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Monthly Archives: novembre 2017

3.1 Une élaboration progressive

27 novembre 2017
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Un fait incontournable : le triptyque de Mérode n’a pas été conçu comme un tout, mais en trois étapes.



Un certain manque de cohérence

Des points de vue disparates

On a remarqué depuis longtemps un manque de cohérence d’ensemble :
⦁    à gauche, les donateurs et l’ange sont vus de plain pied ;
⦁    au centre et droite, Marie et Joseph sont montrés en vue plongeante.

Bien que le jardin du panneau de gauche  mène à la pièce de Marie, leur raccordement spatial pose problème :
⦁    la porte qu’on devine derrière l’ange ne coïncide pas avec le haut de l’escalier ;
⦁    à travers les deux oculus, on devrait voir le mur crénelé.


Des anomalies théologiques

Des traités de dévotion du début du XIVème siècle décrivent  la chambre de Marie comme hermétiquement close, à l’image de sa virginité, et l’Ange y pénétra dans passer par la porte

De même, les blasons du donateur et de la donatrice apposés sur la fenêtre centrale comme une marque de propriété jurent avec le caractère sacré de la chambre de Marie [1].


Un tableau de pélérinage ?

Ces anomalies ont conduit M.Botvinick [2] a considérer le triptyque comme le souvenir (ou le substitut) d’un pélérinage à un sanctuaire marial, très en vogue à l’époque. Il propose celui de Walsingham, en Angleterre, où l’on adorait une réplique de la Maison de Marie conservée à Lorette A côté de ce sanctuaire se trouvait un portail nommé Knight’s Gate, en souvenir du miracle d’un chevalier qui, poursuivi par des brigands, aurait été transporté avec son cheval à travers la porte.



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D’où, selon Botvinick, la présence du cheval blanc que l’on voit derrière la porte.


Une comparaison éclairante

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Triptyque de Latour D’Auvergne, vers 1497, North Carolina Museum of Art

A contrario, ce triptiyque montre la symétrie inhérente au thème de l’Annonciation avec donateur et donatrice : Jean et Jeanne de Latour d’Auvergne, sont placés, côté Ange et côté Vierge, à côté de leurs Saints patrons : Saint Jean Baptiste (celui qui annonce, comme l’Ange) et Saint Jean l’Evangéliste (celui qui assiste aux apparitions, comme Marie). La perspective centrale accentue cette volonté de symétrie, qui contraste de manière éclatante avec la scénographie bricolée du retable de Mérode : situer la scène dans un pavillon ouvert des deux côtés (tout en conservant le mur du fond et l’archaïsme des rayons passant par la fenêtre)  résout tous les problèmes de discontinuité.

Une évolution en trois temps

L’explication de ces anomalies est qu’il s’agissait d’un retable de dévotion privée, donc plus libre d’échapper à l’iconographie traditionnelle. Et que, de plus, il n’a pas été conçu comme un tout.

L’étude technique a montré que le bois du panneau central a été coupé 25 ans avant celui des panneaux latéraux. De plus, dans le panneau de gauche, la donatrice et le messager ont été rajoutés plus tard (la radiographie montre la trace de la pelouse en desoous).. On s’accorde désormais sur une évolution en trois temps [3], p 198.



Merode_Premier Etat

Premier état

Le panneau central a été peint d’abord : il s’agissait probablement d’une Annonciation autonome, une oeuvre de l’atelier de Campin comparable (et probablement postérieure) à celle qui se trouve aujourd’hui au musée de Bruxelles (voir 4.2 L’Annonciation de Bruxelles). La fenêtre et les deux oculus [4] présentaient un fond doré (en fait un métal recouvert d’un glacis jaune), que les deux fenêtres du panneau de Bruxelles ont conservé.



Merode_Deuxieme Etat

Deuxième état

Dans un second temps, le panneau a été acheté par un commanditaire, qui a fait rajouter  le côté gauche avec lui-même agenouillé et le volet droit avec Saint Joseph. Une symétrie flagrante s’institue entre les deux personnages latéraux : le donateur, debout tête découverte  en extérieur , et Saint Joseph, assis tête nue dans l’atelier.
En même temps,dans le panneau central, on a recouvert le fond d’or par le ciel et les nuages, afin d’assurer une continuité avec les deux autres panneaux. Le tableau religieux se trouve ainsi personnalisé et actualisé dans le présent d’une ville flamande

MerodeComplet_GAP
Etat final

Dans un troisième temps, possiblement à l’occasion du mariage du donateur, on a rajouté dans le panneau de gauche, simultanément, son épouse et le messager.

Le moment de l’ajout des armoiries des vitraux n’est pas connu. Il n’est pas exclu que les armoiries visibles actuellement ne recouvrent des armoiries plus anciennes.



Une identification incertaine

Merode_armoiries

En 1898, Tschudi découvrit que les armes de l’écusson de gauche (traditionnellement celui du mari) étaient celles d’une famille bourgeoise de Malines (Mechelen) , les Engelbrechts. Il se trouve qu’étymologiquement, Engel-brecht signifie « L’ange apporte », ce qui pourrait expliquer une dévotion particulière pour l’Annonciation. Cependant, cette forme d’armoirie des Engelbrechts (deux anneaux de chaîne), qui rappelle l’emprisonnement de Peter Engelbrechts, à Cologne, n’est attestée qu’après 1450. Ce qui signifierait  qu’elles ont été ajoutées longtemps après la réalisation du triptyque.



Le blason de droite (trois cercles) n’a pas été identifié. Du coup, sur l’identification du couple, plusieurs théories s’opposent. Pour A.Châtelet (1996) il s’agirait de Yan Imbrechts et Elisabeth Van Bergen, morte en 1421 : le triptyque ayant été achevé plus tard, il s’agirait d’une sorte de mémorial, ce qu’aucun détail ne confirme. Pour Installé (1992) et Thürlemann (1995), il s’agirait de Peter Engelbrechts de Cologne et Malines, qui fut marié trois fois. Entre 1425 et 1428, son épouse était Gretgin Schrinmechers, ce qui signifie littéralement « ébéniste » et pourrait, par un deuxième jeu sur le nom, expliquer le choix de Saint Joseph le charpentier pour compléter le triptyque.  Selon Thürlemann, la donatrice rajoutée postérieurement  serait la seconde femme de Peter, Heylwich Bille, vers 1456. Mais son vêtement reste celui d’une femme des années 1420, et il n’y a pas de lien avec le second blason.


Un écho des armoiries (SCOOP !)

Merode echo armoiries
Les marques de la lame de la scie et de la hache, une croix et trois cercles, semblent rappeler les armoiries du panneau central (la croix,  instrument de supplice, pouvant être un équivalent de la chaîne qui symbolise l’emprisonnement). Ceci  milite en faveur du fait que le volet Joseph ait été rajouté en même temps que ces armoiries.


Un peintre ou deux peintres ?

Merode_trous

Le peintre qui a rajouté le  volet droit semble être différent du peintre du panneau central : on a remarqué notamment que les trous du parefeu sont peints avec moins de précision que ceux de la planche (qui présentent un reflet lumineux sur le bord) .

Cependant, ces différences  peuvent aussi être dûes à l’ambiance lumineuse très différente entre la chambre de Marie, éclairée comme par un flash, et l’atelier de Joseph dans la pénombre.



Merode Dijon tete Joseph
Le peintre du volet droit est par ailleurs très proche par le style de celui de la Nativité de Dijon (voir 1 Soleil en Décembre).


Une explication stimulante

Dans un livre récent [5], Lynn F. Jacobs explique que, comme dans d’autres triptyques de la même époque,  le panneau central était une oeuvre d’atelier, standardisée, réalisée hors de  toute commande. Les volets latéraux, plus personnalisés, ont été réalisés sur commande, au moment où le panneau central a trouvé acquéreur : on a alors supprimé le fond d’or standard et rajouté  les armoiries.

Lynn F. Jacobs analyse également les anomalies de raccord entre le panneau gauche et la chambre :

  • côté jardin, la porte qui peut être lue comme gênant la montée et la vision du donateur, ce qui en fait un seuil paradoxal qui à la fois donne et refuse l’accès à la chambre close de l’Annonciation ;
  • côté chambre, l’entrée est peu visible et semble en surplomb par rapport au palier.

Pour l’auteur, ces anomalies sont volontaires et soulignent le caractère surnaturel de ce seuil très particulier, différent des deux autres seuils du retable : le portail de gauche et la porte de l’atelier de Joseph.Nous arriverons à une conclusion similaire par un autre axe d’analyse (4.1 Une interprétation élémentaire)


Un développement harmonieux

Intro Messager Donateur

Quels qu’ils soient, les différents peintres qui se sont succédé ont fait de leur mieux  pour maintenir une cohérence d’ensemble : c’est ainsi par exemple que la bourse du donateur fait écho à la bourse de l’ange, celle qu’il vient de déposer sur la table ; de même, le peintre qui a ensuite rajouté le messager a pris soin de lui faire tenir son chapeau entre les mains, tout comme le donateur. Inutile donc de chercher une intention  profonde sous ce jeu d’imitations successives.



A la recherche d’une interprétation qui se dérobe

En réaction aux abus interprétatifs du symbolisme caché, la dernière  génération d’historiens d’art a tendance a mettre l’accent sur la construction hétéroclite du retable, et à manifester son scepticisme sur la nécessité d’un décryptage :

« Ce processus de composition par étapes a apparemment conduit à des anomalies iconographiques qui réfutent toute intention sérieuse, de la part de l’artiste ou de son patron, pour produire une image comportant un contenu symbolique cohérent, fut-il caché ou pas » [1], p 5

L’époque des interprétations d’ensemble, comme l’avaient tentée Minott, Gottlieb ou  Hahn, est-elle définitivement révolue ?  Pas nécessairement, car au moment de l’ajout des  panneaux latéraux , un programme iconographique a très bien pu être conçu pour prolonger et expliciter la symbolique du panneau central.

Il est clair néanmoins que la prise en compte de cette genèse progressive est indispensable  pour toute interprétation globale, ce qui remet fortement en cause les tentatives précédentes.


sb-line
Les limites de l’interprétation de Minott  (2.3 1969 : Minott épuise Isaïe)

La bougie qui fume est le seul élément du panneau central que Minott ait pu rattacher à un verset d’Isaïe. Comme ce panneau a été réalisé de manière autonome, on est obligé de conclure que la bougie n’a rien à voir avec Isaïe. Par contre, il reste possible que le programme iconographique ait prévu, à l’occasion de l’adjonction du volet Saint Joseph,  de rajouter dans celui-ci le thème d’Isaïe, classique dans les Annonciations.

Il reste même possible que, lors de la troisième étape, l’adjonction du messager dans le panneau de gauche n’ait pas eu seulement pour but, comme le pense Nickel, de créer un trio profane en balance du trio sacré : et s’il s’agissait, à nouveau, de renforcer, mais cette fois sur la gauche, le thème d’Isaïe ?

En revanche, l’interprétation d’ensemble selon la théorie de l’Avent semble sérieusement compromise.


sb-line

Les limites de l’interprétation de Hahn (2.5 1986 Hahn : Joseph père de famille)

Pour Hahn, le parefeu et la cheminée vide, dans le panneau central,  sont des symboles de la chasteté de Joseph : faut-il renoncer à cette interprétation, qui semble pourtant assez convaincante ?

Il se trouve que la cheminée vide, avec ses figurines d’homme et de femme, existe dans les deux Annonciations, celle de Mérode et celle de Bruxelles. La cheminée est éteinte puisque nous sommes le 25 mars, au moment de l’Annonciation



Saint Famille Clasisses Puy Bartemely d'Eyck 1432
Saint Famille, Barthelemy d’Eyck, 1432, Cathédrale du Puy

Après l’hiver, pour éviter la saleté et les courants d’air, on fermait les cheminées par des panneaux de bois, comme on le voit sur ce tableau contemporain du retable de Mérode [6].



Loyset Liedet Mystere de la Vengeance 1465 British Library
Mystère de la Vengeance
Loyset Liédet ,1465, British Library

Même fermée, la cheminée restait un point d’accès favori pour le Diable.



F192-a-weyden-annonciation detail

Annonciation
Van der Weyden, vers 1440, Louvre, Paris
Cliquer pour voir l’ensemble

Aussi, Van de Weyden a bien pris soin de montrer les deux verrous qui la bloquent, et de la frapper au milieu d’une grande croix pour plus de sécurité (à noter que le banc ici n’est pas tournis, et qu’il comporte quatre lions).



Merode cheminee
La cheminée du retable de Mérode, intentionnellement montrée ouverte et sale, symbolise assez clairement la sexualité des couples ordinaires, opposée à la virginité de Marie, et n’a rien a voir avec Joseph.  C’est donc abusivement  que Hahn peut interpréter la cheminée éteinte comme le symbole de sa sexualité éteinte.


Merode Bruxelles parefeu brosse

De même, il existe un objet qui contrebalance la dangerosité de la cheminée : dans le retable de Mérode, le parefeu protège contre les flammes ; dans le panneau de Bruxelles,  la brosse pendue au mur fait barrage à la poussière et à la suie. C’est donc là encore une coïncidence heureuse qui transformerait le parefeu préexistant en emblème de la chasteté de Joseph. En revanche, il est parfaitement possible  qu’on ait a eu l’idée, postérieurement, de rajouter entre les mains de Joseph la planche à trous, pour faire visuellement pendant au  parefeu .

Dernière limite, et non la moindre,  de l’interprétation de Hahn : pour  sa théorie des trois critères du  mariage chrétien, elle n’utilise que des éléments du panneau central : le minuscule Enfant Jésus à l’appui du critère  « proles », le lys et la cheminée/parefeu à l’appui du critère « fides »,  la partie lavabo  à l’appui du critère « sacramentum ». Or cette théorie du mariage ne prend son sens  qu’avec l’adjonction de Saint Joseph lors de la deuxième étape, puis de l’épouse du donateur lors de la troisième. Il semble impossible qu’une théorie aussi complexe ait été contenue en germe dans le panneau central, à l’insu du peintre lui-même, et se soit vue magiquement actualisée lors des deux adjonctions successives.



Les conditions d’une interprétation d’ensemble

Nous avons maintenant deux conditions simples que toute interprétation se doit de respecter.  S’il existe un thème d’ensemble :
⦁    il ne peut avoir été introduit qu’au moment de l’adjonction des panneaux latéraux ;
⦁    il ne peut que développer et expliciter un thème qui était déjà présent dans le panneau central.



