5-2 Le donateur-enfant : le développement
Nous avons vu dans les exemples romains de la fin du XIIIème siècle que la position du donateur-enfant obéit à des logiques liées à la fonction et à l’emplacement de l’oeuvre (voir 5-1 …les origines). Pour les exemples postérieurs, ces informations manquent.
Faute de mieux, j’ai conservé le même système de classement que pour les donateurs-souris, selon la position du donateur et le geste de l’Enfant, bénissant ou pas.
Donateur à droite, enfant non bénissant
Tandis que pour le donateur-souris, la position d’humilité constitue une des deux formes majoritaires, on ne la rencontre que rarement dans le cas du donateur-enfant. Ceci semble logique, dans la mesure où la taille accrue du donateur rend moins crédible l’absence d’interaction.
Le motif de la Vierge allaitante se rencontre dans les Vierges en Majesté, mais se développera surtout après 1350 dans les Vierges de l’Humilité.
Dans la première fresque, un franciscain se prosterne devant une Vierge en Majesté, sous la main stigmatisée de Saint François. L’Enfant tient l’inscription « Ego sum lux mundi » (Je suis la lumière du monde). Dans la seconde fresque, une donatrice laïque se prosterne devant une Vierge d’Humilité, sous la palme de Sainte Catherine.
On peut noter que ces deux exemples, les plus anciens que j’ai trouvés en Italie, concernent tous deux une Vierge allaitante : il se peut que cette activité, qui rend naturelle l’absence d’interaction, ait favorisé l’accroissement de taille du donateur. On note également, dans ces deux cas, que le passage à la taille enfant s’accompagne prudemment de la présence d’un
Atelier du maître d’Egerton, vers 1410 , Getty Museum Ms. Ludwig IX 5,fol. 19 |
Atelier du Maître des Heures de Boucicault, 1415-20, Getty Museum MS22 fol 137 |
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Dans l’imagerie des Livres d’heures, le caractère de dévotion privée rend inutile le saint intercesseur, mais rend également difficile de maintenir l’indifférence envers le donateur.
Dans la première enluminure, la noble dame dans tous ses atours prie Marie en majesté : celle-ci tourne la tête vers elle, tandis que l’Enfant la regarde en biais : il s’agit ici d’illustrer la prière officielle à Marie, en latin : « Obsecro te, Domina Sancta Maria, Mater Dei, pietate plenissima, summi regis filia… ».
Dans la seconde enluminure, la donatrice en habit d’intérieur est poussée aux pieds de la Vierge à l’Enfant par son Ange gardien, et son prénom est évoqué seulement, pense-t-on, par les marguerites dans les marges. L’image illustre non pas une vision mystique, mais la propulsion merveilleuse, par la sincérité de sa prière, de la dévote et de son prie-Dieu au sein de la chambre mariale. Elle s’accompagne d’une prière plus intime, en français : « Douce dame de miséricorde, mère de pitié… ». L’enfant tend de sa main gauche un objet non identifiable (fleur, oiseau…) en direction de la donatrice : sans être formellement un geste de bénédiction, il s’agit pour le moins d’une interaction avec elle, qui renforce l’impression d’intimité, de dévotion personnalisée.
Les deux exemples les plus tardifs de cette formule concernent tous deux des ecclésiastiques, à droite d’une Vierge en majesté.
Vierge au papillon (Mémorial du chanoine Pierre de Molendino )
Attribuée à Antoine le Pondeur, 1459, Trésor de la Cathédrale St-Paul, Liège
L’épitaphe d’un chanoine
L’inscription en bas du tableau nous donne toutes les informations sur le donateur et la date de sa mort :
« Hic est sepultus egregius Dominus Petrus de Molendino, legum doctor,decanus et canonicus ecclesiarum Sancti Pauli Leodiensis et Sancti SalvatorisTraiectensis, qui obiit anno Domini millesimo CCCCLIX mensis maii die XXIII,cujus anima requiescat in pace »
Le chanoine Pierre de Molendino apparaît donc, son aumusse au bras, aux pieds de Saint Paul (le saint patron de son église de rattachement) et face à Saint Pierre (le Saint Patron de son prénom). Nous avons rencontré la même situation dans le Triptyque du chanoine Gerhard ter Steegen de Monte (voir1-1 Les donateurs : vue générale). On peut donc penser que la position du donateur, à droite, est imposée par l’ordre hiérarchique entre Saint Pierre (le premier pape) et Saint Paul.
Une iconographie unique : Marie-Madeleine
Dans cette composition très symétrique, la silhouette de Marie-Madeleine la pécheresse fait pendant à celle du défunt, pour compléter le triangle central autour de la Vierge à l’Enfant. De même que les auréoles des deux saints renvoient à celle de Marie (cercles jaunes), leurs pieds droit et gauche nus renvoient à ceux de l’Enfant (cercles blancs).
Marie-Madeleine les embrasse, préfigurant la scène du lavement des pieds où elle essuiera de ses cheveux ceux du Christ devenu adulte.
Une iconographie unique : l’intercession pour une âme
Au dessus de la tête du chanoine, la banderole comporte le texte traditionnel par lequel les défunts demandent à Marie d’intercéder auprès de Jésus pour le salut de leur âme :
« O Mater Dei, memento mei »
Pierre tombale de Molendino, Cathédrale St-Paul de Liège
Extrait de l’article de Douglas Brine [1]
Le panneau constitue pratiquement le seul exemple conservé d’une épitaphe peinte et de la pierre tombale au dessus de laquelle elle était accrochée.
Tout aussi unique est le papillon que la Vierge présente à Jésus, au centre du panneau. Paul Bruyère a bien montré qu’il représente, selon une iconographie traditionnelle (voir Le crâne et le papillon), mais ici individualisée de manière exceptionnelle, l’âme-même du défunt chanoine.
