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L’inversion Eve-Adam

25 février 2024

Adam, l’arbre au serpent et Eve : cet ordre qui semble naturel a-t-il à voir avec le statut du couple ? Cet article passe en revue les exceptions, selon les époques, et s’interroge sur leur cause.



Aperçu historique

Aux hautes époques

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Les toutes premières représentations de la Chute sont des carreaux de parement en terre cuite.

6eme siecle fin brique_adam_et_eve Vertou, eglise Saint-Martin Nantes, musee DobreeFin 6ème siècle, église Saint-Martin de Vertou, musée Dobrée, Nantes 6eme 7eme terre cuite Tunisie6ème-7ème siècle, Tunisie, collection privée

Si l’exemple français respecte l’ordre « naturel », tous les exemples tunisiens (musées du Bardo ou de Sousse) placent Eve à gauche. En revanche apparaît dès ces autres époques une règle intangible : la tête du serpent pointe côté Eve, puisque c’est elle qu’il a tentée.



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A l’époque préromane et romane

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950 ca adam eve Codex Aemilianensis, ms d I. I. , f. 17vers 950, Codex Aemilianensis,  MS d I. I. , fol 17 950 ca beatus-escorial-san-millan-msII.5-f181000, Beatus de L’Escorial-San Millan, MS II.5-fol 18

Dans les Beatus, on trouve encore les deux formules.


 

1000 ca Codex Cadmon Bodleian Library MS. Junius 11 fol 28L’Envoyé du démon tentant Eve, puis Adam, page 28
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11

Ce manuscrit contient un texte en vieil anglais, la Génèse dite de Cædmon, qui explique avec un luxe de détails comment l’Envoyé de Satan, sous l’apparence d’un ange, trompa d’abord Eve en lui faisant goûter le fruit de l’Arbre de la Mort, de sorte qu’elle convainque ensuite Adam d’y goûter à son tour :

« Elle mangea le fruit et méprisa la volonté et la parole de Dieu. Alors elle put voir au loin grâce au don du démon, dont les mensonges la trompaient et la piégeaient avec ruse, de sorte qu’il arriva que les cieux lui apparurent plus radieux, la terre et tout le monde plus beaux, l’ouvrage grand et puissant de Dieu, bien qu’elle ne les ait pas vus avec la sagesse humaine… « Dis à Adam quelle vision tu as et quel pouvoir tu as par ma venue. Et même encore, s’il obéit à mes ordres avec un cœur humble, je lui donnerai de cette lumière en abondance, comme je t’en ai donné »… Alors la belle jeune fille, la plus belle des femmes qui soient jamais venues au monde, se rendit auprès d’Adam… Parmi les pommes fatales, elle en portait certaines dans ses mains, d’autres sur sa poitrine, fruit de l’arbre de la mort dont le Seigneur des seigneurs, le Prince de gloire, lui avait défendu de manger, en disant que ses serviteurs n’avaient pas à souffrir la mort… » (vers 599-646) [0]

Dans ce cas très particulier, on est donc certain que l’inversion Eve-Adam traduit la chronologie de la Chute, celle d’Eve entraînant, dans un second temps, celle d’Adam.

Pour l’analyse d’autres images de la Génèse de Cædmon, voir 3 Débordements préromans et romans : en Angleterre .


1100-30 San Pedro in LoarreSan Pedro in Loarre, 1100-30 1170-1180 cloister at the Cattedrale di MonrealeCloître de la Cathédrale de Monreale, 1170-1180

Dans la sculpture monumentale, on rencontre de nombreuses manières de représenter le Péché originel. Dans la forme symétrique, de part et d’autre de l’arbre, l’ordre « naturel » devient prédominant mais les exceptions sont nombreuses.

« D’une part, en plaçant Adam et Ève à égale distance de l’arbre, l’iconographie faisait ainsi référence à un certain égalitarisme social et à un certain nivellement moral entre l’homme et la femme, même si le serpent est presque toujours tourné vers la femme. Le côté où chaque personnage était placé variait. On a déjà considéré comme une « tradition iconographique » la position d’Ève à droite de l’arbre, schéma qui aurait à peine trois exceptions, à Saint-Antonin, à Bruniquel et à Lescure. En fait, la femme apparaît à gauche dans plusieurs autres cas, à titre d’exemple sur les sculptures d’Anzy-le-Duc, Airvault, Butrera, Cergy, Cervatos, Covet, Embrun, Gémil, Gérone, Lavaudieu, Lescar, Loarre, Luc-de-Béarn, Mahamud, Manresa, Moirax, Montcaret, Peralada, Saint-Étienne-de-Grès, Saint-Gaudens, Sangüesa, San Juan de la Peña, Toirac, Vérone et Vézelay. De même, sur les fresques d’Aimé, Fossa et San Justo de Ségovie, sur les enluminures de la Bible de Burgos, de l’Exultet 3 de Troia et de l’Hortus Deliciarum, sur un médaillon métallique de Saint-Jean-de-Latran, et sur les mosaïques de Monreale et de Trani. » [1]



L’influence du contexte

Plutôt que de multiplier les exemples et les contre-exemples isolés, il est plus fructueux d’étudier les cas où le motif intervient au sein d’un contexte : le choix entre une forme et une autre est parfois influencé par les symétries de l’ensemble.

Dans les rouleaux d’Exultet de Montecassino

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1087 Barberini Exultet Montecassino Cod.Barb.Lat. 592
Le péché originel
1087, Exultet Barberini, réalisé au Monastère du Montecassino, Vat Cod.Barb.Lat. 592

L’illustrateur de ce rouleau a opté pour une formule non centrée, dans l’ordre des responsabilités : d’abord le Serpent, puis Eve, puis Adam.


1075_Exultet Roll_Italian (Monte Cassino), c. 1075_London, British Library_MS Additional 30337, 8Vu par les spectateurs 1075_Exultet Roll_Italian (Monte Cassino), c. 1075_London, British Library_MS Additional 30337, 8 inverseLu par les chantres

Le péché originel
1075, Exultet réalisé au Monastère du Montecassino, BL MS Additional 30337

Cet autre rouleau étroitement apparentés (mais qui n’est pas exactement une copie) a fait le même choix. Les rouleaux d’Exultet étaient déroulés devant les fidèles, tandis que le chantres se trouvaient derrière le lutrin : ce pourquoi les textes sont écrits à l’envers, et les images se succèdent de bas en haut. L’image du Péché originel illustre le texte inscrit immédiatement au dessus (dans la vue « chantres ») :

Ô péché vraiment nécessaire d’Adam, complètement détruit par la mort du Christ !
Ô heureuse faute, qui nous a valu un si grand, si glorieux Rédempteur !

O certe necessarium Adæ peccatum, quod Christi morte deletum est!

O felix culpa, quæ talem ac tantum meruit habere Redemptorem!

Or, comme s’en étonne Thomas Forrest Kelly ([1a], p 181), l’image qui était visible pour le public pendant ce chant était non pas celle-ci, mais le précédente (en l’occurrence, le Christ aux Enfers). Ceci n’est pas une anomalie si on imagine un déroulement par à coups : d’abord les chantres chantaient le texte, puis le rouleau état déroulée et la nouvelle image était révélée au public, dans un effet de suspense.

La scène du Péché originel apparaît dans ce rouleau pour illustrer la nouvelle version du texte de l’Exultet (Vulgate) imposée par le pape Etienne IX en 1058 ([1b], p 81 et ss). De même la scène qui suit, le Noli me Tangere où Marie Madeleine s’agenouille devant le Christ ressuscité, s’introduit également à l’occasion de ce nouveau texte.

Il est très probable que l’inversion résulte ici du contexte immédiat : sous les yeux du spectateur, le couple maudit Eve-Adam est remplacé, dans une sorte de fondu enchaîné, par le couple de la Pècheresse et du Rédempteur [1c].


exultet_2,_1050-1100_ca.,_dal_duomo_di_pisa,_10_peccato_originaleExultet 2,1050-1100, Duomo di Pisa

Le troisième Exultet du Mont Cassin présentant la scène du Péché originel l’associe au même texte du felix culpa. L’image concatène trois scènes :

  • Dieu créant Adam (sur le globe-siège typique de l’Italie centrale, voir 5 L’âge d’or des Majestas) ;
  • Eve tentée par le serpent ;
  • Eve tentant Adam.

Tout se passe comme si, en dupliquant à gauche le personnage d’Eve, l’artiste avait scindé en deux duos le trio Serpent-Eve-Adam des autres rouleaux. Il n’y avait plus de raison de maintenir ce trio, puisque l’image suivante n’est pas le Noli me tangere mais une scène liturgique, l’allumage du cierge pascal.


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Sur une paroi méridionale

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Adam et Eve Fresque de Tebtunis 11eme Musee copte Le Caire

Adam et Eve, Fresque de Tebtunis, 11ème siècle, Musée copte, Le Caire

Cette fresque de la paroi méridionale de l’église de lit de droite à gauche, en direction du choeur :

  • 1) le cheval est celui de Dieu, dont la silhouette (disparue) se penchait à droite pour extraire Eve du flanc d’Adam [2] ;
  • 2) Eve et Adam avant la Chute mangent les fruits défendus en toute innocence primitive, en l’absence des organes sexuels ;
  • 3) Eve et Adam après la Chute cachent leurs parties honteuses.

Dans ce cas précis, l’inversion entre Adam et Eve est donc liée au sens de lecture des fresques, de droite à gauche : de sorte que l’oeil, dans chaque scène, restaure l’ordre naturel, en rencontrant d’abord Adam , puis Eve.


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A Saint Paul hors les Murs

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San Paolo fuori le mure BAV, codice Barb. Lat. 4406, fol 26 et 27

Les fresques paléochrétiennes de Saint Paul hors les murs nous sont connues par des aquarelles du XVIIème siècle. Le cycle de la Génèse se déroulait sur le mur Sud de la nef, en commençant à l’arc triomphal, et les scènes de la Chute et de la Découverte d’Adam et Eve se trouvaient sous la quatrième et la cinquième fenêtre. Elles ne comportaient pas d’inversion.


1285 Arnolfo di Cambio, Baldaquin Eve Adam Basilica_of_Saint_Paul_Outside_the_WallsFace Nord du Baldaquin
Arnolfo di Cambio, 1285 Baldaquin de Saint Paul hors les Murs

Un spectateur contemplant le baldaquin depuis le transept Nord pouvait donc voir la composition paléochrétienne derrière la décoration gothique conçue par Arnolfo di Cambio. L’inversion s’explique par le fait que l’arbre au serpent, ne pouvant être en position centrale, a été repoussé dans l’écoinçon de gauche, la figure clipeata de Dieu lui faisant pendant dans l’écoinçon de droite.

Tout comme les fresques de la nef, le baldaquin montre en fait deux scènes consécutives :

  • Eve tentée par le serpent ;
  • Les reproches de Dieu et la honte d’Adam.

Le geste de pudeur d’Eve, se cachant le sexe avec une feuille de vigne, brise la chronologie par raison de symétrie.


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Dans le cycle de la Génèse

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1139 master Nicolaus west portal San Zeno Verone1139, maître Nicolaus, Portail Ouest, San Zeno, Vérone

Ce portail présente les six scènes obligées de la Génèse :

  • 0) création du Monde (ici les animaux) ;
  • 1) création de l’Homme ;
  • 2) création d’Eve à partir de la côte d’Adam ;
  • 3) Adam et Eve autour de l’Arbre
  • 4) L’expulsion du Paradis
  • 5) Adam et Eve condamnés au travail.

Notons que toutes ces scènes sont inversibles, sauf une : dans la scène 4, l’Ange est toujours à gauche, de manière à ce que le sens de l’Expulsion corresponde avec le sens de la lecture. Et Adam s’interpose toujours entre Eve et l’Ange, afin de la protéger.

