3 Les figure come fratelli dans les Flagellations
Cet article analyse un cas où la formule répond à une nécessité logique et non purement esthétique : il l’étudie séparément, en dehors de la chronologie générale du motif.
Article précédent : 2 Les figure come fratelli : en Majesté
Chronologie des formules
La première formule de la Flagellation : des figure come fratelli
Flagellation, 800-50, Psautier de Stuttgart Cod.bibl.fol.23 fol 43v
Cet illustrateur carolingien a choisi la solution naturelle, recto verso, de manière à ce que chaque soldat tienne le fouet de la main droite. Il a déjà l’idée, que nous retrouverons bien des fois, de symétriser chromatiquement les deux flagellateurs : le vert et le rouge s’inversent pour la tunique et les chausses. Les index recourbés dénotent la moquerie.
Flagellation, vers 1020, Pala d’Oro, Aix la chapelle
L’art ottonien pratique encore la même disposition, y compris les index recourbés, mais par respect le Christ est désormais montré habillé, sans blessure ni corde apparente. Il reste ici vu de dos : cette position, la plus réaliste du point de vue du supplice, mais indigne du décorum christique, va bientôt être éliminée au profit d’une composition nouvelle.
L’édulcoration romane
Flagellation, vers 980, Codex Egberti, abbaye de Reichenau, Stadtbibliothek Trier HS 24 fol 81v
Pour supprimer la corde, jugée trop grossière, cet illustrateur a transformé le fouetteur de droite en un aide-bourreau (il est plus jeune que son collègue barbu), qui tient les bras du Christ pour les plaquer sur la colonne.
Flagellation, 1025-50, Péricopes d’Echternach, Bruxelles Bibliothèque royale MS 9428
Dans une seconde évolution, le jeune bourreau se décale à gauche, faisant perdre à la composition sa symétrie. Pour éliminer la corde, ce copiste a inventé une solution originale : les mains qui passent par un trou de la colonne.
Bible de Ripoll, 1015-20, Vat Lat 5729 fol 369v | 13eme siècle, Santa Maria ad Cryptas, Fossa |
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Pendant la période romane, le Christ est désormais vu de profil, la face contre la colonne, le dos tourné vers Pilate et les flagellateurs [8].
L’aversion pour la vue de dos, qui durera pendant tout le Moyen-Age (sauf pour les damnés, voir 3 Le nu de dos au Moyen-Age (1/2)) explique la disparition des figure come fratelli, qui auparavant paraissait toute naturelle .
Au Duecento : le renouveau de la symétrie
Rarement représentée ailleurs, notamment dans l’art byzantin, la Flagellation devient très fréquente en Italie à partir du Duecento : sans doute sous l’influence des franciscains et de leurs pratiques de mortification.
Flagellation, Cimabue, vers 1280 , Frick Collection, New York
Le goût est revenu à la configuration symétrique initiale :
- le Christ au centre, attaché soit devant soit derrière la colonne ;
- les bourreaux de part et d’autre, vus de face ou de profil, mais pas de dos ;
- un arrière-plan composé le plus souvent de deux édifices séparés, qui ajoutent à la symétrie.
Cimabue a repris ici l’opposition entre le jeune bourreau et le bourreau endurci inventée par les copistes ottoniens. La grande différence est l’idéalisation du corps supplicié, qui reflète probablement un écrit de l’époque :
« Lui, jeune, bien fait, plein de modestie, le plus beau des enfants des hommes, se tient nu aux yeux de tous les spectateurs. Cette chair très-innocente, délicate, très-pure et brillante de beauté reçoit les coups douloureux et sanglants de ces infâmes… On ajoute plaie sur plaie, meurtrissure sur meurtrissure; on renouvelle, on rend plus profonde sa douleur jusqu’à ce qu’enfin les bourreaux et ceux qui les surveillaient étant fatigués, on ordonne de le détacher. » Méditations sur la Vie de Jésus-Christ, Pseudo-Bonaventure
Quelques figure come fratelli qui s’ignorent
Flagellation, Tympan de la Passion du Christ, 1280, Cathédrale de Strasbourg
Les fouetteurs recto verso réapparaissent ici avant tout comme un truc de sculpteur, permettant d’accentuer l’effet de profondeur du haut-relief. Les deux bourreaux ont des vêtements et des gestes différents (l’un tire même les cheveux du Christ), et utilisent les deux instruments de supplice dont parlent les différents Evangiles : le flagellum et la verge.
Dans la peinture italienne du Duecento, je n’ai trouvé que deux exemples isolés de flagellateurs échappant à la vue de face ou de profil, chez deux artistes florentins.
Détail du Crucifix de San Zeno, Coppo di Marcovaldo, 1274, Cathédrale de Pistoia
Les jambes sont vues pour l’un de profil, pour l’autre de face, mais les torses ont pivotés d’un demi-tour dans le sens inverse des aiguilles de la montre, de sorte que le flagellateur de gauche montre son dos. Le fouet tenu à deux mains au dessus de la tête des deux bourreaux souligne ce mouvement de torsion très original.
