L’inversion Eve-Adam
Adam, l’arbre au serpent et Eve : cet ordre qui semble naturel a-t-il à voir avec le statut du couple ? Cet article passe en revue les exceptions, selon les époques, et s’interroge sur leur cause.
Aperçu historique
Aux hautes époques
Les toutes premières représentations de la Chute sont des carreaux de parement en terre cuite.
Fin 6ème siècle, église Saint-Martin de Vertou, musée Dobrée, Nantes | 6ème-7ème siècle, Tunisie, collection privée |
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Si l’exemple français respecte l’ordre « naturel », tous les exemples tunisiens (musées du Bardo ou de Sousse) placent Eve à gauche. En revanche apparaît dès ces autres époques une règle intangible : la tête du serpent pointe côté Eve, puisque c’est elle qu’il a tentée.
A l’époque préromane et romane
vers 950, Codex Aemilianensis, MS d I. I. , fol 17 | 1000, Beatus de L’Escorial-San Millan, MS II.5-fol 18 |
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Dans les Beatus, on trouve encore les deux formules.
L’Envoyé du démon tentant Eve, puis Adam, page 28
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Ce manuscrit contient un texte en vieil anglais, la Génèse dite de Cædmon, qui explique avec un luxe de détails comment l’Envoyé de Satan, sous l’apparence d’un ange, trompa d’abord Eve en lui faisant goûter le fruit de l’Arbre de la Mort, de sorte qu’elle convainque ensuite Adam d’y goûter à son tour :
« Elle mangea le fruit et méprisa la volonté et la parole de Dieu. Alors elle put voir au loin grâce au don du démon, dont les mensonges la trompaient et la piégeaient avec ruse, de sorte qu’il arriva que les cieux lui apparurent plus radieux, la terre et tout le monde plus beaux, l’ouvrage grand et puissant de Dieu, bien qu’elle ne les ait pas vus avec la sagesse humaine… « Dis à Adam quelle vision tu as et quel pouvoir tu as par ma venue. Et même encore, s’il obéit à mes ordres avec un cœur humble, je lui donnerai de cette lumière en abondance, comme je t’en ai donné »… Alors la belle jeune fille, la plus belle des femmes qui soient jamais venues au monde, se rendit auprès d’Adam… Parmi les pommes fatales, elle en portait certaines dans ses mains, d’autres sur sa poitrine, fruit de l’arbre de la mort dont le Seigneur des seigneurs, le Prince de gloire, lui avait défendu de manger, en disant que ses serviteurs n’avaient pas à souffrir la mort… » (vers 599-646) [0]
Dans ce cas très particulier, on est donc certain que l’inversion Eve-Adam traduit la chronologie de la Chute, celle d’Eve entraînant, dans un second temps, celle d’Adam.
Pour l’analyse d’autres images de la Génèse de Cædmon, voir 3 Débordements préromans et romans : en Angleterre .
San Pedro in Loarre, 1100-30 | Cloître de la Cathédrale de Monreale, 1170-1180 |
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Dans la sculpture monumentale, on rencontre de nombreuses manières de représenter le Péché originel. Dans la forme symétrique, de part et d’autre de l’arbre, l’ordre « naturel » devient prédominant mais les exceptions sont nombreuses.
« D’une part, en plaçant Adam et Ève à égale distance de l’arbre, l’iconographie faisait ainsi référence à un certain égalitarisme social et à un certain nivellement moral entre l’homme et la femme, même si le serpent est presque toujours tourné vers la femme. Le côté où chaque personnage était placé variait. On a déjà considéré comme une « tradition iconographique » la position d’Ève à droite de l’arbre, schéma qui aurait à peine trois exceptions, à Saint-Antonin, à Bruniquel et à Lescure. En fait, la femme apparaît à gauche dans plusieurs autres cas, à titre d’exemple sur les sculptures d’Anzy-le-Duc, Airvault, Butrera, Cergy, Cervatos, Covet, Embrun, Gémil, Gérone, Lavaudieu, Lescar, Loarre, Luc-de-Béarn, Mahamud, Manresa, Moirax, Montcaret, Peralada, Saint-Étienne-de-Grès, Saint-Gaudens, Sangüesa, San Juan de la Peña, Toirac, Vérone et Vézelay. De même, sur les fresques d’Aimé, Fossa et San Justo de Ségovie, sur les enluminures de la Bible de Burgos, de l’Exultet 3 de Troia et de l’Hortus Deliciarum, sur un médaillon métallique de Saint-Jean-de-Latran, et sur les mosaïques de Monreale et de Trani. » [1]
L’influence du contexte
Plutôt que de multiplier les exemples et les contre-exemples isolés, il est plus fructueux d’étudier les cas où le motif intervient au sein d’un contexte : le choix entre une forme et une autre est parfois influencé par les symétries de l’ensemble.
