles.
Le Paresseux |
Le Vigilant |
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Pierre-Narcisse Guérin, 1816 lithographies
Les deux autres fonctionnent en pendant :
- en extérieur, à l’ombre d’un palmier le peintre qui musarde n’écoute pas l’amour qui lui tend sa palette, ni celui qui lui propose la gloire ni celui qui lui propose la fortune, alors que Chronos dans son dos le menace de sa faux ;
- en intérieur, au champ du coq, le peintre qui a travaillé toute la nuit alors même qu Cupidon s’endormait, se voit récompensé par une muse ailée qui apparaît au dessus de son lit, tenant un bouquet de muguet.
Marchands de fourrure descendant le Missouri
George Caleb Bingham, 1845, MET
Un mouvement immobile
Une des raisons de la grande célébrité de ce tableau tint sans doute à cette impression de voyage arrêté, que créent le reflet dans la surface tranquille du fleuve, qui fige verticalement l’embarcation, et l‘îlot à l’arrière-plan, qui la cadre horizontalement.
Pourtant, le mouvement est bien là, trahi par d’infimes détails : la fumée de la pipe qui part vers la droite implique que le bateau va en sens inverse de la lecture ; et les turbulences blanches à gauche des branches qui affleurent indique que le fleuve va dans le même sens.
Un réalisme irréel
Le titre du tableau est donc parfaitement véridique : les fourrures sont dans la caisse protégée par une toile imperméable, les marchands descendent le fleuve pour aller les vendre en aval. Comme le Missouri coule pour l’essentiel de l’Ouest vers l’Est, le soleil bas, à gauche du tableau, est le soleil levant.
En 1845, les trappeurs ont disparu depuis longtemps, et le tableau, exposé à l’American Art Union, est apprécié par les Newyorkais comme une reconstitution pittoresque : le vieux trappeur français, son fils sang-mêlé, et l’ourson enchaîné qu’ils ramènent.
Le retour des trappeurs
George Caleb Bingham, 1851, Detroit Institute of Arts
Bingham produira quelques années après cette seconde version, qui par comparaison est bien plus faible :
- l’ourson, à quatre pattes, a perdu sa valeur de figure de proue ;
- au centre l’attention est distraite par le fusil plus voyant ;
- l’arrière-plan ne met plus en valeur les silhouettes, mais les bloque ;
- les branches affleurantes ont été remplacées par un arbre mort sur la rive.
On saisit alors que toute la magie de la première version tient à ce mélange entre le calme du paysage, encore pacifié par le caractère géométrique et abstrait de la composition, et l’impression de péril sous-jacent que créent les branches au ras de l’eau, accentué par l’insouciance du tireur qui tourne le dos à la marche, satisfait d’avoir abattu un canard.
Un pendant méconnu
L’ennemi caché, Stark museum of Arts, Orange, Texas (74.3 × 92.7 cm.) | Marchands de fourrure descendant le Missouri, MET, New York, (73.7 x 92.7 cm) |
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George Caleb Bingham, 1845
Il est dommage que les deux tableaux aient été vendus séparément, ce qui a fait perdre en grande partie le sens symbolique de la composition. Si Bingham a fait naviguer ses marchands en sens inverse du sens de la lecture, c’est pour créer une insécurité visuelle et narrative : les marchands ne s’éloignent pas du monde sauvage, mais sont attendus par lui, en aval du fleuve et à la fin du jour : le soleil bas qui passe entre les rochers et révèle l’Indien est celui du couchant.
L’Osage, avec ses peintures de guerre, caché sur un promontoire au dessus du Missouri, est cadré par le rocher de l’arrière-plan aussi parfaitement que les navigateurs par l’îlot. Sa posture menaçante, toute de concentration et de tension, reprend, en la contredisant, la nonchalance du sang-mêlé qui lui tourne le dos.
Un panoramique moral
Lu de gauche à droite, le pendant illustre bien les conceptions « progressistes » de l’époque :
- le sauvage indomptable et toujours menaçant (l’Indien) ;
- le sauvage domesticable (l’ourson) ;
- le sauvage assimilé (le métis), mais au prix d’un affaiblissement de ses qualités guerrières ;
- l’homme blanc, vieux comme sa civilisation, et apte à déjouer les pièges du courant.