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Références :
[1] Falkenburg, Reindert L. « The Household of the Soul: Conformity in the ‘Merode Triptych’. » In Early Netherlandish Painting at the Crossroads: A Critical Look at Current Methodologies, edited by Maryan W. Ainsworth. New York: The Metropolitan Museum of Art, 2001.http://www.academia.edu/5166635/The_Household_of_the_Soul_Conformity_in_the_Merode_Triptych
[2] Botvinick, Matthew. « The Painting as Pilgrimage: Traces of a Subtext in the Work of Campin and His Contemporaries. » Art History 15 (March 1992). pp. 2, 6–18
[3] « The master of Flémalle and Rogier van der Weyden : an exhibition », Kemperdick, Stephan, Sander, Jochen, Frankfurt am Main, Städel Museum, 2009
[4] Il y a ici une ambiguité amusante. Dans l’article du restaurateur (W SUHR The restoration of merode altarpiece – The Metropolitan Museum of Art
https://www.metmuseum.org/pubs/bulletins/1/pdf/3257689.pdf.bannered.pdf ) il est question des trois fenêtres du panneau central. La plupart des historiens d’art comprennent : les trois ouvertures de la fenêtre du fond. Carla Gottlieb comprend, quant à elle, la fenêtre du fond plus les deux oculus, ce qui me semble plus logique.
[5] « Opening Doors: The Early Netherlandish Triptych Reinterpreted », Lynn F. Jacobs, Penn State Press, 2012, p 48 et ss
https://books.google.fr/books?id=JiMIJEexMFsC&pg=PA297&lpg=PA297&dq=Tolnay,+Charles+de.+%22L%27autel+M%C3%A9rode+du+Maitre+de+Fl%C3%A9malle.%22&source=bl&ots=dOLYVRgfwM&sig=kGYmthLiPCYEQtcnCgesIHMv2tA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiYvIaoosDXAhVMuBoKHUfPDbcQ6AEIPTAF#v=onepage&q=m%C3%A9rode&f=false
[6] Dans ce tableau, on n’a pas manqué d’interpréter le chapeau coiffant le bougeoir comme le symbole du renoncement de Joseph à la sexualité masculine( voir Patricia Lea’, “CLEAN HANDS ARE NOT ENOUGH: LECTIO DIVINA FOR NOVICES IN THE MÉRODE ANNUNCIATION”, p 20). Une interprétation plus plausible est que ce type de grand chapeau de paille était le symbole du voyageur : accrocher son chapeau au bougeoir signifie tout simplement la fin du voyae périlleux de la Sainte Famille en Egypte.

2.5 1986 Hahn : Joseph père de famille

26 novembre 2017
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Cynthia Hahn [1] est la dernière à avoir proposé une lecture d’ensemble du triptyque. Voici comment elle résume elle-même son article :

« L’interprétation du Triptyque de Mérode  a toujours présenté des difficultés. En particulier, les chercheurs se sont concentrés sur le panneau de droite, mais n’ont jamais complètement expliqué la raison  de la présence de Joseph. Dans cet essai, la métaphore de Saint Ambroise de l’Artisan de l’âme nous permet de comprendre Joseph comme une figure de Dieu le Père dans la Trinité Terrestre de la Sainte Famille. Plutôt que de reposer sur une série d’objets au «symbolisme caché» dans un ensemble mal défini, la composition du triptyque est basée sur la compréhension contemporaine des thèmes universels du mariage et de la famille. Les objets ne prennent une signification extra-naturelle que dans le modèle bien structuré de la dévotion à la Sainte Famille. »



Le Jardin du paradis, réouvert par la pureté de Marie qui rachète le péché d'Eve

X

Le Jardin du paradis, réouvert par la pureté de Marie qui rachète le péché d'Eve

Le couple aspirant à l'Ideal du Mariage Chrétien

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Le couple aspirant à l'Ideal du Mariage Chrétien

La Progéniture (proles), premier critère du mariage chrétien

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La Progéniture (proles), premier critère du mariage chrétien

Les accessoires nécessaires pour le sacrement (sacramentum), troisième critère du mariage chrétien

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Les accessoires nécessaires pour le sacrement (sacramentum), troisième critère du mariage chrétien

La pureté de Marie, summum de la fidélité (fides), troisième critère du mariage chrétien

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La pureté de Marie, summum de la fidélité (fides), troisième critère du mariage chrétien

Un cierge de mariage

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Un cierge de mariage

Marie étudiant, image de la Sainte Famille laborieuse

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Marie étudiant, image de la Sainte Famille laborieuse

Un couple soumis aux tourments de la luxure, par opposition au mariage chrétien

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Un couple soumis aux tourments de la luxure, par opposition au mariage chrétien

Le feu éteint et le parefeu représentent la pureté actuelle de Joseph, summum de la fidélité (fides), troisième critère du mariage chrétien

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parefeu représentent la pureté actuelle de Joseph, summum de la fidélité (fides), troisième critère du mariage chrétien

Même interprétation que Schapiro

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Même interprétation que Schapiro

Un second parefeu

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Un second parefeu

Les outils de l'Artisan de l'Ame

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Les outils de l'Artisan de l'Ame

En Joseph se superposent les figures du Dieu le Père (le bon artisan), du bon Travailleur et du Mari idéal, pivot de la Trinité Terrestre (Joseph, Jésus, Marie) qui décalque ici-bas la Trinité Céleste (le Père, le Fils, le Saint Esprit).

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En Joseph se superposent les figures du Dieu le Père (le bon artisan), du bon Travailleur et du Mari idéal, pivot de la Trinité Terrestre (Joseph, Jésus, Marie) qui décalque ici-bas la Trinité Céleste (le Père, le Fils, le Saint Esprit).

 Synthèse de cette interprétation (Balayer pour voir les légendes.)



Joseph : une figure positive

Pour Minott (voir 2.3 1969 : Minott épuise Isaïe), la hache, la scie et le bâton renvoient au verset 10:15 d’Isaïe. dont le commentaire par Saint Jérôme conduit à la vision noire du panneau droit – l’atelier hanté par la présence du démon. Pour C.Hahn, la source est plutôt à chercher dans le « Commentaire de  Luc » par Saint Ambroise, qui présente Joseph comme une image du Dieu Créateur :

« Il n’est pas de trop d’expliquer pourquoi il (Jésus) eut comme père un artisan. Par cette image en effet, il montrait qu’il avait pour père l’Artisan de toute chose, celui qui a créé la terre… Même si l’humain n’est pas comparable au divin, le symbole est parfait, car le Père du Christ travaille par le feu et par l’esprit (Matthieu 3:11) et, comme un bon artisan de l’âme, il nous élague de nos vices, il porte sa hache sur les arbres stériles, il coupe ce qui est sans valeur, conservant les pousses bien formées, il amollit dans le feux de l’esprit la rigidité des âmes, et il façonne l’humanité par différentes sortes de ministères, pour différents usages ».

Manière polie de contredire sans le dire un docte prédécesseur :

« Comme Minott l’a démontré, les outils ne sont pas  seulement ceux d’un charpentier ordinaire, mais aussi ceux du céleste artisan. Cependant, ils  ne sont pas diaboliques comme chez Saint Jérôme, mais les moyens du salut comme chez Saint Ambroise ».


Heures de Catherine de Cleves MS M.917, pp. 146–149
C.Hahn remarque d’ailleurs avec raison que la « hache » du panneau droit est en fait une « doloire« , utilisée pour l’équarrissage et non pour la coupe, comme on le voit dans cette miniature des Heures de Catherine de Clèves.



Joseph et le feu

Au XVème siècle, Joseph devient une figure positive, un modèle de vertu et de perfection. Dans le triptyque de Mérode, la planche qu’il troue est un parefeu, accointance avec le feu qui renvoie encore une fois au texte de Saint Ambroise.

A l’appui de cette accointance, C.Hahn cite une prière de l’Office de Saint Joseph de Liège :

« Oh modèle de pureté, Joseph le juste, enflamme notre coeur de l’amour de Dieu et  par tes prières, éteins les flammes de nos vices de sorte que le feu de l’impureté ne nous traîne pas sur terre et que nous puissions vivre chastement ».

Si dans l’iconographie Joseph est souvent associé au feu ou à une cheminée, c’est parce que sa chasteté était vue comme un contrôle du feu du désir, « la concupiscence charnelle de la chair corrompue », la « fournaise ardente » selon l’expression du théologien Gerson.



Merode_cheminee_GAP

« La cheminée du Triptyque de Mérode, maintenant vide mais montrant les traces de feux passés, suggère une métaphore  à la fois du contrôle du désir et de sa présence passée. Les figurines d’homme et de femme sculptées des deux côtés du manteau semblent encore souffrir des flammes, se tordant, tournant et grimaçant. La culotte serrée de l’homme, le geste des mains de la femme relevant sa jupe entre ses jambes, soulignent l’aine des deux personnages, d’une manière comparable aux images de la Luxure. Ces figurines pourraient représenter le mariage avant la grâce, le pôle opposé de la chasteté  digne et parfaite du couple sacré, qui contrôle le feu dévorant du désir et n’est pas dérangé par ses flammes ». C.Hahn, p 61

Pour Schapiro et Arasse, la fabrication du parefeu serait le déplacement symbolique d’une sexualité contrariée. Pour C.Hahn, c’est plutôt « la démonstration et le modèle de la chasteté de Joseph« .

Conclusion de cette première partie  :

« Le sujet de dévotion présenté par le triptyque de Mérode n’est pas l’Annonciation seule, ni Marie ou Joseph pris individuellement, mais l’unité de  la famille, en l’occurrence la Sainte Famille. L’élévation de Joseph à un nouveau stade de dignité, à travers le renouveau de son culte et son statut comme figure de Dieu le Père et Artisan de l’Ame, lui confère la place cruciale de chef de cette famille et d’époux de Marie, dans une vision sanctifiée du mariage ».



Le mariage dans le triptyque

Le thème du mariage dans le triptyque avait déjà été pressenti par plusieurs historiens d’art :
⦁    être témoin de l’événement dans la chambre de l’Annonciation était, pour les donateurs, « la plus haute forme imaginable d’instruction matrimoniale » (Schapiro et Heckscher) ;
⦁    le cierge pourrait être un cierge de mariage (Snyder)

C.Hahn rappelle que, pour les théologiens,  un mariage chrétien valide repose sur trois critères, qu’elle repère tous trois dans le tableau :
⦁    proles (la progéniture) : le petit Enfant Jésus ;
⦁   fides (la fidélité) : elle se trouve ici porté au summum dans la virginité de Marie (le lys blanc) et dans celle de Joseph (cheminée sans feu et avec parefeu)
⦁    sacramentum (le sacrement) : le lavabo, le bassin et la serviette sont présents dans les sacristies médiévales (voir 2.4 1970 : Gottlieb explique tout (ou presque) ).

Ils illustreraient ici l’idée que l’Annonciation représente le mariage entre Jésus et l’Eglise, symbolisée par Marie et son livre.

Elle relève ensuite les nombreuses relations entre l’Annonciation et le mariage à la fin du Moyen Age. A cette époque apparaît aussi le thème de la vertu par le  travail : Joseph à ses outils, et Marie dans son étude des textes, sont montrés dans leurs vertueuses occupations de tous les jours. Jésus arrivant sur son rayon complète la Sainte Famille, dont une prière (dans la Légende Dorée) rappelle les trois fonctions :

« Joseph vous perfectionnera, Marie vous éclairera et Jésus vous sauvera ».

Ainsi, le triptyque illustre le thème de la  « Trinité Terrestre » de Gerson, Joseph reprenant ici-bas les prérogatives de Dieu le Père.


Le jardin du Paradis

Pour C.Hahn, le jardin, avec ses portes ouvertes,  ne peut  pas être le jardin clos (hortus conclusus) qui est un des emblèmes de Marie. Il représenterait plutôt, avec ses oiseaux et ses roses, le retour au jardin du paradis que permet le mariage chrétien,  Marie rachetant par sa pureté le péché d’Eve et Joseph celui d’Adam.


giovanni di paolo annunciation c. 1435 national gallery washington
Annonciation, Giovanni di Paolo,  c. 1435, National Gallery, Washington

La composition serait analogue à celle de Giovanni de Paolo, avec Joseph à droite et le jardin du paradis à gauche. Remplaçant Adam et Eve, le couple des donateurs représente l’humanité tout entière réadmise au paradis ; mais aussi tout couple chrétien désireux de prendre pour modèle le mariage idéal de Marie et de Joseph.

En conclusion « Marie et Joseph assument simultanément leur rôle mondain et sacré, et les objets autour d’eux focalisent l’intérêt, mais aussi ouvrent l’esprit à des vérités théologiques universelles. Ainsi, les objets tels que la souricière, la hache ou le lavabo, proposent à la méditation un chemin, un continuum, entre ce monde et sa signification céleste ».



Ce que j’en pense

C.Hahn réussit le tour de force de synthétiser l’essentiel des apports de ses devanciers, et de proposer une lecture très cohérente de l’ensemble, étayée sur des idées nouvelles à l’époque : la réévaluation positive du rôle de Joseph, le thème de la Trinité Terrestre, la valorisation du travail et de la cellule familiale.

Elle abandonne définitivement l’identification de la planche à trous avec un élément de pressoir (Lavine) et y voit un second parefeu, symbole de la pureté de Joseph. Elle fait un sort un peu trop définitif à mon goût à l’interprétation de Minott : exit Isaïe, exit  le Diable. Et  ne propose pas d’explication alternative pour l’homme près de la porte, ainsi que pour la bougie qui fume.

La mise en valeur de Joseph comme Bon Artisan et  Pater Familias n’est pas inconciliable, selon moi, avec sa face obscure : c’est tout de même un fabricant de souricières, quelqu’un  qui ose prendre au piège le démon.

Concernant le jardin, C.Hahn a raison de souligner cette évidence qu’il ne peut être l’« hortus conclusus » de Marie.  Mais  cette cour entre deux portes ouvertes n’est selon moi ni assez fleurie ni feuillue pour en faire un paradis plausible.

En conclusion : en privilégiant le thème de la Sainte Famille et de la Trinité Terrestre, C.Hahn d’une part minimise le côté « démoniaque » du personnage de Joseph, et d’autre part force l’interprétation du triptyque en en faisant une démonstration théologique des trois critères du mariage chrétien. Si le thème du mariage n’est pas absent (à preuve les donateurs), le thème principal reste, comme l’avait pressenti Minott, l’instant d’avant l’Annonciation et les mystères de l’Incarnation.



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Références :

[1] ‘Joseph Will Perfect, Mary Enlighten and Jesus Save Thee’: The Holy Family as Marriage Model in the Mérode Triptych, Cynthia Hahn, The Art Bulletin, Vol. 68, No. 1 (Mar., 1986), pp. 54-66 https://www.jstor.org/stable/3050863

2.4 1970 : Gottlieb explique tout (ou presque)

26 novembre 2017
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L’article de Carla Gottlieb [1] fait date en tant que monument (certains diraient caricature) du symbolisme déguisé, avec une débauche de citations tous azimuts et de placages forcés. Il vaut la peine d’en résumer les grandes lignes, car certaines de ses intuitions peuvent encore  servir.


L'artiste

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L'artiste

La porte et la clé du Paradis

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La porte et la clé du Paradis

Les marches montant vers l'autel

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Les marches montant vers l'autel

La nature humaine de Jésus

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La nature humaine de Jésus

La nature divine de Jésus

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La nature divine de Jésus

Piscine liturgique

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Piscine liturgique

Ange habillé en diacre

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Ange habillé en diacre

Table d'autel

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Table d'autel

La couche de la Bien Aimée

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La couche de la Bien Aimée

La chambre de la Bien Ailée (poutres en cèdre)

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La chambre de la Bien Ailée (poutres en cèdre)

La chambre de la Bien Ailée (jalousie)

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La chambre de la Bien Ailée (jalousie)

Arrivée du printemps, mariage de Dieu et de la Vierge, ère de la Loi et ère de la Grâce

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Arrivée du printemps, mariage de Dieu et de la Vierge, ère de la Loi et ère de la Grâce

Petits renards du Cantique des Cantiques

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Petits renards du Cantique des Cantiques

Enfant Jésus, célébrant de sa propre messe.