Dans les rouleaux d’Exultet de Montecassino
Le péché originel
1087, Exultet Barberini, réalisé au Monastère du Montecassino, Vat Cod.Barb.Lat. 592
L’illustrateur de ce rouleau a opté pour une formule non centrée, dans l’ordre des responsabilités : d’abord le Serpent, puis Eve, puis Adam.
Vu par les spectateurs | Lu par les chantres |
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Le péché originel
1075, Exultet réalisé au Monastère du Montecassino, BL MS Additional 30337
Cet autre rouleau étroitement apparentés (mais qui n’est pas exactement une copie) a fait le même choix. Les rouleaux d’Exultet étaient déroulés devant les fidèles, tandis que le chantres se trouvaient derrière le lutrin : ce pourquoi les textes sont écrits à l’envers, et les images se succèdent de bas en haut. L’image du Péché originel illustre le texte inscrit immédiatement au dessus (dans la vue « chantres ») :
Ô péché vraiment nécessaire d’Adam, complètement détruit par la mort du Christ ! |
O certe necessarium Adæ peccatum, quod Christi morte deletum est! O felix culpa, quæ talem ac tantum meruit habere Redemptorem! |
Or, comme s’en étonne Thomas Forrest Kelly ([1a], p 181), l’image qui était visible pour le public pendant ce chant était non pas celle-ci, mais le précédente (en l’occurrence, le Christ aux Enfers). Ceci n’est pas une anomalie si on imagine un déroulement par à coups : d’abord les chantres chantaient le texte, puis le rouleau état déroulée et la nouvelle image était révélée au public, dans un effet de suspense.
La scène du Péché originel apparaît dans ce rouleau pour illustrer la nouvelle version du texte de l’Exultet (Vulgate) imposée par le pape Etienne IX en 1058 ([1b], p 81 et ss). De même la scène qui suit, le Noli me Tangere où Marie Madeleine s’agenouille devant le Christ ressuscité, s’introduit également à l’occasion de ce nouveau texte.
Il est très probable que l’inversion résulte ici du contexte immédiat : sous les yeux du spectateur, le couple maudit Eve-Adam est remplacé, dans une sorte de fondu enchaîné, par le couple de la Pècheresse et du Rédempteur [1c].
Exultet 2,1050-1100, Duomo di Pisa
Le troisième Exultet du Mont Cassin présentant la scène du Péché originel l’associe au même texte du felix culpa. L’image concatène trois scènes :
- Dieu créant Adam (sur le globe-siège typique de l’Italie centrale, voir 5 L’âge d’or des Majestas) ;
- Eve tentée par le serpent ;
- Eve tentant Adam.
Tout se passe comme si, en dupliquant à gauche le personnage d’Eve, l’artiste avait scindé en deux duos le trio Serpent-Eve-Adam des autres rouleaux. Il n’y avait plus de raison de maintenir ce trio, puisque l’image suivante n’est pas le Noli me tangere mais une scène liturgique, l’allumage du cierge pascal.
Sur une paroi méridionale
Adam et Eve, Fresque de Tebtunis, 11ème siècle, Musée copte, Le Caire
Cette fresque de la paroi méridionale de l’église de lit de droite à gauche, en direction du choeur :
- 1) le cheval est celui de Dieu, dont la silhouette (disparue) se penchait à droite pour extraire Eve du flanc d’Adam [2] ;
- 2) Eve et Adam avant la Chute mangent les fruits défendus en toute innocence primitive, en l’absence des organes sexuels ;
- 3) Eve et Adam après la Chute cachent leurs parties honteuses.
Dans ce cas précis, l’inversion entre Adam et Eve est donc liée au sens de lecture des fresques, de droite à gauche : de sorte que l’oeil, dans chaque scène, restaure l’ordre naturel, en rencontrant d’abord Adam , puis Eve.
A Saint Paul hors les Murs
Les fresques paléochrétiennes de Saint Paul hors les murs nous sont connues par des aquarelles du XVIIème siècle. Le cycle de la Génèse se déroulait sur le mur Sud de la nef, en commençant à l’arc triomphal, et les scènes de la Chute et de la Découverte d’Adam et Eve se trouvaient sous la quatrième et la cinquième fenêtre. Elles ne comportaient pas d’inversion.