« Ainsi, si le papillon symbolise l’âme, comment comprendre l’attitude de l’enfant qui agite le bras droit comme pour se prémunir de l’insecte que sa mère tient délicatement entre le pouce et l’index, et lui place sous les yeux ? Le papillon représente l’âme du défunt. Une âme qui n’est pas immaculée,mais dont les ailes blanches sont bordées de noir… L’âme attend la manifestation du jugement dernier, la dernière parousie, « le jour du Jugement » qu’annoncent les textes sacrés, au terme duquel le Christ triomphant aura séparé les justes des maudits. La scène fige cet instant où la Vierge, sur son instance, intercède en faveur du doyen Molendinus « [2]
L’âme transfigurée (SCOOP !)
Pierre Somville a remarqué une autre originalité du panneau [3] : les ailes de papillon mordorées, que l’on pourrait prendre à première vue pour celles des angelots.
Il suffit de rapprocher les deux motifs, de part de d’autre du livre ouvert qui en constitue une troisième occurrence, pour comprendre que, depuis la pierre tombale au dessous du tableau jusqu’au papillon bicolore puis au papillon mordoré au dessus du livre, cet ensemble funéraire montre les transformations que le chanoine espère, depuis son cadavre-chrysalide jusqu’à son âme pécheresse, puis, après le Jugement, à son Ame transfigurée.
Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, Saint Pierre, Saint François d’Assise, Saint Léonard et un donateur
Domenico di Michelino, 1450-80, Musée des Beaux Arts, Dijon
Pour ce second exemple, en revanche, on ne dispose d’aucune documentation.
L’indifférence de l’Enfant, qui joue avec un oiseau, semble cohérente avec le parti-pris d’humilité qui marque la composition : la moitié droite est dominée par deux saints en robe de bure, le petit frère des pauvres et l’ermite patron des prisonniers, sous lesquels le donateur ajoute son austère tenue : sa tonsure montre qu’il s’agit d’un ecclésiastique, mais on ne sait rien d’autre sur lui.
Une possible épitaphe (SCOOP !)
A la lumière de l’exemple de Pierre de Molendino, on peut soupçonner qu’il s’agit ici encore d’un mémorial, et que l’oiseau dans les mains de l’Enfant à quelque chose à voir, par sa robe sombre, avec l’âme de l’humble donateur.
Donateur à droite, enfant bénissant
Cette formule, auparavant minoritaire avec le donateur souris, devient la plus courante lorsque celui-ci augmente en taille. Au début, entre 1274 et 1430, on la trouve le plus souvent dans les épitaphes de défunts.
Vierge à l’Enfant, Saint évêque et un donateur Anonyme siennois, 1320-60, Allen Memorial Art Museum, Oberlin |
Vierge Hodegetria Berlinghiero Berlinghieri, vers 1230, MET, New York |
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Il est frappant de voir comment le type de la Vierge Hodegetria domine encore la peinture sur panneau : l’innovation du donateur à taille enfant oblige l’artiste à modifier timidement le modèle : tout en restant tourné vers sa mère, il bénit au centre et ne tourne que légèrement la tête.
On voit ensuite l’Enfant, tout en restant porté à droite, se tourner progressivement vers le donateur pour bénir de manière plus naturelle.
Vierge à l’Enfant avec Sainte Catherine de Sienne et un moine chartreux (Stefano Maconi)
Ecole lombarde, 1411-24, MET, New York
Catherine de Sienne est représenté ici avec l’auréole d’une bienheureuse et non d’une sainte, ce qui situe l’oeuvre avant sa canonisation (1461). La datation plus précise repose sur l’hypothèse que le moine chartreux serait un compagnon de la future sainte, prieur du monastère de Pavie dans cette période. [4]
Une probable épitaphe (SCOOP !)
Le moine apparaît comme emprisonné dans une clôture de briques (sol et muret) tandis que les figures sacrées dépassent dans le ciel doré. Le fait très inhabituel que Jésus, non seulement le bénisse de la main droite, mais le touche de la main gauche, suggère fortement qu’il s’agit d’une âme immatérielle : non pas montée au ciel, mais encore emprisonnée dans la terre (la brique) et que Jésus vient délivrer. Il s’agirait donc là encore d’une épitaphe.
Epitaphe du chanoine Bartholomée Boreschow, 1426, Cathédrale de Frauenberg (Frombork)
La Vierge de l’Humilité est assise sur un tapis lui-même posé sur un coussin, adossée à une jardinière surélevée et abritée sous une treille.
L’inscription autour du tondo commémore la mort, en 1426, du chanoine Bartholomée Boreschow. Ce panneau était accroché au dessus de sa tombe dans la cathédrale de Frauenberg (Frombork), du temps où la ville était sous le contrôle des Chevaliers teutoniques.
Le chanoine est représenté en habit sacerdotal : son aumusse sur les épaules et son bonnet rouge entre les mains, il est surplombé par Marie-Madeleine. La boîte à parfums, ainsi mise en évidence, pourrait être une allusion à son emploi de médecin auprès du Grand Maître de l’Ordre.
Offrir son âme (SCOOP !)
Tout en bénissant de la main droite, l’Enfant Jésus tend la main gauche, soutenue par sa mère, vers une grappe de raisins que l’Ange a cueillie sur la treille (et qui préfigure le sang de la Passion).
L’originalité est ici la similitude entre la posture de l’Ange – tenant de la gauche son panier et de la droite son cadeau – et celle de Marie Madeleine – tenant de la gauche sa boîte et de la droite le chanoine. L’image va plus loin ici que la simple bénédiction : elle montre le défunt chanoine s’offrant en personne à l’Enfant.
Triptyque avec La Vierge de l’Humilité, des anges et un donateur
Filippo Lippi, 1430, Fitzwilliam Museum, University of Cambridge
Ce triptyque maladroit, qui date des débuts de la carrière de Lippi, est en grande partie énigmatique. Les saints des volets latéraux sont à gauche saint Jean-Baptiste, le patron de Florence, et à droite Saint Ansanus, le patron de Sienne.