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Enfant Jésus, célébrant de sa propre messe.

 Synthèse de cette interprétation (Balayer pour voir les légendes.)



Panneau de gauche

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La porte ouverte est celle du Paradis, réouverte au moment de l’Incarnation : elle symbolise aussi la Rédemption (p 67).

La seconde clé (dont la forme ressemble peut-être au monogramme IHC du Christ) représente Jésus en tant que clé du Paradis (p 68).

Le jardin, qui est le hortus conclusus deMarie, est aussi le Jardin du Paradis. Le vieillard près de la porte est l’artiste, récompensé pour sa piété. (p 73).


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La chambre de Marie est une Eglise

Piscine de Choeur
L’ensemble constitué par la niche, le bassin et la serviette est une « piscina », la fontaine liturgique qui servait aux ablutions du prêtre durant la messe. Ce n’est pas un symbole de la pureté de Marie, mais de la rédemption apportée par Jésus (p 65).

La table est une table d’autel, portant les objets de la liturgie. Mais à ce stade elle est encore  hébraïque (ses seize côtés représentant les seize prophètes de l’Ancien Testament). Les trois marches sont celles qui, dans une église, montent vers le niveau de l’autel (p 73).

L’ange porte les habits liturgiques d’un diacre (l’aube et l’étole), qui assiste le célébrant lors de la messe. Ici, le célébrant n’est autre que l’Enfant-Jésus lui-même, portant sa croix et transformant le temple juif en église chrétienne (p 74).


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La chambre de Marie est un Tabernacle

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Prêtre bénissant un tabernacle,
Ms 565, f. 168, Pontifical romain à l’usage de Vienne, Bibliothèque municipale de Lyon,

L’évènement unique de l’Incarnation étant récapitulée quotidiennement dans l’Eucharistie, on peut considérer que la chambre de Marie est également le tabernacle dans lequel s’opère la Transubstanciation. Le tabernacle est également un symbole du ventre de Marie (p 75).

Bon. Mais cela n’explique pas tout.


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La chambre de Marie est  celle du Cantique des Cantiques

La fiancee et son bien-aime, le Cantique des Cantiques, illustrateur de la bible historiale de Petrus Cosmetor, Bible historiale, 1342, France, musee Meermanno Westreeianum, La Haye

La fiancee et son bien-aime, le Cantique des Cantiques,
Bible historiale de Petrus Cosmetor, 1342, France, musee Meermanno Westreeianum, La Haye.

Ce texte biblique  (interprété au Moyen Age comme le mariage du Christ et de l’Eglise) précise que, dans la chambre de l’Epouse, les poutres sont en cèdre, les chevrons en cyprès. et les fenêtres sont munies de jalousies. A travers elles, le Fiancé (le Christ) contemple sa bien-aimée (l’Eglise, ou encore Marie). (p 77).

Les deux oculus représentent les deux natures de Jésus : sa nature divine, non manifestée dans celui du fond ; sa nature humaine dans celui de devant, avec l’homoncule (p 78).

La fenêtre derrière Marie représente (p 79) :

  • côté volet fermé, le Fiancé Céleste caché aux yeux des mortels ;
  • côté jalousie, le Fiancé Céleste qui reluque la Fiancée.

Voilà donc qui explique le mobilier.


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Autres détails

Merode_nuages
Restent les nuages : ils représentent l’arrivée du printemps (p79), corroborée par le rosier du panneau de gauche (p 80). Mais aussi le mariage de Dieu et de la Vierge (le ciel souriant, côté Ange, et le ciel agité, côté Marie,  représentant le dieu de la Colère et le Dieu de la Grâce) (p 81).

Le ciel agité peut aussi représenter l’ère de la Loi ou de l’Antéchrist (qui se termine), et le ciel clair l’ère de la Grâce (qui s’annonce).

Le lys sur la table, avec ses trois fleurs (personnellement je n’en vois que deux), représente les trois virginités de Marie : ante partem, in partu et post partem. Mais la fleur représente aussi Nazareth (à cause d’une traduction incorrecte relevée par Saint Bernard).

Comme d’habitude, le vitrail de l’oculus, traversée par la lumière, représente  la conception immaculée.


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Retour au Cantique des Cantiques

Merode banc
Le banc, trop long pour symboliser un trône, représente plutôt la couche sur laquelle s’étend la Fiancée. Mais c’est aussi un siège ecclésiastique   (p 82).


Merode_Souriciere_Copeaux

Saint Joseph et ses souricières s’expliquent par le vers suivant du Cantique :  » Prenez-nous les renards, les petits renards, qui ravagent les vignes, car nos vignes sont en fleur. ».

En effet, les petits renards, c’est comme des souris (p 83).


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Conclusion de C.Gottlieb

« Aucune autre preuve n’est nécessaire pour affirmer que le tableau de Campin montre le mariage de Dieu avec l’Humanité, selon l’interprétation du Cantique des Cantiques par les exégètes. » (p 83)


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Conclusion personnelle

Une fois expurgé des nombreuses citations et références savantes, l’article relève moins de la démonstration logique que du patchwork et du dictionnaire de rimes. Il fleure  bon ses années 70 : une époque attrape-tout, pleine d’affirmations péremptoires et de fulgurances.



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Références :

[1] Carla Gottlieb, « Respiciens per Fenestras: The Symbolism of the Mérode Altarpiece », Oud Holland, Vol. 85, No. 2 (1970), pp. 65-84 http://www.jstor.org/stable/42710852

2.3 1969 : Minott épuise Isaïe

26 novembre 2017
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Paru en 1969, l’article de Charles Minott [1] constitue une tentative audacieuse pour trouver une explication globale. Le fil conducteur serait des références au texte d’Isaïe, dont le triptyque  semble truffé.

A noter que cette interprétation est actuellement considérée comme l’exemple même des excès du « symbolisme déguisé », qui trouve à chaque objet une justification littéraire.



Isaïe au milieu de sa vision

X

Isaïe au milieu de sa vision

Et il n'éteindra point la mèche qui brûle encore; Il annoncera la justice selon la vérité." Isaïe, 42:1,3

X

Et il n'éteindra point la mèche qui brûle encore; Il annoncera la justice selon la vérité." Isaïe, 42:1,3

"Mais l'un des Séraphins vola vers moi, tenant à la main un charbon ardent, qu'il avait pris sur l'autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit: "Vois, ceci a touché tes lèvres; ton iniquité est enlevée et ton péché expié." Isaïe, 6:6-7,

X

"Mais l'un des Séraphins vola vers moi, tenant à la main un charbon ardent, qu'il avait pris sur l'autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit: "Vois, ceci a touché tes lèvres; ton iniquité est enlevée et ton péché expié." Isaïe, 6:6-7,

"Est-il possible que la tarière se vante aux dépens de celui qui la manie et dise : c'est moi qui ai fait le trou ? " Targum d'Isaïe, version araméenne d'Isaïe 10:15.

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"Est-il possible que la tarière se vante aux dépens de celui qui la manie et dise : c'est moi qui ai fait le trou ? " Targum d'Isaïe, version araméenne d'Isaïe 10:15.

"Ainsi parle l'Eternel: Le ciel est mon trône, Et la terre mon marchepied. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, Et quel lieu me donneriez-vous pour demeure?" Isaïe, 66:1

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"Ainsi parle l'Eternel: Le ciel est mon trône, Et la terre mon marchepied. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, Et quel lieu me donneriez-vous pour demeure?" Isaïe, 66:1

La scie est l'attribut d'Isaïe :en effet, le roi Manasseh, mis en rage par les visions que le prophète lui avait révélées, l'avait fait scier en deux avec une scie en bois.

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La scie est l'attribut d'Isaïe :en effet, le roi Manasseh, mis en rage par les visions que le prophète lui avait révélées, l'avait fait scier en deux avec une scie en bois.

Le bâton renvoie à Joseph. La hache à Saint Jean-Baptiste : "Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres" Matthieu, 3:10

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Le bâton renvoie à Joseph. La hache à Saint Jean-Baptiste : "Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres" Matthieu, 3:10

"J'ai été seul à fouler au pressoir" Isaïe 63 : 3,

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"J'ai été seul à fouler au pressoir" Isaïe 63 : 3,

 Synthèse de cette interprétation (Balayer pour voir les légendes.)



Un atelier hanté

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Minott relève que de nombreux objets de l’atelier de Joseph peuvent être des allusions à des versets d’Isaïe .

Hache, Scie, bâton

« La hache se glorifie-t-elle envers celui qui s’en sert? Ou la scie est-elle arrogante envers celui qui la manie ? Comme si la verge faisait mouvoir celui qui la lève, Comme si le bâton soulevait celui qui n’est pas du bois! » Isaïe, 10:15, traduction Louis Segond


Tarière

« Est-il possible que la tarière se vante aux dépens de celui qui la manie et dise : c’est moi qui ai fait le trou ? La scie doit-elle fanfaronner et dire : c’est moi qui ai scié ? Si quelqu’un lève un bâton pour frapper, ce n’est pas le bâton qui frappe, mais bien celui qui le brandit ». Targum d’Isaïe, version araméenne d’Isaïe 10:15.


Un commentaire de Saint Jérôme explique et développe le verset 10:15 d’Isaïe :

« Ainsi, bien que vous ne soyez que le moyen de la volonté de Dieu, vous pourriez vous draper dans votre hauteur et dire que ce qui est arrivé est dû à votre vertu. Ce que Isaïe dit aux Assyriens peut être appliqué à l’arrogance des hérétiques et au Diable, qui est  appelé la scie, la hache et le bâton dans les Ecritures, car à travers lui les arbres stériles sont abattus et tranchés par la hache, et l’entêtement des impies est scié, et ceux qui n’acceptent pas la discipline sont battus par le bâton ». Saint Jérôme, Commentaire sur Isaïe,  X 157

Ainsi, pour Minott,

« Joseph est le maître paisible d’un atelier hanté, inconscient de ce que les outils qu’il brandit sont diaboliques, et que ses productions même font partie de la « colère » et de l' »ordre » de Dieu, les moyens par lesquel le Diable sera contrecarré ».


La Scie d’Isaïe

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En plus du verset 10:15, la scie renvoie directement au personnage  d’Isaïe : en effet, le roi Manasseh, mis en rage par les visions que le prophète lui avait révélées, l’avait fait scier en deux avec une scie en bois (manuscrit apocryphe « L’ascension d’Isaïe »).


Le tabouret

Dans cette métaphore tragique, le tabouret carré dominé par la scie,  peut, selon Minott,  représenter la Terre, royaume de Satan, que  l' »L’ascension d’Isaïe » appelle le « Prince de ce monde ».

Le tabouret représente directement  la Terre dans cet autre verset d’Isaïe :

« Ainsi parle l’Eternel: Le ciel est mon trône, Et la terre mon marchepied. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, Et quel lieu me donneriez-vous pour demeure? »  Isaïe, 66:1


Le bâton de Joseph

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De manière directe, le bâton renvoie à Joseph, choisi parmi les prétendants de Marie parce que son bâton avait fleuri . Or cet épisode du Proto-évangile de Jacques est lui-même inspiré par un verset d’Isaïe :

« Puis un rameau sortira du tronc d’Isaïe, Et un rejeton naîtra de ses racines. » Isaïe, 11:1


La hache de Saint Jean Baptiste

Minott convoque ensuite un autre personnage : Saint Jean Baptiste, auteur d’une forte parole dans la droite ligne d’Isaïe :

« Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » Matthieu, 3:10

Charbon ardent

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« Mais l’un des Séraphins vola vers moi, tenant à la main un charbon ardent, qu’il avait pris sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit: « Vois, ceci a touché tes lèvres; ton iniquité est enlevée et ton péché expié. » Isaïe, 6:6-7


La planche à trous

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« J’ai été seul à fouler au pressoir, Et nul homme d’entre les peuples n’était avec moi; Je les ai foulés dans ma colère, Je les ai écrasés dans ma fureur; Leur sang a jailli sur mes vêtements, Et j’ai souillé tous mes habits. »
Isaïe 63 : 3, Traduction Louis Segond

Ce rapprochement avec Isaïe n’est pas de Minott, mais de M.Lavin [2], qui a par la suite identifié la planche à trous comme le filtre d’un pressoir (voir  3.3 L’énigme de la planche à trous).

L’Avent plutôt que l’Annonciation

Bruxelles-MerodeComparaison 1

En comparant avec le panneau de Bruxelles, dans lequel Marie fait de sa main droite un geste d’acceptation, Minott remarque que le panneau de Campin ne montre pas exactement l’Annonciation, mais l’instant juste avant.

« Iconographiquement, le triptyque de Mérode figure la promesse plutôt que l’accomplissement qu’implique l’Annonciation ».

Minott rappelle alors la notion théologique de l’Avent, qui se compose de trois périodes :

  • le Premier Avent, qui se termine par la naissance du Christ ;
  • le Troisième Avent, qui commence avec son retour glorieux à la fin des temps ;
  • et le Deuxième Avent, la  période intermédiaire dans laquelle nous sommes, et où Jésus revient en permanence dans le coeur des hommes.

« Historiquement, l’Incarnation représente le passage entre deux époques, de l’ancienne ère sub lege à la nouvelle ère sub gratia…. Ainsi, le rétable de Mérode nous montre clairement le dernier instant de l’ancienne époque… « 

La promesse de l’Incarnation remonte au verset capital d’Isaïe :

« C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe, Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, Et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » Isaïe, 7:14

que l’Ange Gabriel actualise au moment de l’Annonciation :

« Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. »  Luc 1:31

Le véritable thème du triptyque serait donc celui de l’Avent, la promesse de l’Incarnation, d’où l’omniprésence des références  à Isaïe.

Les trois Avents seraient présents dans le triptyque :
⦁    dans le minuscule Enfant-Jésus portant sa croix (Premier Avent),
⦁    dans les donateurs de la partie gauche (Deuxième Avent),
⦁   dans la  structure en Jugement dernier (troisième Avent) de l’ensemble   : l’Enfer à droite dans l’atelier de Joseph, les élus à gauche sous forme des donateurs, la croix au centre



La mèche qui fume

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Minott rattache cet élément central du panneau central à une autre citation d’Isaïe :

« Voici mon serviteur, que je soutiendrai, Mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui; Il annoncera la justice aux nations.Il ne criera point, il n’élèvera point la voix, Et ne la fera point entendre dans les rues.Il ne brisera point le roseau cassé, Et il n’éteindra point la mèche qui brûle encore; Il annoncera la justice selon la vérité. » Isaïe, 42:1,3

Le « serviteur » dont parle Isaïe sera identifié à Jésus dans l’Evangile de Saint Matthieu, puisque celui-ci demande a ses disciples de conserver l’incognito  :

« Beaucoup de gens le suivirent, et il les guérit tous.
Mais Jésus leur défendit vivement de le faire connaître.
Ainsi devait s’accomplir la parole prononcée par le prophète Isaïe. »
Matthieu 12:15-17


Memling Annunciation 1465-70 MET

Memling Annunciation 1465-70 Metropolitan Museum, New York

Minott rapproche la bougie fumante (mais néanmoins  éteinte, malgré le bout de flamme qu’il prétend y voir) de la bougie allumée (mais non fumante) que tient Marie dans l’Annonciation de Memling.