Moyennant cette contrainte, on voit que maître Nicolaus a choisi d’organiser ses scènes selon une symétrie d’ensemble rigoureuse :

  • la figure d’autorité, Dieu ou l’Ange (en jaune) est toujours à l’extérieur ;
  • l’ordre masculin-féminin s’inverse de part et d’autre de l’axe vertical.

En raison de cette symétrie, la scène de la Tentation, qui fait pendant à la Création d’Eve, n’est pas inversée.


1185 -1195 Psaultier de Cantorbery schemaPsautier de Cantorbery, 1185 -1195, BnF, Mss., Latin 8846

Ici la lecture s’effectue de haut en bas, et une scène supplémentaire a été introduite :

  • 2a) Dieu interdit à toucher à l’arbre.

Dans cette scène comme dans l’Expulsion, c’est toujours le Chef de famille qui s’interpose entre l’Autorité et la Femme.

Ici l’enlumineur a choisi pour cette scène de placer Dieu à gauche, ce qui crée un effet d‘opposition (flèche rouge) entre l’Interdiction et l’Expulsion.

De même, la forme inversée choisie pour la scène de la Chute introduit un parallélisme entre l’Avant (3) et l‘Après (5) (flèche verte), qui fait bien comprendre que la Punition est la conséquence du Péché universel.

Dans cette composition séquentielle (à la manière d’une BD), il est logique que les scènes ne soient pas organisées en fonction d’une symétrie d’ensemble, mais qu’elles se répondent localement.


1200-50 Cathedrale_d'Amiens_-_trumeau portail mere dieu_Adam_et_Eve schema1200-50, trumeau du portail de la Mère Dieu, Cathédrale d’Amiens

Les scènes de lisent toujours de haut en bas, mais de droite à gauche : c’est la raison pour laquelle, de manière exceptionnelle, la scène de l’Expulsion (4) est ici inversée. La solution retenue a pour but de faire apparaître la même relation  de parallélisme (flèche verte) et d’opposition (flèche rouge)entre les scènes-clés.

A noter le geste caractéristique d’Adam portant la main à la gorge, sur lequel nous reviendrons plus loin.


1250-1330 battistero di firenze, storie della genesi cgaddo gaddi schema1250-1330, attribué à Gaddo Gaddi, baptistère de Florence

Ici a été rajoutée une autre scène

  • 4a) Dieu maudit Adam et Eve

De ce fait, deux scènes consécutives 4a et 4 ont la même composition. L’inversion de la scène 3 rompt l’uniformité, et permet de mettre en valeur le parallélisme habituel entre les scènes 3 et 5.


1310-20 Lorenzo Maitani duomo orvierto schema

Lorenzo Maitani, 1310-20, Duomo d’Orvieto

Nouvelle case supplémentaire :

  • 1a) la Création d’Eve : Dieu extrait une côte à Adam.

La scène 3 habituelle s’enrichit, à droite, d’une scène subsidiaire : Adam et Eve se cachant sous un buisson car ils ont honte de leur nudité.

Malgré la complexité de l’ensemble, la composition respecte encore les deux grandes règles que nous avons dégagées : opposition entre 2a et 4, parallélisme entre 3 et 5.

Sur la pose très particulière d’Adam, voir Adam et Eve vus de dos.


1425, jacopo della quercia San_petronio Bologna_portale_maggiore adam eve schema1425, Jacopo della Quercia, portail majeur de San Petronio, Bologne

La même règle de parallélisme entre 3 et 5 se maintient encore ici, au sein d’une idée très originale : entrecroiser systématiquement les sexes d’une scène à la suivante.

De ces exemples très différents se dégage une conclusion assez simple : l’ordre dans la scène de la Chute n’est pas lié à une tradition locale ou à une mode ; il résulte directement des symétries choisies pour l’ensemble, et de la contrainte liée à la composition intangible de la scène de l‘Expulsion.



L’influence de Pierre le Mangeur (SCOOP !)

Dans un certain nombre d’inversions du 13ème et 14ème siècle, il est possible de déceler l’influence de deux textes très répandus : l’Histoire Scolastique puis la Bible Historiale.

Adam-Eve-1205-15 cathedrale-Chartres
Eve et Adam, détail du Vitrail du Bon Samaritain, 1205-15, Cathédrale de Chartres

A gauche de l’arbre, Eve dialogue avec le serpent et se prépare à manger la pomme. A droite de l’arbre, Adam porte la main à sa gorge, dans un geste qu’on a interprété de deux façons :

  • ultime avertissement à Eve pour qu’elle se ressaisisse ;
  • étranglement suite à l’ingestion du fruit, selon la légende qui a valu son nom à la pomme d’Adam.

C’est la seconde interprétation qui est la bonne. On ne trouve en effet aucune mention d’une réticence d’Adam dans un des textes qui faisait autorité à l’époque, l’Histoire Scolastique de Pierre le Mangeur (Petrus Comestor), rédigé entre 1169 et 1173 :

La femme vit aussi d’abord que le fruit était beau en apparence, c’est-à-dire sain, et remarquant par l’odorat ou le toucher qu’il était un bon aliment, elle le mangea et en donna à son mari, peut-être en le convainquant par des mots persuasifs, que le Législateur (Moïse) passe sous silence par souci de brièveté. Et il y consentit volontiers, car, ayant cru auparavant que la femme mourrait immédiatement, selon ce qu’avait dit le Seigneur, et ayant constaté qu’elle n’était pas morte, il se dit que cette parole du Seigneur était seulement pour l’effrayer : et il a mangé.

Histoire Scolastique De esu pomi, et statu post peccatum [2a]

Vidit quoque mulier prius, quod lignum esset pulchrum visu, id est mundum, et ex odore, vel tactu notans, quod ad vescendum suave, comedit, deditque viro suo, forte praemonens verbis persuasibilibus, quae transit legislator brevitatis causa. Qui, et ei facile acquievit, quia, cum crederet prius mulierem statim morituram, juxta verbum Domini, et vidisset non fuisse mortuam, dictum hoc a Domino aestimavit quasi tantum ad terrorem, et comedit.



Adam-Eve-1205-15 cathedrale-Chartres complet
L’ensemble de la verrière confirme cette lecture chronologique, dans lequel l’arbre sépare la scène entre l’Avant et l’Après de la Chute :

  • Avant :
    • Eve, qui brandit un bouquet de fleurs, persuade Adam, sous l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal : le Soleil se cache derrière, signe que la parole de Dieu est oubliée ;
    • Eve porte le fruit à sa bouche, encouragée par le serpent ;
  • Après :
    • Adam s’étrangle ;
    • les deux, cette fois vêtus de feuilles de figuier, se retrouvent assis sous un arbre sans fruit, derrière lequel apparaît Dieu qui les maudit.

L’inversion Eve-Adam est donc indispensable à cette symétrie, dans laquelle Eve domine la moitié gauche, prenant la pleine responsabilité de la Chute.

Les deux scènes dans lesquelles elle apparaît, celle de la persuasion d’Adam et celle de l’ingestion du fruit, correspondent d’ailleurs aux deux fautes qu’elle a commises, l’Orgueil (les fleurs) et la Désobéissance (le fruit), et aux deux malédictions qui vont la frapper :

La femme a péché en deux choses : elle était orgueilleuse et elle a mangé ce qui était interdit. Parce qu’elle était orgueilleuse, Dieu l’a humilié en disant : Sous la puissance de l’homme, tu seras violente, de sorte qu’il le sera de même, en te blessant pour te déflorer. Désormais en effet, elle est soumise de son mari par sa condition, et par peur, alors qu’auparavant elle lui était  soumise par amour. Et parce qu’elle a péché avec un fruit, elle a été punie dans son fruit. C’est pourquoi il lui a été dit : Tu enfanteras dans la douleur. Ce qui lui a été dit quant à la douleur constitue la malédiction, mais l’enfantement est une bénédiction. Car la femme stérile est maudite.

Histoire Scolastique , De maledictionibus serpentis, viri et mulieris [2a]

In duobus peccavit mulier, superbivit, et vetitum comedit. Quia superbivit, humiliavit eam dicens: Sub potestate viri eris violenta, ut etiam vulneribus te affligat in defloratione. Nunc quidem subdita est viro conditione, et timore, cui prius subjecta fuerat, sed amore. Et quia in fructu peccavit, in fructu suo punita est. Unde dictum est ei: In dolore paries. Quod dictum est ei in dolore, maledictio est, sed paries, benedictio est. Maledicta enim est sterilis


1175-1200 Antependium de_Sant_Andreu_de_Sagàs Musee de Solsona GAntependium de Sant Andreu de Sagàs (flanc gauche), 1175-1200, Musée de Solsona

Cette composition rustique place la scène de la Tentation en pendant de la Passion, résumée en une seule image (Arrestation, Descente de Croix et Mise au Tombeau). Tandis que l’arbre renvoie à la croix, le rôle d’Eve vis à vis d’Adam est ici assimilé au rôle de Judas vis à vis du Christ.

Contemporaine de l’Histoire Scolastique, cette composition reflète plus probablement les croyances populaires (l’étranglement d’Adam) que le texte de Pierre le Mangeur : elle montre que le rôle primordial d’Eve dans la Chute était alors compris partout, jusque dans une église perdue  dans les montagnes catalanes.


1220-1225 Peterborough Psalter de Bruxelles Angleterre Bruxelles Bibliotheque royale MS 9961-62 fol 25Psautier Peterborough de Bruxelles (Angleterre),
1220-1225, Bruxelles, Bibliothèque royale MS 9961-62 fol 25

Dans cette page typologique, la Tentation du Christ par Satan, en haut à gauche, est mise en parallèle :

  • verticalement, avec la Mort d’Absalon, faisant de celui-ci un équivalent de Satan :

Tandis qu’Absalon accable son père de guerres. il est lui-même tué. Ainsi, Satan est-il  servi lorsqu’il tente le Seigneur.

Dum patrem bellis gravat absalon. ipse necatur. Sic Sathanas dominum dum temptat suppediatur.

  • horizontalement avec la Tentation d’Eve par Satan, faisant de celle-ci l’antithèse du Christ.

Dans la case terminale, Eve passe de droite à gauche, de Tentée à Tentatrice, comme l’explique le texte en  jouant sur le double sens du mot malum :

Eve donne la pomme à l’homme. Ils mangent tous les deux ce présent. Tout le mal (malum) naît de là, par ce triste fruit (malum).

Eva viro pomum dat. edunt pariter duo donum. Nascitur inde malum totum. per flebille malum.

Ainsi l’inversion Eve-Adam marque indubitablement la responsabilité d’Eve dans la Chute.


1220-25 Paris_-_Cathédrale_Notre-Dame_-_Chapelles ST Guillaume provenant Rose ouest1220-25, Chapelle Saint Guillaume, Notre Dame, Paris 1225-1235 psautier latin dit de saint Louis et de Blanche de Castille Arsenal. Ms-1186 reserve fol 11v Gallica1225-1235, psautier latin dit de saint Louis et de Blanche de Castille, Arsenal. Ms-1186 reserve fol 11v Gallica

 

La Tentation

Ces deux compositions très semblables à celle de Chartres donnent elles-aussi à Eve le rôle dominant dans la Chute.

L’image du psautier développe sa gestuelle : elle mange son fruit de la main gauche et en tend un autre à Adam de la main droite. S’introduit également ce qui est la signature la plus significative de l’influence de l’Histoire Scolastique, le serpent à tête féminine, une vieille légende juive que Pierre le Mangeur avait trouvé dans les Antiquités judaïques de Flavius Josephe [2b] :

Lucifer, chassé du paradis des esprits, enviait l’homme d’être au paradis des corps ; il savait que s’il le poussait à la transgression, il en serait lui aussi chassé. Craignant cependant d’être découvert par le mari, il décide de s’attaquer à sa femme, moins prudente et moins décidée. Et cela à travers le serpent, parce qu’à cette époque le serpent était debout comme un homme, puisqu’il est tombé suite à la malédiction, et pourtant, comme on le traduit, le « pareias » avance debout. Il choisit aussi une certaine sorte de serpent, comme le dit Bède, ayant le visage d’une vierge, parce que les semblables accueillent favorablement les semblables. Et celui-ci bougea sa langue pour parler, quoique ignorant, tout comme il parle par l’intermédiaire des fanatiques et des possédés, tout aussi ignorants, et il dit : Pourquoi Dieu vous a-t-il ordonné de ne pas manger des fruits de tous les arbres du jardin, c’est-à-dire de manger des fruits des arbres, mais pas de tous ?

