6 La fortune du disque digital
Si le passé du disque digital est obscur, sa postérité est maintenant assez connue : on trouve des exemples de ses deux variantes, digitale et palmaire, pratiquement sur quatre siècles.
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Résurgences du disque digital
Cas isolés
Dirk II et son épouse Hildegard demandent l’intercession de St. Adalbert, patron de l’abbaye d’Egmond
Evangéliaire d’Egmond, Gand, vers 975, Den Haag Koninklijke Bibliothek, 76 F 1, f. 215r
Seigneur le plus haut, je t’implore, compatissant, de conserver avec bienveillance ces personnes, qui t’ont continuellement servi d’une manière que l’on peut dire digne. |
Summe Deus rogito miserans conserva benigne, hos tibi quo iugitur formulari digne laborent |
Le mot summe est traduit graphiquement de deux manières :
- par la figuration du Seigneur en buste, qui accentue son gigantisme,
- par le disque digital minuscule, qui exprime l’incommensurable.
Evangéliaire de St Maximin de Trèves, vers 1000, BNF NAL 1541 fol 2r, Gallica
Ce Christ, malheureusement gâché par les rinceaux du verso qui ont traversé le parchemin, est à ma connaissance la seule survivance dans l’art ottonien d’un disque digital. L’absence des Evangélistes et l’inscription « REX REGUM (le Roi des Rois) » suggèrent que l’image habituelle des Majestas Dei carolingiennes a été reprise spécifiquement pour illustrer cette notion d’un pouvoir au dessus des autres. Le globe impérial étant omniprésent dans les représentations des empereurs ottoniens sur leur trône, le Christ sur son globe incarne cette autorité supérieure, et son disque devient l’emblème de ce REX au dessus des REGUM.
fol 1r |
fol 1v |
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Vitae sanctorum, 980-1009, BM Boulogne sur mer MS 106, IRHT
Ces deux pages recto-verso, en tête d’une Vie des Saints, ont pour particularité unique de confronter les deux images du Seigneur, sans disque et avec disque, Selon Bertram Colgrave [0], le fait que le Tétramorphe soit incomplet montre que le dessinateur de droite a du recopier une Majestas dei préexistante, en supprimant les Animaux du bas pour laisser place au Saint abbé avec sa crosse. Les deux dessins sont contemporains, mais de mains différentes. A mon avis, leur superposition exacte montre que l’image avec disque, la plus contrainte, a été réalisée d’abord, et que la seconde a été tracée dans un second temps, par transparence.
Les inscriptions n’aident pas à éclaircir la génèse de ces images : au 12ème siècle, une même main a rajouté une explication de part et d’autre :
- Côté « avec disque », « Bertinus abbas » identifie l’abbé comme étant Saint Bertin.
- Côté sans disque, « deus abraam et deus ysaac deus jacob » renvoie à Mathieu 22,32, un passage où le Christ parle du Jugement dernier.
Il est donc probable que la version sans disque ne correspond pas à une modernisation de l’original avec disque, mais plutôt au souci de montrer dos à dos deux aspects complémentaires du Seigneur :
- celui qui tient le disque et le livre marqué d’un Alpha (l’Omega est masqué par les doigts) est comme d’habitude le Dieu Sabbaoth, dans sa toute puissance cosmique ,
- celui qui élève la main droite est plutôt le Christ-Juge.
La composition la plus ancienne est plus pensée qu’il n’y paraît : tandis que le haut de l’image est ternaire, le bas est binaire : il met en balance les pieds du Saint posés sur une inflorescence à tête animale, et les pieds du Seigneur posés sur un globe très original contenant trois rangées de têtes, celles du haut étant nimbées. Pour Bertram Colgrave, il pourrait s’agir d’une représentation des Ames du Paradis, du Purgatoire et de l’Enfer.