Dans le panneau central, quatre anges soutiennent un coussin vert dans le dos de la Vierge de l’Humilité, suggérant qu’elle est assise sur in autre coussin caché par la robe. A l’arrière-plan le portique à trois colonnes conserve un reste de solennité. L’Enfant Jésus lève sa main droite pour bénir le donateur en même temps qu’il impose sa main gauche sur son béret rouge, en un contact physique très exceptionnel.
Malgré l’écusson du fronton et l’emblème en bas à droite (un quadrupède mal défini portant dans sa gueule la devise en français « Penses biem (bien) », il n’a pas été possible d’identifier le donateur [5]. Par ses proportions à la Toulouse-Lautrec (grosse tête et torse rabougri), il constitue une sorte de chaînon manquant entre le donateur-souris et le donateur à taille humaine.
Avec sa Vierge géante, ses Saints de taille intermédiaire, son gros Jésus et son donateur-nain, cette oeuvre de jeunesse témoigne en tout cas de l’évolution en cours entre deux esthétiques : la perspective signifiante et la perspective géométrique qui bientôt va gagner le partie.
Polyptique de Santa Giuliana
Domenico di Bartolo, 1438, Pinacoteca Nazionale, Perugia
Cliquer pour voir l’ensemble
La banderole aux pieds de la Madone donne le nom du peintre :
DOMINICUS BARTOLI DE SENIS ME PINXIT
Et l’inscription juste en dessous, sur le cadre, donne celui d’Antonia Buccoli, l’abbesse qui a commandé le retable pour le couvent de Santa Giuliana à Pérouse :
‘Hoc opus fecit fieri Domina Antonia filia Fra(n)cisci de Domo buccholis abbatissa istius Monasterii in anno domini M CCCC XXXVII de mensis mai »
La position de la donatrice s’explique par la proximité voulue avec le démon que Santa Giuliana,tient de sa main gauche au bout d’une chaîne : ainsi protégée du Mal par la sainte patronne du monastère, l’abbesse récompensée se fait flatter par la main gauche de Marie.
C’est une des toutes premières fois, pour une Vierge en Majesté, que l’Enfant se trouve porté sur le bras droit (ceci ne se rencontre jusqu’alors que dans les Vierges de l’Humilité). Le résultat est de dégager au centre une large place pour la bénédiction de l’Enfant.
Car l’objectif principal de ce retable n’est pas de pure piété : tout en bénissant la donatrice, l’Enfant tient dans sa main gauche une banderole avec les mots « LUX MUNDI EGO » et un minuscule globe, qui fait comme un médaillon à sa mère. Et celui-ci porte en grisaille le château de San Egidio di Colle, dont la possession faisait à l’époque l’objet d’une contestation par le monastère rival de S. Francesco al Prato et par la commune de Pérouse.
Ainsi le divin Enfant est-il enrôlé au service des revendications territoriales de l’abbaye.
Vierge à l’Enfant avec le cardinal Alfonso de Borja (futur pape Callixte III)
Gonçal Peris Sarrià et atelier, 1440-1451, Museum of Fine Arts, Boston
L’enfant Jésus porte une amulette en corail autour du cou, comme bien des bébés de l’époque dans le bassin méditerranéen. Selon la tradition romaine, les brindilles pointues pénétraient dans le mauvais oeil lancé par envie, tandis que pour les chrétiens sa couleur rouge préfigurait la Passion. Le collier de corail a donc ici pour double effet d’humaniser l’enfant, tout en rappelant son destin tragique.
Le bébé tient son mollet de la main gauche tout en bénissant de la droite le cardinal en contrebas, pose contorsionnée due au format en hauteur.
Tandis que le lys de Marie se déploie librement dans la moitié gauche, le cardinal se place à droite sous la protection de l’Enfant, lui-même protégé par le corail..
Une étude récente [6] conclut que le retable dont ce panneau constituait la partie centrale, avait probablement été commandé pour orner la chapelle funéraire du cardinal à Santa María de Xàtiva, près de Valence, avant que celui-ci ne soit nommé pape et ne finisse ses jours à Rome.
St Christophe et un donateur |
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Vers 1469, fresques provenant de ka Porta Spuviglia, Museo di San Domenico, Imola
Une inscription en haut de la fresque de Saint Christophe indique qu’elle a été faite par Tommaso Cardello pour Taddeo Manfredi en 1469, une année après une terrible épidémie de peste.
Elle fonctionne probablement en pendant avec l’autre figure protectrice, la Madone pourfendant un dragon avec une lance qui fait écho au bâton du Saint. La geste de sa main gauche joue un double rôle : à la fois tenant la lance et accueillant le donateur.
Régler la taille des deux donateurs n’a pas dû être simple : les faire trop grand aurait minimisé à gauche la taille du géant, les faire trop petits aurait rendu celui de droite ridicule par rapport au dragon. La taille enfant résulte donc ici d’un délicat compromis.
Vierge à l’Enfant avec un donateur, entre Saint Pierre er Saint Paul.
Andrea Bellunello, 1488, duomo di San Vito al Tagliamento
Ce triptyque recherche la réplication (et non la symétrie, comme c’est le cas en général) : chacune des grandes figures incline la tête vers la gauche, tient dans sa main gauche un livre et dans sa main droite son attribut : clé, Enfant ou glaive. Il est logique que le donateur se place du côté vide (sous le livre), pour équilibrer, par une plage noire, la plage blanche de l’Enfant bénissant.
Au XVIème siècle, la formule perd toute connotation funéraire. Dans la fresque de Baldassarre Peruzzi, la Madone se trouve au centre de l’abside, au dessus du maître-autel. Le donateur agenouillé aux pieds du Saint patron de l’église est probablement un des prêtres. Dans le retable de Longhi, le seigneur en armure aux pieds de Saint Georges fait étalage de sa puissance : il vient d’obtenir en 1529 la seigneurie de Forlimpopoli, et ne mourra qu’an 1551.