Histoire Scolastique, De suggestione serpentis sive daemonis [2a]

Lucifer enim dejectus a paradiso spirituum, invidit homini quod esset in paradiso corporum, sciens si faceret eum transgredi, quod et ille ejiceretur. Timens vero deprehendi a viro, mulierem minus providam et certam, in vitium flecti aggressus est. Et hoc per serpentem, quia tunc serpens erectus est ut homo, quia in maledictione prostratus est, et adhuc, ut tradunt, phareas (pareias) erectus incedit. Elegit etiam quoddam genus serpentis, ut ait Beda, virgineum vultum habens, quia similia similibus applaudunt, et movit ad loquendum linguam ejus, tamen nescientis, sicut, et per fanaticos, et energumenos loquitur, nescientes, et ait: Cur praecepit vobis Deus ut non comederetis de omni ligno paradisi, id est, ut comederetis de ligno, sed non de omni 


1260-Psautier-de-Rutland.Angleterre-BL-Add.-62925-fol-8vPsautier de Rutland (Angleterre), 1260, BL Add. 62925 fol 8v Bible d'Utrecht vers 1430 La Haye, Meermanno Koninklijke Bibliotheek, 78 D 38 I, fol. 8v°Bible d’Utrecht
Vers 1430, La Haye, Meermanno Koninklijke Bibliotheek, 78 D 38 I, fol. 8v

Le geste d’étranglement d’Adam est facultatif dans l’inversion : certains illustrateurs le reprennent de loin en loin.

Bible Historiale 14eme BNF Français 155 fol 4vBible Historiale, 14ème siècle, BNF Français 155 fol 4v Maitre de Jean de Mandeville 1360-75 Bible Historiale Ms. 1, v1 (84.MA.40.1), fol. 9 Getty MuseumLa tentation
Maître de Jean de Mandeville, 1360-75, Bible Historiale Ms. 1, v1 (84.MA.40.1), fol. 9, Getty Museum

L’inversion est particulièrement appropriée dans le cas de la Bible historiale, puisque l’image précède immédiatement un long dialogue entre Eve et le Serpent. Ce récit en français, rédigé à la fin du XIIIème siècle par Guyart des Moulins, s’inspire largement de l’Histoire Scolastique de Pierre le Mangeur.

Le Maître de Jean de Mandeville péjore la gestuelle d’Eve, en lui faisant tendre la pomme à Adam  de la mauvaise main.


Bible Historiale 1347 BNF Français 152 fol 15rLa Tentation
Bible Historiale, 1347 BNF Français 152 fol 15r

Il faut noter que certains illustrateurs de la Bible historiale n’inversent pas Adam et Eve. Celui-ci a rajouté par pudeur les feuilles de vigne, renonçant ainsi à la lecture chronologique. Il lui a préféré un ordre hiérarchique : Dieu du haut de son arbre observe Adam mangeant la pomme en catimini, tandis que depuis l’arbre central le serpent à tête de femme baratine sa semblable.


St Etienne Mulhouse 14eme photo ndoduc.free.fr14ème s, Saint Etienne, Mulhouse ( photo ndoduc.free.fr) 1430 ca Ulmer Münster, Bessererkapelle, Fenster im kleinen Chor von Hans AckerHans Acker, vers 1430, Bessererkapelle, Ulmer Münster

1405-08 York Minster, Great East Window1405-08, grande verrière Est, York Minster

La Tentation et l’Expulsion

Aux 14ème et 15ème siècles, on retrouve encore l’inversion associée au serpent féminisé, dans des lieux éloignés : ce qui suggère la transmission via le texte très répandu de la Bible historiale (on en connaît 144 manuscrits [2c]).


1500-30 Eglise de la Conception-de-la-Vierge Puellemontier Denis Krieger mesvitrauxfavoris.fr1500-30, Eglise de la Conception de la Vierge, Puellemontier, photo Denis Krieger mesvitrauxfavoris.fr

Comme l’a relevé Denis Krieger [2d], l’inversion associée au serpent à tête de femme a donné lieu à une tradition locale dans plusieurs églises champenoises, peut être parce que l’influence de Pierre le Mangeur, originaire de Troyes, y était particulièrement vivace.

Un indice supplémentaire est la feuille de figuier dorée, anachronique puisqu’Adam n’a pas encore honte d’être nu. Cette insistance trahit probablement l’influence de l’Histoire Scholastique qui explique pourquoi, après la malédiction, Adam et Eve se firent des culottes avec des feuilles de figuier :

Et les feuilles de figuier ne sont pas sans raison, car si l’on mange le jus des figues, la chair humaine, ainsi humectée, ressent immédiatement la démangeaison du plaisir, comme si par là on montrait qu’ils ressentaient déjà la démangeaison du plaisir dans leur chair.

Histoire Scolastique , De maledictionibus serpentis, viri et mulieris [2a]

Nec sine causa de foliis ficuum, quia de succo eorum si teratur, caro hominis inuncta statim ibi sentit voluptatis pruriginem, ut quasi per hoc ostensum sit quia pruriginem voluptatis jam in carne senserant


1500-25 Saint-Georges de Chavanges Denis Krieger mesvitrauxfavoris.frSaint-Georges, Chavanges Saint Remi, Ceffonds (baie 4)

1500-30, photo Denis Krieger mesvitrauxfavoris.fr

L’inversion a également pour avantage de placer Eve en position de prescription, comme Dieu dans les autres scènes (Création d’Adam, d’Eve, Admonition, Malédiction). On notera que les deux artistes ont corrigé l’anomalie de la feuille dorée, en ne la faisant porter à Adam qu’après la Chute.


Heures d'Anne de France 1473 ca Jean Colombe and Workshop Morgan MS M.677 fol. 46vfol. 46v Heures d'Anne de France 1473 ca Jean Colombe and Workshop Morgan MS M.677 fol. 48vfol. 48v

Heures d’Anne de France, Jean Colombe et atelier, vers 1473, Morgan Library MS M.677

Ces deux miniatures consécutives exprimaient déjà la même idée d‘Eve prenant la place de Dieu.



Cas particuliers

Le Mariage d’Adam et Eve

Mariage Adam et Eve Speculum Humanae Salvationis 1420, Rhin moyen, Spencer 15, fol. 2v1420, Rhin moyen, Spencer 15, fol. 2v
Speculum Humanae Salvationis (warburg iconographic database)

Dans le Speculum Humanae Salvationis, la scène comporte une certaine ambiguïté : elle illustre un texte sur le mariage, et comporte souvent la légende « Accouplement (copulatio) d’Adam et Eve« . Mais souvent, comme ici, la légende fait allusion à l’interdiction par Dieu, sous peine de mort, de manger le fruit de l’arbre du Bien et du Mal : épisode qui manifestement ne correspond pas à l’image, car elle n’est faite qu’à Adam seul (Genèse 2,16).

Ce glissement sémantique est lié à l’image en pendant, qui présente la présente la scène opposée à l’Interdiction   : le Serpent autorisant Eve à manger ce fruit. D’où la logique de la position d’Eve, à droite dans les deux cas.


Mariage Adam et Eve Speculum Humanae Salvationis France vers 1450 BNF Fr 188 fol 6rFrance vers 1450 BNF Fr 188 fol 6r
Speculum Humanae Salvationis (warburg iconographic database)

Sporadiquement, on trouve quelques cas où Eve est représentée à gauche dans la scène du mariage, que l’on croirait pourtant très codifiée. Le même flottement se rencontre dans toutes les enluminures représentant un mariage : lorsque les mariés s’avancent vers l’autel, l’homme (vu de dos) est à droite, de manière à se présenter au regard de Dieu dans l’ordre héraldique ; mais lorsque les mariés se retournent, c’est à la foule qu’ils se présentent dans l’ordre héraldique (le mari à gauche). Les deux situations sont donc possibles, selon qu’on se situe avant ou après le mariage.


Mariage Adam et Eve Speculum Humanae SalvationisSpeculum Humanae Salvationis, édition imprimée, vers 1468

La version imprimée restaure le parallélisme entre les deux scènes, en plaçant Eve à gauche dans les deux cas.


Boucicaut_Master_-_Ms_251_f16r_The_marriage_of_Adam_and_Eve_from_Des_Proprietes_De_Choses_c1415Livre des Propriétés De Choses,
Maître de la Mazarine, vers 1415, Fizwilliam museum, Ms 251 fol 16r
1475-1500 Antiquites judaiques BNF Ms 11 fol. 3vAntiquités judaïques
1475-1500, BNF Ms 11 fol 3v

Le Mariage d’Adam et Eve

Dans d’autres livres, le mariage est représenté au sein du Paradis. Le couple humain est toujours dans l’ordre héraldique, tout comme le couple soleil/lune au dessus (sur les inversions des luminaires, voir Les inversions Lune / Soleil) .


Une inversion cosmique (SCOOP !)

Maître du Hannibal de Harvard 1420 Antiquites judaiques BNF Ms Fr 247 f.3rAntiquités judaïques
Maître du Hannibal de Harvard, 1420, BNF Ms Fr 247 fol 3r

Fait exception cette image complexe, qui cumule la scène du mariage, en bas, et la Création du Monde, en haut : Dieu est entouré de ses instruments d’architecte (le niveau, le compas et l’équerre) et de ses outils d’artisan (la tarière et le marteau).

Le couple des luminaires est remplacé par un demi zodiaque, sur lequel se répartissent les sept planètes. Le Soleil, au centre, représenté deux fois (dans le zodiaque et en dessous), ce qui l’assimile à Dieu, lui aussi représenté deux fois. Comme le montrent les signes, le Soleil est entre Gémeaux et Scorpion, au Solstice d’Eté.

Il est possible que l’inversion soit motivée par la symbolique des saisons, chaque sexe se plaçant du côté où il culmine : la femme du côté de la Jeunesse (le Printemps) et l’homme du côté de la  Maturité (l’Eté).


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Un couple d’amoureux

L’inversion de l’ordre héraldique sous-entend parfois qu’il s’agit d‘amants, et non d’un couple marital voir 1-3a Couples germaniques atypiques).


Paris Bordone, 1515-30, Les amoureux, Brera, MilanLes amoureux vénitiens, 1515-30, Brera, Milan Paris_bordon,_coppia_di_amanti,_1555-60_ca._londra,_ngCouple d’amoureux, 1555-60, National Gallery, Londres

Pâris Bordone

Bordone est très fidèle à cette convention. Le premier tableau représente soit un accord en vue d’un mariage (un témoin, la future épouse et le prétendant qui lui offre une ceinture nuptiale), soit plus probablement la scène de genre classique du souteneur, de la courtisane vénitienne, et du client qui lui offre en paiement une ceinture de plus [3].

Quarante ans plus tard, les deux amoureux en voie de déshabillage mutuel, couronnés par Cupidon, représentent là encore un couple non marital.


Paris_Bordone_Adam_et_Ève_debout Louvre
Adam et Eve debout
Pâris Bordone, Louvre

C’est la même idée de libre sensualité qui s’applique ici à Eve et Adam.