Je pense pour ma part que les cloisons nuageuses signifient plutôt trois étages du Paradis, avec les Saints à l’étage supérieur, au plus près de Dieu. Sous la protection de l’Ange, le Saint portant son livre s’apprête à pénétrer, de plain-pied, en Première classe (flèches vertes). En haut, l’Evangéliste de l’Homme et l’Evangéliste de l’Aigle ne sont pas les résidus d’un Tétramorphe tronqué faute de place : ils servent à indiquer une séparation verticale de l’image, moitié humaine moitié divine.
Lectionnaire de l’office de l’abbaye S. Pierre de la Couture du Mans, 1100-20, Le Mans BM 214 fol 33v, IRHT
Dans ce manuscrit du siècle suivant, un empilement identique de têtes auréolées introduira la Vie de Saint Siméon.
Conçue comme frontispice d’une Vie des Saints, l’image en apparence maladroite du manuscrit de Boulogne se voulait la représentation générique de l’entrée d’un Saint au paradis. Une main plus concrète, ou plus intéressée, l’a au siècle suivant réduite à celle de Bertin, le Saint de l’Abbaye, dont la vie ne fait pourtant pas partie du recueil.
Saint Luc, fol 105v | Initiale Q, fol 106r |
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Les quatre Evangiles, vers 1000 , BNF Arsenal Ms-592
Cette figure apparaît à un emplacement inhabituel, à l’intérieur de l’initiale Q qui ouvre l’Evangile de Luc (« Quoniam quidem multi conati sunt »). Les initiales des trois autres Evangiles (L, I et I) sont purement décoratives : on peut penser que l’enlumineur a profité de la seule initiale circulaire pour y glisser un souvenir des Majestas Dei carolingiennes.
Mais l’idée est plus subtile : l’image divine forme un bifolium avec celle de l’évangéliste, qui lève les yeux vers elle en écrivant. Il s’agit ici d’un clin d’oeil à la particularité de Luc : il était peintre.
Christ en majesté (antependium de l’Autel de Deusdedit), vers 1000
Musée Fenaille, Rodez
Un autre exemple roman est ce fragment d’un devant d’autel, que les spécialistes n’hésitent plus à dater du tout début du XIème siècle [1], et sur lequel nous reviendrons plus loin (voir 3 Mandorle double symétrique).
Les « christs à l’hostie » tourangeaux
A peu de distance de Tours, ces Christs dits « à l’hostie » sont probablement une survivance du disque-monde mis au point par le scriptorium trois siècles plus tôt,
Abside de l’église de Parçay-Meslay, 12ème siècle
A Parçay-Meslay, le Christ est assis sur un trône à dossier ogival, devant une mandorle de forme lenticulaire.
Abside de l’église d’Areines, vers 1150
A Areines, le Christ a conservé le globe-siège carolingien, placé lui aussi devant la partie lenticulaire (sur ce type de mandorle double, voir 1 Mandorle double dissymétrique ).
La crypte de Saint Aignan sur Cher
Abside centrale de la crypte, église de Saint Aignan sur Cher, vers 1200
A Saint Aignan, la même formule s’insère dans une composition plus large, qui montre le recyclage du schéma régional au service d’une signification plus spécifique.
De sa main gauche, le Christ tend à Saint Jacques le Mineur une banderole portant une citation de sa propre épître :
Confessez donc vos fautes l’un à l’autre, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris; car la prière fervente du juste a beaucoup de puissance. Epitre de Saint Jacques 5, 16 |
(CONFITEMINI AL)TERUTRUM PEC(C)ATA |
On pense qu’il transmet ainsi à Saint Jacques le pouvoir de soigner les malades, dont l’un, tenant sa canne entre ses avant-bras, se prosterne devant le saint.
De l’autre côté, un cul de jatte avec ses fers rampe par antithèse vers les pieds du Christ. Derrière lui, un autre infirme se tourne vers Saint Pierre, une pièce de monnaie à la main droite.