Face Nord du Baldaquin
Arnolfo di Cambio, 1285 Baldaquin de Saint Paul hors les Murs
Un spectateur contemplant le baldaquin depuis le transept Nord pouvait donc voir la composition paléochrétienne derrière la décoration gothique conçue par Arnolfo di Cambio. L’inversion s’explique par le fait que l’arbre au serpent, ne pouvant être en position centrale, a été repoussé dans l’écoinçon de gauche, la figure clipeata de Dieu lui faisant pendant dans l’écoinçon de droite.
Tout comme les fresques de la nef, le baldaquin montre en fait deux scènes consécutives :
- Eve tentée par le serpent ;
- Les reproches de Dieu et la honte d’Adam.
Le geste de pudeur d’Eve, se cachant le sexe avec une feuille de vigne, brise la chronologie par raison de symétrie.
Dans le cycle de la Génèse
1139, maître Nicolaus, Portail Ouest, San Zeno, Vérone
Ce portail présente les six scènes obligées de la Génèse :
- 0) création du Monde (ici les animaux) ;
- 1) création de l’Homme ;
- 2) création d’Eve à partir de la côte d’Adam ;
- 3) Adam et Eve autour de l’Arbre
- 4) L’expulsion du Paradis
- 5) Adam et Eve condamnés au travail.
Notons que toutes ces scènes sont inversibles, sauf une : dans la scène 4, l’Ange est toujours à gauche, de manière à ce que le sens de l’Expulsion corresponde avec le sens de la lecture. Et Adam s’interpose toujours entre Eve et l’Ange, afin de la protéger.
Moyennant cette contrainte, on voit que maître Nicolaus a choisi d’organiser ses scènes selon une symétrie d’ensemble rigoureuse :
- la figure d’autorité, Dieu ou l’Ange (en jaune) est toujours à l’extérieur ;
- l’ordre masculin-féminin s’inverse de part et d’autre de l’axe vertical.
En raison de cette symétrie, la scène de la Tentation, qui fait pendant à la Création d’Eve, n’est pas inversée.
Psautier de Cantorbery, 1185 -1195, BnF, Mss., Latin 8846
Ici la lecture s’effectue de haut en bas, et une scène supplémentaire a été introduite :
- 2a) Dieu interdit à toucher à l’arbre.
Dans cette scène comme dans l’Expulsion, c’est toujours le Chef de famille qui s’interpose entre l’Autorité et la Femme.
Ici l’enlumineur a choisi pour cette scène de placer Dieu à gauche, ce qui crée un effet d‘opposition (flèche rouge) entre l’Interdiction et l’Expulsion.
De même, la forme inversée choisie pour la scène de la Chute introduit un parallélisme entre l’Avant (3) et l‘Après (5) (flèche verte), qui fait bien comprendre que la Punition est la conséquence du Péché universel.
Dans cette composition séquentielle (à la manière d’une BD), il est logique que les scènes ne soient pas organisées en fonction d’une symétrie d’ensemble, mais qu’elles se répondent localement.
1200-50, trumeau du portail de la Mère Dieu, Cathédrale d’Amiens
Les scènes de lisent toujours de haut en bas, mais de droite à gauche : c’est la raison pour laquelle, de manière exceptionnelle, la scène de l’Expulsion (4) est ici inversée. La solution retenue a pour but de faire apparaître la même relation de parallélisme (flèche verte) et d’opposition (flèche rouge)entre les scènes-clés.
A noter le geste caractéristique d’Adam portant la main à la gorge, sur lequel nous reviendrons plus loin.
1250-1330, attribué à Gaddo Gaddi, baptistère de Florence
Ici a été rajoutée une autre scène
- 4a) Dieu maudit Adam et Eve
De ce fait, deux scènes consécutives 4a et 4 ont la même composition. L’inversion de la scène 3 rompt l’uniformité, et permet de mettre en valeur le parallélisme habituel entre les scènes 3 et 5.
Lorenzo Maitani, 1310-20, Duomo d’Orvieto
Nouvelle case supplémentaire :
- 1a) la Création d’Eve : Dieu extrait une côte à Adam.
La scène 3 habituelle s’enrichit, à droite, d’une scène subsidiaire : Adam et Eve se cachant sous un buisson car ils ont honte de leur nudité.
Malgré la complexité de l’ensemble, la composition respecte encore les deux grandes règles que nous avons dégagées : opposition entre 2a et 4, parallélisme entre 3 et 5.
Sur la pose très particulière d’Adam, voir Adam et Eve vus de dos.
1425, Jacopo della Quercia, portail majeur de San Petronio, Bologne
La même règle de parallélisme entre 3 et 5 se maintient encore ici, au sein d’une idée très originale : entrecroiser systématiquement les sexes d’une scène à la suivante.