Donateur à Gauche, enfant bénissant
Le geste de bénédiction autorise le donateur à s’approcher : néanmoins l’artiste utilise un artifice graphique, en général le montant du trône, pour le garder à distance respectueuse.
Vierge à l’Enfant, Saint François avec un sénateur (Giovanni Colonna ?), Saint Jean Baptiste
Mosaïque, vers 1254, Chapelle Santa Rosa, Santa Maria in Aracoeli, Rome
Voici le plus ancien exemple de ce type de composition : le donateur est de taille enfant par rapport à son saint patron, lui même de taille enfant par rapport à la Vierge assise (ce qui fait que le donateur est de taille souris par rapport à la Vierge).
Cette mosaïque possède une jumelle, qui permet d’identifier le donateur.
Vierge à l’Enfant, Saint François et Saint Jean Baptiste avec Giovanni Colonna,
Mosaïque provenant de Santa Maria in Aracoeli, chapelle du Palazzo Colonna, Rome
En effet elle porte à gauche les armoiries parlantes de la famille Colonna, et le prénom du sénateur, Iohannes (Domini genitricis servus, serviteur de la mère de Dieu). Au lieu d’entourer la Vierge, les deux saints entourent le sénateur : Saint François était un important patron des Colonna, et Saint Jean Baptiste le patron personnel de Giovanni [7].
Le cadrage à mi-corps rend les deux saints de la même taille que la Vierge, ce qui rétrograde le donateur à la taille souris par rapport à tous.
Vierge à l’Enfant, saint Georges avec le prieur Guglielmo Villa, Saint Jean Baptiste , saint Bernard et Saint Ambroise
Maestro di Viboldone, 1349, Abbaye de Viboldona, photographie Ilaria Gloria Furia
Précédé par Saint Jean Baptiste et poussé par Saint Georges avec son dragon, le prieur reste à bonne distance du trône (selon certains, il s’agirait plutôt d’Andrea Viconti [8]).
Vierge à l’Enfant avec un donateur
Matteo Giovannetti , 1343-68, Collection privée
C’est sans doute sa qualité d’t qui vaut au donateur de se présenter en position de bénédiction, sans accompagnateur : ce rôle est en partie tenu par l’ange et les saints minuscules brodés sur le galon de la chape.
La barrière infranchissable est ici marquée par la main verticale de Marie.
Vierge à l’Enfant, Saint Jacques avec une donatrice, Saint Pierre
Memmo di Filipuccio, 1350-99 Eglise des SS. Jacopo e Filippo, Certaldo
La forme en fronton crée cette situation intermédiaire où la donatrice est de taille enfant par rapport au saint patron de l’église, mais reste de taille souris par rapport à la Madone. A une période où la formule de l’enfant bénissant le donateur est largement répandue, cette fresque apparaît comme très conservatrice, avec cette bénédiction centrée qui évite toute interaction, de la part de la mère comme de celle de l’Enfant.
La frontière est clairement marquée par le large montant du trône.
Vierge à l’Enfant avec Saint Nicolas, Saint Catherine et un donateur
Gentile da Fabriano, 1395 , Gemädegalerie, Berlin
Le donateur serait le marchand Ambrogio di Bonaventura [9]. Il est représenté de la taille d’un garçonnet, sous la main de saint Nicolas qui relaie la bénédiction de Jésus.
Des inventions graphiques (SCOOP !)
L’agrandissement du donateur s’accompagne du rapetissement des attributs : la crosse et les trois boules de Saint Nicolas, le logo du marchand, la palme et la roue de Sainte Catherine, qui deviennent des sortes de devinettes visuelles,
C’est ainsi qu’il faut se rapprocher beaucoup pour voir que les fruits rouges dans les arbres sont en fait deux septuors d’anges, répartis selon le logo du donateur : à gauche les cordes autour de l’orgue, à droite les trompettes et les cymbales autour d’une roue à clochettes qui venge la roue brisée de Saint Catherine.
La vierge aux églantines
Bohëme, 1400-1415, Louvre, Paris
Traversant la barrière du trône, le donateur se rapproche latéralement, mais s’éloigne verticalement, maintenant la distance de respect.
On rencontre ici une situation de relais : le Fils désigne le donateur à la mère, laquelle pointe à son tour l’index vers lui. Comme elle tient en même temps dans sa main un petit bouquet d’églantines (un symbole de la Passion), il n’est pas impossible que son geste soit un cas rarissime de « don inversé », où ces fleurs tombant du ciel gratifieraient le donateur.
Ce dernier, identifié par ses armoiries, est le comte Otto von Hohenstein, évêque de Merseburg (près de Halle, Saxe) de 1400 à 1406.
Vierge à l’Enfant avec saint Ambroise, saint Antoine, saint Pétrone de Bologne, saint Bartholomé, saint Cosme, saint Gottard, saint Damien et le donateur Bartolomeo da Milano
Luca da Perugia, 1417, Chapelle Pepoli, basilique San Petronio, Bologne.
Le nom du donateur, un riche mercier, est indiqué sous la corniche du bas :
« hoc opus fecit fieri magister Bartholomeus de Mediolano pro anima sua MCCCCXVII de me(n)se iulii »
La dissymétrie apparente de cette sainte galerie disparaît si l’on raisonne par trois :
- à gauche deux saints évêques (celui de droite étant le patron de la basilique) entourent un saint moine ;
- à droite deux saints savants entourent un saint évêque ;
- au centre, le saint patron Bartholomé présente le donateur à la Madone.
Cette fresque se trouve sur le mur droit de la chapelle : le donateur se trouve donc en sens inverse du spectateur qui y pénètre, contrairement à ce que l’observe à Vérone cinquante ans plus tôt, mais dans le cas de donateurs à taille humaine (voir 6-1 …les origines). Nous avons donc ici un indice indirect du fait que le donateur à taille enfant a un degré moindre de réalité, et est encore vu comme une convention graphique plutôt que comme une présence incarnée.