Le geste de la main droite du Christ est très effacé, mais on devine qu’il tient au bout de ses doigts une autre pièce, exactement au centre d’une des ondulations de la mandorle. On pourrait croire qu’il la donne ou la reçoit de saint Pierre au travers de la mandorle, mais le fait que celui-ci élève la main néfaste, la gauche, exclut tout circuit financier direct.
Il faut lire la composition de manière symétrique (SCOOP !):
- à gauche, Saint Pierre reçoit, par la puissance de la « monnaie de Dieu », le pouvoir de recevoir des aumônes, et un malade en dépose une à ses pieds ;
- à droite, Saint Jacques reçoit, par la puissance du verbe, le pouvoir de guérir, et l’infirme lui donne sa béquille.
En Catalogne
La Bible de Ripoll
Vision d’Ezéchiel
Bible de Ripoll, 1027-1032, Vatican Vat.lat.5729 fol 208v
Selon W.Neuss [2], l’objet dans la main droite du Christ est un sceptre raccourci. Pour François Bougard [3], il s’agit du globe habituel, mais quadrilobé.
Il s’agit effectivement d’un jeu graphique : sa forme, faite de cinq disques, reprend en réduction le schéma de la scène (le médaillon divin entouré des quatre médaillons des anges), lequel évoque à son tour les roues d’Ezéchiel qui s’entrelacent au centre de la page.
La Bible de Roda
Frontispice du Livre de Josué
Bible de Roda, BNF Lat 6-1, 1050-1100, fol 89r Gallica
La figure bien connue est reprise ici pour illustrer le prologue, qui commence juste à côté. Dieu s’adresse en ces termes à Josué :
«Moïse, mon serviteur, est mort; maintenant lève-toi, passe ce Jourdain, toi et tout ce peuple, pour entrer dans le pays que je donne aux enfants d’Israël. Tout lieu que foulera la plante de votre pied, je vous l’ai donné, comme je l’ai dit à Moïse. … Que ce livre de la loi ne s’éloigne pas de ta bouche » Josué 1, 2-8
On voit bien le livre près des lèvres de Josué : cette volonté de coller au texte permet d’interpréter le disque digital, dans ce cas particulier, comme représentant le thème principal du prologue : non pas le monde en général, mais « le pays que je donne aux enfants d’Israël« .
Bannière de Saint Odon (Sant Ot) 1095-1122, Musée du textile, Barcelone | Antependium de Saint Martin d’Hix, 1125-50, MNAC, Barcelone |
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Ces deux Christs montrent le classique disque digital.
La bannière porte la signature de la réalisatrice, une certaine Elisabeth : ELI SAVA ME / F (E) CIT
Le devant d’autel ressemble beaucoup, dans sa composition, à celui de Rodez, avec la mandorle en huit et les lettres Alpha et Omega, mais sans la prolifération de cercles. Je reviens sur cette mandorle très particulière dans 4 Mandorle double pathologique.
Côté mozarabe
Deutéronome 33
1075-1100, Psautier mozarabe, BNF Smith-Lesouëf 2, vol 2 fol 77v
Du côté des chrétiens restés en terre musulmane, on ne connaît que cet exemple, qui accompagne les Bénédictions de Moïse :
« Il dit: Yahweh est venu de Sinaï, il s’est levé sur nous de Séïr, il a paru sur le mont Pharan, et des millions de saints avec lui ; il porte dans sa main droite la loi de feu. Il a aimé les peuples; tous les saints sont dans sa main, et ceux qui sont à ses pieds recevront ses instructions et sa parole Deutéronome 33, 2-3 |
Et ait Dominus de Sina venit et de Seir ortus est nobis apparuit de monte Pharan et cum eo sanctorum milia, in dextera eius ignea lex . Dilexit populos omnes, sancti in manu illius sunt, et qui adpropinquant pedibus eius accipient de doctrina illius » |
Sous la figure bien connue de la Gloire de Dieu, le copiste à rajouté le mont Pharan et les saints. Il a recyclé le disque digital pour illustrer ce que Dieu tient dans sa main droite : « la Loi de feu » et « tous les saints ».