Anonyme 1550-1600 RijksmuseumNicolas Halin d’après Jean Cousin père (attr), 1550-1600, Rijksmuseum

Cette composition établit un parallèle entre le bras du serpent, tâtant la pomme, et celui d’Adam, tâtant le sein. Le couple de lapins et le bouc, dissimulé dans les hachures, assimilent la Chute à la découverte de la sexualité.


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L’inversion des rôles

1604 Jan (Pietersz.) Saenredam dessin Abraham Bloemaert serie NGA devant arbre connaissanceAdam et Eve devant l’Arbre de la connaissance
Gravé par Jan (Pietersz.) Saenredam, dessin Abraham Bloemaert, 1604, NGA

Dans cette série de gravures, une seconde scène figure en miniature, à l’arrière-plan (voir aussi 8 Le nu de dos dans les Pays du Nord). Ici, il s’agit d’Eve, debout à côté d’Adam couché, dans un rayon de lumière divine. Le couple se retrouve au premier plan dans le même ordre, Eve tirant derrière elle un Adam interrogatif.

L’inversion des positions traduit l’inversion des rôles, Eve prenant le dessus sur Adam :

Il avait ordonné que tout bois porte un fruit aux cheveux d’or,

Le créateur des choses, que l’homme vive dans les forêts heureuses,

Qu’il adore et observe la loi du pays, étant donné qu’il pouvait en jouir ;

sa volonté, inclinant aux écarts,  lui a été ravie.

Jusserat auricomo nemus omne gravescere foetu

Rerum opifex, hominem silvas habitare beatas,

Et colere, et legem ruris servare fruendi

Posse datum ; rapta est per devia prona voluntas.



Variations et filiations

L’influence de Dürer

Adam Eve 1509-10 Durer, Petite Passion The_Fall_of_Man NGALa Chute de l’Homme (Petite Passion)
Dürer, 1509-10

En décalant le tronc à l’extérieur du couple, cette gravure invente une nouvelle symétrie : Eve enlaçant Adam fait pendant au serpent enlaçant l’arbre.


gossaert 1513-15 triptyque malvagna Palazzo Abatellis, Palerme reversTriptyque Malvagna (fermé)
Gossaert, 1513-15, Palazzo Abatellis, Palerme

C’est cette symétrie qui a intéressé Gossaert pour les deux volets de ce triptyque :

  • derrière le couple fautif se profile déjà la porte de l’Expulsion ;
  • le second volet montre le Paradis après la Chute, purgé de toute présence humaine.

gossaert 1513-15 triptyque malvagna Palazzo Abatellis, Palerme.
Entre les deux, la couronne de fruits, autour du blason des Lanza, restaure l’opulence de ce Paradis perdu. L’inversion d’Eve et d’Adam résulte mécaniquement de ce parti-pris narratif.


Heinrich Aldegrever 1540 Adam et Eve AG plagiat durerAdam et Eve
Heinrich Aldegrever, 1540

Aldegrever plagie, jusqu’au lion, la gravure de Dürer. La seule différence est le geste d’Adam, qui reçoit sa pomme du serpent, et non plus d’Eve. L’inversion est ici seulement due à la mécanique de la copie.


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Les variations de Baldung Grien

1509-10 Baldung Grien Die drei Lebensalter und der Tod Kunsthistorisches Museum vienne COPIELes trois Ages de la femme et la Mort, 1509-10, Kunsthistorisches Museum, Vienne Baldung Grien 1511 Hans Adam EveLa Chute du genre humain, 1511

Hans Baldung Grien

Baldung Grien a inventé vers 1509 le thème à la fois émoustillant et moral de la jeune fille nue que surprend, par derrière, la Mort ou le Temps (sur ce thème voir 3 Fatalités dans le miroir). Dès 1511, il applique la même composition à Eve, déjà pourvue de sa pomme, et qui attire dans son dos Adam en train de cueillir la sienne.


Baldung-Grien-1517-Der_Tod_und_das_MaedchenLa jeune Fille et la Mort, 1517 Baldung Grien 1519 Adam et Eve Kunstmuseum BaselAdam et Eve, 1519

Hans Baldung Grien, Kunstmuseum Basel

Quelques années plus tard, le principe menaçant passe à gauche : Eve se trouve ici comme violée par Adam, qui absorbe toute la négativité du serpent.


Baldung Grien 1524 La Mort et Eve National Gallery of Canada OttawaLa Mort et Eve, 1525, National Gallery of Canada, Ottawa Baldung Grien 1531 Adam et Eve Museo Nacional Thyssen-Bornemisza MadridAdam et Eve, 1531, MuséeThyssen-Bornemisza, Madrid

Plus tard encore, le composition s’inverse à nouveau. La Mort, brandissant une pomme et liée par l’anneau du Serpent à l’éternel féminin, s’assimile complètement à Adam (une assimilation facilitée par la langue, puisque Tod est du genre masculin).


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Les variations de Lucas de Leyde

Lucas de Leyde a tant de fois représenté le couple originel qu’il était inévitable de voir apparaître des inversions Eve Adam, sans signification particulière. Je les présente pour mémoire, afin de permettre d’apprécier l’évolution du style, entre la jeunesse et la maturité.


Lucas van Leyden 1506 ca Adam and Evevers 1506 Lucas van Leyden 1514 Chute de l'hommevers 1514

Ces deux variantes montrent, dans le sens de la lecture, Eve passant à Adam une seconde pomme.


Lucas van Leyden 1530 Adam and Eve ca METAdam et Eve, Lucas de Leyde, vers 1530 Creation d'Adam Michel6ange SixtineLa Création d’Adam (inversée), Michel-Ange

Dans la variante la plus moderne, Lucas préfère l’esthétisme au réalisme : l’arbre est décentré, Eve tend la pomme de la main gauche, et la pose d’Adam est une citation de la célèbre fresque de Michel-Ange.


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De Raphaël à Jordaens

Adam Eve 1509 Raphael Salle de la Signature vaticanRaphaël, 1509, Salle de la Signature, Vatican Adam Eve 1519 ecole raphael-adam-eve-loges du vaticanAtelier de Raphaël, 1519, Loges du Vatican

Adam et Eve

En 1509, Raphaël inaugure une composition où Adam, assis, se trouve dominé par Eve, debout de l’autre côté de l’arbre. En 1519, il inverse la composition et exagère certains traits (les spires du serpent, la chute en arrière d’Adam, Eve vue de dos), probablement dans une sorte de surenchère par rapport à Michel-Ange (voir Adam et Eve vus de dos)


Adam et Eve Titien 1550 PradoTitien, 1550, Prado

Titien reprend la première composition de Raphaël. Il édulcore le serpent en une sorte de Cupidon, dont la nature diabolique est trahie par les petites cornes et la queue bifide. Le renard derrière Eve rajoute une notion de ruse. Le geste d’Adam est savamment ambigu, entre tentative de dissuasion et prémisses du désir.


1616_Jan-Brueghel-the-Elder-and-Peter_Paul_Rubens-Garden-of-EdenLe jardin d’Eden, Brueghel le Vieux et Rubens, 1616, Mauritshuis, La Haye Adam et Eve Peter_Paul_Rubens1628-29 PradoAdam et Eve, Rubens, 1628-29, Prado

Rubens s’inspire à deux reprises de la composition de Titien. Profitant sans doute d’un voyage en Espagne vers 1628, il la recopie même fidèlement : il supprime seulement le cache-sexe démodé d’Adam et rajoute la tâche rouge du perroquet, symbole polyvalent de la Luxure (du couple) et de l’Eloquence (du serpent)  (voir Le symbolisme du perroquet).


Jordaens 1640 ca Fall_of_man Musee national Budapest1640, Musée national, Budapest Jordaens 1642 The Fall of Man Toledo Museum of Art1642, Toledo Museum of Art

La Chute de l’Homme, Jordaens

Dix ans plus tard, Jordaens se place en concurrence avec Rubens. Le format paysage oblige à asseoir Adam à terre et Eve sur le talus. La chaîne des responsabilités est clairement rétablie : le serpent donne la pomme à Eve, qui va la transmettre à Adam.

La seconde variation reprend fidèlement le bestiaire de Rubens, en coinçant Eve entre les deux mêmes attributs animaux du Serpent, l’Eloquence et la Ruse. L’inversion d’Eve et Adam permet, à peu de frais, de se différencier du modèle.


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Un triptyque à transformation (SCOOP !)

Greco attr 1568 The_Modena_TriptychTriptyque de Modène
Le Greco (attr) 1568, Galleria Estense, Modène

Ce triptyque portatif, attribué au Greco, propose lorsqu’il est ouvert une iconographie déconcertante :

  • à gauche et à droite, deux scènes de la Vie du Christ, dans l’ordre chronologique : l’Adoration des Bergers et le Baptême ;
  • au centre une allégorie : le chevalier chrétien couronné par le Christ ressuscité, au dessus d’un paysage de Jugement dernier.

Le choix de ces scènes s’explique par les possibilités qu’offre la fermeture partielle du retable (sur un autre triptyque à transformation de Memling, voir 5 Le Polyptyque de Strasbourg).



Greco attr 1568 The_Modena_Triptych gauche
En fermant le volet droit, l’Annonciation peinte au revers vient précéder l’Adoration des Bergers, dans une lecture de droite à gauche, où la Vierge conclut chaque scène.



Greco attr 1568 The_Modena_Triptych droit
En fermant le volet gauche, Dieu réprimandant Eve et Adam après la Faute précède, dans une lecture de gauche à droite, le début de la Rédemption, Jean Baptiste baptisant le Christ.

L’inversion Eve-Adam sert ici à avertir le spectateur qu’il ne s’agit pas d’une représentation classique de l’Interdiction, mais de la conséquence de la Faute, la Réprimande : comme le montre le visage d’Eve, qui se détourne de honte.



Références :
[1] Hilário Franco Júnior « Entre la figue et la pomme : l’iconographie romane du fruit défendu » Revue de l’histoire des religions 1 | 2006 https://journals.openedition.org/rhr/4621#illustrations
[1a] Thomas Forrest Kelly « The Exultet in Southern Italy », Oxford University Press (1996)
[1b] M. MANIACI-G. OROFINO, Les ‘rouleaux d’Exultet’ du Mont Cassin (techniques de fabrication, caractéristiques matérielles, décoration, rapports avec les rouleaux grecs, in « Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa » XLIII, 2012, pp. 71- 82 https://www.academia.edu/2082249/M_MANIACI_G_OROFINO_Les_rouleaux_d_Exultet_du_Mont_Cassin_techniques_de_fabrication_caract%C3%A9ristiques_mat%C3%A9rielles_d%C3%A9coration_rapports_avec_les_rouleaux_grecs_in_Les_Cahiers_de_Saint_Michel_de_Cuxa_XLIII_2012_pp_71_82
[1c] 1150 Exultet Troia 3, Archivio Capitulario Troia1150, Exultet Troia 3, Archivio Capitulario Troia
Dans cet autre Exultet influencé par l’atelier du Montecassino, le Felix culpa n’est pas inversé, car il est suivi non par le Noli me tangere (qui se trouve au tout début) mais par une Résurrection. Jacqueline Lafontaine-Dosogne, CR de « Guglielmo Cavallo. Rotoli di Exultet dell Italia meridionale. » Scriptorium Année 1976 30-1 pp. 152-155 https://www.persee.fr/doc/scrip_0036-9772_1976_num_30_1_2788_t1_0152_0000_2
[2] Gilberto Bagnani, Gli scavi di Tebtunis, Bolletino d’Arte, 1933 p 131 fig 18 http://www.bollettinodarte.beniculturali.it/opencms/multimedia/BollettinoArteIt/documents/1437575350852_07_-_Bagnani_119.pdf
[2b] Paul Perdrizet, « Etude sur le Speculum humanae salvationis » p 75 https://archive.org/details/etudesurlespecul00perd/page/74/mode/2up?q=phareas&view=theater
[2c] Eléonore Fournié, » Les manuscrits de la Bible historiale. Présentation et catalogue raisonné d’une œuvre médiévale » https://journals.openedition.org/acrh/1830
[2d] Denis Krieger « Une tentatrice ailée à l’église Saint-Georges de Chavanges » https://www.mesvitrauxfavoris.fr/Supp_e/index_htm_files/Demone-ailee.pdf

Adam et Eve vus de dos

17 février 2024

Les nus de loin les plus courants, Adam et Eve, sont pratiquement toujours représentés de face. Dürer introduit l’exception consistant à faire tourner le dos à l’un, à l’autre ou aux deux, Cet article étudie la généalogie des différentes formules, selon la scène où Adam et Eve apparaissent : Chute de l’Homme, Expulsion du Paradis, Limbes, Comparution devant Dieu.