Le pendant macabre d’Alfred Rethel
La mort comme Etrangleur (Tod als Erwürger)
Dessin, 1847, Kupferstichkabinett, Dresde
Ce dessin montre l’arrivée du choléra à Paris en 1831, durant un bal masqué : trois cadavres de danseurs gisent au sol (un Arlequin qui a lâché sa batte, une Colombine au sein découvert et un Fou), les musiciens quittent précipitamment leur estrade par la gauche (le dernier se bouchant le nez), d’autres convives s’enfuient par la droite. Sous le pupitre déserté trône la momie terrifiante du Choléra, tenant en main son fléau plombé. La Mort s’est fait de deux os un dérisoire violon et a tombé le masque, tandis que les morts ont gardé le leur.
L’idée vient très certainement d’un récit de Heine dans le « Augsburger Allgemeine » [1].
La Mort comme Serviteur, vers 1848 | La Mort et le Roi, Todtentanz, Holbein le Jeune, 1538 |
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Rethel continue à travailler le sujet de la Mort qui frappe à l’improviste, dans l’esprit de la Danse macabre de Holbein. Un homme qui faisait la lecture dans un salon s’effondre brutalement, tenant encore dans sa main le verre que vient de lui verser la Mort.
Danse macabre de l’année 1848 (Ein Todtentanz aus dem Jahre 1848)
Alfred Rethel, paru en mai 1849
Sous l’influence des événements politiques de 1848, Rethel termine en mars 1849 (donc avant les révoltes de Dresde dont il est témoin [2]) une série de six gravures, violemment anti-révolutionnaires [3].
En octobre 1851, Rethel se marie avec une jeune fille riche, et pense trouver là la fin de ses déboires sentimentaux et professionnels. C’est dans cette atmosphère qu’il fait graver sur bois « la Mort comme étrangleur », en lui adjoignant, comme pour le conjurer, un pendant optimiste, La Mort comme Amie :
Dessin (inversé) | Gravure sur bois, 1851 |
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Alfred Rethel, La Mort comme Amie (Tod als Freund)
Le vieux sonneur de cloche a rendu l’âme paisiblement, à son heure, et la Mort vient sonner à sa place son propre glas.
Une élaboration progressive
Du dessin à la gravure, la composition a évolué sur plusieurs points significatifs :
- dans la fenêtre, suppression de la croix et du toit de l’église remplacés par le haut d’un pinacle, l’effet étant de surélever la pièce ;
- dans le même ordre d’idée, ouverture d’une porte en haut à gauche et ajout d’une fenêtre en haut à droite, montrant une gargouille et un autre pinacle ;
- ajout d’un oiseau sur la balustrade, symbolisant l’âme du défunt qui va s’envoler vers le soleil ;
- suppression du chien endormi : le seul ami du vieillard est la Mort ;
- suppression des poids de l’horloge, symbole inutile du temps passé ;
- mise en valeur du crucifix, assimilant la table à un autel avec le livre, le pain et le vin.
La mort d’un juste
Le trousseau de clés et la corne d’alarme en haut de l’escalier indiquent les fonctions du vieil homme : garder l’église et veiller sur la ville.
Au premier plan à droite, le bourdon et le chapeau à coquille Saint Jacques font sans doute allusion à son passé de pèlerin, qui a trouvé ici la fin du voyage. La Mort, avec ses sandales, sa gourde et sa coquille, a revêtu pour venir lui rendre visite l’habit qu’il ne porte plus. Et a déposé sur la chaise la palme de la paix éternelle.
La logique du pendant
La Mort comme étrangleur (Tod als Erwürger) | La Mort comme Amie (Tod als Freund) |
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Alfred Rethel, 1851, gravures sur bois
Malgré le fait que les deux pendants n’aient pas été conçus ensemble, les oppositions sont nombreuses et ingénieuses :
- salle de bal / clocher ;
- lustre / soleil ;
- vie futile / vie utile ;
- mourir par terre et masqué / mourir en hauteur et en vérité ;
- mort subite / mort préparée ;
- os frottés / cloches sonnés ;
- déguisement par traîtrise / déguisement par amitié.
Mythologie
Le double pendant de Guérin
Retrouvons Pierre-Narcisse Guérin pour un cas très exceptionnel : celui d’un même tableau servant dans deux pendants différents (aujourd’hui partagés entre quatre musées).