Isaïe le messager

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Minott n’ignore pas que le petit homme a été identifié, par son badge, comme un messager de la cité de Malines [3]. Mais il remarque que ce badge est décoré de douze perles, comme les douze portes de la Jérusalem Céleste de l’Apocalypse. Or Isaïe fut désigné par Dieu comme son Messager à Jérusalem (chapitre  6). De plus, dans  le manuscrit apocryphe « L’ascension d’Isaïe », le prophète raconte sa vision dans laquelle il a été témoin, en accéléré, de la descente du fils de Dieu, du rôle de Joseph pour tromper le démon, puis de la vie et de la  mort du Christ. Pour Minott :

« il y a  peu de doute que le messager qui se trouve à côté de la porte du panneau de gauche est Isaïe au milieu de sa vision. »



Ce que j’en pense

Malgré des intuitions intéressantes, l’article de Minott pèche par son  systématisme  en faveur d’Isaïe, basé sur des enchaînement de citation quelque peu forcés. En particulier, l’identification de la bougie comme la « mèche qui fume » d’Isaïe n’est pas convaincante : la bougie n’est pas en train d’être rallumée, mais bel et bien en train de s’éteindre. Enfin, Le thème de l’Avent semble trop intellectuel pour un retable à usage privé, et complexifie inutilement la lecture.

Nous retiendrons trois point importants  :
⦁    le retable montre l’instant juste avant l’Annonciation ;
⦁    le personnage près de la porte du rempart peut très bien représenter Isaïe, modernisé en messager de la ville de Malines dans le présent du tableau, celui des donateurs ;
⦁    les références au texte d’Isaïe se concentrent dans le panneau droit, l »atelier hanté » par la présence du démon, incarné par les différents outils.



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Références :
[1] Charles Minott, ‘ »The Theme of the Mérode Altarpiece, » Art Bulletin ( L I, 1969), 267-71 https://www.jstor.org/stable/3048631
[2] Marylin Aronberg Lavin, The Mystic Winepress in the Merode Altarpiece.” Studies in Late Medieval and Renaissance Painting in Honor of Millard Meiss, edited by Irving Lavin and John Plummer, 297-302. New York: New York University Press, 1977. https://www.academia.edu/3088186/The_Mystic_Winepress_in_the_M%C3%A9rode_Altarpiece

[3] Nickel, Helmut – The man beside the gate. Helmut Nickel. Bulletin of the Metropolitan Museum of Art / ,24/8 (1965-1966) ,237-244

2.2 1957 Freeman : un chef d'oeuvre aux Cloisters

26 novembre 2017
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L’article de 1957 de  M.Freeman [1] a le mérite de faire un état des lieux de la recherche, en ces tous débuts de l’étude du retable, qui nous évitera de nous référer aux articles antérieurs.  Elle ne propose pas une interprétation d’ensemble, mais considère l’oeuvre comme un puzzle, dont elle présente successivement toutes les pièces, éclairées par les  citations adéquates.



Porte ouverte pour montrer le spectacle pittoresque de la rue

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Porte ouverte pour montrer le spectacle pittoresque de la rue

Le rosier contre le mur symbolise les souffrances du Christ en Croix, mais la "rose sans épines"est également un symbole de Marie

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Le rosier contre le mur symbolise les souffrances du Christ en Croix, mais la "rose sans épines"est également un symbole de Marie

Les myosotis sont souvent appelés "yeux de Marie", les violettes et les marguerites sont des symboles de son humilité

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Les myosotis sont souvent appelés "yeux de Marie", les violettes et les marguerites sont des symboles de son humilité

Sept rayons = sept Dons du Saint Esprit. Enfant Jésus portant sa Croix : manière de représenter le mystère de l'Incarnation (préfiguration de la Crucifixion)

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Sept rayons = sept Dons du Saint Esprit. Enfant Jésus portant sa Croix : manière de représenter le mystère de l'Incarnation (préfiguration de la Crucifixion)

Lavabo : pureté de Marie

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Pureté de Marie

Lys : chasteté de Marie

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Lys : chasteté de Marie

Bougie qui fume : extinction de la Divinité de Jésus

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Bougie qui fume : extinction de la Divinité de Jésus

Livre : connaissance des Saintes Ecritures par Marie

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Livre : connaissance des Saintes Ecritures par Marie

Banc : trône de Salomon

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Banc : trône de Salomon

Coussin sur le sol : humilité de Marie

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Coussin sur le sol : humilité de Marie

Souricières : piège pour le Démon (cf Schapiro)

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Souricières : piège pour le Démon (cf Schapiro)

Planche à trous : bloc de pointes pour la Passion du Christ (voir 3.3 L’énigme de la planche à trous)

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Planche à trous : bloc de pointes pour la Passion du Christ (voir 3.3 L’énigme de la planche à trous)

 Synthèse de cette interprétation (Balayer pour voir les légendes.)



La chambre de Marie

« Lorsque l’ange Gabriel fut envoyé pour montrer l’Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, il la trouva seule, enfermée dans sa chambre où, comme dit Saint Bernard, les filles et les vierges ont à habiter dans leurs maisons, sans courir à l’extérieur. » Jacques de Voragine, Légende Dorée

« Voici ma petite chambre, si jolie et si propre. Pour servir Dieu mon Créateur et pour mériter sa Grâce, je voudrais lire mon psautier, un psaume après l’autre, jusqu’à ce que je les aies tous lus. » Mystère de Marie, XVème siècle


Les livres de Marie

« Elle comprenait très bien les livres des prophètes et les Saintes Ecritures… Elle tirait profit de les lire et de comprendre leur sens. » Speculum humanae salvationis

En particulier, elle connaissait la prophétie d’Isaïe.


L’humilité de Marie

Le peintre « a placé la Vierge Marie sur le sol, non pour qu’elle puisse lire les textes plus facilement, ni parce que, vu sa jeunesse, elle aimait s’asseoir par terre, mais parce que c’est la position convenable pour  la Vierge de l’Humilité. » C.Freeman, p131



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On devine d’ailleurs  sous sa robe un coussin bleu, analogue à celui qui est posé sur le banc.


Le banc

« Il a été interprété (Panofski) comme symbolisant le trône de Salomon, un des prototypes de la Vierge Marie dans l’Ancien Testament ». C.Freeman, p131

« Le trône du sage roi Salomon  est la Vierge Marie, dans lequel s’est trouvé et a vécu Jésus Christ, la vraie sagesses…. Ce  même trône  avait deux grands lions qui signifiaient que Marie avait retenu dans son coeur… les deux tablettes des dix commandements de la Loi ». Speculum humanae salvationis


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Banc XVème siècle, Metropolitan Museum, New York

« Le banc de la peinture a deux petits lions et deux petits chiens… Il est difficile de savoir si Campin a voulu ici suggérer le siège de Salomon, ou a simplement équipé la petite chambre avec un banc très similaire a celui qui se trouve aux Cloisters, et qui lui aussi a deux petits lions et deux petits chiens comme fleurons ». C.Freeman, p 131


Le lys de la chasteté

« Marie est la violette de l’humilité, le lys de la chasteté, la rose de la charité et la gloire et la splendeur des cieux ». Saint Bernard

« Le lys est une herbe avec une fleur blanche, et bien que les pétales de la fleur soient blanches, elle brille au milieu à l’image de l’or ». Bartholomaeus Anglicus

« Ainsi, le lys est le symbole de Marie elle-même, le pur écrin pour cet « or » qui est le Christ ». C.Freeman, p 131


Le lavabo, le bassin et la serviette

Ce sont des symbole de la pureté de Marie.

Le bassin « rappelle le lavage  liturgique des mains du prêtre avant et pendant la messe. On peut aussi le considérer, selon Erwin Panofski, comme l’équivalent à l’intérieur de la « fontaine des jardins » et du « puits d’eau vive », images poétiques du Cantique des Cantiques qui s’appliquent à Marie ».  C.Freeman, p 132


Le vitrail

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C’est une des allégories les plus connues de la virginité de Marie.

« Tout comme l’éclat du soleil emplit et pénètre une fenêtre de verre sans l’endommager, et perce sa forme solide avec une subtilité imperceptible, sans la blesser en pénétrant et sans la détruire en émergeant, ainsi le Verbe de Dieu,  la Splendeur du Père, entra dans la chambre de la vierge puis ressortit de ses entrailles fermées. » Saint Bernard de Clairvaux


Les sept rayons

La représentation la plus courante de l’Annonciation est celle d »une colombe, le Saint Esprit, envoyée par le Père sur un faisceau de rayons.



Van Eyck Annonciation

Annonciation, Van Eyck, 1434-36, National Gallery of Art, à Washington

Lorsqu’il sont sept, comme chez Van Eyck, ils représentent les sept Dons du Saint Esprit.


L’Enfant-Jésus

Campin a gardé les sept rayons pour symboliser le Saint Esprit, et remplacé la colombe par un Enfant-Jésus minuscule, portant sa croix.

« Cette manière plutôt directe  de représenter le mystère de l’Incarnation était désapprouvée par l’Eglise, mais avait été populaire en Italie et reprise un peu partout pendant le siècle précédent notre tableau. Le fait que le petit Enfant porte sa croix souligne la signification de l’Annonciation : que Dieu devient Homme pour souffrir et mourir afin de racheter l’Humanité du péché originel d’Adam ». C.Freeman, p 134



Les éléments problématiques



La chandelle de la table

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Pour Freeman, elle pose problème, car elle vient juste d’être  éteinte, comme le montre la spirale de fumée. Dans les Annonciations, une bougie allumée représente la chair du Christ.

Selon Durandus, la cire,  « qui a été produite par les abeilles virginales, représente l’humanité ou la chair du Christ… la mèche dans la cire représente son âme… La lumière de la chandelle représente sa divinité. »

« Jésus, le fils de Marie, est la véritable chandelle allumée, offerte  à Dieu le Père pour la race humaine… Et Marie est le chandelier.«   Speculum humanae salvationis

Une première solution, proposée par Millard Meiss, est que la bougie éteinte fasse référence à la vision de Sainte Brigitte, selon laquelle, au moment de la Nativité « le rayonnement divin… annihila totalement la lumière naturelle« . Mais d’une part nous sommes au moment de l’Annonciation, d’autre part dans toutes les Nativités influencées par la vision de Sainte Brigitte, la chandelle est représentée allumée (voir Fils de Vierge)



campin - The Nativity (detail). 1425. Panel. Musee des Beaux-Arts, Dijon

Nativité (détail), Campin, Dijon, Musée des Beaux Arts

Une seconde solution, explique Freeman,  est que

« Campin ait délibérément éteint la flamme, qui symbolise la Divinité du Christ, pour souligner le fait que, lors de l’Incarnation « le Verbe se fit Chair » et Dieu devint un homme... Il semble être dans le tempérament de Campin, malgré que cela le place sur un terrain théologique dangereux , qu’il ait ainsi souligné le côté humain du Christ. Et il semble presque que la figurine de l’Enfant Jésus, dans notre tableau, par la rapidité de sa descente depuis les Cieux, soit responsable de l’extinction de la chandelle. » Freeman, p 135

Cette explication est pour le moins contre-intuitive puisqu’elle implique que, durant toute sa vie terrestre, le Christ devrait être symbolisé par une chandelle sans flamme.

Nous reviendrons sur ce problème dans 4.6 L’énigme de la bougie qui fume .


La porte ouverte

Traditionnellement, la pièce de l’Annonciation était totalement close :

« Où la trouva-t-il ? C’était, je crois, dans l’intimité de la pièce où, la porte close, elle s’était retirée pour prier son Père.. Il n’était pas difficile pour l’Ange de pénétrer la porte fermée de la retraite de Marie, sa nature subtile le rendait capable d’entrer à sa guise sans même que les verrous de fer ne lui fassent obstacle. » Saint Bernard.

De plus, la porte fermée est un symbole de Marie.

« Campin a-t-il représenté la porte ouverte pour que ses patrons,  les donateurs agenouillés, participent à l’événement ?… Ou avait-t-il en tête le symbolisme de Voragine : « La porte du Paradis qui à cause d’Eve fut fermée à tous les hommes est maintenant ouverte par Marie, la Vierge bénie. » ? … En fait, bien peu d’Annonciations suivent à la lettre  la description de Saint Bernard… Il se peut bien que la porte ouverte soit simplement le moyen trouvé par l’artiste pour intégrer le panneau gauche et le panneau central, tout en créant une mince barrière entre les deux, la scène sacrée et la profane. »  Freeman, p 136


Le jardin

Le rosier contre le mur symbolise les souffrances du Christ en Croix, mais la « rose sans épines »est également un symbole de Marie. Les myosotis sont souvent appelés « yeux de Marie », les violettes et les marguerites sont des symboles de son humilité.


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Le jardin clos est aussi un symbole marial.

« Pour être parfaitement consistant, Campin aurait dû fermer le jardin, mais il n’aurait alors pas pu peindre la petite scène de rue derrière, où un chevalier en veste rouge et grand chapeau noir monte un cheval blanc, où une femme s’assoit pour bavarder sur un banc devant une échoppe, qui présente des pièces de vêtement claires, qui semblent être des dessous pour l’hiver ».



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Références :
[1] Freeman, Margaret. « The Iconography of the Merode Altarpiece. » The Metropolitan Museum of Art Bulletin, n.s., 16, no. 4 (December 1957). pp. 130-139.

2.1 1945 : Schapiro and co : la bataille des souricières

26 novembre 2017
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Joseph et ses souricières



On n’en connaît dans toute l’Histoire de l’Art que deux autres exemples et qui  ne se trouvent pas  dans des Annonciations.


The Holy Family, Joseph surrounded by the tools of his trade, Mary at the loom. Painting by Martin Torner Pere Terrencs 1460-1480's detail

La Sainte Famille (détail)
Martin Torner, 1460-1480, Collection Villalonga Planes, Palma de Majorca

Joseph examine ce qui pourrait être une souricière qu’il vient de fabriquer. Mais tout aussi bien un rabot qu’il est en train de régler.



The Holy Family, Joseph surrounded by the tools of his trade, Mary at the loom. Painting by Martin Torner 1460-1480's palma de majorca coll Villalonga Planes

Marie travaille à son métier à tisser : elle est en train de fabriquer, à partir des fils de trame rouge enroulés sur le tambour, le galon doré qui s’enroule dans l’autre sens.