Détail de la Madone avec douze scènes de la vie du Christ, Grifo di Tancredi, vers 1295, Timken Museum, San Diego
Les édifices latéraux ont évolué en deux parois, et la flagellation se passe maintenant en intérieur. Cette toute première vue de dos complète ne résulte pas du problème de la main droite, puisque le fouetteur en question brandit son instrument à deux mains : dépassé par son innovation, l’artiste a d’ailleurs eu du mal à caser la tête entre les deux bras.
Il a repris l’opposition entre le bourreau jeune et le bourreau endurci (quoique ici non barbu). Le jeune avance la main gauche en avant du Christ : il s’agit peut être d’une mauvaise compréhension du geste de maintenir le Christ par la hanche (voir Cimabue) ou bien d’une élaboration spécifique, à partir de l’idée du Pseudo-Bonaventure qu’on a battu le Christ jusqu’à ce que les bourreaux eux-mêmes soient fatigués : la main en avant serait un geste du jeune bourreau pour stopper son collègue endurci, dont les vêtements noirs et la vue de dos se cumulent pour signifier la brutalité aveugle.
Cet exemple très isolé de figure come fratelli serait donc le résultat d’une intention complexe, que la maladresse du trait rend difficile de percevoir.
Au Trecento
Giotto et la vue de dos
Giotto n’a pas représenté de fouetteurs recto-verso, mais ses fresques de la chapelle Scrovegni marquent la popularisation de la vue de dos en Italie.
Dérision du Christ
Giotto, 1304-06, Chapelle Scrovegni, Padoue
Il s’agit le plus souvent de figures en repoussoir au premier plan, comme les deux de gauche, qui ferment autour du Christ le cercle de ses outrageurs. Le grand prêtre, qui dialogue à droite avec Pilate en recto-verso, endosse quant à lui le caractère péjoratif de cette vue, qui le désigne comme le premier responsable.
Une réinvention siennoise
Flagellation (détail de la Maesta)
Duccio di Buoninsegna, 1308-11, Museo dell’Opera del Duomo, Sienne
Au début du siècle, Duccio utilise l’habituelle composition centrée et illustre une idée nouvelle, celle des Juifs confinés à l’extérieur :
« Ils conduisirent Jésus de chez Caïphe au prétoire: c’était le matin. Ils n’entrèrent point eux-mêmes dans le prétoire, afin de ne pas se souiller, et de pouvoir manger la Pâque. » Jean 18,28
Le Christ est attaché à la colonne d’angle, entre l’espace des Juifs, qui veulent la mort du Christ, et celui des Romains, qui veulent avant tout maintenir l’ordre : tout peut encore basculer d’un côté ou de l’autre. Le moment choisi est celui où Pilate, ayant fait flageller Jésus pour satisfaire les Juifs et lui sauver la vie, finit par céder à la revendication de la foule : aux bras levés des Juifs réclamant la mort répond son bras qui se lève à l’horizontale, en geste de commandement : cette main qui décide de la mort du Christ passe devant la colonne, au mépris de l’exactitude spatiale.
Le bourreau endurci, dont une des verges passe devant la même colonne, et dont le visage, de profil, imite celui de Pilate, est encore en train de frapper. Son jeune collègue en revanche, mêlé à la foule des Juifs, vient de voir la décision de Pilate et laisse son geste en suspens. Duccio donne ainsi une signification nouvelle à la tradition graphique des deux bourreaux d’âge différent : le jeune est celui qui arrête de frapper, non parce qu’il est fatigué, mais parce que la condamnation à mort arrête, de fait, la flagellation.
Pietro Lorenzetti, 1320, Basilica inferiore di San Francesco d’Assisi | Ugolino di Nerio, 1325, Staatliche Museen, Berlin |
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Flagellation du Christ
Dix ans plus tard, Lorenzetti se différencie de la perspective « expressionniste » de Duccio et pratique un étagement rigoureux des plans. Pour accentuer l’effet de profondeur, il décale les deux fouetteurs en avant de la colonne : ce qui impose de montrer de dos celui de droite, (le vieux aux cheveux blancs), afin qu’il puisse atteindre le Christ derrière la colonne.
Un peu plus tard, Ugolino di Nerio, élève de Duccio, conserve la même position pour le Christ, mais décale les fouetteurs dans l’autre sens, en arrière du Christ : dès lors rien n’obligeait le fouetteur de droite à être vu de dos. En adoptant la solution de Lorenzetti, en renonçant à la différence d’âge et en symétrisant les postures et le décor, Ugolino commence à exploiter les figure come fratelli non dans un but narratif, mais pour leur potentiel graphique propre.
Brera, Milan | Vatican (fototeca Zeri) |
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Flagellation, 1335-40, Master of the Poldi Pezzoli diptych
Ce maître ombrien capitalise sur les acquis siennois précédents, en représentant la Flagellation tantôt sur la colonne d’angle, tantôt en intérieur. Dans les deux cas, il insiste sur la symétrie des fouetteurs recto-verso : même geste, même instrument, et inversion des couleurs entre les chausses et la tunique.
Dans le tableau du Vatican, le souci de symétrie va jusqu’au geste des deux mains gauches qui tiennent les mains du Christ, geste bien superflu puisqu’elles sont liées à la colonne.