Aurore et Céphale
Pierre-Narcisse Guérin, 1810, Louvre (254 x 186 cm)
En 1810, Guérin expose au salon ce tableau, peint pour le comte de Sommariva, sur un sujet assez rare tiré des Métamorphoses d’Ovide :
«Je tendais mes filets aux cerfs cornus, lorsqu’un matin du sommet de l’Hymette toujours fleuri, l’Aurore, dont la lumière de safran venait de chasser les ténèbres, m’apercoit et m’enlève, malgré ma résistance» Livre VII, vers 701-704)
Voici la description du tableau par un commentateur de 1810 :
« L’Aurore, accompagnée de l’Amour, soulève le voile étoilé de la Nuit, et répand des fleurs sur la terre. Dans sa course rapide, elle a vu Céphale endormi ; elle en devient éprise, et ravit le jeune chasseur à la tendresse de son épouse. Céphale livré au sommeil et mollement étendu sur un nuage, paraît s’élever doucement vers les cieux. Une étoile qui brille au dessus de la tête de l’Aurore éclaire d’une lumière douce et paisible cette scène de volupté. La figure de la déesse est svelte et gracieuse; ses bras sont nus; aucun voile ne cache sa poitrine ni ses épaules. Une robe légère et transparente, attachée au-dessous de son sein, descend jusque sur ses pieds, dont un seul est aperçu à travers les nuages. » Charles Paul Landon [3a]
Merci à Charles Paul Landon pour le détail du pied à travers les nuages, qui m’avait échappé.
En revanche, tout émoustillé soit-il, le commentateur a oublié de mentionner un détail bien plus osé : le geste entremetteur de l’Amour, une main sur les fesses de la pinup et l’autre tirant l’index du beau berger.
La Sagesse préservant l’Adolescence des traits de l’Amour Charles Meynier, 1810, Musée des Beaux Arts du Canada, Ottawa (anciennement collection Noureev) , (242 x 206 cm) |
Aurore et Céphale Pierre-Narcisse Guérin, 1810, Louvre (254 x 186 cm) |
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Sommariva avait commandé à Meynier ce tableau en pendant, inspiré des « Aventures de Télémaque » de Fénelon. En songe, le jeune Télémaque se voit protégé par Minerve des flèches du désir, et retenu de descendre vers les séductions de la Volupté [X1] .
Le pendant Sommariva fonctionne sur des complémentarités simples :
- descente ou élévation d’un dormeur ;
- nu couché féminin/masculin ;
- nu debout masculin/féminin.
Il s’avère que le détail de l’Amour tirant le héros par les doigts n’a rien d’anodin, puisqu’il est central aux deux compositions.
1810, Louvre | 1811, Musée Pouchkine, Moscou |
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Aurore et Céphale, Pierre-Narcisse Guérin
En 1810, le prince Nicolas Borissovitch Youssoupoff demanda à Guérin, avec l’accord de Sommariva, une réplique de son Aurore et Céphale. La principale modification concerne le jeune garçon :
« Quant à l’Amour critiqué dans la presse (trop rond, trop raide, un peu mignard), il a disparu, alors qu’au bas du groupe a pris place Zéphyr, reconnaissable à ses ailes de papillon, jeune garcon, au profil narquois, qui donne l’impression d’aider à l’ascension de la déesse et de sa victime. Nicolas Borissovitch fut sans doute satisfait de son tableau, qui n’était pas la réplique de celui du mécène parisien, tout en exprimant la même vision féerique. » Josette Bottineau [3c]
Morphée et Iris
Pierre-Narcisse Guérin, 1811, Ermitage, Saint Petersbourg
Souhaitant posséder son propre pendant sur le thème du sommeil, Youssoupoff commanda à Guérin un sujet encore plus rare, lui aussi tiré des Métamorphoses d’Ovide :
«La vierge divine entre dans ce lieu (…) et aussitôt l’éclat de sa robe illumine la demeure sacrée; le dieu soulève à grand-peine ses paupières appesanties; il retombe et retombe encore, tandis que son menton chancelant va frapper le haut de sa poitrine» Livre XI, vers 516-621
Je reproduis ci-dessous, en l’abrégeant, la description très précise de Josette Bottineau, à qui l’on doit l’article de référence sur la génèse de ces oeuvres :