Entre le menuisier et la tisserande, l’Enfant Jésus amène à sa mère une bobine vide que son père vient de fabriquer, semblable à celles de la corbeille aux pieds de Marie ou à celles que brandissent les trois anges.



sb-line

Adoration of the Magi:  detail of central panel of a triptych

Adoration des Mages
Maître de la Légende de Sainte  Barbe, vers 1480, Galeria Colonna, Rome

(cliquer pour voir l’ensemble)

Dans ce tableau, visiblement inspiré du retable de Mérode, Joseph perce un trou dans une planche à côté d’une souricière et d’une tarière.


Les souricières du volet droit du retable de Mérode sont donc un « unicum » iconographique, sur lequel les historiens d’art se sont fait les dents depuis 80 ans : petit aperçu chronologique…

1932 : la souricière, piège contre le Démon

Des 1932, Johan Huizinga [1]avait identifié les deux objets mystérieux comme étant souricières et établi un lien avec un texte du théologien Petrus Lombardus : « Et que fit le Rédempteur  à notre geôlier ? Il lui tendit sa croix comme souricière. Et il y posa son propre sang en guise d’appât. » [2]

Mais sa trouvaille passa à l’époque totalement inaperçue. C’est Meyer Schapiro qui, dix ans plus tard, redécouvrit et élucida la souricière, dans un article qui allait devenir un classique de l’Histoire de l’Art.


En aparté : la Croix comme piège chez Ludolphe le Chartreux

Ludolphe le Chartreux, dans ses Meditationes Vita Christi [2a], un texte très populaire à la fin du XIVème siècle, compile différentes anecdotes qui illustrent comment les contemporains de Campin pouvaient se représenter la question.

Les démons qui essayent de détacher Jésus 

Selon Saint Jérôme : « Aussitôt qu’il eut été crucifié, les démons sentirent leur force brisée. Comprenant alors la vertu de la croix, ils tentèrent de le faire descendre de ce bois sacré, afin qu’il n’y consommât point l’oeuvre déjà commencée de notre rédemption. Mais le Seigneur, connaissant l’embûche que ses ennemis lui tendaient, demeura sur l’arbre du salut pour renverser le pouvoir de Satan ».

 

Le démon perché sur la Croix :

« Dans la glose sur le Livre de Tobie, nous lisons que le démon se tenait sur un bras de la croix pour examiner s’il ne découvrirait pas en Jésus-Christ quelque tâche de péché. »

L’anxiété du démon se comprend ainsi :

  • soit Jésus-Christ est touché par la Péché originel comme tous les autres, et sa mort est naturelle ;
  • soit il ne l’est pas, et le fait qu’il ait accepté de mourir bouleverse l’ordre établi.

 

La croix qui catapulte le Démon hors de ce monde

(Selon Saint Grégoire), « il avait fini par croire que Jésus était Dieu en voyant ses miracles, mais en voyant ses souffrances il avait fini par douter. » La croix est donc comme le trébuchet dans lequel Satan vint se précipiter.

 

Le Christ comme appât

Pour terminer, Ludolphe rappelle le texte de Saint Augustin que Shapiro va exploiter.


1945 : L’article célèbre de Schapiro [3]

La métaphore de Saint Augustin

La première découverte de Schapiro est d’avoir exhumé une métaphore de Saint Augustin.

« Envisageant la rédemption de l’homme par le sacrifice du Christ, Saint Augustin emploie la métaphore de la souricière pour expliquer la nécessité de l’incarnation. La chair humaine du Christ est un appât destiné au diable qui, en s’en emparant, suscite sa propre ruine. « Le diable exulta quand le Christ mourut, mais par la mort même du Christ le diable fut vaincu, comme si, dans la souricière, il avait englouti l’appât. Il se réjouit de la mort du Christ comme un bailli de la mort. Ce dont il se réjouissait fut la cause de sa propre perte. La croix du Christ fut la souricière du diable; l’appât avec lequel il fut pris fut la mort du seigneur ». »

« Dans un autre sermon, il dit : « Nous sommes tombés entre les mains du Prince de ce monde, qui séduisit Adam et en fit son serviteur et qui commença par nous posséder comme esclaves. Mais vint le Rédempteur et le séducteur fut vaincu. Et que fit notre Rédempteur à celui qui nous tenait captifs ? Pour notre rançon, il offrit Sa Croix comme piège : il y plaça comme appât Son propre Sang ». L’image de la souricière n’était qu’une des différentes métaphores de la tromperie par lesquelles les théologiens essayaient de justifier l’incarnation et le sacrifice du Christ, paiement de la rançon due au diable, qui tenait l’homme prisonnier à cause du péché d’Adam et Eve« .


Le lien avec Joseph

Schapiro se demande ensuite pourquoi cette métaphore aurait pu inspirer le panneau de Joseph :

« Dans le triptyque de Mérode, qui fut probablement exécuté dans les années 1420-1430, l’introduction de Joseph est particulièrement liée aux intérêts du moment et du lieu. C’est un moment de forte propagande pour le culte de Joseph, qui ne se développe qu’à la fin du XV° siècle. »

Jean de Gerson. Ouvrages de Jean de Gerson et d'autres theologiens1401-1500 NAL 226 gallicaOuvrages de Jean de Gerson et d’autres théologiens, Gallica

Un des propagandistes de Joseph à cette époque est le théologien Gerson.

« Bien que, dans ses écrits, il n’y ait rien sur la souricière, la façon dont Gerson parle de Joseph n’est pas sans rapport avec le détail du panneau de Mérode. »

Gerson parle souvent du rôle de Joseph pour tromper le diable au moment de l’Incarnation, et  se demande notamment quelle est la meilleure manière de le représenter. Comme un vieil homme ?

« Aux débuts du Christianisme, alors que la doctrine de la virginité perpétuelle de Marie ne s’était pas encore profondément enracinée dans le cœur des croyants, il fallait combattre les hérétiques qui citaient le passage de l’Évangile sur les frères et les sœurs du Christ. Aussi les artistes faisaient-ils de Joseph un vieil homme au moment de la naissance du Christ, afin d’indiquer son incapacité à engendrer un enfant. »

L’inconvénient de cette représentation était que

« si Joseph avait été trop vieux, le diable aurait soupçonné la cause surnaturelle de la naissance du Christ et, ainsi, il n’aurait pas été trompé par l’appât du Dieu fait homme ».

Gerson préconise donc plutôt de représenter Joseph comme un jeune homme.

Schapiro rappelle alors les deux opinions sur la question de savoir si le diable était dupe ou non au moment de l’incarnation :

« Sur la question de savoir si le diable connaissait l’incarnation, les théologiens étaient divisés. Certains, se fondant sur des passages des Évangiles (Marc, 1 : 24 et Luc 4:34, 41), croyaient que le diable savait depuis le début la paternité divine de l’enfant de Marie ; d’autres, suivant St Ignace, dont on lisait l’opinion à l’office de la veille de Noël dans le bréviaire romain, soutenaient que la Vierge avait épousé Joseph précisément pour cacher la naissance du Christ au Diable qui pensait ainsi que l’enfant avait été engendré par Joseph.« 

Si le retable de Mérode se rattache à la seconde conception : « Joseph a trompé le Trompeur pour l’empêcher d’être au courant de l’Incarnation », et s’il est inspiré par les écrits de Gerson, alors il aurait été logique qu’il montre Joseph en jeune homme. Mais Schapiro explique que les théologiens se contredisaient eux-même sur la question.

« Dans le cas présent, ce qui est important c’est que, pour l’imagination religieuse de la fin du Moyen Age, Joseph était le gardien du mystère de l’incarnation et l’une des principales figures de la machination divine destinée à tromper le diable. Dans ses méditations sur la rédemption, Gerson n’emploie pas la figure de la souricière. L’hameçon et l’appât sont les instruments qui la remplacent, comme je l’ai remarqué plus haut. Dans l’Exposition de la passion du Seigneur, il appelle le diable « Léviathan qui a essayé de mordre la chair précieuse de Jésus-Christ de la morsure de la mort ». « Mais l’hameçon divin, qui était caché à l’intérieur de la chair et uni à elle, déchira les mâchoires du diable et les ouvrit, en libérant la proie dont on pouvait s’attendre à ce qu’il la tînt et la dévorât ». »

Autrement dit, si le piège a fonctionné, c’est parce qu’il n’ a pas complètement fonctionné : le démon n’a pas été capturé, mais il a été blessé par cet hameçon que constitue la divinité de Jésus.


 

Un sens sexuel latent

Dans la seconde partie de son article, Schapiro explique les mécanismes mis en cause cet art nouveau qui utilise comme symbole les objets du quotidien. Il  rappelle que la souris est une « créature dans laquelle se concentre très fortement un sens érotique et diabolique ». Ainsi, au dessous de la strate théologique :

« il n’est ainsi guère arbitraire de voir dans la souricière de Joseph un instrument doué d’un sens sexuel latent dans ce contexte de chasteté et de fécondation mystérieuse… la métaphore théologique de la rédemption, la souricière, condense en même temps les symboles du diabolique, de l’érotique et de leur répression ; le piège est à la fois un objet femelle et le moyen de détruire la tentation sexuelle. »

Il n’y a rien à dire de plus sur ces quelques pages lumineuses, sinon d’en conseiller vivement la lecture.

A noter que Schapiro ne dit rien  sur la nécessité de montrer deux souricières, et ne s’intéresse pas à leur mécanisme technique.



Après Schapiro



1966 : deux rabots

Vingt ans plus tard, l’interprétation devenue classique de Schapiro se voit méchamment contestée par Irving Zupnick [4], qui reconnait non pas deux souricières, mais deux rabots. Ses arguments méritent d’être cités comme modèles de docte aveuglement.


Merode_Droite_Souriciere

1) L’objet sur l’étal est un « rabot générique« , servant d’enseigne au charpentier


Merode_Souriciere_Copeaux
2) L’objet sur l’établi est un rabot, puisque c’est le seul outil qui manque dans la série. Il y en a eu tellement de modèles que celui-ci peut bien en être un, même si on ne voit pas bien comment il marche. Zupnick comble le doute par une description extraordinairement détaillée  (et imaginative) :

« La matière protubérante qui sort par l’ouverture en U est blanc jaunâtre ; par sa forme se pourrait être tout aussi bien un copeau qu’un morceau de fromage. Ce qui sort du couvercle au dessus de l’ouverture n’est pas un ressort pour mettre le mécanisme en action, mais bien une barre de tension permettant de garder le couvercle fermé. Sa partie supérieure a un rebord presque imperceptible qui s’accroche sous une barre transversale en métal, laquelle peut être tournée grâce aux deux écrous-papillon qui apparaissent juste à l’extérieur des deux montants en bois. Si cette barre métallique avait une section elliptique (la petite taille du tableau rend ce détail ambigu), elle permettrait, en la tournant, de faire pression sur la barre de tension, expliquant ainsi la nécessité des écrous-papillon. Le dessus du couvercle est renforcé par une pièce de bois en taquet, près du bas de la barre de tension. La nécessité de ce renforcement à ce point et d’un moyen de maintenir fortement le couvercle fermé, suggère que le concepteur anticipait une poussée vers le haut, de la part de quelque chose situé sous le couvercle ; et ceci augmente la possibilité que le couvercle serve à maintenir en place quelque chose de très semblable à la lame de notre rabot hypothétique. »


Merode_Tariere_GAP
3) Zulnick réussit ensuite le tour de force inverse : voir une souricière dans ce qui n’en est manifestement pas une. Pour cela, il remarque :

  • que les trous dans la planche de Joseph sont disposés au hasard (ce qui est évidement faux)
  • que Joseph pourrait très bien percer ensuite une seconde planche identique
  • puis relier les trous par des bâtonnets,
  • constituant ainsi « à cause de l’espacement aléatoire, un labyrinthe dans lequel on pourrait leurrer et capturer une souris ».

Bonne chance !


1966 : première vérification expérimentale

Réagissant immédiatement, John Jacob [5] rappelle avec raison que, dans un rabot, les copeaux sortent par l’avant et non par une minuscule ouverture à l’arrière. Ayant fait construire une reproduction, il l’amorce en plaçant un fromage planté dans un clou, en équilibre sous la pièce en saillie.Ce montage capture effectivement une souris la nuit du 27 au 28 avril 1966 dans la Walker Art Gallery,de Liverpool, ce qui semble clore définitivement la question.


1968 : on a trouvé l’appât

Venant au secours de la victoire, Heckscher affime contre toute vraisemblance  que les débris épars sur l’établi ne sont pas des copeaux, mais des appâts pour la souricière :  du fromage ou du jambon [6]  , p 48


1976 : retour du rabot

Moins perspicace qu’à l’ordinaire, Arasse revient au rabot pour l’objet posé sur l’établi (celui de l’extérieur restant bien pour lui une souricière) : en effet, il est étrange que le rabot,  outil traditionnel, soit absent, et on voit des copeaux sur l’établi [7].


1979 : la souricière n’aurait pas dû marcher

Treize ans après la preuve expérimentale de John Jacob , Klijn [8] montre que la souricière  ne peut pas fonctionner telle quelle : il lui manque une pièce essentielle, un petit bâton attaché par un fil, permettant de l’amorcer. Telle que Jacob l’a bricolée, elle n’aurait jamais dû fonctionner ! (en fait Jacob avait remplacé le bâton par un clou transperçant le fromage).

Le fait que Campin ait représenté un mécanisme incomplet n’a pas nécessairement  une portée symbolique :  dans un atelier, rien d’étonnant de voir un objet en cours de fabrication.


1992 : la souricière complète

Mascall Couverture 1590

En analysant un traité pratique de 1590 sur le piégeage de différents nuisibles [10], David C. Drummond [11] montre que ce modèle de souricière était bien connu.


mousetrap1Désamorcée mousetrapAmorcée

Maquette de John and Lee Wilson [9]

En faisant ressort, la corde activait la languette qui fermait la couvercle. La souris se trouvait alors  assommée à l’intérieur du boîtier [10a].


Un peu plus loin dans l’interprétation

Mascall's Following trappe David C. Drummond 1992
Traité de Léonard Mascall, 1590, illustration de David C. Drummond [11]

Le schéma de Mascall montre une pièce basculante en forme de croix,  à l’intérieur de la souricière. Invisible sur le tableau de Campin, elle fournissait à qui connaissait l’objet un indice supplémentaire permettant d’assimiler la souricière et la croix.


La souricière de l’éventaire

Personne n’a jugé bon d’expliquer son fonctionnement.

Merode_Droite_Souriciere c18th-wooden-mousetrapDeadfall mousetrap, vers 1790

Il s’agit d’une souricière plus rustique, à poids, représentée en  position basse : elle s’est donc déjà déclenchée (la lourde pièce de bois est tombée dans son logement). Alors que celle de l’établi est incomplète et n’est pas encore  amorcée.