La diffusion en Italie du Nord
Miniature provenant d’un Mariegola
1350-75, Lorenzo,Veneziano, Cleveland Museum of Art
Cette composition vénitienne combine une symétrie hiératique, pour les quatre anges du haut, et une composition recto verso pour les deux bourreaux presque identiques, du même âge et brandissant la même verge. On notera le geste très étudié de leur bras gauche, saisissant le Christ l’un par derrière l’autre par devant.
1380-85, Giovanni di Benedetto da Como (attr), Livre d’Heures de Bertrando de’ Rossi, BNF Lat 757 fol 254v | 1380-85, BNF Smith-Lesoüeff 22 |
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Ces deux manuscrits, réalisés soit pour Bertrando de’ Rossi (Kay Sutton), soit pour Jean Galeas Visconti ([8a], p 25 et ss), marquant l’arrivée de la formule à Milan.
En France : influence siennoise ou invention parallèle ?
Fol 38r | Fol 160r |
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Jean Pucelle, Heures de Jeanne d’Evreux, 1325-28, MET
Dans ce manuscrit prestigieux, Jean Pucelle insère dans ses drôleries plusieurs vues de dos, à titre de variations amusantes. On notera à droite l’effet comique de la tonsure en vue de dessus.
Résurrection, fol 94v | Saint Louis lavant les pieds, fol 148v |
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Jean Pucelle, Heures de Jeanne d’Evreux, 1325-28, MET
Dans la Résurrection, le Christ au bâton rouge, flanqué de deux anges, s’oppose à l’officier à la lance rouge, accompagné de deux soldats endormis en recto-verso.
Dans le Lavement des pieds, le même procédé est réutilisé pour les deux hommes au poignard (des malandrins ?) écrasés sous le cadre.
Mise au tombeau, fol 82v
Jean Pucelle, Heures de Jeanne d’Evreux, 1325-28, MET
Dans cette page remarquable, le recto verso touche non seulement les deux atlantes, mais des acteurs de l’image principale : deux Saintes femmes voilées de part et d’autre de Marie-Madeleine éplorée. Millard Meiss ([8b], p 104) suggère que cette innovation dérive des vues de dos de Giotto et des expériences siennoises : mais nous sommes ici très peu d’années après la Flagellation de Lorenzetti ; de plus, Pucelle n’applique pas la formule recto verso aux acteurs de la Flagellation, mais à des figures marginales. En outre, à la différence de Giotto, ses vues de dos ne servent pas de repoussoir ni de marqueur négatif. Il est bien plus probable qu’elles résultent d’une génèse propre, dans l’esthétique des drôleries : à la fois procédé insolite et preuve d’habileté et d’invention.
Fol 233v | Fol 234r |
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Vers 1350, Atelier de Jean Pucelle, Bodleian Library MS. Douce 313
Dans la continuité de ces recherches formelles, ce bifolium applique la formule recto verso :
- dans la Flagellation, à deux des bourreaux ;
- dans la Crucifixion, au couple de Longin – le porteur de lance – et de Stéphaton – le porteur du roseau (nous reviendrons sur ce couple dans 4 Les figure come fratelli : autres cas) .
On pourrait voir dans la Flagellation l’influence siennoise. Mais le fait que le procédé touche concomitamment les deux images suggère plutôt que le procédé des figures recto-verso avait acquis, dans l’atelier, un degré de maturité suffisant pour s’appliquer aux scènes principales.
Parement de Narbonne (partie gauche)
Vers 1375, Louvre
La Flagellation s’insère comme une scène d’intérieur aérée, entre deux scènes d’extérieur où le Christ se trouve comprimé au sein d’une foule compacte : la posture centrifuge des deux fouetteurs rend d’autant plus palpable l’élan qu’ils donnent à leurs coups. Leurs gestes symétriques – même fouet plombé, tenu vers le haut et vers le bas, suggère une pluie continue. La vue de dos du fouetteur de droite attire l’oeil sur celle du soldat, à droite du compartiment suivant, qui tire le Christ derrière lui dans une nouvelle forme de cruauté.
La vue de dos devient ici un procédé totalement maîtrisée, qui ajoute aux acquis de Giotto (repoussoir, marquage péjoratif) le rôle d’une ponctuation dynamique de l’ensemble de la composition.
Maître du Parement de Narbonne, 1375-1400, Très belles Heures de Notre-Dame BnF, NAL 3093, fol 197r
L’artiste reprend la posture du Christ et du bourreau de droite dans cette Flagellation à quatre personnages, où l’introduction de Pilate casse l’effet des figure come fratelli.
Au Quatrocento
Saint Antoine battu par les démons
Stefano di Giovanni, 1430-32, Pinacoteca Nazionale, Sienne
Le principe des flagellateurs recto-verso est toujours très fréquent à Sienne, même lorsqu’il ne s’agit pas du Christ.
Maitre de l’Observance (Sano di Pietro), 1435-40, Musée du Vatican
La composition centrée sur une colonne favorise les figure come fratelli : les fouetteurs tendent désormais à se placer en diagonale, l’un en arrière et l’autre en avant, avec des tailles croissantes. L’effet de profondeur est ici construit par les trois enfilades de colonnes.