A l’époque gothique
La prosternation des vieillards
Apocalypse, 1250-130,0 British Library Add MS 35166 fol 5v
Cette image très exceptionnelle illustre le passage suivant :
« les vingt-quatre vieillards se prosternent devant Celui qui est assis sur le trône, et adorent Celui qui vit aux siècles des siècles, et ils jettent leurs couronnes devant le trône, en disant » Vous êtes digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire et l’honneur, et la puissance » Apocalypse 4,10-11
Pour figurer la Toute Puissance et l’Eternité de Dieu, l’enlumineur recycle la vieille image du disque digital en le faisant passer dans la main gauche (puisque le texte précise que le Livre aux sept sceaux est tenu dans la main droite).
1255 – 1260, Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72), fol. 4v,The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
Cette autre Apocalypse anglo-normande de la même famille montre que le disque digital état bien conçu comme un globe terrestre, mais pas forcément compris par le lecteur : le copiste a cru bon de le rendre crucigère pour éviter toute ambiguïté.
Résurgences de la variante palmaire
Comme François Bougard l’a montré [3], cette formule revient à mettre l’accent sur le début du verset d’Isaïe : « pris les dimensions des cieux avec la paume« ; son étude comporte plusieurs exemples, j’en ai rajouté quelques autres qui se teintent d’une nuance particulière.
Ivoire espagnol
XIème siècle, collection privée (Goldschmidt vol IV, table XXXVI, fig 105) [4]
On ne sait rien sur cet ivoire isolé.
Saint Augustin, Errationnes in Psalmos, 1087, Valenciennes BM 39 fol 9, IRHT
Cette figure orne l’initiale D de « Domine Deus Misericordius ».
Une Majestas « détournée »
fol 9v | fol 10r |
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Libellus capitulorum, vers 1150,Abbaye de Zwiefalten, Wurttembergische Landesbibliothek – Cod.brev.128
La tradition des bifoliums des missels (voir 2 Une figure de l’Incommensurable ) se prolonge ici dans un contexte totalement différent : ces deux images, sorte de schémas synoptiques, viennent s’intercaler entre les tables de comput et le début des capitules (cours extraits de la Bible destinés à être intégrés dans les différents Offices).
L’image de droite, de type « Crucifixion« regroupe autour de la Croix, en plus des Quatre Evangélistes, les Quatre Fleuves du Paradis et les Quatre Vertus cardinales.
L’image de gauche, de type « Majestas dei », a comme à Auxerre un cadre composé des vingt quatre vieillards de l’Apocalypse, décrits par le texte en haut et en bas :
A l’entour du siège vint quatre vieillards avec leur cithare ayant |
in circuitu sedis viginta quatuor seniores cum citaris suis habentes |
Mais le centre de l’image est bien différent d’une Majestas habituelle. Dans les coins, les quatre Vivants ont laissé place à quatre figures allégoriques : les Ténèbres (tenebrae), la Lumière (lux), l’Hiver (hiems) et le Feu (ignis).
La mandorle s’enrichit de quinze têtes illustrant un verset de l’Apocalypse :
Et du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres Apocalypse 4,5 |
Et de throno procedunt fulgura et voces et tonitrua |
Les cinq têtes rouges évoquent donc les éclairs, puis les cinq têtes vertes à la bouche ouverte les voix, puis les cinq dernières le tonnerre.
Quant à la figure centrale, elle représente la Sagesse, comme l’indique le texte au dessus et en dessous :
La sagesse a bâti sa maison, elle a taillé ses sept colonnes. Proverbes 9,1 |
Sapientia aedificavit sibi domum excidit columnas septem |
D’où la muraille autour d’elle et les sept colonnes intérieures, que nous avons déjà rencontrées dans l’iconographie de la Psychomachie de Prudence (voir 5 L’âge d’or des Majestas).
