La mort dissimulée (1/2) : par derrière
Cet article est consacré au différentes manières de dissimuler un crâne au premier regard, stratégie payante pour un effet Eurêka qui frappera d’autant plus le spectateur.
Le crâne ostentatoire
Commençons par un aperçu de la stratégie inverse et bien plus répandue.
Portrait d’un chevalier de Malte Barthel Bruyn l’Ancien, 1531, Kunsthistorisches Museum, Vienne |
Portrait d’une noble dame Barthel Bruyn l’Ancien, 1530-35, Museo Correr Venise. |
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Comparons ces deux portraits du même peintre et de la même période, mais de deux personnes n’ayant rien à voir l’un avec l’autre (ils ne sont pas mari et femme).
Dans le portrait masculin, tout est construction et emblème. La croix de Malte divise la toile en quatre secteurs :
- celui où se trouve le chevalier ;
- celui de son ombre sur le mur, de son âge (37 ans), et du sablier déjà à demi passé ;
- celui du crâne ;
- celui de la devise, dont les trois parties correspondant justement aux trois autres secteurs :
Vis, pense à la mort, l’heure fuit Perse, Satire V |
Vive, memor lethi, fugit hora |
Le crâne est celui d’un enfant géant : autrement dit un monstre, l’emblème même de la Mort en général, que le chevalier apprivoise avec stoïcisme de sa main armée de la vieille maxime latine.
Dans le portrait féminin, le crâne gracile est probablement celui de la vivante et les orbites tombent à l’aplomb de ses yeux : par sa main gauche posée sur la calotte, elle s’approprie non pas La Mort, mais sa propre mort, grâce à sa piété dont le missel tenu dans sa main droite est la preuve.
Cet exemple a pour mérite de montrer avec quelle facilité et quelle sophistication le crâne, qui était quelques années auparavant l’attribut de Saint Jérôme et de Sainte Marie-Madeleine, s’est sécularisé au début du XVIème siècle, devenant l’emblème revendiqué de l’humanisme pour les uns, et de la piété pour les autres.
Portrait du botaniste et jardinier anglais John Tradescant le Jeune
Thomas de Critz (attr), 1652, National portrait gallery, Londres
Nous comprenons encore bien que le crâne soit un emblème de la piété, du stoïcisme ou de la philosophie naturelle : mais nous avons totalement oublié que pendant au moins deux siècles, le crâne rapé en poudre, et surtout la mousse qui pousse naturellement dessus, étaient devenus des ingrédients très appréciés de la pharmacopée [0].
La suite de cet article va être consacrée au mouvement inverse : comment, après avoir rendu le crâne populaire, les artistes se sont ingéniés à le contourner, comme pour en ranimer la puissance subversive.
La Mort derrière le Couple
Le couple d’amoureux et la Mort (La Promenade)
Dürer, 1498
La grande plante à gauche et le tronc à droite sont souvent associés à l’homme et à la femme, pour des raisons variées. Il est pourtant clair que la plante à deux tiges, et qui penche déjà, illustre la fragilité du couple et de l’amour ; alors que le tronc tortueux et dont on ne voit pas le haut amplifie la rugosité du squelette et l’infinitude du sablier.
L’image joue évidemment sur la référence à un autre couple et à une autre menace arboricole…
1525-27 | 1543 |
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Adam and Eve, Hans Sebald Beham
C’est Hans Sebald Beham qui l’explicitera par deux fois, d’abord de manière discrète puis dans une composition extraordinaire, où le serpent, l’arbre et le squelette fusionnent.
Mis à part cet artiste, pratiquement personne n’a représenté de crâne ou de squelette avec le couple d’Adam et Eve, alors que pourtant le Péché originel est la cause directe de la mortalité humaine. Sans doute parce que le crâne était préempté par une image encore plus forte : celle de la Crucifixion sur le Lieu du Crâne (Golgotha), où était selon la légende enterré le crâne d’Adam.
Adam et Eve
Hans Thoma, 1897, Musée de l’Ermitage
Il faudra attendre Hans Thoma et son amour de la Renaissance germanique, pour s’autoriser cette audace.
La Douleur (Der Gram)
Oskar Zwintscher, 1898, Städtische Galerie, Dresde
Telle un vautour posée sur le rocher, la Mort pentadactyle caricature par ses griffes les feuilles pentalobées des marronniers, opposant sa pesanteur minérale à la légèreté du vivant.