Vierge à l’enfant, saint Nicolas et une donatrice, Saint André (Pala della Levata)
Attribuée à Giovanni Badile, 1400-50, Museo di Castelvecchio, Vérone (provient du couvent San Bartolomeo della Levata)
Entre les noms des saints en lettres gothiques, l’Enfant et la Vierge sont identifiés, de manière étrange et qui semble totalement archaïque, par leurs monogrammes byzantins : IC XC (Jésus Christ) et MP-OY (Mère de Dieu).
Tout le charme de ce panneau provient de son ambiguïté : s’agit-il d’un véritable enfant, comme pourrait le suggérer la figure de Saint Nicolas ? Ou bien d’une jeune fille, sans doute une novice, mais représentée en taille enfant ?
Si on lit la composition comme un triptyque , la fillette sous la crosse apparaît presque comme un attribut secondaire de Saint Nicolas, au même titre que le livre par rapport à la croix de Saint André.
Si en revanche, en se laissant guider par les inscriptions, on la lit plutôt comme un quadriptyque, on y verra la croix tragique se profiler dans un secteur vide marqué seulement par le monogramme de Dieu ; et une crosse florissante dans un secteur marqué par les monogrammes combinés « Mère » et « Jésus », où la jeune novice épouse l’Enfant.
Vierge à l’Enfant avec un moine franciscain (avers) | Ecce homo (revers) |
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Antonello de Messine, 1465-70, Museo Regionale, Messine
Dans ce petit panneau biface, destiné aux dévotions privées du moine, la taille enfant est essentielle pour faire fonctionner un dispositif ingénieux d’identification à Jésus, en deux temps :
- dans un premier temps, sur l’avers heureux, le donateur se contemple, passé grâce à sa prière de l’autre côté du parapet, second enfant accueilli par son frère (toute notion de cloison est abolie) ;
- dans un second temps, sur le revers triste, la prière s’approfondit et le cadrage se resserre : le parapet s’est refermé en une auréole de pierre, à l’intérieur de laquelle le donateur et le Christ souffrant ne font plus qu’un.
Vierge à l’Enfant avec douze anges et un donateur
Francesco di Bartolomeo Pelosio, vers 1468, Couvent dell’Osservanza, chapelle de la Madonna delle Grazie, Imola
On pense que le donateur est Taddeo Manfredi, le seigneur d’Imola, qui avait fait venir les franciscains dans ce couvent en 1466 [10]. Formellement, il est de taille souris par rapport à la Madone ; mais son insertion originale au sein d’un des groupes d’anges lui confère la taille enfant, et nous fait comprendre, comme le confirme la hauteur du socle par rapport aux champs et aux forêts, que c’est la Madone qui est géante. Nouvel exemple d’une distance de respect maintenue par l’éloignement vertical.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Antonio di Francesco da Basciano
Anonimo fiorentino, 1485, Eglise de S. Maria delle Grazie, Santa Stia
Cette fresque est intéressante par les précisions qu’elle donne sur le donateur :
« Questa figura a fato fare antonio di franciescho da bascano, contado d’arezo, per l’anima sua, desua pasati comesoneio ispedale di santa maria nuova AD vintiquatro di novembre 1485 »
On le retrouve effectivement en 1478, parmi les donateurs de l’hôpital Santa Maria Nuova de Florence. A la fin de sa vie, il fit don de cette fresque votive à une église récemment construite sur les lieux d’une apparition miraculeuse de la Vierge à Stia, village à égale distance de Florence et de sa ville natale d’Arezzo.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Manfredo Fornari (Pala Fornari)
Foppa, 1489, Pinacoteca, Savone (autrefois à l’église de la Madonna di Loreto)
Lors de deux passages à Savone, Foppa a peint deux polyptyques pour deux donateurs différents. Dans le premier, le fond d’or crée un espace abstrait qui facilite le passage paradoxal de Manfredo Fornari entre le compartiment de Saint Jean Baptiste, où il est de taille géant, à celui de la Madone, où il est de taille enfant : cette disposition extraordinaire s’explique probablement ([11], p 161) par le fait que le donateur n’était au départ pas prévu.
Vierge à l’Enfant avec le cardinal Giuliano della Rovere (futur pape Jules II)
Foppa, 1490 , autel majeur de Santa Maria Castello, Savone Cliquer pour agrandir
L’année suivante, un second polyptyque beaucoup plus ambitieux (le plus grand que Foppa ait jamais réalisé) lui est commandé par Giuliano della Rovere, évêque et bienfaiteur de la cité. Le donateur figure cette fois, présenté par un ange, dans le compartiment central. Le trône de la Vierge sature tout l’espace : seul un peu de ciel bleu assure une continuité fictive avec les volets latéraux, où les deux Saints Jean se découpent sur un fond paysager.
Triptyque della Rovere
Giovanni Mazone, avant 1484, Musée du Petit Palais, Avignon
On ne sait pas si le cardinal était à Savonne au moment où Foppa a exécuté son portrait, et ci celui-ci a été réalisé sur le vif : la ressemblance est en tout cas étroite avec le triptyque réalisé cinq ans plus tôt par Mazone pour la chapelle familiale à San Francesco de Savone, où l’ambitieux cardinal s’était fait représenter, mais cette fois en position d’humilité, face à son oncle le pape Sixte IV. Il deviendra lui-même pape en 1503.
Donateur à gauche, enfant non bénissant
Cette position d’intrusion est la plus problématique lorsque la taille du donateur s’accroît. Voyons comment s’en sont tiré les rares artistes qui s’y sont essayé.
Vierge à l’Enfant, Saint Pierre avec le donateur Jacopo di Mandrioli, saint Paul
Giovanni del Biondo, 1386 Propositura di Pratovecchio, provient de la piève Saint Pierre de Romena
Ignorant le donateur, la Vierge tend à l’Enfant un chardonneret qui s’est posé sur sa main droite. Le choix de représenter le couple Saint Pierre et Saint Paul imposait de positionner le donateur du côté gauche, aux pieds de Saint Pierre, le saint patron du lieu. Cette position intrusive a été ici facilitée par la station debout de la Vierge, dont la haut stature « protège » l’Enfant (les deux formes en croix ne sont pas les pilastres d’un trône, mais les ailes croisées vers le haut des chérubins).