Cette différence trouvera son explication plus loin (voir 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré) [12]



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Références :
[1] J.Huizinga, Déclin du Moyen-Age, trad. J. Bastin, Paris 1932, p 370
[2] “Et quid fecit Redemptor captivatori nostro? Tetendit ei muscipulam crucem suam; posuit ibi quasi escam sanguinem suum.” Petrus Lambardus, Sent III, 19, 1, M 192, 796. Antwerp edition (1757, p 373)
[2a] La grande vie de Jésus-Christ. Passion / par Ludolphe le Chartreux ; nouvelle traduction intégrale avec préface et notes par le P. D. Florent Broquin, 1891, p 395 et ss
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k759003/f402.item
[3] Schapiro, M. 1945. ‘Muscipula Diaboli’, the symbolism of the Merode altarpiece. Art Bulletin 27:182-187. https://www.jstor.org/stable/3047011
[4] Zupnick, I. 1966. The mystery of the Merode mousetrap, Burlington Magazine 108:126-133.
[5] Jacob, J. 1966. The Merode mousetrap. Burlington Magazine, 108:373-374.
[6] Heckscher, William S. « The Annunciation of the Merode Altarpiece: An Iconographic Study. » In Miscellanea Jozef Duverger. Vol. 1. Ghent: Vereniging voor de Geschiedenis der Textielkunsten, 1968. pp. 37–65, fig. 1–3, 5.
[7] Arasse, Daniel. « A propos de l’article de Meyer Schapiro, Muscipola [sic] Diaboli: le ‘réseau figuratif’ du rétable de Mérode. » In Symboles de la Renaissance, edited by Daniel Arasse. Vol. 1. Paris: Presses de l’École Normale Supérieure, 1976. pp. 47–51, fig. 1–2.
[8] Klijn, E.M.C.F. 1979. Ratten, muizen en mensen. Het Nederlands Openluchtmuseum, Arnhem.
[9] http://homes.ottcommunications.com/~freegate/Merode%20Mousetrap.html
[10] Leonard Mascall, 1590,« Le livre des machines et des pièges à prendre putois, busards, rats, souris et tous les autres types de vermines et bêtes que ce soit, du plus grand profit pour tous garenniers, et un vrai plaisir dans ce genre d’amusement et passe-temps » (A Booke of Engines and traps to take Polcats, Buzardes, Rattes, Mice and all other kindes of Vermine and beasts whatsoever, most profitable for all Warriners, and such as delight in this kinde of sport and pastime ».
[10a] Cette souricièe est d’une très grande sensibilité, comme on peut le voir sur cette vidéo qui la montre en action : https://www.youtube.com/watch?v=c3t_Tapb93g
[11] Unmasking Mascall’s mouse traps, David C. Drummond, 3-1-1992, Proceedings of the Fifteenth Vertebrate Pest
Conference 1992 http://digitalcommons.unl.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1022&context=vpc15
[12] [12] Sur l’évolution des souricières dans l’histoire, on peut consulter : https://evolution-outreach.springeropen.com/articles/10.1007/s12052-011-0315-8

Joseph et ses souricières

1.3 A la loupe : les panneaux latéraux

26 novembre 2017
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Le panneau de gauche



Un jardin-antichambre

Rogier_van_der_Weyden_-_Annunciation_Triptych_-_WGA25590 vers 1440 Louvre
Triptyque de l’Annonciation
Atelier de Van der Weyden, vers 1440, Louvre, Paris (panneau central)
et Galleria Sabauda, Turin (panneaux latéraux)

L’idée du donateur adorant la Vierge depuis un jardin, devant un escalier et une porte donnant accès à la chambre de la Vierge, sera reprise plus tard par l’atelier de Van der Weyden, dans un triptyque dont la composition, si cette reconstitution est exacte, rappelle  celle du retable de Mérode (sauf pour le panneau droit, qui représente la Visitation).



Rogier_van_der_Weyden_-_Annunciation_Triptych_-_volet gauche galleria sabauda turin
Le panneau gauche, repeint en totalité, est difficile à interpréter, et le donateur est inconnu. La  porte cochère est surplombée par une bretèche à caractère défensif, mais le peintre a oublié la porte latérale donnant accès au chemin de ronde Le rempart porte trois créneaux, puis s’interrompt absurdement, sans qu’il s’agisse pour autant d’une ruine (la moulure du bas fait le tour du rempart). A voir les trois baies de la fenêtre, les trois fleurons de l’auvent  (et d’autres triplets dans le panneau central, tels les coussins et les lys), on comprend que l’enjeu des trois créneaux est symbolique.  Ce bout de fortification  trinitaire est essentiellement un symbole marial, à la fois porte  (janua coeli) et tour (turris eburnea).

De même la colonne en haut de l’escalier est probablement plus, vu son voisinage avec l’arbre, un symbole christique qu’un élément d’architecture réaliste.


Un lieu réaliste

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A côté de ce jardin lourdement symbolique, celui du retable de  Mérode, enclos d’un rempart dont on voit toutes les pierres, fortifié par une bretèche fonctionnelle, équipé de portes dont on voit toutes les planches et les ferrures, planté d’une pelouse dont chaque plante est reconnaissable, apparaît comme un modèle de réalisme.

Et pourtant, comme nous allons le voir, il comporte quelques symboles discrets.


La rose pour emblème

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Reindert L. Falkenburg note que le mari a probablement décoré son chapeau avec une rose prise au rosier grimpant. Sa femme quant à elle tient un rosaire de corail. Cette insistance sur la rose, emblème de Marie, conduit la méditation jusqu’ « au drapé de la robe rouge de Marie, qui, par ses plis autour du genou gauche, ressemble à une grande rose, la « Rose Mystique » du sein de laquelle, selon la littérature dévotionnelle de l’époque, le Christ aurait bourgeonné. » [1]


Saint Christophe

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Sur le rosaire est attachée une minuscule figurine dorée de Saint Christophe, le « porteur de Christ ». Selon Falkenburg, il s’agit probablement de l’indication que la jeune femme espérait être enceinte.


Le messager

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En 1966, H.Nickel [2] a identifié le minuscule écusson que porte le personnage debout à côté de la porte ( trois bandes rouges sur fond d’or) : il s’agit des couleurs de la cité de Malines (Mechelen). L’homme n’est donc ni un serviteur du couple, ni un autoportrait de Campin, ni un marieur, comme on l’avait proposé auparavant.


Messenger badge, metropolitan museum

Un exemple de badge de messager,
Metropolitan Museum, New York

C’est un de ces messagers professionnels, authentifiés par leur badge qui, avant la mise en place d’un service postal, étaient chargé de délivrer officiellement le courrier d’une ville. Son grand chapeau de paille le protégeait des intempéries, et sa bourse contenait les missives.

Selon Nickel, il apparaît dans le triptyque comme « la contrepartie terrestre du messager céleste, l’ange Gabriel. Peut-être a-t-il  été mis là pour compléter un motif de trois personnages , femme, mari et messager, formant d’une manière séculière un contraste délibéré, et légèrement amusant, avec le groupe sacré de Marie,  Joseph et Gabriel. »

Selon Falkenburg [1], il pourrait s’agir d’un héraut  annonçant et solennisant la visite des donateurs auprès de Marie.


Les quatre oiseaux

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Dans la foulée de sa découverte, Nickel a proposé une interprétation détaillé des quatre oiseaux, qui a eu moins de succès  :

« …un rouge-gorge d’Europe, une pie,  un chardonneret et un moineau. Le rouge-gorge, avec sa poitrine rouge, le chardonneret , qui se nourrit dans les ronces et le moineau, le plus humble des oiseaux, qui ne tombe pas sauf par la volonté de Dieu, sont des symboles de la Passion et de l’Incarnation du Christ. Le seul oiseau qui n’a pas de relation directe avec le Christ est la pie. Selon les bestiaires, cet oiseau  parle et délivre des messages, et ce n’est probablement pas par hasard qu’il est perché juste au dessus de la tête du messager humain. De plus, la disposition des quatre oiseaux reproduit celle des quatre personnages dans les autres panneaux du triptyque. Ainsi le rouge-gorge, un des plus petits oiseaux d’Europe, correspond au minuscule enfant Jésus sur son rayon, dans le panneau central ; la pie à l’archange ; le chardonneret, qui apparaît fréquemment dans les représentations de la Vierge à l’Enfant, à Marie (de plus,  le fait que Marie soit assise sur le sol est reproduit par le chardonneret, perché  plus bas que la pie sur le mur) ; et l’humble moineau à  Joseph, l’humble charpentier. »


La double porte

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Nickel  discute ensuite l’anomalie de la porte ouverte, si le panneau représente le « hortus conclusus », le jardin clos qui est un emblème marial. Il remarque que seule la partie « piéton » de la porte cavalière a  été ouverte par le messager :

« ses doigts effleurent le bord de la porte tout comme le bout des ailes de l’ange effleurent la porte de la chambre. Ce type de porte pouvait laisser passer un cheval et son cavalier – peut être le cavalier dans la rue est-il là pour le souligner – et seule la petite porte étant ouverte, aucun cheval ne pouvait entrer.  Le cheval dans l’iconographie médiévale est un symbole du désir… qui, naturellement, n’était pas admissible dans le jardin de la virginité. »



Le panneau de droite est très célèbre, et bien plus intéressant.

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Les deux souricières

Nous leur avons dédié un chapitre séparé (2.1 1945 : Schapiro and co : la bataille des souricières), car l’histoire de leur identification controversée mérite d’être racontée.


Les volets du haut (SCOOP !)

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Les volets se rabattent à l’intérieur, et s’attachent au plafond par une clenche. On voit sur la gauche le coin d’un troisième volet, ce qui signifie qu’il y a une troisième fenêtre dans l’atelier de Joseph, et donc un espace entre son établi et le mur mitoyen avec la chambre de la Vierge. Nous verrons dans 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré que ce détail en apparence insignifiant a une  grande importance pour l’intrigue.


Les volets du bas  (SCOOP !)

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Pour des raisons d’encombrement, ceux là ne pivotent pas : ils coulissent verticalement dans une  glissière.


L’étal

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L’étal à l’extérieur du magasin, qui porte pour attirer le client une production de l’atelier Joseph, se replie vers le haut lorsque les volets  sont fermés.


Le banc

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Son dossier extrêmement haut en fait une sorte de cloison entre la porte et l’atelier. Le clayonnage permet à Joseph, en se retournant, de voir qui entre dans son échoppe.


La porte

Merode _Droite_Porte

Elle est entrouverte vers l’intérieur. Le soleil découpe son ombre sur le mur de droite. Mais comme on voit aussi l’ombre du clayonnage en contrebas, c’est qu’il existe une source de lumière à l’intérieur de l’atelier, en haut à gauche, dans la partie cachée par le cadrage. C’est elle aussi qui baigne de lumière la face de Joseph.



Detail Lampe à huile
Annonciation (détail)
Andrés Marzal de Sas, 1393-1410, Saragosse, Musée provincial

Sans doute est-ce une lampe à huile, comme dans cet autre atelier, traité de manière bien plus frustre.


La planche à trous

Merode_Tariere_GAP
En tout cas, cette lampe cachée (SCOOP !) projette l’ombre du forêt sur la planche  que Joseph est en train de perforer.

Certains (Jozef de Coo) doutent qu’il soit possible de faire tourner le vilebrequin d’une seule main, en coinçant la pomme  contre sa poitrine. Mais Joseph est  habile : il a déjà percé trois trous et attaque le quatrième.

Les trous sont répartis en quinconce. Ils forment une grille de 4×4 trous, repercée par une autre grille de 3×3 trous. [3]


La craie (SCOOP !)

Merode Droite Craie planche
Voici  quelque chose que personne n’a remarqué : le petit objet blanc et rond sur l’établi, dans lequel beaucoup veulent voir un appât pour les souricières, n’est autre que la craie qui a servi à marquer l’emplacement des trous sur la planche. On le comprend car, à côté d’elle sur l’établi, Campin a pris soin de tracer une marque du même genre.


Les outils de la table

Merode_OutilsEtabli_GAP
On devine au fond, dissimulée dans l’ombre du volet, une grande tarière en forme de T. Plus près, une soucoupe contenant des clous, d’autres s’étant échappés sur l’établi. Un ciseau et un marteau, une tenaille et un tranchoir complètent l’équipement.


La bûche

Merode_Doloire_GAP

Joseph y plante non pas sa hache, mais sa doloire, un outil qui sert à écorcer et équarrir le bois. La lame porte un signe constitué de trois cercles, analogue aux trois trous déjà percés dans la planche et aux trois trous qui figurent sur les armoiries de droite, sur le vitrail  du panneau central.


Le tabouret

Merode Droite Scie

Le petit tabouret en bas à gauche, sur lequel est posé la scie, est en fait un support sur lequel Joseph pose le pied pour scier (SCOOP !).



Legende de saint Joseph 1490-1500 Hoogstraten, Church of St Catherine detail tabouret
Légende de saint Joseph (détail)
1490-1500, Hoogstraten, Eglise  de St Catherine

Cette fonction d’étau se voit bien sur ce détail d’un retable postérieur, mais clairement inspiré par les oeuvres de l’atelier de Campin.



Legende de saint Joseph 1490-1500 Hoogstraten, Church of St Catherine detail Joseph

Le doute de Joseph
Légende de saint Joseph, 1490-1500, Hoogstraten, Eglise  de St Catherine

Au final, tous les outils de l’atelier sont bien ceux que l’on s’attendrait à trouver chez un honnête menuisier.



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Références :
[1]Reindert L. Falkenburg, “The Household of the Soul: Conformity in the Merode Triptych,” dans Early Netherlandish Painting at the Crossroads: A Critical Look at Current MethodologiesMaryan Wynn Ainsworth Metropolitan Museum of Art, 2001 – 122 pages http://www.academia.edu/5166635/The_Household_of_the_Soul_Conformity_in_the_Merode_Triptych
[2] Nickel, Helmut. « The Man Beside the Gate. » The Metropolitan Museum of Art Bulletin, n.s., 24, no. 8 (April 1966). pp. 237–44, fig. 1, 9, 10, ill. on frontispiece.
http://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_metropolitan_museum_of_art_bulletin_v_24_no_8_april_1966#
[3] Donc 25 au total, ce qui correspond au triangle de Pythagore (5×5 = 4×4 + 3×3), mais aussi au nombre de lettres de l’alphabet hébreux (ou grec). On peut aussi décomposer 25 en 12+12+1,  soit  les 12 trous du périmètre, autour des 12 trous de l’intérieur plus  le trou du centre. Tout en restant très prudent sur les interprétations numériques  dans le retable de Mérode, nous reviendrons sur ce point en conclusion de cette étude, lorsque nous aurons compris le rôle de la planche à trous au sein du panneau de droite (voir 5.2 Une Histoire en quatre tableaux).

1.2 A la loupe : le panneau central

26 novembre 2017
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Une bonne manière d’aborder cette oeuvre foisonnante est de commencer à ras de terre, c’est-à-dire d’explorer sans chercher à les interpréter les multiples détails qui en font tout le charme. Certains sont bien connus ; d’autres ont été parfois mal compris ; d’autres enfin sont passés inaperçus, alors qu’ils ont leur importance.