« La composition s’organise à partir de l’apparition d’Iris, dans l’angle supérieur droit: la messagère de Junon lève sa main avec une grâce autoritaire et ordonne à Morphée de se réveiller; on voit alors le fils de la Nuit émerger lentement de sa léthargie; il semble qu’un fil invisible relie la main droite de la déesse au poing fermé du dormeur dont le bras est contraint de s’élever; sa tête s’est tournée vers l’intruse; il va s’étirer; ses lourdes paupières sont encore closes… Un jeune garcon ailé, l’Amour, écarte avec malice… le lourd rideau noir du lit de Morphée, et la lumière pénètre à flots… Iris, comme l’Aurore, a le charme mutin des jeunes beautés que le prince Youssoupoff et M. de Sommariva aimaient à trouver sur leurs tableaux. Quant à Morphée, proche de Céphale, il évoque un marbre antique recréé par Canova, le sculpteur passionnément admiré des deux mécènes… Les plis du drap blanc sur lequel repose le dieu dessinent curieusement, de part et d’autre de son buste, deux larges ailes, à l’image de celles qui lui permettent de voler vite et silencieusement et que sa position sur le lit ne peut que laisser imaginer. Plus encore que L’Aurore et Céphale, Iris et Morphée évoque un intermède chorégraphique: on imagine sans peine le prince qui avait eu la charge des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg et qui abritait dans son vieux palais moscovite une troupe de danseuses de haut niveau, charmé par ce spectacle : Iris, petite magicienne aux ailes de gaze, vêtue de voiles aux couleurs de l’arc-en-ciel, descendant des cintres pour illuminer et animer la demeure du fils de la Nuit… » Josette Bottineau [3c]
En bas du tableau, un « pendant dans le pendant » met en correspondance deux trios mythologiques, composés d’un dieu, d’une nymphe ou déesse, et d’un messager :
Mercure et Argus | Junon et Morphée |
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« Pour le plaisir érudit de Nicolas Borissovitch et de ses hôtes, Guérin orna la traverse du lit d’ébène de petites scènes imitant des bas-reliefs, consacrées au thème du sommeil et aux ruses de Jupiter et de Junon.
Sur la première, à gauche, Mercure, envoyé par Jupiter pour libérer la nymphe Io changée en génisse (on la voit attachée à un olivier du bois sacré de Mycène), s’apprête à trancher la tête d’Argus aux cent yeux, qu’il vient d’endormir au son de sa syrinx (Métamorphoses, I, 668-721).
La scène de droite illustre un épisode de la guerre de Troie (Illiade, XIV, 153 ss.)… On apercoit Jupiter profondément assoupi tout contre Junon, et le fils de la Nuit (Morphée), de petites ailes aux tempes et emmitouflé de la tête aux pieds, volant vers les vaisseaux grecs sur l’injonction de Junon. » Josette Bottineau [3c]
La scène centrale, partiellement cachée, montre « un personnage drapé, debout au pied d’un lit » dont l’identification est incertaine.
Morphée et Iris, Ermitage, Saint Petersbourg | Aurore et Céphale, Musée Pouchkine, Moscou |
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Pierre-Narcisse Guérin, 1811
Le pendant Youssoupoff fonctionne sur des complémentarités totalement repensées :
- descente ou envol d’une déesse ;
- climat lumineux : arc en ciel d’Iris, rose de l’Aurore ;
- nu féminin abaissant ou élevant les bras ;
- nu masculin allongé, élevant ou abaissant les bras ;
- jeune garçon ailé soulevant un tissu,
- frise du bas : scènes mythologiques ou panorama terrestre
Pan découvrant la Vertu | Enlèvement d’Europe |
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Volozan, gouaches, vers 1820, Musée dAquitaine, Bordeaux
Comparées aux grandes machines mythologiques du siècle précédent, ces deux gouaches montrent bien l’épuisement du genre. L’artiste s’applique à une laborieuse mise en correspondance entre :
- les deux grands arbres,
- Pan, le dieu à pattes de bouc et Io la vache,
- la nudité vu de face (la Vertu ou un Hermophrodite pudique ?) et vue de dos ;
- l’amour en vol stationnaire ;
- l’aigle en surplomb.
Diane et Endymion | Les Grâces visitent Daphnis pendant son sommeil |
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Hersent, 1817, Musees E. Berry, Sens
Le pendant a pour sujet deux visites de divinités féminines à de beaux bergers :
- de nuit, Diane vient reluquer Endymion :
- de jour, trois Nymphes viennent annoncer le retour de Chloé à Daphnis , endormi magiquement au pied de l’autel où il se lamentait de sa disparition :
« Chloé, disoit-il, vient d’être arrachée de vos autels, et vous avez bien eu le coeur de le voir et l’endurer ! elle qui vous a fait tant de beaux chapelets de fleurs ! elle qui vous offrait toujours du premier lait ! elle qui vous a donné ce flageolet même que je vois ici pendu ! » Daphnis et Chloé, Longus, 2, 22
Le Jour et la Nuit
Paul Merwart, 1879, collection privée
Cet étrange petit tableau (27 x 22 cm) est signé et daté dans chacune de ses moitiés :
- côté Jour, ciel bleu, voile blanc et ombrelle rouge composent une harmonie tricolore ;
- côté Nuit, fond noir, voile gris et croissant de lune abolissent la couleur.