Maitre de l’Observance (Sano di Pietro), 1441, Museo delle Biccherne, Sienne
Ce panneau est une « gabelle », dispositif spécifique à Sienne, et destiné à commémorer le souvenir des officiers en charge lors du semestre écoulé [9]. Le format réduit impose de supprimer Pilate et de se limiter à une seule colonne. Une colonne centrale avait été introduite un siècle plus tôt dans certaines Annonciations siennoises, où elle avait « pour fonction de visualiser la suture de l’humain et du divin qui a lieu avec l’Incarnation » ( [2], p 80). La seconde version de Sano di Pietro marque le déplacement du concept, de l’Annonciation à la Flagellation, où elle matérialise plus généralement la double nature du Christ, trait d’union entre le Ciel du plafond bleu et la Terre quadrillée.
La perspective qui, dans la première version, reposait sur les enfilades de colonne, repose ici sur le quadrillage : il permet de placer très précisément les deux fouetteurs, l’un en arrière de la colonne et l’autre en avant, d’où l’impression qu’ils dansent en tournant autour de la colonne.
Ce quadrillage, gage d’habileté et de modernité, est le morceau de bravoure de la composition : ce pourquoi le fouetteur de droite est décalé vers le mur, afin de permettre l’échappée vers l’infini du fond d’or. L’autre manière d’éviter une composition trop symétrique est de différencier les fouetteurs par leurs vêtements.
Nous sommes ici à un stade où les figure come fratelli sont clairement utilisées comme un adjuvant à la perspective et comme un motif graphique puissant, mais ne sont pas encore conçues comme le succédané d’une sculpture.
L’éclipse florentine au début du Quatrocento
Porte Nord, Baptistère, Florence | Etudes de flagellateurs |
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Flagellation, 1403-24, Ghiberti
Abandonnant la vue de dos qu’il avait envisagée dans ses études, Ghiberti invente une composition très symétrique et cérébrale, où les deux flagellateurs sont vus de face, avec des gestes en miroir. La rotation ne s’effectue plus autour du Christ, mais sur l’axe de chacun, leur torse faisant un demi-tour par rapport aux jambes afin de prendre de l’élan pour frapper.
Cette résistance à la vue de dos, au tout début du Quattrocento florentin, imprègne aussi toute l’oeuvre de Fra Angelico qui, pour sauver la symétrie, ne craint pas en 1450 de montrer un flagellateur gaucher (voir1 Les figure comme fratelli : généralités). Cette résistance est cependant d’arrière-garde.
La floraison des figure come fratelli
Flagellation, Paolo Schiavo, 1430-40, Museo de Arte de Ponce, Puerto Rico
En uniformisant les costumes, le florentin Paolo Schiavo nous montre deux parfaites figure come fratelli orbitant autour du Christ, alors qu’un second couple (les deux personnages barbus en robe rouge) orbite presque autour du flagellateur de droite.
Flagellation
Matteo di Giovanni di Bartolo, 1459-62, Cattedrale di S. Maria Assunta, Pienza
Chez ce peintre siennois, l’influence antique vient ici enrichir le motif , comme si le Christ était assailli par deux bourreaux romains détachés d’un bas-relief.
Flagellation, 1440-70, Bellini, British Museum
Dans son carnet de croquis, le vénitien Bellini utilise à plaisir la formule, dans trois Flagellations très symétriques.
En aparté : Les compositions centrées dans le Speculum humanae salvationis
Le « Speculum humanae salvationis » constitue une tradition graphique autonome, qui possède ses propres contraintes. Son principe est en effet d’effectuer des rapprochements typologiques, quatre par quatre, entre des événements de l’Ancien et du Nouveau Testament. A la Flagellation du Christ sont associés trois épisodes similaires.
Speculum humanae salvationis, 1300-50, Biblioteca Corsiniana – 55.K.2 (Rossi 17)
Cet exemple illustre deux solutions courantes pour traiter, sans recourir à la vue de dos, le problème du fouetteur de droite :
- soit il tient son instrument à deux mains,
- soit il est vu de profil, le bras droit levé derrière le gauche.
Flagellation du Christ, SHS, Alsace 1436, Freiburg (Breisgau), Universitätsbibliothek Hs. 179 fol 53r | Lameth battu par deux veuves, SHS, Innsbruck 1432, Madrid, Biblioteca Nacional de Espana Vit. 25-7 (olim B. 19),fol 20r. |
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Malgré leur amateurisme, les illustrateurs du Speculum humanae salvationis ne se trompent pratiquement jamais de bras. Pour la flagellation du Christ et de Lameth, je n’ai trouvé que ces deux erreurs dans toute la Warburg iconographic database
Suisse, 1427, Sarnen, Benediktinerkollegium Cod. membr. 8 fol 21r | Mons, 1462, BM Lyon, MS 245 fol 140r |
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Speculum humanae salvationis, Job battu par le diable (warburg iconographic database)
Le cas est un peu plus fréquent pour le diable : sans doute y-a-t-il eu chez certains, après 1420, l’intention délibérée de le montrer gaucher.
Quelques oeuvres-clé
La Mort d’Orphée, de Mantegna à Dürer
Je résume ici, dans les grandes lignes, un problème célèbre sur lequel se sont penchés de nombreux historiens d’art (Charles Ephrussi, Aby Warburg, Panofsky…), et sur lequel la littérature est copieuse.