La Chute de l’Homme

La question de la nudité

Adam and Eve in mosaics of Monreale cathedral, Siciliy

Eve donne la pomme à Adam ; ils cachent leur nudité devant Dieu
Cathédrale de Monreale, 1176-89

Si la convention héraldique (le mari à gauche de l’épouse) convient parfaitement pour montrer Adam et Eve après la Faute, elle se prête mal à la scène où Eve donne le fruit à Adam : soit celui-ci est obligé de se contorsionner pour le prendre, soit il le saisit, comme ici, de la main gauche.

La question de la nudité est cruciale dans le récit : c’est parce qu’Adam se cache parmi les arbres, ayant honte de sa nudité, que Dieu comprend qu’il a mangé le fruit de l’arbre de la connaissance. Or tourner le dos pourrait être interprété comme une autre manière de montrer sa honte, ce qui n’a pas de sens avant la Faute. Cette raison théologique se  combine avec l’aversion médiévale envers les fesses  pour explique l’extrême rareté des vus de dos d’Adam ou d’Eve.


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Adam vu de dos

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Adam en avancée

Adam Eve 1310-20 Lorenzo Maitani duomo orvierto cote adamDieu crée Eve à partir de la côte d’Adam Adam Eve 1310-20 Lorenzo Maitani duomo orvierto detailEve donne la pomme à Adam

Lorenzo Maitani,1310-20, Portail de la cathédrale d’Orvieto

A l’époque médiévale, la seule exception, isolée, se trouve dans ce portail à l’iconographie très originale. Dans la scène de la Création d’Eve, Maitani représente Dieu de trois quart arrière, pour exprimer son avancée de gauche à droite. Dans la Faute, la même pose exprime le même mouvement d’Adam en direction d’Eve.



Adam Eve 1310-20 Lorenzo Maitani duomo orvierto detail
Cette solution élégante permet à Adam de toucher le fruit de la main droite tout en levant l’index de la main gauche, afin de rappeler à Eve la divine l’interdiction : tout le suspens de la scène tient à cet écart entre la main qui objecte et celle qui accepte : car le fruit est déjà cueilli, séparé de l’arbre par la tête ricanante du serpent.


1510-20 Grimani_Breviary_-_Adam_and_Eve f286v Biblioteca Marciana VeniseAdam et Eve, fol 286v
Bréviaire Grimani, 1510-20, Biblioteca Marciana, Venise

La même idée se retrouve dans cette scène, où Adam avance vers Eve en écartant les mains en signe de réprobation, tandis que le serpent, tel un enfant pris en faute, se cache prudemment derrière le tronc.


Adam Eve 1550 ca gedeon miracle toison van Heemskerck Musee des Beaux-Arts de Strasbourg AAdam et Eve Adam Eve 1550 ca gedeon miracle toison van Heemskerck Musee des Beaux-Arts de Strasbourg BGédéon et le Miracle de la Toison

Marteen van Heemskerck, vers 1550, Musée des beaux arts de Strasbourg

Le Miracle de la Toison (imbibée par la rosée divine alors que la terre alentour reste sèche) est un symbole de la conception virginale de Marie, par qui celle-ci échappe aux conséquences du Péché originel qui entache toute l’humanité. Ces deux volets, la Femme fautive et la Vierge immaculée, flanquaient, de manière très logique une Nativité aujourd’hui perdue. Les faces externes, conservées au Musée de Rotterdam, montrent la Visitation, Marie à gauche et Elisabeth à droite [1] : Marie habillée et Eve nue se trouvent ainsi, d’une nouvelle manière, opposées.

Le nu de dos pour Adam, avec son exagération musculaire, répond au goût maniériste. D’une certaine manière, il pose Adam, l’homme désobéissant, comme l’antithèse de Gédéon, le héros qui obéit à Dieu. Mais la raison d’être de ce spectaculaire nu de dos est surtout compositionnelle : son emplacement, au début de la lecture, en fait une sort d’admoniteur : d’autant que son bras droit traînant en arrière montre bien qu’il vient de rejoindre Eve, depuis le camp du spectateur. C’est donc à celui-ci qu’il adresse un regard indécis, au dernier instant avant la Chute, tandis qu’Eve décide à sa place, en prenant possession de son épaule d’un geste sensuel et délicat.


Adam en Eva, Dirck Volckertsz. Coornhert, after Maarten van Heemskerck, 1551 RijksmuseumAdam et Eve, gravure de Dirck Volckertsz Coornhert, dessin de Maarten van Heemskerck, 1551 Rijksmuseum

L’année suivante, van Heemskerck développe son couple recto-verso en largeur, ce qui permet de désimbriquer les corps et de placer au même niveau les têtes et les mains. Dans ce dialogue muet, Eve encourage Adam en lui montrant sa pomme de la main droite, et Adam de la même main pointe vers le passé, pour lui rappeler l’interdiction divine. On appréciera la trouvaille de la chevelure exubérante, qui se tord autour d’Eve comme le serpent autour du tronc.


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Adam en recul

Altdorfer 1513 ca Adam Eve Fall-of-Man NGA inverse Altdorfer 1513 ca Adam Eve Fall-of-Man NGA inverseinversé

La Chute de l’Homme, Altdorfer, vers 1513, NGA

Altdorfer innove en plaçant Adam à droite de l’image : à rebours du sens de la lecture, il est attiré vers Eve qui l’accueille en posant la main sur son épaule droite, le contraignant à saisir le fruit de la mauvaise main.

A la différence du bréviaire Grimani, le fait que les deux tiennent le fruit rend l’image ambigüe : si Adam était à gauche, on aurait l’impression que c’est lui qui vient vers Eve pour lui donner la pomme.


Adam Eve 1525 Hans Burgkmair l'ancienLa Chute de l’Homme
Hans Burgkmair l’ancien, 1525

Burgkmair inverse ici la dynamique habituelle : la vue de dos signifie qu’Adam recule devant Eve, cherchant appui sur l’arbre et repoussant faiblement sa proposition. En bas, des animaux mangent ce qui est autorisé dans le jardin d’Eden : le faisan picore en paix sous l’oeil du renard, la tortue grignotte une feuille et le singe une fleur. La profusion animale illustre la situation enviable de l’homme avant la Chute :

« Et Dieu les bénit, et il leur dit:  » Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de là mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre. Genèse 1,28″



Adam Eve 1525 Hans Burgkmair l'ancien detail
A gauche, Dieu vu de dos derrière un arbre, dans la même situation qu’Adam, fait un geste qui semble une bénédiction mais qui est en fait l’inverse : il chasse du Paradis les deux fautifs, qui dissimulent leur nudité dans les taillis.


Luca_e_francesco_signorelli,_allegoria_dell'immacolata_concezione,_1521-23,chiesa_superiore_del_gesù_a_cortona detailLa dispute de l’Immaculée Conception
Luca et Francesco Signorelli, 1521-23, Chiesa superiore del Gesù, Cortone

Cette composition similaire, quelque peu antérieure, n’a rien à voir avec les expérimentations germaniques. Il s’agit ici de montrer les Pères de l’église discutant de l’Immaculée Conception, à savoir du moment très précis où Marie a échappé au Péché originel : soit avant même sa conception, soit seulement in utero. Le rôle crucial d’Eve dans cette histoire est matérialisé par les deux infractions aux conventions : elle prend la place héraldique d’Adam et ce dernier est vu de dos, dans une pose délibérément ambigüe :
Luca_e_francesco_signorelli,_allegoria_dell'immacolata_concezione,_1521-23,chiesa_superiore_del_gesù_a_cortona detailOn pourrait croire qu’il tend lui aussi la main droite pour recevoir une seconde pomme du serpent, mais celui-ci, à la chevelure blonde et aux seins bien marqués, n’en propose qu’une seule, à sa semblable. La vue de dos sert donc ici à affirmer la responsabilité limitée d’Adam, en regard de la pleine responsabilité d’Eve.


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Adam en arrêt

Adam Eve 1514 Ludwig Krug_Adam_und_Eva_ Bode-Museum Berlin detail singeLudwig Krug, 1514, Bode-Museum, Berlin

Adam vient de s’arrêter devant Eve, comme le montre son pied gauche en arrière. L’image développe une ambiguïté visuelle : de loin, on pourrait croire qu’Adam, un bras ballant et l’autre posé sur sa propre épaule, hésite à prendre la pomme que lui tend Eve.


Adam Eve 1514 Ludwig Krug_Adam_und_Eva_ Bode-Museum Berlin detail singe Adam Eve 1514 Ludwig Krug_Adam_und_Eva_ Bode-Museum Berlin detail singe

En fait c’est elle qui lui touche l’épaule, et lui qui tient la pomme de la main gauche. Et pour s’assurer que le spectateur comprenne bien, le singe en bas mime le futur immédiat : la main gauche portant le fruit à la bouche.


Adam Eve 1511-15 paru en 1518 Hans Schäufelein d'apres Hans Burgkmair l'ancien British MuseumHans Schäufelein, paru en 1518, British Museum 1504_Adam_Eve__DurerAdam et Eve, Dürer, 1504

Le passe-partout est de Hans Burgkmair l’ancien, paru dans « Das Leiden Jesu Christi' » (1515). La symétrie autour de l’arbre, l’enroulement du serpent sur la branche, la chevelure flottante d’Eve et la présence du cerf disent l‘influence du premier Adam et Eve de Dürer (sur cette gravure, voir 3 La Chute de l’Homme).

La vue de dos n’exprime pas ici le déplacement d’Adam, bien campé sur ses deux jambes : mais plutôt son opposition à Eve, avec sa main droite tournée vers le bas pour refuser le fruit qu’elle lui tend. Pourtant de sa main gauche il cueille discrètement son propre fruit. Tandis que le serpent, au dessus d’Eve, croque le sien avec avidité.

Il faut ici se souvenir de la double interdiction de la Genèse :

« Dieu a dit: Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. «  Genèse 3,2

L’instant qui nous est montré est celui où le serpent, animal qui ne peut pas toucher, enfreint la première interdiction, et le couple humain la seconde.


Adam et Eve Meister H.L 1510-25 Freiburg im Breisgau, Augustinermuseum
La Chute, Meister H.L., 1510-25, Augustinermuseum, Freiburg im Breisgau

Cette sculpture virtuose fige le dernier instant avant la Chute : Eve est sur le point de croquer sa pomme tandis qu’Adam en est encore à cueillier la sienne : la vue de dos exprime ici ce temps de retard.

L’influence de Dürer se lit dans les couples animaux qui font écho au couple humain :

  • la chouette (ignorance) et le serpent (perfidie) ;
  • le cerf et la biche (sexualité) ;
  • le lion et la brebis (paix du Paradis).


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Adam assis

Tintoret-1550-e-peche-originel-gallerie-de-l-Accademia-Venise1550, galerie de l’Accademia tintoret 1577-78 -le-peche-originel-scuola-grande-di-san-rocco-venise-011577-78, Scuola grande di San Rocco

Le péché originel, Tintoret, Venise

La vue de dos, combinée à la position assise, exprime la soumission d’Adam. Dans la première version, il recule devant la pomme ; dans la seconde au contraire, il est attiré par elle.