Madonna lactans, Saint Sigismond, Saint Antoine avec deux chevaliers
Attribué à Giovanni Badile, 1410-20, Museo Bassano del Grappa, provient de la Salle capitulaire de l’église san Francesco [12]
Le choix des saints se comprend : Saint Antoine était le patron de la salle capitulaire ,Saint Sigismond et Saint Denis (qui lui fait face à droite) sont deux saints liés à la chevalerie.
Mais à une période où il est courant depuis longtemps de trouver des chevaliers de taille humaine à gauche de la Madone et de l’Enfant bénissant (voir 6-1 …les origines), on peut se demander pourquoi le peintre leur a donné cette taille minime (dans une fresque où la place ne manquait pas), et pourquoi il a choisi l’iconographie rare de la Vierge en trône allaitant (la plupart des Madonna Lactans sont des Vierges de l’Humilité, assises sur le sol).
En remarquant que le bâton de Saint Antoine barre en quelque sorte la route aux chevaliers, on peut imaginer que ces deux choix iconographiques sont corrélés : les chevaliers ne sont pas ici des acteurs dans une présentation officielle, mais les spectateurs d’une scène d’intimité, à laquelle ils assistent de loin.
Vierge à l’Enfant avec Saint Antoine, Saint Georges, Saint Jacques, un donateur, Saint Pierre Martyre, Saint Zénon et Saint Damase (polittico dell’Aquila)
Giovanni Badile, 1420-30, Museo di Castelvecchio, Vérone
Le même notion d’intimité se trouve dans cette autre oeuvre de Badile. Dans ce polyptyque, la taille de la Madone, supérieure à celle des saints, est réglée par celle du compartiment central, deux fois plus large et avec une arcade deux fois plus haute. En reculant le trône vers l’arrière, l’artiste a ménagé en avant une place pour le jeune donateur qui a traversé la cloison,comme aspiré par cet espace aéré. Il pourrait s’agir d’un membre de la famille Boldieri (peut être Jacopo, vu son voisinage avec Saint Jacques).
Si le donateur a ici la taille enfant, c’est parce qu’il s’agit d’un garçonnet ; et c’est sans doute son jeune âge qui autorise cette intrusion. Abstraction faite des saints solennels coincés dans les volets latéraux, le panneau central nous montre une intimité quasiment familiale, où la mère assied pour la première fois, en le maintenant du bout des doigts, un bébé très humain, avec son collier de corail et son sexe à l’air, sous le regard plein d’amour de son « grand-frère ».
L’inscription « Johes Baili » (la seule signature connue de Badile, qu’on a longtemps pris comme un ajout postérieur) prouve le caractère exceptionnel de cet espace d’intimité partagée entre le divin et l’humain.
Vierge à l’Enfant avec Saint Michel, Sainte Cécile avec la donatrice Mona Cecilia de Boscoli, Sainte Domitille avec les Saints Nerée et Achillée, Saint Jérôme
Giovanni dal Ponte, 1434, Eglise S. Salvatore al Monte, Florence, anciennement dans l’église San Michele Visdomini
Pour sa dernière oeuvre signée, Giovanni dal Ponte abandonne le format gothique des polyptyques pour une scène unitaire, sous un fronton à l’antique. En positionnant les deux saints au premier plan et les deux martyres de part et d’autre du trône, il réussit à suivre harmonieusement les contours du cadre.
Devant Saint Michel (le patron de l’église) et aux pieds de Sainte Cécile (sa propre patronne) , la donatrice fait pendant aux saints Nérée et Achillée aux pieds de Sainte Domitille, représentés eux-aussi de taille enfant. Selon une légende, ces deux martyrs étaient les eunuques de la noble romaine, Domitille, ce qui peut expliquer leur taille inférieure. Mais cette taille induit aussi une comparaison implicite entre ces deux serviteurs, vierges et martyrisés pour avoir protégé la virginité de leur maîtresse, et la religieuse, priant aux pieds de Sainte Cécile, autre noble dame, autre vierge et martyre.
Vierge à l’Enfant avec un donateur présenté par Saint Jérôme
Master of the Munich Bavarian pannels, vers 1450, MET, New York
Ce panneau, qui révèle un mélange complexe d’influences, a probablement été réalisé en Italie, mais par un peintre allemand. C’est également en Italie qu’on l’a surélevé, quelques années plus tard, par un trilobe doré avec Dieu le Père bénissant (ou le Christ pantocrator). Les lettres de l’auréole de Marie n’ont pas été déchiffrées : VFQT . . . R[ou P]AOWB
Des arbres prémonitoires (SCOOP !)
Trois arbres distincts, clairement identifiables, sont plantés dans la jardinière : un olivier, un pommier et un figuier. Comme ils n’ont pas de lien avec les quatre protagonistes, ils doivent raconter à eux seuls une petite histoire. Selon la fiche du MET [13], ils renverraient au thème marial de l’hortus conclusus et au Paradis Perdu.
Je penche quant à moi pour une explication plus précise : si le pommier central, au dessus de l’Enfant Jésus , fait bien allusion au passé lointain et au péché originel qu’il est venu racheter, les deux arbres latéraux sont les prémonitions du péché futur qui lui sera fatal : celui de Judas au Jardin des Oliviers, expié en se pendant à un figuier.
A la frontière entre la terre verte et le ciel doré, entre le présent et l’avenir, entre Jésus Enfant et Jésus en gloire dans le ciel, les trois arbres sont la barrière symbolique que l’Enfant devra traverser pour parvenir à la Divinité. D’où le rehaussement postérieur par le trilobe qui, en épousant la forme des arbres, favorise cette lecture ternaire.