Mort et Vie
Gustav Klimt, 1915, Musée Leopold, Vienne
Prélude à la visibilité (SCOOP !)
Une femme dont on ne voit que le crâne, un homme au visage en raccourci, une vieille femme penchant la tête, trois femmes au yeux clos portant un enfant endormi : de bas en haut, la partie droite fonctionne comme un prélude à la visibilité, dans un monde utérin où toute l’humanité s’entasse dans un sommeil de moins en moins profond.
Jusqu’à la femme en haut à gauche, qui ouvre les yeux et se confronte avec la Mort, laquelle l’attend avec son gourdin pour la renvoyer dans l’inconscience.
Mort et Vie
Gustav Klimt, 1911, Mort et Vie, premier état
Cette idée de confrontation est apparue lorsque Klimt, en 1915, a effectué une profonde refonte de la composition, rajoutant les trois filles autour de la mère et le gourdin entre les mains de la Mort.
La Mort derrière la Femme
Les Danses Macabres [0] ont engendré le thème prolifique de la Jeune Fille et la Mort : sa forme iconique est celle du squelette qui apparaît dans le dos de la Jeune Fille, ajoutant à l’affriolant le piment du suspens et de la menace.
La pucelle, Danse macabre de Bâle, 1440 Gravure de Mathieu Merian, 1725Sur le cas très particulier où la femme tient un miroir, voir 4 Fatalités dans le rétro
Dürer, vers 1502, dessin, Schloss-Museum, Weimar | Hans Leonhard Schäufelein, vers 1506 |
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Ici la mort se comporte comme un garnement, tirant par derrière les jupes de la promeneuse.
Hans Baldung Grien, 1515, Kupferstichkabinett, Berlin | Jacques de Gheyn II, 1610-1620 |
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Camillo Verno, vers 1900, collection privée | P.J. Lynch, 2010 |
La Jeune Fille et la Mort
Le thème du miroir inutile et de la coquette en péril (voir 1 La Coquetterie : diabolique ou mortelle) va rendre familière pendant plusieurs siècles l’idée, propice à de multiples contrastes, d’avoir un squelette dans le dos.
Affiche de Horst Janssen pour une exposition à Oslo en 1985
C’est incontestablement Horst Janssen qui en a saisi l’essentiel.
La Mort derrière le Maître
Transposée au masculin, l’image perd sa connotation érotique et sert, au départ, d’avertissement sur la vanité de la richesse ou du pouvoir.
La pucelle, Danse macabre de Bâle, 1440
Gravure de Mathieu Merian, 1616Transposée à cet homme particulier qu’est l’Artiste, elle flirte avec l’image de la Muse se penchant sur son oeuvre par dessus son épaule ; puis à la fin du XIXème siècle elle s’inverse, devenant la figure obligé de l’Artiste qui non seulement ne craint pas la Mort, mais se nourrit d’elle et en triomphe.
Portrait de Johannes Zimmermann (Xylotectus)
Ecole de Holbein le Jeune, 1520, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg
1520. Ce n’est pas la ΦΙΛΑΥΤΙΑ (égoïsme) haissable que peint la forme trompeuse, mais l’heure qui met en fuite les jours doux, afin de montrer combien sont changeants les vents pour le maître de maison, et en combien peu de temps la maladie fait tomber la beauté. Après avoir accompli six lustres par la grâce de Dieu, tel j’étais, Johannes Xylotectus. |
MDXX PINGERE FALLACEM NON PRAVA ΦΙΛΑΥΤΙΑ FORMAM / FECIT SED PLACIDOS QUAE TERIT HORA DIES / UT VIDEAS ERI QUAM SIT MUTABILLIS AURA / TEMPORE VEL MORBO FORMA CADATQUE BREVI / DUM SEX DIVINO COMPLEREM MUNERE LUSTRA / TALIS IOANNES TUNC XILOTECTUS ERAM |
Ce portrait posthume a été peint alors que Zimmermann venait de mourir brutalement de la peste. Le squelette tenant son sablier apparaît comme le double de l’humaniste tenant sa lyre. Cette idée de fusion consommée apparaît en haut à droite, où les armoiries de Zimmermann, sommées du crâne et du sablier, deviennent celles de la Mort elle-même. Sur le pilastre d’en face, la figure de Samson vainquant le lion est un symbole de la Résurrection espérée.