Macchietti, Girolamo, 1535-1592; The Temptation of Adam and EveLa tentation d’Adam et Eve
Girolamo Macchietti (école), 1565-70, Attingham Park, Shropshire, UK (National Trust)

Cette composition s’est élaborée indépendamment à Florence, dans le contexte d’un renouveau du maniérisme de Pontormo : la vue de dos ne sert pas ici la narration, mais le raffinement graphique, dans un contrapposto savant : les deux figures se déduisent presque l’une de l’autre par rotation.

Dans des gestes d’un érotisme sublimé, Eve désigne d’une main sa figue fendue, et tâte de l’autre la figue pleine destinée à Adam, qu’apporte un serpent à face humaine. Adam voit bien cet alter-ego d’Eve, mais on comprend qu’il va lui faire confiance, trompé par la ressemblance.


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Eve vue de dos

Dans la floraison des combinatoires, la solution opposée, Eve vue de dos, ne pouvait manquer d’apparaître.

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Une apparition isolée

annonciation-biblia-pauperum-1480-1485 gallicaAnnonciation
Biblia-pauperum, 1480-85, Gallica

L’apparition surprenante des fesses d’Eve dans cette image pieuse n’a rien de libidinal : il s’agit de mettre en parallèle, dans les deux images latérales :

  • la pécheresse, dans sa nudité honteuse, et Gédéon, bien cuirassé ;
  • le serpent orgueilleux, campé sur sa queue, et l’humble toison, aplatie par terre.

La punition du serpent – ramper par terre – et des filles d’Eve -enfanter dans la douleur – sera compensée au moment de l’Annonciation par la virginité de Marie, qui lui permettra de rompre cette malédiction. Enchaînement complexe qu’exprime à la fois l’image et sa légende, particulièrement lapidaire :

Le serpent perdit sa force dès qu’une vierge enfanta sans violence

Vipera vim perdit sine vi pariente puella [1a]


Chez Dürer

Adam Eve Durer 1499 Ecole nationale des Beaux Arts Paris

Adam et Eve, Durer 1499 Ecole nationale des Beaux Arts Paris

En 1499, Dürer s’est déjà distingué comme un maître du nu de dos, aussi bien féminin que masculin (voir 7 Le nu de dos chez Dürer). Le thème d’Adam et Eve est ici le prétexte à une étude d’anatomie comparée, comme le montre le geste en miroir des mains montrant les pommes. La vue de dos d’Eve sert de prélude et de contrepoint au clou de la composition : l’exhibition des génitoires d’Adam, que sa compagne zieute d’un regard plongeant. Bien que rien ne soit stricto sensu impudique avant la Chute, il est clair que ce dessin expérimental était à usage privé.


Adam Eve 1495-99 Durer Couple inspiré par le diable Autrefois a Breme Detruit 1945

Couple inspiré par le diable
Dürer, 1495-99, Autrefois à Brême, détruit en 1945

Dans ce dessin pornographique peu connu, l’arbre séparateur est remplacé par un diable aux pieds fourchus, que l’homme excite de la main et qui darde vers la femme sa langue en tire bouchon. Un porc arrive fort à propos, et un bambin à quatre pattes défèque urbi et orbi. L’enfant est ici assimilé à une déjection de la femme.


1503 ca Durer_Ex libris_of_Willibald_Pirckheimer (dessin armoiries alliance Pirckheimer Rieter Varsovie detruit en 1945 inverse

Dessin d’un ex libris pour Willibald Pirckheimer (inversé)
Dürer, vers 1503, détruit à Varsovie en 1945

Dürer reprendra cette composition recto verso avec cet homme sauvage virilement équipé (gourdin, carquois bien rempli) face à une nymphe nue portant un flambeau. J’ai inversé le dessin afin que les armoiries de Pirckheimer (un bouleau, « birke ») et de son épouse Crescentia Rieter (une sirène) [1b] se trouvent à leur emplacement héraldique : ainsi le gourdin et le flambeau sont tenus de la main droite.

La sphère explosive à trois pieds est un fourneau alchimique, qui se retrouve dans une étude de Dürer (le Rapt d’Europe), marqué du mot LUTU(M) (voir 7.2 Présomptions) : il s’associe à la torche allumée, et symbolise probablement la Raison, par opposition à la Nature qu’incarne l’homme sauvage [2].

En imitant les poses recto et verso du couple principal, les deux putti du bas taquinent leur violon, l’un devant les racines du bouleau, l’autre devant l’entrecuisse de la sirène. Par ailleurs la main gauche de l’homme sauvage est posée sur la tête de l’hermès tandis que la main gauche de sa compagne flatte, par derrière, un des plumets du casque. C’est peut être ces allusions érotiques qui empêcheront ce dessin d’être gravé, ou bien la mort de Crescentia en 1504.


Dürer 1502 Exlibris_Wilibald_Pirkheimer

Ex libris de Willibald Pirckheimer
Dürer, vers 1502

L’ex libris officiel est surmonté d’une noble devise en trois langues : « Au commencement de la sagesse est la crainte de Dieu », quelque peu superflu par rapport à l’illustration (il existe d’ailleurs une version sans ce bandeau). Les cornes d’abondance et les angelots transporteurs détournent l’oeil de la forme et la fonction de l’invention centrale, l’Hermès planté au dessus des deux écussons d’une manière ouvertement phallique, en gage de fécondité. Les deux putti du bas s’affrontent recto verso, l’un brandissant un radis (qui caricature le bouleau) et l’autre un tourniquet : ces innocents jeux d’enfants sont une manière plaisante d’évoquer la fertilité du couple mais aussi, par antiphrase, les jeux de l’amour.


Adam Eve 1509-10 Durer, Petite Passion The_Fall_of_Man NGAPetite Passion : La Chute de l’Homme, 1509-10 Adam Eve 1510 Durer adam-and-eve inverseAdam et Eve, 1510 (inversé)

Pour la gravure qui ouvre la série de la Petite Passion, Dürer respecte le placement habituel, mais avec deux innovations notables :

  • le couple s’enlace sensuellement ;
  • le visage d’Eve se cache à nous, signe implicite qu’elle se sait en faute.

Le dessin de droite, la même année, développe l’idée de manière plus radicale (je l’ai inversée pour faciliter la comparaison) :

  • l’enlacement est le même, après rotation du point de vue ;
  • les deux sont vus de dos, partageant la culpabilité ;
  • la main droite d’Adam, qui était libre, est posée maintenant sur le fruit, rejoignant la main gauche d’Eve.

Si Dürer n’a pas gravé cette version, c’est sans doute à cause de sa trop grande sensualité, mais aussi de sa symétrie provocante :

  • femme et homme égaux dans l’infraction ;
  • mise en équivalence de la pomme partagée et des corps enlacés : le péché contre Dieu se mélange avec le péché de chair.


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Une rivalité romaine

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Adam Eve Sixtine 1512 MichelAngeMichel-Ange, 1512, Sixtine Adam Eve 1519 ecole raphael-adam-eve-loges du vaticanAtelier de Raphaël, 1519, Loges du Vatican

Adam et Eve

La composition de Raphaël se compare délibérément avec le précédent michelangélesque, avec le même choix d’opposition des chevelures (blonde et brune) et la même exagération des spires autour du tronc. Elle en prend le contrepieds par trois parti-pris :

  • le retour à la symétrie : l’arbre au milieu fait contact par deux branches avec le bras gauche d’Eve et le bras droit d’Adam ;
  • l’inversion des sexes : Eve debout remplace Adam debout, Adam assis élevant le bras gauche remplace Eve assise élevant le même bras (sur cette question , voir L’inversion Eve-Adam )
  • la surenchère des poses : la vue de dos pour Eve pousse d’un cran la torsion que Michel-Ange appliquait seulement au torse d’Adam.

Il résulte de ces choix un retour à un message plus conventionnel : tandis que l’Adam de Michel-Ange couvrait Eve de sa haute stature, dialoguant à égalité de hauteur avec le serpent, c’est ici Eve qui endosse la responsabilité de la Chute, dominant par son geste décidé un Adam qui se contorsionne sans grâce : tandis qu’elle dépose d’autorité le fruit défendu avec sa main droite, lui, assis inconfortablement entre deux branches, se contorsionne pour le saisir de la main gauche : sa position en contrebas fait voir la Chute imminente.


adam et Eve 1530 Pierre Leclerc (d'Argentan) basilique ND Alençon photo patrimoine-histoire.frLe péché originel (baie 107)
Pierre Leclerc (d’Argentan), 1530, basilique Notre Dame, Alençon

Dans ce vitrail normand très italianisant, l’audace de montrer Eve vue de dos vient peut être de la composition de Raphaël. Mais sa posture vient en fait d’une autre source raphaélesque : la célèbre Minerve déhanchée connue par la gravure de Marcantonio Raimondi (sur le génèse de cette composition à partir d’un sarcophage antique, voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2)) :

Jugement de Paris Marcantoine Raimondi detail inverse

Le Jugement de Pâris (détail inversé)
Marcantonio Raimondi, 1512

Très intelligemment, Pierre Leclerc a utilisé le bras droit levé pour cueillir la pomme, et le bras gauche tendu pour la donner à Adam. On remarquera également la puissante opposition entre l’arbre couvert de fruit et l’arbre mort, au dessus d’Adam et Eve après l’Expulsion.


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Bosch amélioré par Cranach

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Bosch Jugement dernier 1482-1500 Kunsthistorisches Museum VienneBosch, 1482-1500, Kunsthistorisches Museum, Vienne Cranach Jugement dernier 1520-24 Gemaldegalerie BerlinCranach, 1520-24, Gemäldegalerie Berlin

Le Jugement dernier

La composition de Bosch superpose deux scènes :

  • en bas la Chute, avec le serpent à figure humaine brandissant une pomme, Eve en brandissant une autre, et Adam vu de dos ;
  • en haut l’Expulsion, avec l’Ange brandissant son épée, Adam vu de dos, et Eve se cachant dans un buisson.

On voit bien que les deux scènes fonctionnent en contrepoint :

  • un Tiers (dans le feuillage puis hors du feuillage) agit sur Adem et Eve (hors du feuillage puis dans le feuillage) ;
  • Adam vu de dos exprime que l‘Expulsion était déjà inscrite dans la Chute.

La copie de Cranach montre des détails perdus : la queue reptilienne du Serpent et le jet d’eau (symbolisant probablement la parole divine) devant lequel Adam lève sa main droite. Elle présente quelques modifications importantes, qui améliorent le parallélisme entre les deux scènes :

  • Eve est désormais vue de dos, ce qui accentue son affinité avec Adam ;
  • l’Ange est vu de trois quart (en non plus de profil), ce qui accentue son affinité avec le Serpent.


Adam Eve 1522-23 Cranach Sundenfall AlbertinaLa Chute de l’Homme
Cranach, 1522-23, Albertina

Dans cette composition très originale, Cranach pousse à son terme l’idée du parallélisme, en imbriquant les deux scènes :

  • l’Ange vengeur, devant l’arbre de l’Expulsion, forme couple avec le Serpent, devant l’arbre de la Chute ;
  • Eve, toujours vue de dos, forme couple avec Adam, cette fois vu de face.

Cette solution rend naturel le don de la pomme, de la main droite à la main droite, tout en inventant l‘interposition extraordinaire de ce serpent femelle, qui se livre avec Eve à un accouplement sans bras.


Adam Eve 1522-23 Cranach Sundenfall Albertina inverseeLa Chute de l’Homme (inversée), Cranach, 1522-23 Adam Eve 1500-49 manner of Jan van Hemessen coll partAdam et Eve, manière de Jan van Hemessen, 1500-49, collection particulière

Ce tableau anonyme reprend la composition de Cranach dans le style des maniéristes du Nord. L’inversion oblige à modifier le geste des bras, de manière à ce que chacun tienne sa pomme de la main droite.