Nous commencerons ici par le panneau central. Image en haute résolution :
https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/annunciation-triptych-merode-altarpiece/2gH9uXVRR_p-vQ



Le vase et le lys sur la table

Merode_lys_GAP

Le vase de majolique est surtout remarquable pour son inscription mystérieuse, qui malheureusement ne signifie rien. Ce sont des caractères pseudo-hébreux tracés en écriture coufique. Ce type de décoration, qui apparaît dans de nombreuses oeuvres médiévales, est interprété soit comme un goût pour l’exotisme (Meyer Shapiro), soit comme un signe magique, soit comme « relevant d’un historicisme mal contrôlé – le coufique appelant l’image d’une sorte de langage biblique pré-latin, ou peut être un stade ancien du développement de l’écriture « .[1], p 69



met Apothecary Jar, ca 1431 FlorenceVase d’apothicaire vers 1431, Metropolitan Museum

Ce type de céramique à décor en feuilles de chêne bleu cobalt était fabriqué à Florence [2].


Le chandelier et la bougie sur la table

Merode_bougie_GAPLa bougie montre quelques coulures et une fumée s’élève au dessus. Certains disent qu’on voit encore une tâche rouge au bout de la mèche. C’est le seul exemple d’une bougie en train de s’éteindre dans toute la peinture flamande, et elle a fait couler beaucoup plus d’encre que de cire (voir 4.6 L’énigme de la bougie qui fume). La raison de son extinction est d’ailleurs aussi mystérieuse que celle de son allumage. Malgré ce que certains commentateurs prétendent, nous ne sommes pas le soir. Et l’éclairage est bien suffisant pour lire à la lumière du jour.


Bougeoir Musee Boymans van BeuningenBougeoir, XVème siècle 

Musee Boymans van Beuningen

Le chandelier est d’un modèle courant, avec une cuvette en bas permettant de récupérer les coulures, et un trou sur le côté pour déloger facilement ce qui reste de la bougie.


Les bras de lumière et la bougie sur la cheminée

Merode Werl Bougeoir

Les deux bras de lumière   sont d’un modèle pratiquement identique à celui que l’on voit dans une autre oeuvre de Campin (la Sainte Barbe du retable Werl, au Prado), planté au milieu du manteau devant une statue de la Trinité. Ils sont en forme de « bastion crênelé », et comportent au centre une « verge » permettant de ficher une bougie de taille importante, entourée par six bobèches destinées à des bougies plus fines [2a].

La seule différence est que le bras de lumière  du retable de Mérode possède sous sa coupelle une décoration en forme de blason : en fait une patte permettant de poser le doigt pour faire pivoter plus facilement l’objet.


SCOOP : deux types de bougie

Merode Bougie blanche et jaune

La bougie de la table est vue en plongée, celle de la cheminée en contre-plongée . L’une est emboîtée, l’autre plantée sur une tige. Mais une différence plus importante n’a pas été remarquée : l’une est en cire d’abeille blanchie, très onéreuse, et l’autre  est en cire d’abeille naturelle, de couleur jaune [2b].


Le livre sur la table
Merode_LivreTable_GAP

Il est posé, ouvert, sur la bourse de tissu vert qui a servi à le transporter. Un rouleau de parchemin à moitié déroulé est coincé dessous.

Le texte du rouleau est vu à l’envers, comme le montre  l’emplacement des lignes rouges qui ouvrent un paragraphe. Pour certains [2c], cela signifierait que ce texte n’est pas destiné à être lu par Marie, mais par un regard d’en haut. On peut simplement y voir une marque de réalisme : puisque le gros du rouleau est coincé sous le livre, le début du texte retombe nécessairement à l’envers.


Le livre de Marie

Merode_LivreMarie_GAP
Marie semble tenir le livre au travers d’un tissu blanc. Il s’agit en fait d’un type médiéval de reliure, dans laquelle le tissu est solidaire du livre [3].


Stundenbuch_der_Maria_von_Burgund_Wien_cod._1857_14v 1477Livre d’heures de Marie de Bourgogne
1477, Bibliothèque nationale autrichienne, Vienne
The-Magdalene-Reading-Netherlandish-painter-Rogier-van-der-Weyden National GalleryMadeleine lisant, Rogier van der Weyden, National Gallery, Londres

En voici deux exemples contemporains, qui montrent que ce type de livre n’était pas un attribut marial.


Visitation 1480-90 Graz Institution Universalmuseum Joanneum Visitation 1480-90 Graz Institution Universalmuseum Joanneum detail livre

Visitation, 1480-90, Institution Universalmuseum Joanneum, Graz

Il se rapproche d’un type de reliure plus courant, la reliure en aumônière (girdle book), un précurseur du livre de poche qui se portait accroché à la ceinture. Cet exemple est intéressant car le livre géant que la servante de Marie porte dans ses bras pourrait bien, dans ce contexte de la rencontre entre deux femmes enceintes, être une métaphore soit de l’enfant encore dans le ventre, soit du bébé à venir, enveloppé de langes.



Intéressons-nous maintenant au mobilier autour de Marie.



La fenêtre et ses volets

Merode_fenetre_GAP

En Flandres à cette époque, les volets se repliaient vers l’intérieur. Chacun se découpait verticalement en une partie étroite (pouvant se plaquer dans l’épaisseur du mur) et une partie large, elle même redécoupée horizontalement, et pouvant se plaquer sur la face interne du mur. Ils permettaient donc de régler finement l’ouverture, soit en largeur soit en hauteur.

Certains ont vu dans la jalousie une symbolique liée à la virginité de Marie. Mais elle n’a rien d’étonnant dans une pièce du rez de chaussée donnant sur la ville.



Jacques_de_Guise,_Chroniques_de_Hainaut,_frontispiece,_KBR_9242

Frontispice (présentation du livre à Philippe le Bon)
Jacques de Guise, Chroniques de Hainaut, KBR 9242, Bibliothèque royale de Bruxelles

On retrouve le même type de volet repliable, avec jalousie, dans un contexte tout à fait profane.


Campin Sainte Barbe Prado Madrid

Panneau de Sainte Barbe,
Campin, retable Werl, Musée du Prado

Ici, les volets permettent, en plus, d’obturer la partie du haut, les vitraux. L’absence de jalousie s’explique par la position en hauteur de la pièce.


Le banc

Merode banc
A voir le tissu bleu coincé sous le dossier du banc, on comprend vite que celui-ci peut se soulever : et plus précisément, pivoter autour d’un axe. Ceci permet, sans déplacer le banc, de passer de la position Hiver à la position Eté, celle qu’il a ici.


Annonciation 1415-20 Paris, Musee de Cluny, Cl. 01252 fol 27

Annonciation, 1415-20, Paris, Musée de Cluny, Cl. 01252 fol 27

Quelques années à peine avant le retable de Mérode, un banc analogue sert de pupitre à la Vierge.



Jan de Tavernier dans Jozef De Coo
Ce type assez courant de mobilier, appelé banc-tournis, trouve donc tout naturellement sa place entre la table et la cheminée.



jean poyer february tours 1500 morgan library MS H 8 folio 1v
Jean Poyer, Février, Tours, 1500, Morgan Library MS H 8 folio 1v

Quelque fois, pour se chauffer plus vite le dos avant de manger, on ne prend même pas la peine de basculer le dossier, qui se limite ici à une barre.


Annunciation Unbekannter Meister, 15. JahrhundertAnnonciation
Maître allemand inconnu, XVème siècle
Hochaltar, Marienkriche Zwickau, um 1479, Detail Annonciation von Michael WolgemutAnnonciation, Michael Wolgemut, vers 1479
Maître-autel, Marienkriche, Zwickau

Voici un modèle allemand au dossier caractéristique, très rares cas d’un banc-tournis  dans une Annonciation.



Last Supper Jorg Ratgeb, 1505-1510 Boijmans van Beuningen

La cène
Jorg Ratgeb, 1505-1510, Boijmans van Beuningen

Ici, le peintre n’a manifestement pas compris qu’un dossier incurvé ne peut pas se retourner !


Petrus Christus Vierge a l'enfant vers 1450, Galería Sabauda Turin

Vierge a l’enfant
Petrus Christus, vers 1450, Galería Sabauda,Turin

Ce tableau très postérieur présente, dans le plus joyeux désordre, une anthologie complète du vocabulaire symbolique de l’Annonciation. Ceux de l’école de Campin  : le banc-tournis, les deux livres (l’un avec sa bourse, l’autre dans son linge), le rouleau de parchemin, les volets, la bougie, la cheminée avec ses deux figurines. Plus ceux des Arnolfini de Van Eyck : l’orange sur la desserte en souvenir du péché d’Eve, le lustre avec sa bougie unique, la cathèdre près du lit et les socques posées par terre. Mais le jeu muet des symboles ne suffit plus : ont donc été rajouté le bâton sur le lit  pour évoquer discrètement Joseph ; et la cage à oiseau dont l’Enfant-Jésus manipule un des locataires, bien loin du chat qui se chauffe devant le feu (on trouvera d’autres exemples de ces frères ennemis dans Le chat et l’oiseau : autres rencontres).


Merode banc
Jozef de Coo [4], qui est le premier a avoir remarqué le banc-tournis au beau milieu d’un retable scruté depuis un demi-siècle par les plus éminents spécialistes, en a publié de nombreux autres exemples. Il semble que ces « strycsitten » aient été inventés en Flandres au début du XVème siècle, et ceux de Campin en sont la première représentation en peinture. Certains pouvaient être utilisés comme banquette pour s’allonger, d’autres comme berceau en coinçant le bébé entre le dossier et le mur.

Jozef de Coo a profité de cette découverte pour mener une charge retentissante contre le symbolisme débridé, s’en prenant notamment à une interprétation de Carla Gottlieb selon laquelle  » la transformation de l’autel en table est ainsi répétée dans la transformation du trône en banc ». Jozef de Coo souligne qu’au contraire, « dans une scène céleste, un dos amovible serait une défiguration, une désacralisation ».

Selon lui, ce que les commanditaires recherchaient dans leurs dévotions devant le retable, c’était :

« l’indissoluble mélange du sacré et du quotidien… comme ils pouvaient l’attendre d’un art religieux qui, en dépit de son goût pour le symbolisme, donnait la préférence au descriptif, au narratif, à l’anecdotique. Nos jeunes brabantains n’appartenaient pas à cette génération qui, récemment, a donné aux objets quotidiens des significations théologiques complexes, tirées des Saintes Ecritures et chargées de toute la complexité de la littérature médiévale spéculative et visionnaire ».

Cet article saignant a dû dissuader les iconographes d’aller chercher plus loin dans le banc à deux positions du retable de Mérode. Certains (à la suite de Panofski) continuent à dire qu’il est orné de lions, alors qu’il y a aussi deux chiens en alternance. Alternance nécessaire pour que le meuble soit totalement symétrique : que ce soit en hiver ou en été, on s’assoit avec un chien à sa gauche et un lion à sa droite.

Nous verrons, dans 4.2 L’Annonciation de Bruxelles, que Campin a également représenté l’autre configuration possible des animaux (avec le chien à droite et le lion à gauche).

Mais pour l’instant, restons-en, comme préconisé par Jozef de Coo, au pittoresque et à l’anecdotique.


Le repose-pieds

Merode repose pieds
Le repose-pied est amovible, pour pouvoir être déplacé sur la façade arrière lorsque le banc est en position Hiver. Il est en forme de patte de lion stylisée. C’est sur ce repose-pied que Marie est assise, prenant appui du coude gauche sur le banc.


La table

Merode table
La table possède seize côtés, ce qui a donné lieu a de nombreuses interprétations.



Merode pied table
Mais aucune attention n’a été apportée à son pied, dont le décor à patte de lion est assorti à celui du repose-pied : il est pourtant remarquable que le bord gauche soit décoré, alors que le bord droit est rectiligne.


xx

TABLE CHAIR. ENGLISH. CIRCA 1490Table rabattable vers 1490, provient d’un manaoir proche de Muchelney Abbey, Somerset, Collection privée Hutch or tilt top table XIX siecleTable rabattable, XIXe siècle

La seule explication (ceci est un scoop !) est qu’il s’agit d’une table rabattable (Hutch or tilt top table), dont aucun exemplaire similaire n’est parvenu jusqu’à nous.


Bosch Gula Table des 7 peches capitaux vers 1500 Museo del Prado, Madrid
La Gourmandise (Gula)
Bosch, Table des sept péchés capitaux vers 1500 Musée du Prado, Madrid

On en voit une très semblable sur cette oeuvre un peu postérieure de Bosch.

Ainsi, et sans prétendre pour l’instant à une quelconque interprétation symbolique, notons qu’à côté du banc à deux positions, Campin a placé un mobilier tout aussi ingénieux : une table rabattable assortie (nous en proposerons une interprétation dans 4.4 Derniers instants de l’Ancien Testament).



 L’équipement de la cheminée



Le parefeu

Merode_Chenets_GAP
Entre les deux traditionnels chenets se trouve un ustensile très rarement représenté à cette époque : un parefeu permettant de se protéger des braises qui sautent. En voici un autre exemple en osier :



Mois de Janvier Tres Riches heures du duc de Berry
Mois de Janvier,
Très Riches heures du duc de Berry, 1410-1449, Château de Chantilly

Sa présence a été amplement commentée, notamment en relation avec la planche à trous que perce Joseph dans le panneau de droite (un second parefeu ?). Nous y reviendrons dans 4.4 Derniers instants de l’Ancien Testament.



 Le mobilier autour de l’Ange



La porte

Merode detail porte

L’ouverture est à peine visible, au ras du cadre, mais on voit bien que le bout d’une aile de l’Ange n’en est pas encore sortie.


Le bassin de la niche

Merode_bassin_GAP
Dans la niche de pierre est suspendu par une chaîne un bassin de cuivre rempli d’eau, un aquamanile permettant de se laver les mains. Pour qu’on puisse l’incliner dans toutes les directions, il est muni d’un pivot vertical et d’un pivot horizontal, au bout de laquelle se trouve une tête masculine. Ceci explique pourquoi il possède deux déversoirs (ornés d’une tête de gargouilles) : afin qu’il soit en équilibre.


Lavabo Cleveland Museum of art 15thAquamanile du XVème siècle
Cleveland Museum of art

Il n’a rien d’exceptionnel : en voici un exemplaire pratiquement identique.

Ce qui est remarquable dans le panneau de Merode, c’est le traitement minutieux des reflets et des ombres, caractéristique de l’atelier de Campin. On voit sur le flanc du bassin les deux tâches claires des deux oculus ; et sur le mur, très logiquement, les deux ombres du bassin. Si la chaîne semble de métal noir (sauf son premier anneau), c’est parce qu’elle baigne dans l’ombre de la niche.


Le porte-serviette

Merode_serviette_GAP
C’est un modèle très élaboré : remarquer le placage métallique, sur le dessus, qui évite le contact entre la serviette mouillée et le bois. Très originale également est la tête servant de butée : barbue, rayonnante, rubiconde, elle évoque peut-être tout simplement la chaleur et l’idée de séchage (nous en proposerons deux autres interprétations dans 4.5 Annonciation et Incarnation comparées)


Anonyme bruxellois 1470-80 Musee Boijmans van Beuningen Rotterdam verso Anonyme bruxellois 1470-80 Musee Boijmans van Beuningen Rotterdam recto

Anonyme bruxellois, 1470-80, Musee Boijmans van Beuningen, Rotterdam

Cette nature morte qui figure au verso d’uneVierge à l’Enfant montre bien que la serviette, le bassin et même les deux livres avec le rouleau de parchemin sont des métaphores mariales (virginité, pureté, sagesse) qui peuvent fonctionner isolément, hors du contexte de l’Annonciation.