Portrait d’un jeune marchand
Monogrammiste H. F, 1524 Akademie der bildenden Künste, Vienne
Le jeune homme de trente quatre ans retourne son livre de musique et se plonge dans une mélancolie que matérialise le transi derrière sa tête : « BETRACHT DAS ENDE / Considère la fin) ».
Hans Holbein le Jeune, 1527-28 ou 1532-34, NGA, Washington | Anonyme, vers 1540, copie d’après Holbein, Alte Pinakothek, Münich |
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Portrait de Sir Brian Tuke
Le papier plié sur la table porte un verset de Job :
Mes jours ne sont-ils pas bien courts ? Job 10 : 20 |
NVNQVID NON PAVCITAS DIERVM MEORVM FINIETVR BREVI |
C’est peut être ce texte qui a conduit le copiste anonyme a rajouter le sablier que le squelette sortant de l’ombre montre de l’index droit, en brandissant sa faux de la main gauche.
Johan Elias Ridinger
Autoportrait avec la Mort Johan Elias Ridinger, 1767, SMB-PK-Kupferstichkabinett, Berlin |
Portrait de Johann Elias Ridinger dessinant à la lampe Mezzotinte de son fils Johann Jacob Ridinger, 1767 |
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Le premier peintre a avoir eu l’idée d’adapter le thème à son propre usage est semble-t-il Johan Elias Ridinger, dans ce dessin réalisé très peu de temps avant sa mort. Tandis que son fils le représentera vieilli, sous un rideau et à la lumière d’une lampe, il se voit mourir en jeune homme, en plein jour, sous des rideaux transparents, le pinceau délicatement enlevé par une mort couronnée de lauriers.
Le Triomphe de la Mort, Johann Elias Ridinger, d’après une gravure de 1588 d’Andrea Andreani | Le gouvernement de la Mort, Johann Jacob Ridinger, d’après Johann Elias Ridinger, 1760 |
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Cette idée de recycler en plein âge des Lumières la vieille figure médiévale de la Mort qui vient par derrière tient certainement à la familiarité de Ridinger avec les allégories macabres, qui en fait un artiste beaucoup moins mineur qu’il ne semble [1].
Mais cette première résurrection n’aura pas de suite notable contrairement à la suivante, un siècle après…
Corréard, Portrait posthume de Géricault, vers 1824, Musée des Beaux Arts, Rouen
Comme on ne prête qu’aux riches, ce tableau est supposé être le dernier autoportrait de Géricault, peint avec lucidité à l’approche de la mort. Cette image de l’artiste romantique se représentant en crâne est malheureusement une légende : on sait au contraire que ceux qui assistèrent à ses derniers moments évitèrenet de le portraiturer, afin de ne pas l’inquiéter. Le tableau a probablement été réalisé d’après son masque mortuaire. [1a].
Arnold Böcklin
Autoportrait avec la Mort jouant du violon
Arnold Böcklin, 1872, Alte Nationalgalerie, Berlin
On a dit que Böcklin aurait eu l’idée de la toile en voyant le Portrait de Sir Brian Tuke à Münich. Mais on pourrait tout aussi bien invoquer la série de la Danse macadre de Holbein, où la mort vient par derrière ou joue d’un instrument de musique dans plusieurs gravures [2] .
Dans la logique de la Danse macabre, d’autres artistes avaient déjà eu l’idée du violon de la Mort. Dans le tableau de Francken, la Mort au deuxième plan fait un pacte avec le jeune homme, puis revient dire au riche vieillard que son billet n’a plus court.
Sur la gravure de Rethel, qui fonctionne en pendant, voir Les pendants d’histoire : XIXème siècle.
L’originalité de l’idée de Böcklin est que la Mort n’arrive pas en triomphatrice, mais en inspiratrice, en crâne derrière le crâne. C’est cette Muse macabre qui va faire la fortune du thème dans les pays germaniques.
Hans Thoma
Autoportrait avec l’Amour et la Mort
Hans Thoma, 1875, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe.
Trois ans après, Thoma reprend à son compte l’idée du crâne inspirateur, ici couronné de laurier, lui promettant à l’oreille la gloire dans une sorte de pacte faustien. Il rajoute de l’autre côté l‘Amour, auquel il donne dit-on les traits de Cella Bertenender, qu’il venait de rencontrer et devait épouser peu de temps après. Enfin, il fait voler au centre des deux emblèmes, au niveau du monogramme avec la date, un papillon dont les ailes tiennent de l’un et de l’autre la brièveté (voir Le crâne et le papillon).