Le donateur-enfant (SCOOP !)
Saint Jérôme en habit de cardinal, avec son galéro dont les cordons rouge pendent jusqu’au sol, abrite sous son manteau rouge le donateur. Marie, dont le long collier de corail rouge pend sur le genou, abrite dans son manteau rouge l’Enfant Jésus.
Ce parallèle confirme l’idée que nous avons déjà pressentie dans deux oeuvres italiennes de la même époque : celle que le donateur à taille d’enfant est perçu, justement, comme le second Enfant du tableau, frère humain de l’Enfant divin.
Madone de la barbacane (Madonna del baraccano)
Francesco Cossa, 1472, sanctuaire del Baraccano, Bologne
Une histoire merveilleuse
Les visages de la Madone et de l’Enfant sont les restes d’une Madone miraleuse peinte par Lippo di Dalmasio, entre 1350 et 1400.
En 1402, durant un siège de la ville, une femme âgée fut suspectée de passer des nouvelles à l’ennemi à travers une fente du mur, en faisant semblant de prier devant cette Madone. Elle fut arrêtée et le chef de la cité, Giovanni I Bentivoglio, fit construire un mur par devant. Mais le mur s’effondra peu après, Bentivoglio interpréta cela comme un miracle et fit relâcher la vieille femme.
En 1438, un oratoire fut construit pour protéger l’image miraculeuse et, en 1472, Giovanni Bentivoglio II (l’arrière-petit fils de Giovanni I) confia à Cossa le soin de la restaurer en conservant les visages, comme enchassés dans sa fresque.
En 1512, un nouveau miracle eut lieu lors d’un autre siège (comme le raconte un texte sur les murs de l’entrée) : une mine posée sous la chapelle fit sauter le mur, mais celui-ci se recomposa aussitôt, laissant l’image intacte.
Jusqu’à récemment, elle était protégée par un volet qui ne s’ouvrait que lors des grandes fêtes.
Des effets spéciaux spectaculaires
Le mauvais état de la fresque empêche de percevoir son effet spectaculaire de contre-plongée et de relief : Cossa a creusé l’image vers l’arrière, en l’ouvrant sur une ville imaginaire au delà du rempart ; et l’a développée vers l’avant, en faisant surgir la Madone hors de la niche (devant les colonnes), précédée par deux anges porte-cierges, eux même précédés par le donateur agenouillé devant un candélabre très étrange…
Il semble porter à son sommet une hostie, coupée net par le cadre ; mais le très mauvais état de conservation rend la lecture difficile.
Il s’agirait soit du commanditaire, Giovanni Bentivoglio II, soit de son ancêtre Giovanni I.
Car la femme âgée dont on distingue encore le profil en pendant, en bas à droite, n’est autre que Maria Vinziguerra, la vieille dame du miracle [14]. Représentée de taille souris, elle contraste fortement avec le donateur : pour les historiens d’art du XIXème, celui-ci aurait été rajouté par dessus la fresque de Cossa, au dessus d’un profil masculin symétrique de celui de la vieile femme [15]. Cette hypothèse est aujourd’hui abandonnée.
Un triple miracle
La présence massive du candélabre (ou ostensoir) central associé au donateur montre que les deux font bien partie de la conception originale :
- au second plan, les anges portant deux candélabres célestes (dorés et ornée de bougies éclairées) font cortège à l’irruption merveilleuse de la Vierge ;
- au premier plan, le donateur agenouillé devant l’ostensoir terrestre (en argent et portant l’hostie) habite le monde réel.
Sa position à gauche se rattache donc à la convention habituelle pour les témoins d’un miracle (voir 3-1 L’apparition à un dévôt), en l’occurrence triple :
- la reconstitution miraculeuse de l’image, du temps de Giovanni I ;
- sa restauration merveilleuse par Cossa, du temps de Giovanni II ;
- le surgissement de la Vierge sortant du mur, de tout temps, par le miracle de la perspective.
Vierge à l’Enfant, saint Laurent avec le chanoine Carlo di Giovanni Casini , Saint Antoine
Fra Diamante, 1470, Musée des Beaux Arts, Budapest
Le tableau provient du petit oratoire de San Lorenzo, bâti à Prato par ce chanoine : d’où sa position à gauche aux pieds de Saint Laurent, patron de l’édifice.
Collaborateur et continuateur de Fra Filippo Lippi, et moine comme lui, Fra Diamante tente d’avancer vers la modernité des donateurs en taille réelle, tout en conservant un sens médiéval de la hiérarchie. Ainsi, en avançant Saint Antoine vers le premier plan, il met à niveau son auréole par rapport à celle de Marie, compensant en partie la position assise. A gauche en revanche, pour caser le donateur, il doit mettre Saint Laurent en retrait, tout en alignant son auréole. On voit ici combien l’accroissement de la taille du donateur oblige à des ajustements laborieux, du moins tant que l’on veut conserver une structure compartimentée.
Vierge à l’Enfant, Saint François d’Assise avec le donateur Pietro Marinazzo, saint Nicolas Francesco Zaganelli , 1505, Brera,Milan
Il est intéressant de voir que, trente ans plus tard, à un moment où la formule du donateur-enfant est totalement dépassée, Zaganelli résoudra le même problème de manière radicalement différente : les deux saints et la Madone sont de taille égale, et le donateur est rejeté en arrière, rapetissé à la taille du piédestal (voir d’autres exemples dans 2-7 Le donateur en retrait).
On ne connaît ni la date précise de la version à mi-corps, ni son lien avec le retable Caetani (à gauche) : s’agit-il d’une version portative réalisée pour le même donateur ? Ou d’une réduction de format à but commercial ? On connait en toute cas une dizaine de variantes de la version à mi-corps, toutes sans la figure du donateur. [17]
Le fond d’or archaïsant, qui évoque délibérément les icônes des églises romaines, est typique d’Antoniazzo ; de même que le geste délicat de Marie soulevant le lange de sa main droite.