Les deux Morts d’Orphée de Mantegna
La Mort d’Orphée
Andrea Mantegna,1465-74, Chambre des Epoux, Palais ducal, Mantoue
Trois voûtains du plafond montrent des scènes du mythe d’Orphée [10], dont son meurtre par les Bacchantes : deux tiennent leur gourdin d’une main, la troisième le lève des deux mains au dessus de sa tête.
Mort d’Orphée (gravure)
Master of the E-Series Tarocchi:, vers 1470, Hamburger Kunsthalle, photo Christoph Irrgang
La plupart des spécialistes pensent que cette gravure, dont il n’existe que ce seul exemplaire, reflète un original perdu de Mantegna : on retrouve en tout cas les gestes différenciés des deux bacchantes, maintenant organisées en figure come fratelli.
La raison de leur colère était qu’Orphée, suite à la mort de sa chère Eurydice ne s’intéressait plus aux femmes. Cet amour pour les garçons pourrait être suggéré par le putto qui s’enfuit, et qui n’est mentionné dans aucune version du mythe ( [11], p 151).
A noter la présence incongrue d’un luth, à la place de la harpe habituelle.
Une réplique par Zoppo
Mort d’Orphée ou de Penthée (album Rosebery)
Marco Zoppo, 1465-1474, British Museum
Cette page fait partie d’un recueil de dessins dont l’iconographie très originale est encore pour partie mystérieuse [12]. On pense qu’il a été réalisé pour l’usage exclusif d’un mécène ou d’un cercle privé, vu la présence dans plusieurs dessins d‘allusions homosexuelles, contexte qui pourrait justifier la présence de la Mort d’Orphée. On remarquera que le putto, ici, est ailé et participe au meurtre : ce qui en ferait un Cupidon strictement hétérosexuel. Le lion triste, le lapin qui s’enfuit et l’absence de la lyre pourraient signifier que, désormais, Orphée ne pourra plus charmer les animaux [13].
E. Tietze-Conrat [14] a proposé que le dessin représente plutôt la Mort de Penthée, démembré quant à lui par les Ménades qui, dans leur délire, le prenaient pour un lion : Agavé, la propre mère de Penthée, lui coupa la tête, aidée par sa soeur Ino. Cette interprétation pourrait à la rigueur expliquer le lion, mais ni le Cupidon ni le lapin. De plus, dans les rares représentations de la Mort de Penthée, une épée levée ou la tête tranchée servent de signe distinctif, et il n’y a jamais de lion. Cette interprétation apparaît donc aujourd’hui peu probable ([11], p 169, note 127).
La Mort d’Orphée de Dürer
La Mort d’Orphée (dessin)
Dürer, 1494, Hamburger Kunsthalle
Lors de son premier voyage en Italie, Dürer a recopié soit la gravure qui nous reste, soit plus probablement l’oeuvre perdue de Mantegna : les gourdins ont en effet la même forme caractéristique que dans le dessin de Zoppo, l’écorce éclatée autour de l’aubier, qui ne figure pas dans la gravure. Il a respecté un détail qui en revanche n’apparaît que sur la gravure : la bras gauche d’Orphée protégeant son visage derrière son manteau. De même il a conservé, en le transformant en figuier, l’arbre au dessus de l’enfant qui fuit. Et a explicité la signification de la scène avec l’écriteau « Orfeus der erst puseran » (Orphée, le premier pédéraste). En remplaçant la très mantegnesque ville sur la montagne par un bosquet (hêtre, chêne et saule), il s’est rapproché du texte des Métamorphoses d’Ovide, qui précise que, tandis qu’Orphée jouait de la lyre en haut d’une colline, un bosquet avait poussé [15].
Les figure come fratelli ont été reprises telles quelles : c’est donc Mantegna qu’il faut créditer d’avoir eu l’idée d’appliquer la formule aux bacchantes flagellantes, à une date aussi précoce que 1455 [16].
En synthèse : l’enchaînement probable
Le schéma ci-dessous récapitule l’enchaînement qui semble le plus probable, dans l’état actuel de la littérature.
Vers 1455, le jeune Mantegna crée une première version de la Mort d’Orphée, probablement une gravure très proche de la copie qui nous reste. Le jeune enfant effrayé montre que l’intention est de fustiger (promouvoir ?) la pédérastie, sous-texte indispensable à la compréhension de l’oeuvre et de sa postérité.
Quoiqu’il en soit, l’innovation formelle est le mouvement tournant que permet la formule des figure come fratelli (en vert). Pour être cohérent avec le sens de la lecture, ceci impose d’inverser la posture d’Orphée (à genoux, un bras protégeant sa tête), par rapport à celle que Mantegna a pu voir dans dans certains vases grecs (flèche bleu clair).
Bien plus tard, pour la fresque de Mantoue, il s’autocitera en conservant le geste caractéristique des bacchantes tenant les massues (à une main et à deux mains), mais fusionnées dans le haut du triangle.