L’Amour et la Mort
Hans Thoma, 1876, collection privée
L’année suivante, le symbole de l’éphémère devient la marguerite effeuillée par le couple sur fond de ciel crépusculaire, tandis que l’Amour de sa flèche tient encore un moment la Mort en respect. Sa main, qui repousse le grand chapeau rond et noir du squelette, fait écho à celle de la femme sur le bord de la corolle blanche.
Crâne fumant une cigarette, peint en janvier-février 1886 à Anvers (F0212) | Autoportrait, Printemps 1886, peint à l’arrivée à Paris (F0208) |
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Vincent van Gogh, Van Gogh Museum
Personne ne sait si ce squelette fumeur n’est qu’une pochade en réaction contre les études académiques, ou une allusion à des soucis de santé, ou un coup de chapeau à l’art macabre de Rops [3a].
Ou bien s’il s’agit du tout simplement du premier autoportrait allégorique de Vincent…
Autoportrait Oskar Zwintscher, 1897, Stadtische Kunstsammlungen, Chemnitz |
Arnold Böcklin, 1872 |
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Le jeune peintre rend un hommage brillant à son devancier : il rajoute des couleurs sur sa palette et ouvre l’arrière-plan sur une ville médiévale, d’où la Mort monte jusqu’à l’atelier pour interposer son sablier entre le pinceau et l’oeuvre.
Graphiquement, on appréciera l’idée (analogue à l’analogie entre les serres et les feuilles de marronnier), des traces sombres déposés sur la palette par les doigts d’os.
Les seuls exemples que j’ai trouvés en dehors de la sphère germanique.
Jacek Malczewski
L’inconvénient du sujet, surtout chez un peintre aussi m’as-tu-vu que Malczewski, est qu’il délivre en une seul prise une dose massive de symbolisme, dont l’effet est puissant mais court.
Bien plus subtil est son mode d’action lorsqu’il nous est administré, exactement dans la même période, par un autre grand égotiste, le prodige de l’expressionisme…
Schiele
L’Envol, 1915
L’Envol (Les Aveugles II, les Saints) Entschwebung (Die Blinden II, Heilige)
Egon Schiele, 1915, Leopold Museum, Vienne
Ce tableau important (exposé à la Sécession de Berlin en 1916, en face de Mort et Vie de Klimt) permet de saisir comment la technique du double autoportrait, chez Schiele, est un moyen d’embarquer le spectateur dans le tableau.
Le premier Schiele, les pieds en contact avec la terre, montre des deux mains la direction du ciel ; le second, au dessus, flotte en apesanteur ; encore plus haut, la ligne d’horizon crée un puissant effet de contre-plongée, qui mécaniquement entraîne le spectateur dans l’Envol.
Le même procédé était déjà en oeuvre, de manière plus discrète, dans le tout premier des doubles portraits de Schiele, cinq ans plus tôt.
Die Selbstseher I, 1910
Les voyants de soi-même I (Die Selbstseher I)
Egon Schiele, Décembre 1910, ancienne collection Grünbaum, confisqué par les Nazizs et disparu
Deux Schiele nus et asexués se regardent dans un miroir : celui de devant cligne de l’oeil, bouche fermée, cache sa main gauche dans son dos (puisqu’il s’agit d’une image dans le miroir) et ramène de la main droite le tissu contre son torse. Celui de derrière l’imite, les deux yeux et la bouche ouverte. Unique en bas, le corps se dédouble en une individu bicéphale et à deux mains droites.
Une lettre, qui très probablement concerne ce tableau, révèle l’importance que Schiele, âgé d’à peine vingt ans, lui accordait et l’effet qu’il cherchait à obtenir.