Les gestes des mains, particulièrement originaux, sont expliqués par les textes latéraux :
Lui qui mesure le ciel de sa paume et enferme la terre dans sa paume. |
(Qui) celum palmo melitur (et) terram palmo concludit |
Faute de mieux, le copiste a imaginé cette forme fuselée dans la main droite pour représenter le ciel, tandis que le disque non plus digital, mais palmaire, représente comme d’habitude la Terre.
Le début de la Création de Dieu (Initium creaturae dei) (détail)
Liber Scivias, vers 1220, Universitätsbibliothek Heidelberg, Cod. Sal. X,16 fol 2r.
On retrouve la même opposition de forme pour le Ciel et la Terre dans cette autre image de la Création. On lit dans le cadre de la mandorle :
- à droite, en descendant, une citation du Sixième jour : « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici cela était très bon » (Genèse 1,31) ;
- à gauche, en remontant, une paraphrase du Septième : « Et Dieu se reposa le Septième jour de toute l’oeuvre qu’il avait faite » (Genèse 2,2) ;
L’extrait qui manque entre les deux versets est à lire directement dans l’image : « Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée » (Genèse 2,1)
L’armée est celle des anges qui peuplent les neuf arcades.
Psautier glosé
1140-45, Tours BM 93 fol 134, IRHT
Cette lettrine se rapporte au psaume suivant :
Au commencement tu as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains Psaume 102, 26 |
terram fundasti et opera manuum tuarum sunt caeli |
Dans la logique du texte, le globe vert et malléable devrait représenter la Terre environnée par le Ciel.
La Trinité
Sacramentaire à l’usage de Saint-Martin de Tours, 1170-1180 , Tours BM 193 fol 59, IRHT
Cette initiale ouvre la prière « Omnipotens sempiterne Deus » de la Fête de la Trinité.
Pour illustrer la Trinité, elle dédouble la figure habituelle de la Toute Puissance divine et rajoute la colombe entre les deux. Le Fils se situe « à la droite du Père », et les deux se différentient par leurs mains :
- la main droite du Fils, le Verbe, est levée en geste de prise de Parole ;
- la main gauche du Père, le Créateur, porte un globe cosmique vert.
Variantes du globe palmaire
Le globe céleste, dans une Ascension
Ascension du Christ, abside de San Pietro di Tuscania
Cette fresque, totalement détruite lors d’un tremblement de terre en 1971, montrait une Ascension très byzantinisante, entourée d’anges, avec les apôtres au registre inférieur. Dans l’iconographie habituelle de la scène, le Christ se contente de lever la main droite vers le Ciel pour indiquer sa destination. Le disque palmaire isaïen, dans sa version céleste, complète le propos.
Ascension du Christ
Vers 1050, Chiesa San Carlo Negrentino (Prugiasco), Tessin
Dans cette autre Ascension atypique italienne, le Christ lève sa main droite nue mais tient dans sa main gauche un objet annulaire. Il ne faut pas le confondre avec un disque palmaire : il s’agit simplement de la couronne d’épines, complétant la lance et le roseau de la Passion.
Psaume 109, Bibliothèque Ste Geneviève, MS 9 fol 229v, IRHT
L’illustrateur a remplacé la figure habituelle dite de la « Binité du Psautier » ( Le Fils siégeant à la droite du Père et piétinant les ennemis) par un autre sujet connexe, l’Ascension (qui précède immédiatement l’Intronisation du Christ auprès de son Père). Dans une mandorle porté par les anges, le Christ élève vers le ciel son globe doré, marqué des lettres alpha et omega : à la fois indication de sa destination (le Ciel) et symbole de sa domination sur les ennemis.
Le Monde repris au Démon.
De cette nuance rare, j’ai trouvé seulement deuxexemples isolés, qui ne suffisent pas à faire une tradition iconographique : voyons-y plutôt d’une trouvaille graphique réinventée sporadiquement.