Merode_serviette_GAP The_Ghent_Altarpiece_Niche_with_Wash_Basin_1432Niche avec bassin de lavement des mains
Van Eyck, Revers du retable de Gand, 1432

C’est cependant la comparaison avec une Annonciation contemporaine , celle de Van Eyck au revers du retable de l’Agneau Mystique qui va nous permettre de voir combien Campin privilégie la dissymétrie. Tandis que chez Van Eyck le bassin et le porte-serviette sont orthogonaux au mur, Campin s’est amusé à les tourner dans des directions différentes. De même, il a posé la serviette un bout plus long que l’autre. Et, détail étrange qui n’a jamais été commenté, il a mis des franges d’un seul côté.


Campin Mise au tombeau Seilern ca 1425 The Courtauld Institute of Art
Mise au tombeau
Campin, retable Seilern, vers 1425, The Courtauld Institute of Art

On a parfois voulu voir dans cette serviette une préfiguration du linceul du Christ, car elle ressemble beaucoup, par ses rayures bleues et ses franges, au linceul du retable Seilern.


Robert_Campin_Vierge à l'Enfant devant la cheminee Ermitage Saint Petersbourg
Vierge à l’Enfant devant la cheminée
Robert Campin, Ermitage, Saint Pétersbourg

Mais on peut plus profitablement la comparer cette Vierge à l’Enfant. Tandis que Marie tourne la main vers le feu, la serviette sèche tranquillement au mur, suspendue au dessus du lavabo. Elle présente les deux mêmes bandes de trois rayures bleus que le retable de Mérode, visiblement sans intention morbide. Elle ne présente pas de franges.

Sur ce panneau et son fonctionnement en diptyque, voir Les premiers diptyques religieux.


Flugelaltar Meister des Eggelsberger Altars Oberosterreich 1481 Flugelaltar Meister des Eggelsberger Altars Oberosterreich 1481 detail

Annonciation
Meister des Eggelsberger Altars, 1481,Schloßmuseum, Eggelsberg bei Schärding

A bien y réfléchir, les plus étonnant dans le retable de Mérode est cette absence de franges d’un côté : ce maître, bien moins habile que Campin, n’a pas oublié de les représenter, même sur le côté le moins visible.


Jan_de_Beer_-_Birth_of_the_Virgin detail serviette
Naissance de Marie
Jean de Beer, vers 1520, Musée Thyssen Bornemiza, Madrid
(Cliquer pour voir l’ensemble)

De même chez cet émule de Campin, catégorie détails pittoresques : remarquer la découpe du banc par la fenêtre, l’aile de poulet qui sert à épousseter les moulures, le miroir qui reflète la servante (laquelle lève la main vers le feu pour vérifier la chaleur, dans le même geste que dans la Vierge de Saint Pétersbourg). Sans oublier le demi-chat qui se chauffe devant la cheminée.

Nous proposerons une interprétation de cette énigme des franges absentes dans 4.4 Derniers instants de l’Ancien Testament.



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Références :
[1] Islam and the Medieval West, Volume 1, Stanley Ferber, SUNY Press, 30 juin 1979
[2] Il n’a rien à voir avec les céramiques de Delft fabriquées pour Rosh Hashanah, citées dans cette intense discussion sur Reddit https://www.reddit.com/r/ArtHistory/comments/1ywsuq/i_was_wondering_if_someone_could_tell_me_what_the/
[2a] Merci à B. Disdier Defaÿ pour ces précisions terminologiques. Voir son sa très intéressante base de données  : Chandeliers anciens. Candlesticks : a historical database from 1400 to 1800 https://www.pinterest.fr/disdierdefay/
[2b] Comme le remarque B. Disdier Defaÿ, il ne peut s’agir d’une chandelle de suif, trop molle pour être piquée, mais d’une bougie de cire d’abeille ayant gardé sa couleur naturelle jaune. Pour des raisons symboliques qui s’expliqueront dans  4.6 L’énigme de la bougie qui fume, je pense que le chandelier de la table montre, en contraste, non pas une chandelle de suif, même de qualité supérieure, mais  une bougie de cire d’abeille blanchie par l’action du soleil.
[2c] Patricia Lea’, “CLEAN HANDS ARE NOT ENOUGH: LECTIO DIVINA FOR NOVICES IN THE MÉRODE ANNUNCIATION”, p 16
[3] « chemise binding », voir https://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/GlossC.asp
[4] De Coo, Jozef. « A Medieval Look at the Merode Annunciation. » Zeitschrift für Kunstgeschichte 44, no. 2 (1981). pp. 114–32, fig. 1–2. http://www.jstor.org/stable/1482081

1.1 Un monument de l'Histoire de l'Art

26 novembre 2017
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Retable de Merode aux Cloisters
Triptyque de Mérode

Ce petit objet, exposé aux yeux de tous depuis son achat en 1956 à la famille des Comtes de Mérode, a fasciné des générations d’historiens d’Art, qui se sont disputés et se disputent encore dans des luttes homériques :

  • sur son auteur : Robert Campin, dit encore le maître de Flémalle (un très grand artiste dont l’oeuvre a été hypothétiquement reconstituée tout au long du XXème siècle) ou bien un ou plusieurs membres de son atelier ? [1]
  • sur sa signification : chef d’oeuvre de réalisme flamand ou de symbolisme religieux, ou les deux ?



Triptyque de Mérode

Atelier de Robert Campin, 1427-32, Musée des Cloisters, New York

MerodeComplet_GAP

Si le triptyque de Mérode est une oeuvre extraordinaire et difficile à appréhender, c’est qu’il est sous bien des points un prototype :

  • une des toutes premières peintures à l’huile ;
  • un triptyque prenant pour sujet principal l’Annonciation, alors qu’on la trouve habituellement sur le revers des panneaux latéraux [2] ;
  • la première représentation de l’Annonciation dans un intérieur flamand ;
  • une iconographie rarissime : Joseph représenté dans une Annonciation à part égale avec Marie ;
  • un des plus complexes assemblage d’objets relevant de ce que Panofski a baptisé le « symbolisme déguisé ».


Un siècle de recherche

01 hugo-von-tschudiHugo von Tschudi 02 Johan HuizingaJohan Huizinga 03 Erwin PanofskiErwin Panofski 04 Charles-de-TolnayCharles de Tolnay
 05 Meyer ShapiroMeyer Schapiro 06 Margaret Freemann 1938Margaret Freemann 07 Heckscher, William S William Heckscher 08 helmut nickel 2012Helmut Nickel
09 Charles Isley MinottCharles Minott 09a Marilyn Aronberg LavinMarilyn Aronberg Lavin 10 Albert-ChateletAlbert Chatelet 11 Lorne_Campbell LorneCampbell
12a daniel arasseDaniel Arasse  12 Cynthia HahnCynthia Hahn 13 Reindert_FalkenburgReindert Falkenburg 14 Felix_ThurlemannFelix Thürlemann
15 Stephan KemperdickStephan Kemperdick

Les plus grands historiens d’art se sont penchés sur ses mystères [3]. La bibliographie le concernant ne comporte pas moins de 340 références, qui s’accroissent chaque année [4].

Durant un siècle d’études savantes, toutes les sources historiques ont été exhumées, tous les textes d’époque ont été écumés, et il est peu probable qu’on trouve subitement un nouvel élément ajoutant une pierre à l’édifice. Alors, que peut-on encore espérer dire d’intéressant et de neuf sur ce célébrissime fétiche ?



La première approche est celle de l’observation pure : en oubliant toutes les interprétations, nous examinerons l’oeuvre à la loupe, la comparerons avec d’autres documents d’époque et mettrons en valeur certains détails qui ont été soit mal compris, soit sous-estimés, soit complètement ignorés :

  • 1.2 A la loupe : le panneau central
  • 1.3 A la loupe : les panneaux latéraux

La seconde est historiographique : nous résumerons cinq travaux assez anciens, mais qui ont marqué les mémoires :

  • le décryptage du panneau de droite par Schapiro (1945) ;
  • l’article de synthèse de Margaret Freeman, à l’arrivée du retable aux Cloisters (1957) ;
  • une interprétation d’après les textes d’Isaïe par Charles Ilsley Minott (1969) ;
  • une interprétation « free style » par Carla Gottlieb (1970) ;
  • une relecture soigneuse de l’ensemble par Cynthia Hahn (1986).


sb-line

Annonciation Bruxelles Campin
Annonciation, Maître de Flémalle, Musée royal des Beaux Arts, Bruxelles

Après cet état des lieux des étapes saillantes de la recherche, nous explorerons une voie qui a notre sens qui n’a pas été exploitée dans toutes ses conséquences : la comparaison du panneau central avec une variante très proche, elle-aussi de l’atelier de Campin : l’Annonciation de Bruxelles. Cette méthode nous permettra de parvenir à une interprétation originale et cohérente d’abord du panneau de Bruxelles, puis du panneau central du retable de Mérode, puis de l’ensemble de ce retable, qu’il faut voir comme la mise en scène d’une sorte de Mystère sacré.



Nous terminerons par une interprétation détaillée du panneau de Joseph, prolongeant les analyses de Minott et révélant, sous le pittoresque atelier d’un menuisier médiéval, une construction théologique rigoureuse et ambitieuse.

Mais nul besoin d’être théologien pour aller plus loin : toutes les notions nécessaies seront fournies en cours de route.


L’essentiel sur l’Annonciation

L’épisode de l’Annonciation tient en quelques phrases de l’Evangile de Luc.

« Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth,à une vierge fiancée à un homme appelé Joseph, de la maison de David, et la vierge s’appelait Marie.Il entra chez elle et dit : Réjouis-toi, gracieuse, le Seigneur est avec toi. À cette parole elle se troubla, elle se demandait quelle était cette salutation. L’ange lui dit : Ne crains pas, Marie, Voilà que tu vas concevoir et enfanter un fils. Tu l’appelleras Jésus. » Luc 26:31

« Marie dit à l’ange : Comment ce sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? L’ange lui répondit : L’Esprit saint surviendra sur toi, la puissance du Très-Haut te couvrira : c’est pourquoi l’enfant sera saint et on l’appellera fils de Dieu… Et Marie dit : Voici l’esclave du Seigneur. Qu’il en soit de moi comme tu dis, Et l’ange la quitta ». Luc 24:38

Bien que le texte ne le précise pas explicitement, la réponse favorable de Marie (« Ecce ancilla Domini ; fiat mihi secundum verbum tuum ») déclenche la conception miraculeuse de Jésus dans son ventre (ainsi que de nombreuses conséquences et complications jusqu’à nos jours).

L’Annonciation, sujet très facile a représenter pour les peintres et qui a donné lieu à d’innombrables variations, coïncide donc avec l’Incarnation, sujet autrement délicat pour laquelle aucune iconographie n’a été codifiée (sinon celle de ne pas essayer de la représenter).

La conception virginale réalise une prophétie du prophète Isaïe :

« C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe, Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, Et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. »  Isaïe, 7:14


Grandes Heures de Rohan 1430-35 f45r GallicaAnnonciation, Grandes Heures de Rohan 1430-35 f45r Gallica

On voit ici Isaïe (en bas à droite) montrant sa prophétie, tandis que l’ange déroule son propre phylactère.

En somme, l’Annonciation est une Prédiction renouvelant une Prophétie. Car tant que l’enfantement n’aura pas eu lieu, dans neuf mois, tout reste encore envisageable : que la grossesse n’aille pas à son terme, sans parler de la virginité de Marie.

L’Annonciation, qui ouvre pour les théologiens trois trimestres d’insécurité maximale (Jésus est-il bel et bien là, et quand, et sous quelle forme ?), offre aux meilleurs artistes (comme Campin) la possibilité de parler à la fois du passé lointain (Isaïe), du présent (l’Incarnation), du futur proche (la Nativité) et du futur lointain (la Crucifixion de Jésus).


Annonciation Belles heures de jean du berry folio 30r MET

Annonciation, Belles heures de Jean du Berry, 1405-09, folio 30r Metropolitan Museum

D’autres se contentent de traiter le thème des deux époques : ici, de part et d’autre d’un pilier faisant frontière, Marie se tient  au pied d’une statue de Moïse, représentant l’Ancien Testament ; et l’Ange rentre à gauche par une porte représentant l’entrée dans le monde du Nouveau Testament.

Voyez-vous où se trouve Isaïe ?

Voir la réponse...

Annonciation Belles heures de jean du berry folio 30r MET detail Isaie


Merode_Recap_Scoops

Afin d’appâter le lecteur, terminons par un aperçu des importants problèmes qui seront résolus en cours de route :

  • pourquoi des voisines bavardent-elle par la fenêtre, au fin fond du panneau de gauche ? (réponse dans 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré)
  • pourquoi la serviette a-t-elle des franges d’un côté et pas de l’autre ? (réponse dans 4.4 Derniers instants de l’Ancien Testament)
  • pourquoi le pied de la table n’est-il pas symétrique ? (réponse dans 1.2 A la loupe : le panneau central)
  • pourquoi la décoration de la banquette montre-t-elle une alternance de chiens et de lions ? (réponse dans 4.3 Premiers instants du Nouveau Testament)
  • pourquoi la bougie de la cheminée est-elle jaune ? (réponse dans 4.4 Derniers instants de l’Ancien Testament)
  • pourquoi y-a-t-il trois volets au plafond de l’atelier de Joseph, et à quoi sert la souricière exposée à l’extérieur ? (réponse dans 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré)
  • quel est ce minuscule objet arrondi sur le coin de son établi ? (réponse dans 5.2 Une Histoire en quatre tableaux)
  • quel est, définitivement, l’objet qu’il est en train de fabriquer ? (réponse dans 3.3 L’énigme de la planche à trous)
  • à quoi sert le petit tabouret sur lequel est posé la scie ? (réponse dans 1.3 A la loupe : les panneaux latéraux)



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Références :
[1] Aucune oeuvre n’étant signée et datée, les attributions ont fluctué et fluctueront encore : on trouvera un aperçu de ces discussions de spécialistes dans 4.2 L’Annonciation de Bruxelles. Lorsque j’écris « Campin« , il faut naturellement comprendre « atelier de Campin« .
[2] C’est les cas notamment dans le retable de l’Agneau Mystique de Van Eyck. Ceci s’explique par la coutume des Flandres de fermer les triptyques pendant le carême, en signe de deuil. Or la fête de l’Annonciation, 9 mois jour pour jour avant la Noël, donc le 25 mars tombe en général en plein carême. Ceci est un argument en faveur d’un triptyque de dévotion privée.
[3] Je n’ai pas pu trouver les photographies de Jozef de Coo ni de Carla Gottlieb. Que les âmes studieuses de ces deux grands adversaires me pardonnent.
[4] Voir la section Reference sur  le site du musée : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/470304
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