« Avec le temps, vous serez tellement convaincu que vous commencerez non pas à poser votre regard dessus, mais à l’intérieur. Le tableau est celui dont G. Klimt a dit qu’il serait heureux de voir de tels visages. Il est certainement, à l’heure actuelle, au plus haut [!] de ce qui a été peint à Vienne. « Lettre de Schiele au Dr. Oskar Reichel, 1911 |
In gewisser Zeit werden Sie so vollständig überzeugt sein darüber, sobald Sie beginnen, nicht daraufzusehen sondern hineinzuschaun. Das Bild ist jenes, worüber G. Klimt geäußert hat, er wäre froh solch Gesichter zu sehen. – Es ist sicher, gegenwärtig, das höchste [!] was in Wien gemalt wurde. » |
Les deux verbes quasi-synonymes qu’emploie Schiele : daraufzusehen / hineinzuschaun suggère qu’il y ait deux manières de voir et en l’occurrence de se voir soi-même, puisque tel est le titre du tableau : une qui tient de l’extériorité et une de l’intériorité.
Un autre aphorisme de Schiele exprime la même distinction :
Le Peintre peut regarder, mais voir, c’est bien plus |
Schauen kann auch der Maler, sehen ist aber doch mehr. |
On peut disserter longtemps et sans doute assez vainement sur le thème du Doppelgänger, de la sortie de soi et de l’introspection spéculaire, dans la Vienne psychanalytique du début du XXème siècle :
« L’extase implique une séparation du corps et de l’esprit, un pas hors de soi comme moyen d’auto-examen, et les spécialistes tels que Steiner et Sáez soutiennent que c’est le cas du double autoportrait de Schiele… Effectivement, la tradition littéraire du Doppelgänger implique un sentiment d’extase, le double extracorporel voyant dans le sujet principal des qualités que celui-ci ne peut pas voir ». Lori Anne Felton, [4], p 121
Les Prophètes, 1911
Les Prophètes (double auto-portrait)
Egon Schiele, 1911, Marlborough-Gerson Gallery, New York
Cet autre double auto-portait reproduit exactement la différence d’expression des yeux et de la bouche entre les deux visages, que Lori Anne Felton a certainement raison d’associer avec les deux verbes employés par Schiele dans sa lettre :
« Schiele dépeint le couple comme étant engagé dans deux actes distincts de vision, une figure «regardant» (schauen/daraufsehen) et une «voyant» (sehen / hineinschauen). La distinction est évidente dans Les Prophètes, où la figure de devant regarde latéralement d’un oeil paresseux, l’autre étant fermé, tandis que celle de derrière lève ses sourcils pour scruter ; et dans Les voyants de soi-même I, dans lequel la figure de devant cligne de l’oeil avec application, tandis que celle de l’arrière voit en profondeur et avec assurance. » Lori Anne Felton, [4], p 115
Die Selbstseher II, 1911
Les voyants de soi-même II (La Mort et l’Homme)
Die Selbstseher II (Tod und Mensch)
Egon Schiele, 1911, Léopold Museum Vienne
Le second titre a été choisi par Schiele lui-même comme pour induire en erreur le spectateurs ou commentateurs naïfs, qui s’appliquent à voir l’Homme dans la figure en couleur, et la Mort dans la figure en négatif.
Alors que si celle-ci est bien présente dans le tableau, c’est sous la forme inattendue du crâne à l’orbite énorme qui surgit du décor, pour peu que le spectateur réussisse à décaler son regard des yeux jumeaux qui le fixent. C’est à ce regard en biais vers la vérité des choses que Schiele veut nous accoutumer.
Un autre trucage magnifique est la main ouverte du premier plan, qui semble ne pouvoir appartenir à aucune des deux figures : ce serait donc la main droite du spectateur tentant de les repousser dans le tableau.
En fait il s’agit de l’avant-bras gauche (puisque vu dans le miroir) de la figure à l’habit noir, replié contre son épaule dans une pose désarticulée comme Schiele les affectionne.
Die Selbstseher I | Die Selbstseher II (inversé) |
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Tandis que Selbstseher I décrit un tentative de mimétisme entre deux Soi symbolisant deux modalités de la vision, Selbstseher II montre un Vivant les yeux bien ouverts, derrière lequel se blottit son double spirituel les yeux clos et effrayé, pourchassé par l’oeil vide de la Mort : regarder est le privilège du Corps inconscient de sa fin, tandis que l’Esprit ici tente de ne pas voir.
Lovis Corinth
Autoportrait avec un squelette, Lovis Corinth, 1896, Lenbachhaus, Münich.
Le squelette est à la fois pendu au crochet et crucifié sur le meneau de la verrière., sur fond de cheminées infernales. La stature imposante de l’artiste est postée devant le carreau entrouvert, comme pour empêcher la Mort de se répandre sur la ville.