Plaque de métal décorant le plat inférieur des Evangiles de Poussay
1000-50, provenant sans doute de Fulda, BNF Lat 10514
Cette plaque reprend l’iconographie paléochrétienne du Christ combattant, inspirée par le Psaume 91 :
« Tu marcheras sur le lion et sur l’aspic, tu fouleras le lionceau et le dragon. » Psaume 91,13
La nécessité de tenir la lance a fait passer dans la main gauche le monde chrétien, tenu à bonne distance des animaux infernaux.
Moralia in Job de Grégoire le Grand, début du chapitre XXXV, 1150, Tours BM MS 321 fol 330v, IRHT
Le dernier chapitre des Moralia in Job résume l’ensemble du livre par un dialogue entre les trois protagonistes, qui débute ainsi :
Ainsi, après que le Seigneur avait montré à son fidèle serviteur à quel point son ennemi, le Léviathan, était fort et rusé, et que celui-ci avait manifesté subtilement sa force et son habileté, le bienheureux Job répondit aux deux, en disant : (Job 42,2) Je sais que tu peux tout, et qu’aucune pensée ne t’est cachée. |
Igitur postquam fideli famulo Dominus Leviathan hostis eius quam sit et fortis et callidus ostendit, dum vires illius subtiliter fraudesque patefecit, beatus Iob ad utraque respondit, dicens: CAP. XLII, VERS. 2.—Scio quia omnia potes, et nulla te latet cogitatio. |
L’image montre en bas le diable avec son harpon : en haut Dieu met de la main droite le Monde hors de sa portée, et protège de la manche gauche le Livre .
Un cas unique : le globe dans une Parousie
Jugement universel de San Gregorio Nazianzieno, Pinacothèque du Vatican.
L’iconographie de ce panneau est si particulière que les datations s’étalent entre 1040 et 1250 [5].
Sceau de Heinrich III 1047-1056 [6] |
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Le Christ tient de la main gauche un étendard en forme de croix et élève un globe de la droite. Une des dernières études, celle de Suckale ([7], p 40) reconnaît dans cette posture l’iconographie impériale, et très précisément celle d’un sceau de l’empereur Heinrich III, ce qui permettrait de dater le panneau. Ce sceau est une des des très rares exceptions à la convention que le globe impérial germanique est porté dans la main gauche (voir 4 Disque digital, globe impérial).
Ce disque palmaire porte l’inscription :
Voilà que j’ai vaincu le monde Jean 16, 33 |
Ecce vici mundum |
Pour Suckale , le mot « mundus » serait à prendre ici dans son sens négatif (le Siècle, les choses temporelles) : le geste du Christ exprimerait donc sa victoire sur le Mal, ou bien le Monde sauvé du démon (ce qui nous ramènerait au cas précédent).
Deux attributs parousiaques (SCOOP !)
Remarquons que la citation est extraite d’un contexte très particulier : ces trois mots sont ceux qui concluent le discours de Jésus à ses disciples, dans lequel il leur promet son prompt retour, autrement dit la Parousie.
Un autre texte décrivant ce Retour est Matthieu 24,30 : « Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme », qui fait de la Croix un des éléments distinctifs de la Parousie.
L’iconographie impériale est donc reprise ici au service d’une idée bien précise : illustrer le Christ de la Parousie, portant d’une main « le signe du Fils de l’homme » et de l’autre les derniers mots de sa promesse.
Le registre inférieur illustre ce qui suit la Parousie : le Jugement, en présence des Apôtres :
« Je vous le dis en vérité, lorsque, au renouvellement, le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël. » Matthieu 19,27
Les deux archanges de part et d’autre de l’autel exhibent des panonceaux expliquant ce qui va attend les Bénis et les Maudits. De l’autre main ils tiennent un disque de verre qui, d’une certaine manière, contraste par sa transparence avec le disque doré du Christ. Ce globe est un attribut courant des archanges : il symbolise leur pouvoir militaire sur le cosmos, comme nous le verrons dans l’article suivant.
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