Adam Eve 1522-23 Cranach Sundenfall Albertina inverseeLa Chute de l’Homme (inversée), Cranach, 1522-23 Adam Eve 1590 Theodore de BryAdam et Eve, Theodore de Bry, 1590

A la fin du siècle, Théodore de Bry regrave (d’où l’inversion du motif) en style maniériste la composition de Cranach :

  • même geste du bras droit pour Eve,
  • même cache-sexe pour Adam, une branche que le Serpent à buste humain touche d’une main, en se contorsionnant tête en bas.

La juxtaposition de deux scènes – la Chute et sa conséquence, la Punition (enfantement dans la douleur pour Eve,  labeur pour Adam) – est traitée de manière moderne, en miniaturisant la scène future à l’arrière-plan.


1604 Jan (Pietersz.) Saenredam dessin Abraham Bloemaert serie NGAGravure de Jan (Pietersz.) Saenredam, d’après un dessin d’ Abraham Bloemaert, 1604, NGA Adam Eve Jan Breughel (II) 1616-78 coll partJan Breughel (II), 1616-78, collection particulière

Adam et Eve

Ces deux oeuvres témoignent de l’impact durable, dans les Pays du Nord, des fesses d’Eve magnifiées par Cranach.

Saenredam dispose à l’arrière-plan non pas le futur, mais le passé immédiat : Eve est séduite par le serpent (les spires de sa queue prolongent celles de la chevelure) en profitant de l’éloignement d’Adam. Le dindon et le chat, devant elle, symbolisent la Vanité et la Ruse. A l’inverse, un trio de courges bien choisi sert d’attribut à Adam, avachi dans une attitude passive.

Plus tard, le tableau de Jan Breughel II reprend la même idée (Eve debout dominant Adam assis) mais en supprimant les éléments d’opposition, au profit d’une ambiance d’harmonie plus adaptée au goût de l’époque : un Paradis pacifié où le Serpent est invisible.


Chez les maniéristes du Nord

Spranger Adam et Eve National Gallery of CanadaAdam et Eve
Spranger, National Gallery of Canada

Dans ce dessin très érotique, Adam cueille Eve comme celle-ci cueille la pomme : c’est une des premières fois où la Chute est assimilée graphiquement au plaisir sexuel. Au tentateur absent se substituent les mèches serpentines et la pointe du sexe d’Adam.


1616_The_Fall_of_Man_Hendrik_GoltziusLa chute de l’Homme, National Gallery, Washington Loth et ses filles Goltzius 1616 RijksmuseumLoth et ses filles, Rijksmuseum Amsterdam

Goltzius, 1616

Goltzius exploite la même veine, celle de la Chute coïncidant avec la découverte de la sexualité : assumée, où la figue pressée complète la pomme croquée (sur les symboles de ce tableau, voir 4 Le bouc au Paradis).

En cette année 1616, Goltzius utilise la même vue de dos pour Eve et pour une des filles de Loth, tandis que la seconde fille adopte la pose d’Adam.


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Postérité du thème

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William Blake 1807 Milton's Paradise Lost, The_Temptation_and_Fall_of_Eve

La Tentation et la Chute d’Eve
William Blake, 1807, illustration pour le Paradis Perdu de Milton

Blake suit de très près le texte de Milton, où Eve raconte à Adam comment elle a goûté le fruit défendu en même temps que le serpent :

« Adam, de son côté, dès qu’il est instruit de la fatale désobéissance d’Ève, interdit, confondu, devient blanc, tandis qu’une froide horreur court dans ses veines et disjoint tous ses os. De sa main défaillante la guirlande tressée pour Ève tombe, et répand les roses flétries. Il demeure pâle et sans voix, jusqu’à ce qu’enfin d’abord en lui-même il rompt son silence intérieur. » Le Paradis perdu, livre 9

On voit bien la couronne de roses tombée aux pies d’Adam. La vue de dos exprime à la fois son silence et sa désapprobation à l’encontre d’Eve.


Ludwig_von_Hofmann 1895-1900 Adam_Eva coll partAdam et Eve
Ludwig von Hofmann, 1895-1900, collection particulière

Cette composition prend le contrepied de l’histoire, en montrant Adam tendant le fruit à une Eve qui semble réticente. Dans une seconde lecture, on comprend qu’elle est resté assise pour qu’il cueille le fruit à sa place : cette Eve manipulatrice émarge donc au mythe fin de siècle de la Femme fatale.


Adam_et_Eve 1902-1906_Gustave_Courtois Musée des Beaux-Arts de BesançonAdam et Eve, Gustave Courtois, 1902-1906, Musée des Beaux-Arts, Besançon 1903-04 Charles Holroyd EveEve, Charles Holroyd, 1903-04

La vue de dos a ici pour principal argument la plastique de la chute de rein.


Franz von Stuck 1920 Adam et Eve staedelmuseum Frankfurt
Adam et Eve
Franz von Stuck, 1920, Staedelmuseum, Frankfurt

La vue de dos exprime la réticence d’Adam face à l’offrande d’Eve, qui sert du serpent à la fois comme coupe à fruit et comme boa.



L’expulsion du Paradis

Une iconographie très stable

Dieu-expulse-Adam-et-Eve-cathedral-santiago-compostela-portail-Sud-platerias-11-12eme
Dieu expulse Adam et Eve (détail du portail des Orfèvres)
1112-17, Cathédrale de Saint Jacques de Compostelle

La scène de l’Expulsion s’est codifiée très tôt, en cohérence avec le sens de la lecture : l’autorité supérieure (Dieu ou l’Ange) repousse le responsable, lequel pousse devant lui la coupable : honteux de leur nudité, les deux cachent leur sexe de la main.


annunciation-expulsion-paradise-c-1435-giovanni di paolo NGA
L’Expulsion du Paradis et l’Annonciation
Giovanni di Paolo, vers 1435

Le plus souvent c’est l’Ange qui est chargé de l’Expulsion, sous le regard de Dieu. Ici l’impudicité d’Adam et Eve est soulignée, a contrario, par le voile qui dissimule les parties sexuelles de l’ange,


1280px-Domenichino,_The_Rebuke_of_Adam_and_Eve,_1626,_NGA_111718Adam et Eve réprimandés par Dieu
Le Dominiquin, 1626, NGA

Le même ordre hiérarchique est respecté, mais dans l’autre sens, pour ce thème connexe où le regard remonte en arc de cercle la chaîne des responsabilités, depuis le serpent jusqu’à Dieu le Père.


Dürer et ses émules

Adam Eve 1510 Durer Expulsion from Paradise,
Petite Passion : L’Expulsion du Paradis
Dürer, 1509-10

Pour la première fois, Dürer pousse à fond la logique de la situation, en montrant de dos ceux qui sortent du Paradis et vont sortir de l’image.


Adam Eve Ludwig_Krug 1510-32 The_Expulsion_from_ParadiseLudwig Krug, 1510-32 Adam Eve 1513 ca Altdorfer Expulsion du Paradis NGAAltdorfer, vers 1513, NGA

L’Expulsion du Paradis

Cette formule, rapidement reprise par d’autres graveurs allemands, disparaît ensuite totalement pendant presque quatre siècles.


La Postérité de la formule

Adam Eve Franz von Stuck 1890 ca L'expulsion du Paradis Musee d'OrsayVers 1890, Musée d’Orsay, Paris Adam Eve Franz von Stuck 1897 ca The lost Paradise Staatliche Kunstsamlungen DresdenVers 1897, Staatliche Kunstsamlungen, Dresde

L’expulsion du Paradis, Franz von Stuck

C’est un autre grand artiste allemand qui la ressuscite à la fin du 19ème siècle.



Adam et Eve dans les Limbes

 

Le couple dans les Limbes

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Christ aux limbes Psautier, Oxford, 1200-25 BSB Clm 835 page 59Psautier, Oxford, 1200-25, BSB Clm 835 page 59 Christ aux limbes Relief en albâtre anglais, 15eme s, Honolulu Museum of ArtRelief en albâtre anglais, 15eme s, Honolulu Museum of Art

Christ aux limbes

L’iconographie médiévale de la Descente aux Limbes est très codifiée : brandissant de la main droite l’étendard de la Résurrection , le Christ tire de la main gauche une des âmes qui attendent dans les limbes, représentées par des figures nues.

Le psautier anglais présente trois raretés iconographiques, qui en font un cas pratiquement unique :

  • le premier rescapé tire à son tour une femme, ce qui identifie le couple comme étant Adam et Eve ;
  • Adam est déjà sorti de l’Enfer, en train d’enjamber le diable ;
  • il est représenté de dos, ce qui donne à la scène un dynamisme exceptionnel.


Christ aux limbes 1562 Michael Ribestein epitaphe Simon Mehlmann. Marienkirche Berlin photo Nick ThompsonChrist aux limbes (épitaphe pour Simon Mehlmann), Michael Ribestein (attr), 1562, Marienkirche, Berlin

Cette épitaphe d’esprit encore médiéval est farcie de références protestantes [3], notamment la citation de Saint Paul inscrite sur la tablette, au centre de la bouche d’Enfer :

La mort a été engloutie dans la victoire. O mort, où est ta victoire? O mort, où est ton aiguillon ? Corinthiens 54-55

L’épitaphe a été peinte du vivant de Simon Mehlmann, alors qu’il venait de perdre son jeune fils Christophe et sa femme Eva Tracigerin


Christ aux limbes 1562 Michael Ribestein epitaphe Simon Mehlmann. Marienkirche Berlin photo Nick Thompson
Derrière Adam et Eve qui sortent de l’Enfer en rendant au Christ chacun sa moitié de pomme, c’est probablement la famille Mehlmann au complet qui leur emboîte le pas : le petit Christophe qui assomme un diablotin avec son hochet, son père Simon en prières devant la tablette triomphale, et en dernier sa mère Eva [4]. C’est donc le prénom de l’épouse qui a probablement motivé l’idée de l’épitaphe, et l’exceptionnelle vue de dos, bien faite pour attirer l’oeil sur le personnage d’Eve .


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Le couple hors des Limbes

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Andrea_Mantegna_-_Jesus_Cristo_descendo_ao_limboLe Christ aux Limbes, Mantegna (attr.), vers 1468

Mantegna invente une iconographie totalement originale, où :

  • le Christ tient l’étendard de la main gauche, ce qui lui permet plus logiquement de tendre aux prisonniers son bras droit (non visible) ;
  • des rescapés déjà extraits se trouvent à côté du Christ.

On reconnaît ici, de gauche à droite :

  • le Bon Larron portant sa croix (il n’était pas en Enfer, mais en est descendu du Paradis à la rencontre des nouveaux venus) ;
  • la vieille Eve, le vieil Adam (vu de dos) et leur fils Seth qui se bouche les oreilles sous le vacarme des trois démons impuissants.

Pour plus de détails sur cette gravure, voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2)


Christ aux limbes 1510 Durer Grande Passion1510, Grande Passion Christ aux limbes 1511 Durer petite Passion1511, Petite Passion

Christ aux limbes, Dürer

Dürer va donner une élan décisif à cette nouvelle iconographie en simplifiant l’idée de Mantegna : il supprime le Bon Larron (trop italien) et fait porter la Croix tantôt à Adam lui-même (Grande Passion), tantôt à Saint Jean Baptiste (Petite Passion). Il fait également varier les rescapés secondaires : le petit Seth devant ses parents (Grande Passion), Moïse avec ses cornes (Petite Passion).