Le vin de Tokay | Le vin Ginguet |
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Luis Ricardo Falero, 1886, collection privée
Grand spécialiste es nudités ascensionnelles, Falero invente ici une mythologie moderne où la Blonde vue de face, plastiquement posée sur un flacon bouché de breuvage aristocratique, s’oppose à la Brune vue de dos qui enfourche gaillardement, en faisant la nique à l’autre, une bouteille presque vide de petit vin piquant, d’où s’échappe un jet victorieux.
Avec un demi-siècle d’avance, l’esthétique pin-up trouve ici un premier lot d’objets quotidiens à corrompre.
Religion
L’Annonce aux Rois Mages | L’Annonce aux Bergers |
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Ary Scheffer, vers 1845, Musée de la Vie Romantique, Paris (34,5 x 24 cm)
Un article de 1845 [3d], lors de l’acquisition des Rois Mages par les collections royales, précise que, bien qu’ils aient constitués des pendants dans l’esprit du peintre, les deux tableaux ont été vendus séparément. L’Annonce aux bergers, qui représente « l’élan du coeur qui porte le peuple vers le Christ », avait déjà été vendu à un marchand de Rotterdam. L’autre tableau proposerait, selon l’auteur de l’article, une réflexion plus complexe sur la manière dont les trois Pouvoirs traditionnels réagissent à la venue du Christ :
« Le Roi-guerrier est placé à la gauche, le Roi-législateur à la droite du Roi-prêtre, et l’on comprend quelle a été la pensée du peintre. Le guerrier porte les regards vers le prêtre comme le prêtre dirige les siens vers la lumière nouvelle. Cette lumière sert de guide au prêtre, ainsi que le prêtre au guerrier qui, plongé dans de sérieuses pensées , se dispose à le suivre. Le législateur va le suivre aussi, mais cependant sa physionomie sévère laisse apercevoir une ombre de tristesse , une légère teinte de regret. Il pressent la puissance dominatrice de la sainte loi de l’Evangile, mais il reconnait en même temps les déceptions de la vanité humaine ; il doit lui en coûter d’avouer que sa prétendue sagesse n’était qu’erreur, il éprouve avec douleur que même les chefs-d’ouvre de l’esprit humain , admirés de siècle en siècle, vont disparaître comme la neige au seul rayon de la vérité éternelle et divine. »
Scheffer transforme donc le traditionnel pendant Adoration des Mages / Adoration des Bergers en une « Annonce aux Mages » / « Annonce aux bergers » volontairement énigmatique :
- l’élément annonciateur (l’Etoile ou l’Ange) se trouve en hors champ, au dessus et au centre du pendant ;
- les Rois mages échappent à la typologie traditionnelle au profit d’un trio plus moderne : le Sage, le Pieux et le Preux, dans lequel le Jeune Inspiré est le premier à saisir la signification de l’Annonce ;
- parmi les bergers se glisse une pseudo Sainte Famille propre à dérouter les incultes.
Le réveil de la conscience (The Awakening Conscience), 1853, Tate Gallery | La Lumière du Monde (The Light of the World), première version, 1854, église de Keble College, Oxford |
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William Holman Hunt
Les deux tableaux, différents par le format mais unifiés par les cadres réalisés par Hunt lui-même, ont été exposés en pendant en 1854, et sont profondément complémentaires (voir Le Réveil de la Conscience).
Reconstitution historique
Titus pardonne aux sénateurs conjurés | Titus et Vespasien font distribuer des secours au peuple |
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Heim, 1819, Musée national du château et des Trianons, Versailles
Ce pendant, d’un néo-classicisme suranné, met en scène en intérieur et en extérieur deux actes de générosité de Titus.
Joconde | La Fiancée du roi de Garbe |
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Hersent, 1818-19, Musée de Château-Thierry.
Le pendant propose,, en style troubadour, deux trios amoureux (une fille et deux garçons, deux filles et un garçon), choisis dans deux contes de La Fontaine.