Dans son dessin à usage privé, Zoppo remodèle la composition pour l’adapter au format portrait (qui est celui de tous les dessins de l’album) et en changer la dynamique : groupées sur la gauche, les bacchantes tiennent cette fois leur massue à deux mains (en vert sombre), encadrant Cupidon, pour attaquer en parallèle Orphée acculé contre la montagne (flèche bleu sombre) : piège dont seul le lapin vénusien peut s’enfuir. Deux détails signent l’influence de l’oeuvre de Mantagna : les massues écorcées (en rose) et les oiseaux qui volent en V (en jaune).
Tout en recopiant fidèlement la composition de Mantegna (détails en vert et en rose), Dürer en explicite le sens avec le panonceau, et accentue la dynamique des figure come fratelli en ajoutant le bosquet sur l’axe de rotation.
La Flagellation de Piero della Francesca
Flagellation, Piero della Francesca, 1440-72, Galleria Nazionale delle Marche, Urbin
Il n’a aucun consensus ni sur la date, ni sur la signification de cette oeuvre ultra-commentée. La grande difficulté est que Piero a repris l’idée d‘opposer l’intérieur et l’extérieur du prétoire, mais que :
- les trois personnages à l’extérieur, vêtues de manière très tranchée, ne sont manifestement pas des Juifs, et ne s’intéressent aucunement à la Flagellation ;
- il y a un oriental (vue de dos) à l’intérieur du prétoire : le grand prêtre Caïphe, le roi Hérode ?
La clé de lecture réunissant les deux scènes est probablement l’inscription aujourd’hui effacée, « Convenerunt in unum », extraite du Psaume 2,2 :
Les rois de la terre se soulèvent et les princes se liguent avec eux contre l’Eternel et contre son oint. |
adstiterunt reges terrae et principes convenerunt in unum adversus Dominum et adversus christum eius diapsalma |
Ce psaume a été souvent associé à la Flagellation, les rois et princes pouvant être identifiés à Pilate ou Hérode. Mais isolés de leur contexte, les trois mots « convenerunt in unum » peuvent aussi être pris au sens propre, « ils se retrouvent au même lieu » voire même au sens symbolique : « ils se rassemblent dans l’Un » [17]. Pour compliquer encore le tableau, la même citation peut provenir d’un autre texte :
« Les pharisiens, ayant appris qu’il avait réduit au silence les sadducéens, se rassemblèrent dans un même lieu » Mathieu, 22,34
Ce qui pourrait expliquer les costumes différents de la triade externe : on voit que le champ interprétatif reste très ouvert [18].
Du point de vue qui nous occupe, à savoir le petit bout de la lorgnette, on notera que les six personnages du prétoire forment trois couples :
- deux barbus vus de profil (en vert),
- deux personnages sacrés vus de face , le Christ auréolé et le Dieu païen doré (en jaune),
- deux personnages vus de dos (en bleu).
Ces trois couples sont cohérents avec trois éléments du décor :
- la porte ouverte,
- la colonne centrale
- la porte fermée.
Comme si les personnages vus de profil étaient venus de l’arrière-décor et ceux vus de dos de l’avant-plan, pour converger en un seul point (convenuerunt in unum). A la manière des personnages de la triade externe, qui se rencontrent eux-aussi autour du jeune homme.
Même si la raison profonde de cette projection d’une scène dans l’autre est probablement indécidable, on conclura que Piero a exploité avec science la formule des figure come fratelli, choisie ici pour représenter deux pôles opposés de la triade : autour d’un Christ divinisé, sans blessure ni corde (ce pourquoi il faut le maintenir d’une main), les deux bourreaux brandissent en haut leur fouet comme un seul homme, tout en se se distinguant par leurs jambes, tandis qu’un autre personnage vu de dos vient oblitérer cette trop parfaite construction
Quelques figure come fratelli, de 1480 à 1530
Etendard, vers 1480, Pinacoteca di Brera, Milan | Prédelle du retable de la Lamentation, 1502, Museo-Diocesano, Cortone |
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Flagellation du Christ, Luca Signorelli
La première Flagellation, avec la statue à la boule en haut de la colonne, s’inspire de celle de Piero della Francesca, le maître de Signorelli, sans reprendre les figure come fratelli. Dans les deux compositions, les flagellateurs sont vus de dos, dans des poses tantôt en parallèle, tantôt en miroir.
Flagellation du Christ,
Luca Signorelli, 1505, Galleria Franchetti, Ca’ d’Oro, Venise
Lorsqu’il adopte la formule des figure come fratelli, Signorelli différencie les gestes des bras pour éviter la symétrie, et campe les deux fouetteurs sur le même plan que le Christ, ce qui bloque l’effet de rotation.
Bartolomeo di Giovanni, 1480 – 1510, Accademia Carrara, Bergame |
Série de la Vie du Christ et de la Vierge, 1490-1500, Florence, BNF |
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Dans ces deux compositions, l’idée commune est de souligner la co-responsabilité de Pilate et d’Hérode dans la Passion : la symétrie du décor n’est rompue que par le tapis qui décore la loge du procurateur romain. De par la logique héraldique, ce tapis figure du côté le plus honorable, à gauche, ce qui vient renforcer le contraste Vue de face/Vue de dos.
Ce contraste est maximal dans le tableau, soutenu par des inversions chromatiques et par la symétrie du contour des deux bourreaux. Dans la gravure, en revanche, ceux-ci ont été recopiés sur une gravure de Pollaiuolo, célèbre pour ses deux lutteurs centraux qui forment des figure come fratelli parfaitement symétriques (voir 4 Les figure come fratelli : autres cas) : il est remarquable que notre graveur anonyme ait choisi de n’en recopier qu’un seul.