L’artiste et la Mort I | L’artiste et la Mort II |
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Lovis Corinth, 1916
Après son accident vasculaire cérébral en 1911, Corinth reprend le thème en situation d’infériorité, coincé entre le squelette et le crâne de bouc.
Double portrait avec squelette
Corinth, 1916
Ici il décerne le squelette à l’amateur d’art, se réservant la couronne de lauriers et le trophée.
Lovis Corinth, 1922, portfolio Totendanz
Dans cette série de cinq gravures avec squelette, deux le placent à l’arrière-plan :
- derrière l’artiste, dont la montre-bracelet modernise le traditionnel sablier ;
- derrière le couple Hermann et Mally Struck (son professeur de gravure), protégés par la lecture de la Bible [6]
Ivo Saliger
Le Guerrier (Autoportrait en Chevalier avec la Mort)
Der Krieger (Selbstbildnis als Ritter mit dem Tod)
Ivo Saliger, gravure, 1917-18
La Première Guerre Mondiale a été l’occasion pour plusieurs artistes allemands de décliner de manière plus ou moins directe le thème du Chevalier et de la Mort, sous l’influence de la célèbre gravure de Dürer (Le Chevalier la Mort et le Diable, 1513) [6]
Saliger montre une fusion complète dans laquelle la Mort en armure blanche marche, comme une ombre inversée, derrière le chevalier en armure noire. Le motif de la tige sous le tissu unifie l’étendard de l’une et l’épée de l’autre.
Pierrot et la mort
Ivo Saliger, gravure, vers 1920
La paix revenue, Saliger s’amuse avec cet autre paradoxe, où la mort qui a peur de son ombre se blottit contre l’homme en blanc.
Saliger, qui poursuivait tranquillement ses études à l’Académie de Vienne pendant la Première Guerre Mondiale, est devenu plus tard un des peintres préférés d’Hitler, se spécialisant dans des nudités champêtres et des Saintes Vierges qui font regretter ses débuts [7].
Autoportrait avec la Mort, Max Pechstein, 1920 | Max Pechstein avant 1933, photographie Ewald Hoinkis |
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Même thème la même année, par un peintre « dégénéré » qui, lui, était ancien combattant. La Muse est fumeuse et la Mort charmeuse, essayant une perle au cou du peintre.
Autoportrait entre Muse et Mort
Iouri Pen, 1924, Museum of Vitiebsk.
Iouri Pen, le vieux maître de Chagall, est toujours resté fidèle au style réaliste. Il a ici 70 ans, et sera assassiné dans des circonstances mystérieuses en 1937.
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Autoportraits avec crâne, Andy Warhol, 1977, Andy Warhol Foundation
Le collage photographique ouvre une nouvelle manières de juxtaposer le mort et le vif.
Janssen
Série Hanno’s Tod, Dreiundzwanzig Selbstbildnisse zu einem Text von Thomas Mann aus den Buddenbrook, 1972
Blatt 9, série Hanno’s Tod, 1972 | 18.12.72 série Hanno’s Tod |
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18.12.72 série Hanno’s Tod |
Selbst, 19.12.72, série Hanno’s Tod,cc |
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15.12.72, série Hanno’s Tod,
Plusieurs gravures de cette série de 23 d’autoportraits gravés (tous créés en un peu moins d’une semaine, entre le 15 et le 21 décembre 1972) montrent une fusion plus ou moins prononcée de l’artiste avec un crâne. Bien que le nom du cycle vienne du personnage de Hanno Buddenbrook du roman de Mann, mort du typhus à l’âge de 15 ans, le crâne est bien celui de Horst Janssen et la décomposition/recomposition qu’il nous montre sous tous les angles est bien la sienne [8].
Selbst-im-bademantel 21 10 1974
Deux ans plus tard, cette composition à la Corinth commémore la série et suspend temporairement les exercices de fusion.
Ils reprennent en 1981-82
19-2-1982 | Affiche pour l’exposition de 2001 au musée d’Oldenburg |
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Hosrt Janssen
La virtuosité de Janssen remodèle dans tous les sens et dans tous les médias la vieille image germanique.
Self Portrait With Death Playing Fiddle
« Beard of Moss », 2012
Hommage à Böcklin par un blogueur anonyme.
http://www.totentanz-online.de/
http://www.lamortdanslart.com/
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