Dans la Grande Passion, Eve est traitée de manière très audacieuse, dans la pénombre (matérialisée par des hachures horizontale) qui dissimule la vue honteuse. Dans la Petite Passion, elle retrouve une place plus conventionnelle : vue de face à droite de son mari (convention héraldique). Cette nouvelle simplification va de pair avec l’ambiance lumineuse et classicisante du poème qui accompagne la Petite Passion :

« …dans un triomphe éclatant, Jésus mène la procession libérée des sombres demeures, éclatante de sa lumière nourricière. La progéniture innocente des descendants d’Adam se réjouit et quitte les ombres sans poids, pour les charmantes demeures de l’Elysée. » [5]


 

Christ aux limbes 1510 Durer Grande PassionDürer, 1510, Grande Passion Christ aux limbes 1513 ca Altdorfer NGA 1941.1.142Altdorfer, vers 1513, NGA

Christ aux limbes

Altdorfer recadre et simplifie la composition de Dürer, en récupérant les éléments les plus spectaculaires : l’étendard qui s’envole, le diable en vol stationnaire et, surtout, Eve vue de dos : elle quitte la pénombre pour la lumière, écrasant le petit Adam – et les autres âmes en contrebas – de son postérieur gigantesque.


Christ aux limbes 1600 Pablo de Céspedes Indianapolis museum of art at NewfieldsPablo de Céspedes, 1600, Indianapolis museum of art at Newfields. Christ aux limbes 1600-10 ca Ventura Salimbemi coll partVentura Salimbemi, vers 1600-10, collection particulière

Christ aux limbes

Pendant un bon siècle, les artistes vont s’inspirer des compositions de Dürer, avec pratiquement toujours Adam et Eve vus de face, plus le petit Seth devant eux.


Christ aux limbes 1579 Johan Sadeler I d apres Maerten de VosChrist aux limbes, Gravure de Johan Sadeler I d’aprés Maerten de Vos, 1579

Cette composition s’affranchit du modèle dürerien en réduisant les rescapés au seul couple d’Adam et Eve : ceci tient à la structure tripartite de cette série de gravures, et à la citation des Corinthiens1 (15,20) qu’illustre la bande de droite :

le Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui se sont endormis.

On voit bien au fond le Christ qui ressuscite, et au premier plan les « prémisses » du genre humain : Adam désignant ses descendants de son index droit, tendu devant le ventre d’Eve : d’où la vue de dos.


La Chute de l'homme 1579 Johan Sadeler I d apres Maerten de VosLa Chute de l’homme, Johan Sadeler I d après Maerten de Vos, 1579 Christ aux limbes 1555-60 Immaculee Conception Marteen de Vos San Francisco a Ripa RomeL’Immaculée Conception, 1555-60, Marteen de Vos, San Francisco a Ripa, Rome

On peut noter que la même année, les deux artistes avaient collaboré pour cette Chute de l’Homme basée elle-aussi sur un recto-verso : il s’agissait là plutôt d’une autocitation de Marteen de Vos, en souvenir d’un tableau de jeunesse réalisé en Italie : Adam vu de dos aux pieds d’Eve, en écho au damné vu de dos aux pieds de l’Immaculée Conception. Sur le choc visuel entre Marie et Eve à cette époque, voir Habillé/déshabillé : la confrontation des contraires)


Christ aux limbes andrea boscoli 1600-07 Florence coll partChrist aux limbes
Andrea Boscoli, 1600-07, collection particulière

Cet artiste florentin s’écarte également du modèle dürerien en deux points :

  • il replace au centre, mais dans la pénombre, la figure bien italienne du Bon Larron, sur la même plateforme que Jésus ;
  • il ferme la composition, à droite, par une Eve vue de dos qui se trouve logiquement en contrebas mais graphiquement au niveau du Christ.

C’est le peu de profondeur de cet Enfer qui autorise la fusion des contraires  : Eve à la fois dedans et dehors. Son attitude sérieuse et la longue chevelure qui restaure sa pudeur en font une sorte de Marie-Madeleine, dialoguant directement avec le Christ par dessus toutes les autres âmes.


Noli me tangere Stefano Mulinari 1774 d'apres un tableau d'Andra Boscoli Slovenská národná galéria
Noli me tangere, Stefano Mulinari d’après un tableau perdu d’Andrea Boscoli, 1774, Slovenská národná galéria, Bratislava

Il n’est pas impossible que le commanditaire ait demandé à Boscoli de superposer deux scènes souvent associées, parmi celles qui suivent la Résurrection : la Descente aux limbes et le Christ jardinier apparaissant à Marie-Madeleine (voir 3 La Chapelle Gaillard Roux à Rodez).


Christ aux limbes 1645-52 Alonso Cano Los Angeles_LACMA_M.48.5.1Christ aux limbes, Alonso Cano, 1645-52, LACMA, Los Angeles

Mais l’Eve la plus spectaculaire se trouve dans cette composition, très connue pout montrer un des rares nus de dos espagnol du Siècle d’Or, et le seul nu féminin de Cano. Les considérations iconographiques qui précèdent rendent moins incongru ce tableau fessu et pourtant religieux, qui n’a rien d’une provocation érotique (Cano sera ordonné prêtre en 1658). On reconnaît à gauche le Bon Larron portant son immense croix, et à droite la première famille humaine : le petit Seth, Adam tenant une boule brillante qui est certainement la pomme sanctifiée, et Eve aux hanches opulente, signifiant à la fois le Désir et la Fécondité.



Adam et Eve devant Dieu

Meister_Bertram_von_Minden 1379-83 Grabower Altar Hamburger KunsthalleGrabower Altar (détail)
Meister Bertram von Minden, 1379-83, Hamburger Kunsthalle

Parmi les sept panneaux consacrés à l’histoire d’Adam et Eve, la seule vue de dos se trouve dans la scène de l‘Interdiction : elle exprime le dialogue entre Dieu et Adam de part et d’autre du mur du Paradis, et de l’Arbre défendu. Cette scène comporte une anomalie : dans la Genèse, elle intervient avant la Création d’Eve. En la plaçant après et en montrant Eve présente à côté d’Adam, Meister Bertram sacrifie la fidélité textuelle à la cohérence d’ensemble :
Meister_Bertram_von_Minden 1379-83 Grabower Altar Hamburger Kunsthalle schema
Les six derniers panneaux se répondent deux à deux :

  • la main créatrice se transforme en main punitrice ;
  • la porte est vue depuis l’intérieur puis l’extérieur du Paradis ;
  • le couple fautif devient le couple puni.

Bedford Hours 1410-30 Histoire adam er eve_British_Library_Add_MS_18850_f14r detailHistoire d’Adam et Eve (détail)
Bedford Hours, 1410-30, British Library Add MS 18850 fol qu14r

Lorsque Dieu profère son interdiction, Eve regarde l’arbre qu’il lui désigne, tout en posant sur son épaule une main paternelle. Après que le serpent l’ai tentée, Eve fait face à Adam pour le convaincre à son tour.

Le retournement d’Eve exprime le retournement de situation, entre l’obéissance et la désobéissance.


adam et eve Genese_51ChalonsEnCh_CathStEtienne-creation baie 40 1506 ou 1516
Dieu interdit de manger les fruits (détail de la baie 40) 
1506 ou 1516, Cathédrale Saint Etienne, Châlons en Champagne

Comme s’il prévoyait de qui viendront les problèmes, Dieu tient fermement Eve par la main droite tandis qu’Adam élève la même main pour promettre de respecter l’interdit.


Jacob de Backer God the Father presents Eve to Adam 1575_99 coll part
Dieu le Père présente Eve à Adam
Jacob de Backer, 1575-99, collection particulière

La vue de dos place Adam dans la même position que le spectateur : c’est aux deux que le Créateur, à moitié dans la pénombre, présente sa dernière oeuvre.


Adam et Eve au tribunal

31504-Meißen-1995-Frauenkirche_Epitaph_Vollbild-Brück_&_Sohn_KunstverlagEpitaphe protestante du bourgmestre Waldklinger, mort en 1549, Ecole de Cranach, Frauenkirche, Meissen (Saxe)

Dans le registre supérieur, Adam et Ève vus de dos comparaissent devant le tribunal céleste. Tandis que la convention héraldique était respectée dans la vue de face en bas à gauche (le mari à gauche l’épouse à droite), elle est enfreinte au tribunal : ils ne sont pas là en tant qu’époux, mais en tant que coupables, liés par le serpent en guise de chaîne. Cette inversion a également l’avantage de placer Adam en face de son alter ego, le Christ ; et le Diable (qui accompagne Eve) en face de son adversaire, Dieu le Père.

Sur la table sont posées la pièce à conviction, la pomme, et les tablettes de la Loi. Le phylactère du Christ rappelle la malédiction du serpent (Genèse 3,15) :  «La postérité de la femme écrasera la tête du serpent ». Les quatre « sœurs divines » (Psaume 85, 11) s’affrontent autour de la table [6] :

  • côté Défense (à gauche), la Miséricorde et la Paix prononcent des paroles conciliantes ;
  • côté Accusation (à droite), la Justice et la Vérité rappellent les faits et appellent au châtiment.

Le Jugement reste en suspens, comme celui du défunt bourgmestre attendant en bas de l’image, accompagné par les prières de sa famille disposée dans l’ordre héraldique, hommes à gauche et femmes à droite.


Jacob Lucius Der Alter 1556 Le pardon d'Adam et Ève selon l'enseignement de saint BernardLe pardon d’Adam et Ève selon l’enseignement de saint Bernard
Jacob Lucius Der Alter, 1556

Cette gravure au thème et aux textes identiques, parue en 1556 en version allemande et latine, montre que l’épitaphe de Waldklinger a probablement été réalisée d’après elle, donc quelques années après sa mort.


1570 ca Das jüngste Gericht Lübeck St. Annen-Museum

Le Jugement dernier, vers 1570, St. Annen-Museum, Lübeck

Ce panneau reprend la gravure à l’identique, y compris les quatre scènes des coins : la Crucifixion en pendant de la Chute, les Elus en pendant des Damnés.


1592_Cornelis_van_Haarlem_-_La-Chute-de-lHomme.jpgLa chute de l’Homme
1592, Cornelis Corneliszoon van Haarlem, Rijksmuseum, Amsterdam

Dans la scène en miniature, au fond à gauche, Dieu se matérialise par un nuage devant Adam et Eve vus de dos. Puisqu’ils respectent cette fois l’ordre héraldique, il s’agit probablement de la scène de l’Interdiction, avant la Chute, plutôt que celle de la Réprimande, après la perturbation des règles établies. Sur ce tableau, voir 4 Le bouc au Paradis .



Références :

[1a] Charles Loriquet, Description des tentures de la Vie de la Vierge de la cathédrale de Reims, dans Travaux de l’Académie nationale de Reims, Volumes 55 à 56, 1875, p 280 https://books.google.fr/books?id=bA40AAAAMAAJ&pg=RA2-PA280
[1b] Hofer, Philip. 1947. A newly discovered book with painted decorations from Willibald Pirckheimer’s library. Harvard Library Bulletin I (1), Winter 1947: 66-75. https://dash.harvard.edu/handle/1/41650136
[2] Erwin Panofsky « Albrecht Dürer: Handlist, concordances, and illustrations » 1943 p 144
[4] Albrecht Hoffmann Stifterbilder nach 1500 und reformatorische Malerei auf Stifterbildern des 16. Jahrhunderts https://www.patrizier-marienkirche-berlin.de/index.php/2-uncategorised
Les inscriptions sont décrites dans « Die Stadt in der Kirche: Die Marienkirche in Bernau und ihre Ausstattung » p 148 https://books.google.fr/books?id=JP_BDgAAQBAJ&pg=PA148#v=onepage&q&f=false
[5] David H. Price « In the Beginning Was the Image: Art and the Reformation Bible » p 74 https://books.google.fr/books?id=IeMJEAAAQBAJ&pg=PR11&dq=D%C3%BCrer+%22Harrowing+of+Hell%22
[6] Franz Slump « Gottes Zorn – Marias Schutz. Pestbilder und verwandte Darstellungen als ikonographischer Ausdruck spätmittelalterlicher Frömmigkeit und als theologisches Problem », p 167 http://www.slump.de/lizentiatsarbeit.pdf