Ainsi, au service de la même idée (la co-responsabilité de Pilate et d’Hérode), les deux artistes ont abouti à deux solutions graphiques opposées, le peintre accentuant la symétrie et le graveur la variété.
Sodoma, 1510 , Prédelle de la Déposition, Museum of Fine Arts, Budapest | Bacchiacca, 1510-57, NGA |
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Flagellation du Christ
Chez Sodoma, les jambes en V des fouetteurs bloquent l’effet de rotation, d’autant plus qu’ils sont proches du Christ et qu’un troisième soldat s’insère dans le groupe.
En aérant le centre et en éloignant les fouetteurs, Bacchiacca en fait presque des éléments d’architecture.
Baccio Bandinelli, 1532, Musée d’Orléans
Tout à son imitation de la statuaire antique, Bandinelli ajoute au second soldat une armure et un bouclier, qui ne gênent en rien le mouvement tournant : tout est définitive affaire de jeu de jambes.
La double application du motif dans la chapelle Borgherini
Une réalisation prestigieuse
Transfiguration et Flagellation du Christ avec Saint Pierre et Saint François
Sebastiano del Piombo, 1524, chapelle Borgherini, San Pietro in Montorio, Rome
Cette chapelle a été très étudiée, car les dessins préparatoires et probablement la conception de l’ensemble sont dus à Michel-Ange. Par ailleurs, la même église contenait la célèbre Transfiguration de Raphaël, ce qui complexifie l’analyse en rajoutant une dimension de collaboration et de concurrence entre trois très grands artistes.
Un programme iconographique unique
Les spécialistes se divisent sur la raison d’être de cette iconographie unique, qui juxtapose deux épisodes qu’aucun texte ne rapproche :
- dans la Transfiguration, Jésus s’isole en haut d’une montagne avec les trois disciples Pierre, Jean et Jacques ; son visage et ses vêtements deviennent lumineux et les prophètes Moïse et Elie apparaissent, ce qui révèle sa divinité ;
- la Flagellation est le premier épisode de la Passion.
Le problème est que chronologiquement, la composition doit se lire de haut en bas alors que visuellement, l’oeil a tendance à monter, de la partie sombre avec des personnages en pied, à la partie lumineuse avec des demi-figures. Les deux scènes sont totalement séparées par la corniche : seul le Christ debout au centre assure une certaine unité, passant de nu à habillé, de captif à libre, d’humilié à victorieux.
Selon les spécialistes, il pourrait s’agir ( [20], p 90 et ss) :
- d’une métaphore de l’Eglise, « flagellée par les Turcs » et finalement victorieuse ;
- des tribulations de l’Eglise qui précèdent le second Avènement du Christ, selon l’Apocalysis nova ;
- d’une vision de la mystique Arcangela Panigarola.
La Flagellation, dessin préparatoire, Michel-Ange, 1516, British Museum.
La seule chose certaine est que la scène de la Flagellation devait initialement se développer, de manière panoramique, sur toute la largeur de la chapelle, avec à gauche Pilate sur son trône. C’est le commanditaire Pierfrancesco Borgherini qui imposa la présence de ses saints patrons Pierre et François de part et d’autre, à la fureur de Michel-Ange qui écrivit que cela allait gâcher l’ensemble. Saint Pierre étant également le saint patron de l’édifice, il n’était pas illogique qu’il figure dans les deux registres.
La colonnade du Palais d’Hérode fut donc reculée vers l’arrière, comme vue à travers une porte.
Les six colonnes, en vue frontale, tentent de restaurer une certaine continuité entre les quatre acteurs de la Flagellation et les deux Saints imposés (en rose). Les figure come fratelli sont utilisées deux fois (flèches blanches) :
- en bas pour imprimer une mouvement de rotation (en vert), accentué par la forme de l’hémicycle ;
- en haut pour bloquer cette rotation et amorcer une dynamique radiale (en jaune), congruente avec la forme du cul de four.
La colonne du Christ, plus large et sans chapiteau, sert en bas d’axe de rotation, tout en invitant le regard à s’ajouter, en haut, à ceux des spectateurs de la Transfiguration (en bleu).
On notera que les deux figure come fratelli du haut servent aussi la narration : c’est pour se protéger de la lumière divine que Pierre tourne le dos au Christ, et que Jacques, qui le regarde, protège ses yeux derrière un coin de vêtement.
Une Résurrection suggérée (SCOOP !)
Résurrection
Raphaël (attr), 1499-1502, Sao Paulo
Structurellement et narrativement, le dispositif est homologue à celui de certaines Résurrections, où les soldats allongés devant le tombeau sont également des figure come fratelli. On notera que, dans cette composition très étudiée, les quatre soldats sont comme encagés dans les quatre secteurs délimités par le couvercle pivoté.
En définitive, c’est cette Transfiguration cachant une Résurrection qui assure la double lecture chronologique, de haut en bas puis de bas en haut (en bleu).