Joconde
Le roi Astolphe et son ami Joconde couchent ensemble avec la même jeune fille, à laquelle ils ont promis un anneau. Mais pendant qu’ils dorment à tour de rôle, la belle en profite pour coucher avec un troisième, son propre amant, que chacun prend pour l’autre. Au matin les deux amis, dépités, se reprochent mutuellement leur égoïsme :
« Ils lui dirent: Jugez-nous,
En lui contant leur querelle.
Elle rougit, et se mit à genoux;
Leur confessa tout le mystère.
Loin de lui faire pire chère,
Ils en rirent tous deux: l’anneau lui fut donné » [4]
La Fiancée du roi de Garbe
Parmi ses nombreuses tribulations, l’infante Alaciel, fiancée du Roi de Garbe, se retrouve un jour dans un pavillon où un galant a attiré une fillette. Mais Alaciel, qui a la clé, y entre et interrompt l’aventure :
« Le galant indigne de la manquer si belle
Perd tout respect, et jure par les dieux,
Qu’avant que sortir de ces lieux,
L’une ou l’autre payera sa peine;
….
Tirez au sort sans marchander;
Je ne saurais vous accorder
Que cette grâce;
Il faut que l’une ou l’autre passe
Pour aujourd’hui.
…
Non non, reprit alors l’infante,
Il ne sera pas dit que l’on ait, moi présente,
Violenté cette innocente.
Je me résous plutôt à toute extrémité. » [5]
Combat du Lys et de la Gloire contre le Cumberland le 21 Octobre 1707 | Combat de la Bayonnaise contre l’HMS Ambuscade le 14 Décembre 1798 |
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Louis-Philippe Crépin, 1827, collection privée
Le pendant met en scène deux victoires navales françaises (le navire de l’ennemi héréditaire étant à droite). L’idée est sans doute d’illustrer deux types différents de combat :
- la canonnade entre le Lys et le Cumberland (noter l’acte de bravoure du soldat français qui saute à la mer en emportant le pavillon ennemi) ;
- l‘éperonnage de l’Ambuscade par la Bayonnaise.
Combat de la Bayonnaise contre l’HMS Ambuscade
Louis-Philippe Crepin, 1827, Musée national de la Marine de Paris
Le tableau le plus connu de Crépin illustrait déjà cette même bataille, mais bord à bord.
La barge du cardinal de Richelieu sur le Rhône, 1829
Paul Delaroche, Wallace collection, Londres
Le tableau suit fidèlement la description par Vigny du dernier voyage de Cinq-Mars et de De Thou, faits prisonniers par Richelieu :
« il les enleva de Narbonne, les traînant à sa suite pour orner son dernier triomphe, et venant prendre le Rhône à Tarascon, presque à son embouchure, comme pour prolonger ce plaisir de la vengeance que les hommes ont osé nommer celui des dieux ; étalant aux yeux des deux rives le luxe de sa haine, il remonta le fleuve avec lenteur sur des barques à rames dorées et pavoisées de ses armoiries et de ses couleurs, couché dans la première, et remorquant ses deux victimes dans la seconde, au bout d’une longue chaîne...Jadis les soldats de César, qui campèrent sur ces mêmes bords, eussent cru voir l’inflexible batelier des enfers conduisant les ombres amies de Castor et Pollux : des chrétiens n’eurent pas même l’audace de réfléchir et d’y voir un prêtre menant ses deux ennemis au bourreau : c’était le premier ministre qui passait. »
Vigny , « Cinq Mars », chapitre XXV
Etude pour Richelieu remontant le Rhone
Delaroche, 1828, Département des Arts graphiques Louvre
Delaroche n’a pas exploité la « longue chaîne ». Par rapport à l’étude préliminaire, il a même rapproché les deux coques et ajouté le grand oriflamme qui les réunit par en haut. Accolés comme si elles ne faisaient qu’une, les deux embarcation emportent de concert le vieillard haineux et ses deux jeunes victimes vers un destin contraire : la mort pour les uns, la gloire pour l’autre, illustré par le même soleil couchant.
Les trois pieux du premier plan redisent cette solidarité contre-nature entre les proies et le bourreau.
Les Dernières Heures du cardinal Mazarin, 1830
Paul Delaroche, Wallace collection, Londres
Un des derniers actes politiques de Mazarin fut d’arranger le mariage du jeune Louis XIV avec Marie- Thérèse d’Espagne au détriment des intérêts de sa propre nièce, Marie Mancini : on la voit ici s’éloigner dépitée sur la droite, juste sous le buste d’Henri IV, et comme regrettant le temps des rois que l’amour gouverne ; tandis qu’au centre l‘ambassadeur d’Espagne s’incline respectueusement. La scène condense quelque peu la chronologie, puisque Marie quitta la cour en 1659, le mariage eut lieu en 1660 et Mazarin mourut en 1661.