Un voile démonstratif
Selon Steinberg, ce voile qui, tout en les masquant, attire inévitablement l’oeil sur les parties génitales, correspond à des sermons prêchés à Rome à la même époque, à l’encontre de ceux qui niaient la nature humaine du Christ.
Un voile prémonitoire
La version réduite est la seule où ce « lange » est clairement identique au voile transparent qui coiffe Marie. Il s’agit de l’illustration littérale d’un texte de Saint Augustin (Meditationes Vitae Christi) qui raconte que Marie, à la naissance de Jésus, l’enveloppa dans son voile ; et qu’elle drapa le même voile autour de ses reins lors de la Crucifixion.
Ainsi la version à mi-corps, en ajoutant au voile prémonitoire le chardonneret, autre symbole de la Passion, est clairement plus complexe théologiquement, plus tragique et plus intimiste que la version d’église, où l’enfant est représenté triomphant, campé sur ses deux pieds et brandissant le globe terrestre.
Du public au privé
Dans la version publique, ce globe vient compléter la série décroissante des auréoles. Bien détaché sur le fond d’or, il oppose sa compacité au cercle virtuel que les doigts de la Vierge délimitent autour du voile transparent.
Dans la version destinée à la dévotion privée, tout se resserre : le donateur remonte, l’Enfant avance d’un pas vers lui, touche la joue de Marie, enlace son cou, et sa main droite avoisine celle de sa mère, tous près des mains jointes du donateur.
Synthèse quantitative
Ma base de données comporte 60 exemples de donateurs-enfants en Italie, et seulement 5 dans les Pays du Nord. La synthèse quantitative n’a donc de sens que pour l’Italie.
Pour les donateurs à droite, le type naturel (non bénissant) est majoritaire avant 1350, se démode vers 1400, puis revient ensuite, avec un total de 10 cas contre 17 pour le cas « paradoxal ».
Pour les donateurs à gauche, les deux formules sont équivalentes : 19 pour le type naturel (bénissant), 16 pour les autres attitudes.
Ainsi, contrairement à l’intuition, l’accroissement de taille du donateur ne se traduit pas pat un renforcement des règles héraldiques : bien au contraire, il traduit chez ceux qui l’adoptent un état d’esprit plus moderne, et une indifférence envers ces vieilles normes.
Disposition relative du donateur et de l’Enfant
<donateur g d)<posiyion g droit)
Position donateur | Position Enfant |
---|
Le premier schéma ne montre aucune préférence significative pour la position du donateur. Le second montre une prédominance qui se maintient pour le type le plus ancien, celui de l’Enfant porté à droite (34 cas sur 60). La mode de l’Enfant portée au centre reste très limitée (4 cas) et ne se rencontre qu’autour de 1450.
Bénédiction ou indifférence
Enfant bénissant | Enfant non-bénissant |
---|
Lorsque l’Enfant bénit le donateur, on trouve une préférence significative pour le placer du même côté que celui-ci ; lorsqu’il l’ignore, il est très majoritairement placé à droite (18 cas contre 4).
Le cas où l’enfant bénit est globalement majoritaire (36 cas contre 24) : l’accroissement de taille du donateur correspond donc bien, du moins avant 1350, à une recherche d’interaction avec l’Enfant. Ensuite, la formule de l’enfant non-bénissant se développe, sans jamais dépasser 40% des cas. Mais il est intéressant de séparer les cas du donateur à droite et du donateur à gauche.
<soursis><znfant>
Donateurs à droite
Donateur souris | Donateur enfant |
---|
A l’inverse du donateur-souris, pour laquelle la formule réputée compliquée de la bénédiction par la droite n’a jamais pris, celle ci ne pose aucun problème pour les artistes qui pratiquent la taille enfant, et devient même largement dominante : une interprétation possible serait que ces artistes sont globalement plus habiles ; une meilleure interprétation est que les donateurs qui préfèrent être représentés en grand préfèrent aussi être bénis : demande d’individualisation qui a forcé les artistes à à se diversifier.
Donateurs à gauche
Donateur souris | Donateur enfant |
---|
Pour les donateurs à gauche, en revanche, la comparaison confirme et même amplifie ce que nous avions vu pour le donateur-souris : pour les donateurs-enfant, la présentation par la gauche n’est autorisée au départ que par le geste de bénédiction ; puis le côté intrusif s’oublie et la préférence s’inverse, traduisant le fait que, béni ou non-béni, la présentation par la gauche est portée par le sens de la lecture.
Conclusion
On peut retenir deux conclusions de cette analyse concernant l’accroissement de taille du donateur :
- une contre-intuitive : il s’accompagne d’une indifférence croissante par rapport aux règles héraldiques ;
- une parfaitement logique : il traduit une volonté d’interaction avec l’Enfant.
Cette interaction étant plus forte que dans le cas du donateur-souris, il y a une corrélation significative entre les positions relatives :
- dans la formule la la plus ancienne et la plus conventionnelle, celle où l’Enfant bénit, les artistes prennent aussi la position la plus simple pour le donateur : du même côté que lui ;
- dans la formule plus moderne et plus variée où il ne bénit pas, les artistes n’en rajoutent pas dans l’originalité, et conservent la position la plus classique pour l’Enfant : sur la droite.
Enfin, en observant le choix entre les deux tailles, on constate que la formule « souris » reste au total prédominante (116 cas contre 60), et que la taille « enfant », rare avant 1300, se stabilise ensuite à environ un tiers des cas.
https://www.researchgate.net/figure/Goncal-Peris-Sarria-y-taller-Tabla-de-la-Virgen-con-el-Nino-y-el-cardenal-Alfonso-de_fig3_276221188
A Wider Trecento: Studies in 13th- and 14th-Century European Art Presented to Julian Gardner, p 28
https://books.google.fr/books?id=HQEyAQAAQBAJ&pg=PA28
https://archive.org/details/vincenzofoppaofb00ffou_0/page/n297
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