L’analyse se complexifie encore lorsqu’on veut rendre compte :
- des deux figures prophétiques au dessus de l’arc, l’une tenant un livre et l’autre un rouleau (les spécialistes ne s’accordent pas sur ler identification) ;
- du thème de l’Ecrit, omniprésent dans tous les registres (en jaune) [21] ;
- du cartel qui s’échappe du livre en dessous de l’autel : « qu’il soit ouvert en son temps ».
Ce titre identifie ce dernier livre comme étant l’Apocalypsis nova, un écrit prophétique découvert et ouvert à San Pietro in Montorio [22]. Sans aller plus avant dans ces interprétations complexes, je remarquerai seulement que le verbe « qu’il soit ouvert » s’applique aussi très bien au tombeau invisible de cette Résurrection suggérée (en gris).
La postérité de la formule
La flagellation du Christ
Peterzano ou Caravage , 1595-1605, Santa Prassede, Rome
Autrefois attribuée à Jules Romain, cette oeuvre a été ensuite attribuée à Peterzano, le maître romain de Caravage, sur la foi d’une indication documentaire. La qualité exceptionnelle de l’oeuvre (noter les reflets sur le marbre, les gouttes de sueur sur le front du Christ) la fait maintenant considérer par certains comme une oeuvre de jeunesse de Caravage [19].
Sebastiano del Piombo, 1524, chapelle Borgherini, San Pietro in Montorio, Rome |
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Plastiquement, par ses ombres marquées et son décor marmoréen, la composition peut être vue, trois quart de siècles plus tard, comme un hommage à Sebastiano del Piombo et, par là, à Michel-Ange lui-même. Iconographiquement, on peut l’analyser comme un retour aux figure come fratelli sous leur forme originale, avant l’évolution maniériste : accentuation de la symétrie entre les deux flagellateurs (mêmes gestes, pagne similaire), effet de rotation bloqué par la pose statique ses jambes : un retour aux sources, modernisé par le clair-obscur.
Cesare Nebbia, 1590-99, Capella Borghese, beniculturali.it | Léon Pallières, 1817, Cappelle Orsini |
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Trinita dei Monti, Rome
Il est amusant de noter que Léon Pallières, prix de Rome, a rendu hommage, dans la chapelle Orsini, à la fresque qui depuis deux siècles ornait la chapelle Borghese.
Les Flagellations à trois
Avec pavement, NGA | Sans pavement, Victoria and Albert Museum |
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Flagellation, école de Mantegna, vers 1475
Ces deux gravures ont été probablement faites d’après un dessin de Mantegna, avec quelques minimes différences (les jambes du personnage à l’arrière-plan, entre celles du fouetteur central, sont vues tantôt de face, tantôt de dos). L’effet d’inachevé de la scène d’intérieur est probablement voulu, comme dans d’autres gravures du Maître.
L’introduction de ce fouetteur central, entre les deux figure come fratelli, renouvelle la formule et lui donne un nouveau dynamisme, qui n’est plus celui du tounoiement, mais celui du mouvement décomposé : tandis que les deux figure come fratelli prennent leur élan pour frapper, le troisième a déjà porté son coup, puisque ses bras sont dirigés vers la droite. Les verges tenues à deux mains évoquent les fléaux des batteurs de blé, dans une métaphore visuelle probablement délibérée. Les trois soldats en armure, immobiles au premier plan, contrastent avec l’agitation des trois bourreaux, tout en administrant au spectateur une magistrale leçon de perspective.
Martin Schongauer, NGA | Gravure inversée, Israhel van Meckenem |
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Flagellation, vers 1480
Il est probable que la gravure de Mantegna soit pour quelque chose dans l’apparition, au Nord des Alpes, de ces compositions à trois fouetteurs. La gravure de Schongauer reprend en tout cas la position du trio par rapport au Christ, en rajoutant l’idée de le tenir par les cheveux.
Ce détail laisse penser qu’Israhel van Meckenem s’est inspiré, en l’inversant, de la gravure de Schongauer ; il a également décalé au premier plan le bourreau confectionnant la couronne d’épines, en lui donnant une tâche similaire : réparer son fouet.
Flagellation, Giovanni Canavesio, 1490-92, Chapelle de Notre-Dame des Fontaines de la Brigue
La diffusion des gravures et l’accroissement général des compétences techniques rend illusoire de suivre les influences mutuelles. Chez cet artiste particulièrement exubérant, l’idée du bourreau réparant son fouet vient de la gravure de van Meckenem mais toutes les poses sont de son cru, y compris celle acrobatique du bourreau de droite, debout sur un seul pied et faisant claquer son fouet dans le vide, comme pour rythmer la frappe des autres.
Flagellation, Tiepolo, 1772, Prado
Concluons avec cette composition virtuose où le bourreau de droite, en contreplongée, prend appui de l’autre pied sur la cuisse du Christ.
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https://provincedesienne.com/2022/04/06/sano-di-pietro-flagellazione/
https://www.britishmuseum.org/collection/object/P_1920-0214-1-1
Sur le dessin :
https://www.britishmuseum.org/collection/object/P_1920-0214-1-21
https://www.hamburger-kunsthalle.de/sammlung-online/meister-der-e-serie-der-sogenannten-tarockkarten-des-mantegna-meister-von-ferrara
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