La composition rend hommage aux deux passions de Mazarin :
- les intrigues politiques (un homme et trois femmes, près de la table de travail avec ses maroquins gonflés de documents) ;
- le jeu (trois hommes et une femme, qui se retourne vers le mourant pour lui demander conseil).
Mazarin et sa nièce Marie Mancini avant le départ de celle-ci en exil à Brouage
Delaroche, aquarelle, 1828, collection privée
L’épisode avait une résonance personnelle pour Delaroche : en 1828, il avait offert cette aquarelle à la femme du peintre Horace Vernet, qui s’apprêtait à s’installer à Rome avec sa famille, dont sa fille Louise. Delaroche avait des vues sur elle (il ne l’épousera qu’en 1843 et elle mourra prématurément en 1845). En se plaçant dans la situation du jeune Louis XIV (debout en noir derrière Mazarin), il exprime discrètement son regret de voir s’éloigner celle qu’il aime.
La logique du pendant
Les deux tableaux, exposés ensemble au salon de 1831, ont été rendus célèbres par les gravures qui ornèrent bien des salons. On touche ici aux limites du pendant d’histoire, lorsque celui-ci vise la reconstitution exacte plutôt que le recomposition mythique. Dans un tour de force qu’il ne réitérera pas, Delaroche réussit à donner une grande cohérence interne à chaque sujet sans nuire au fonctionnement en pendant :
- en reliant graphiquement les deux scènes par :
- le format panoramique ;
- le mouvement de gauche à droite ;
- le baldaquin rouge ;
- tout en les opposant thématiquement :
- scène de plein air et d’intérieur ;
- mort donnée et mort subie ;
- cruauté et gloire personnelle, humanité et sens de l’intérêt général.
Les pendants anticléricaux de Jean-Paul Laurens
L’Excomunication de Robert le Pieux, Orsay (130 × 218 cm) | L’Interdit, Musée des Beaux Arts du Havre (116 x 181 cm) |
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Jean-Paul Laurens, salon de 1875
Robert le Pieux a épousé sa cousine Berthe, et le pape n’est pas d’accord :
« Alors que les représentants de la papauté sortent de la salle du trône, Robert et Berthe fixent le vide, en proie à leur dilemme. Le sceptre royal gît à terre, et le cierge qui a été soufflé et posé à terre, comme le prévoit le rituel d’excommunication, fume encore ». [6]
Le second tableau illustre un autre des moyens de pression moyenâgeux de l’Eglise : frappé d’interdit, le pays voit ses églises et ses cimetières condamnés, et les cadavres abandonnés sans sépulture.
Le portail roman, vu de l’intérieur et de l’extérieur, sert de motif de jonction dans cette charge érudite.
Le Pape et l’Inquisiteur, Musée des Beaux Arts de Bordeaux (134 x 113 cm) | Les Murailles du Saint-Office, Musée des Augustins, Toulouse (116 x 82 cm) |
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Jean Paul Laurens, Salon de 1883
Le format inégal des deux tableaux en fait une sorte de pendant éphémère, pour la durée du Salon : la muraille de brique rougeoyant au crépuscule, vient clôturer la scène intérieure, en contrepartie du rouge-sang des tissus.
Dans le premier tableau, en intérieur, le pape Sixte IV (dont le blason décore la nappe) est subjugué par l’inquisiteur Torquemada qui, ayant comparé aux livres sacrés le manuscrit qu’il tient en main, le condamne d’un index définitif.
Le second tableau, en extérieur, montre la conséquence : une veuve vient déposer un couronne de plus au pied de la muraille obtuse, symbole de l’obscurantisme. A gauche, une autre forme noire remonte un escalier rocailleux, soulignant que le vrai Calvaire est celui qu’inflige l’Eglise.
Le Grand Inquisiteur chez les rois catholiques, Salon de 1886 , Philadelphia Museum of Art | L’Agitateur du Languedoc, Salon de 1887, Musée des Augustins, Toulouse. |
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Jean Paul Laurens, , 150 x 116 cm
Dans le premier tableau, le Grand inquisiteur debout, domine du crucifix Ferdinand et Isabelle assis, l’un prostré et l’autre repentante, coincés sous la fenêtre grillagée : il leur reproche d’avoir prêté l’oreille aux propositions des juifs qui leur ont offert 30,000 ducats pour continuer la guerre sainte contre les musulmans, avec l’espoir de ne pas être inquiétés dans leur foi.
Le tableau de l’année suivante inverse la proposition : les dominants sont toujours à gauche, mais nombreux et assis sur des gradins ; le dominé est seul et debout, pointant à rebours des conventions esthétiques et hiérarchiques, de droite à gauche et de bas en haut, l’index du Juste que ses juges n’effraient pas. Le rayon qui illumine Bernard Délicieux, moine franciscain qui s’était élevé contre l’Inquisition, est celui de la vérité.
Bien que les deux tableaux n’aient pas été exposés ensemble, leur taille identique, les symétries de leur composition et la fenêtre grillagée servant de motif de jonction, montent bien que le second a été conçu dans le prolongement du premier, comme une sorte de revanche : au crucifix écrasant brandi par l’homme d’appareil s’affronte l’index nu de l’opposant solitaire.
Fête champêtre
Emile Bayard, 1878, Collection privée
Bayard, qui connait bien son Fragonard , ressuscite avec bonheur l’ambiance des fêtes galantes, de part et d’autre d’un grand escalier.
A gauche, un couple assis sur l’herbe est invité par deux filles à se lever pour rejoindre la farandole ; à droite une femme seule accoudée à la balustrade est invitée par deux buveurs à descendre les rejoindre à leur table.
L’originalité tient à l’effet de zoom panoramique : le second tableau est un plan rapproché sur l’escalier, et le même couple (homme en bleu / femme en rouge) sert de raccord entre les vues.
Ce pendant inventif et plein de mouvement porte donc un message simple – dansons, buvons, fraternisons ! La soi-disant fête galante est plutôt un bal républicain en costumes.
Fête villageoise | Farandole de danseurs |
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Emile Bayard, vers 1880, gravures en couleur.
Dans la même veine, ces deux gravures inventent un XVIIIème siècle fantasmé, ou des villageois amènent dans un joyeux cortège des barriques au château, et où des masque entraînent en farandole un ivrogne dans la campagne.
La vie sociale
Pour échapper aux thèmes éculés de la peinture d’histoire ou de genre, quelques artistes trouvent de nouveau sujets de pendants dans la vie sociale.
La leçon de dessin | La leçon de musique |
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Louis Moritz, 1808, Rikjsmuseum.
La table en acajou, avec son tissu vert, sert de motif de jonction entre ces deux tableaux, Le présence d’une intruse vue de dos apporte une part de mystère à ces scènes convenues.
La leçon de dessin | La leçon de musique |
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André, avant 1818, Lecon de musique, lithographie par Engelmann
La prestance des deux maîtres sous-entend que l’éducation des jeunes filles peut n’être pas si rébarbative.
The Dinner Party (156,5 x 126,3 cm) | The Tea Party (163.5 x 133 cm) |
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Henry Sargent, vers 1821, Museum of Fine Arts, Boston [7]
Les deux tableaux représentent probablement des pièces luxueusement meublées de la maison de Sargent.
The Dinner Party représente le repas, dans l’après-midi, d’un club de riches bostoniens, The Wednesday Evening Club. Comme le soulignent les portes ouvertes du premier plan, le tableau a été conçu comme une attraction payante, donnant accès pour quelques instants à la vie des classes supérieures.
Suite au succès du premier tableau, Sargent lui adjoignit rapidement The Tea Party, moins formel, en éclairage artificiel, et dont l’accès est donné par les rideaux verts relevés.
Un bureau de poste à la campagne (Country Post Office) | Un bureau de poste à la ville (City Post Office) |
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Thomas Rossiter, 1857, collection privée
Un sujet nouveau et intéressant, le développement de la Poste, permet d’opposer l’Eté et l’Hiver, les charmes de la vie bucolique et les embarras de la grande ville.
Pour la portée politique de la série :
Albert Boime « Alfred Rethel’s Counterrevolutionary Death Dance » The Art Bulletin Vol. 73, No. 4 (Dec., 1991), pp. 577-598 https://www.jstor.org/stable/3045831
https://web-p-ebscohost-com.ezproxy.inha.fr:2443/ehost/detail/detail?vid=13&sid=990db323-a622-46fc-b4d1-d4c07075e222%40redis&bdata=Jmxhbmc9ZnImc2l0ZT1laG9zdC1saXZl#AN=505845309&db=asu
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