De ces exemples très différents se dégage une conclusion assez simple : l’ordre dans la scène de la Chute n’est pas lié à une tradition locale ou à une mode ; il résulte directement des symétries choisies pour l’ensemble, et de la contrainte liée à la composition intangible de la scène de l‘Expulsion.
L’influence de Pierre le Mangeur (SCOOP !)
Dans un certain nombre d’inversions du 13ème et 14ème siècle, il est possible de déceler l’influence de deux textes très répandus : l’Histoire Scolastique puis la Bible Historiale.
Eve et Adam, détail du Vitrail du Bon Samaritain, 1205-15, Cathédrale de Chartres
A gauche de l’arbre, Eve dialogue avec le serpent et se prépare à manger la pomme. A droite de l’arbre, Adam porte la main à sa gorge, dans un geste qu’on a interprété de deux façons :
- ultime avertissement à Eve pour qu’elle se ressaisisse ;
- étranglement suite à l’ingestion du fruit, selon la légende qui a valu son nom à la pomme d’Adam.
C’est la seconde interprétation qui est la bonne. On ne trouve en effet aucune mention d’une réticence d’Adam dans un des textes qui faisait autorité à l’époque, l’Histoire Scolastique de Pierre le Mangeur (Petrus Comestor), rédigé entre 1169 et 1173 :
La femme vit aussi d’abord que le fruit était beau en apparence, c’est-à-dire sain, et remarquant par l’odorat ou le toucher qu’il était un bon aliment, elle le mangea et en donna à son mari, peut-être en le convainquant par des mots persuasifs, que le Législateur (Moïse) passe sous silence par souci de brièveté. Et il y consentit volontiers, car, ayant cru auparavant que la femme mourrait immédiatement, selon ce qu’avait dit le Seigneur, et ayant constaté qu’elle n’était pas morte, il se dit que cette parole du Seigneur était seulement pour l’effrayer : et il a mangé. Histoire Scolastique De esu pomi, et statu post peccatum [2a] |
Vidit quoque mulier prius, quod lignum esset pulchrum visu, id est mundum, et ex odore, vel tactu notans, quod ad vescendum suave, comedit, deditque viro suo, forte praemonens verbis persuasibilibus, quae transit legislator brevitatis causa. Qui, et ei facile acquievit, quia, cum crederet prius mulierem statim morituram, juxta verbum Domini, et vidisset non fuisse mortuam, dictum hoc a Domino aestimavit quasi tantum ad terrorem, et comedit. |
L’ensemble de la verrière confirme cette lecture chronologique, dans lequel l’arbre sépare la scène entre l’Avant et l’Après de la Chute :
- Avant :
- Eve, qui brandit un bouquet de fleurs, persuade Adam, sous l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal : le Soleil se cache derrière, signe que la parole de Dieu est oubliée ;
- Eve porte le fruit à sa bouche, encouragée par le serpent ;
- Après :
- Adam s’étrangle ;
- les deux, cette fois vêtus de feuilles de figuier, se retrouvent assis sous un arbre sans fruit, derrière lequel apparaît Dieu qui les maudit.
L’inversion Eve-Adam est donc indispensable à cette symétrie, dans laquelle Eve domine la moitié gauche, prenant la pleine responsabilité de la Chute.
Les deux scènes dans lesquelles elle apparaît, celle de la persuasion d’Adam et celle de l’ingestion du fruit, correspondent d’ailleurs aux deux fautes qu’elle a commises, l’Orgueil (les fleurs) et la Désobéissance (le fruit), et aux deux malédictions qui vont la frapper :
La femme a péché en deux choses : elle était orgueilleuse et elle a mangé ce qui était interdit. Parce qu’elle était orgueilleuse, Dieu l’a humilié en disant : Sous la puissance de l’homme, tu seras violente, de sorte qu’il le sera de même, en te blessant pour te déflorer. Désormais en effet, elle est soumise de son mari par sa condition, et par peur, alors qu’auparavant elle lui était soumise par amour. Et parce qu’elle a péché avec un fruit, elle a été punie dans son fruit. C’est pourquoi il lui a été dit : Tu enfanteras dans la douleur. Ce qui lui a été dit quant à la douleur constitue la malédiction, mais l’enfantement est une bénédiction. Car la femme stérile est maudite. Histoire Scolastique , De maledictionibus serpentis, viri et mulieris [2a] |
In duobus peccavit mulier, superbivit, et vetitum comedit. Quia superbivit, humiliavit eam dicens: Sub potestate viri eris violenta, ut etiam vulneribus te affligat in defloratione. Nunc quidem subdita est viro conditione, et timore, cui prius subjecta fuerat, sed amore. Et quia in fructu peccavit, in fructu suo punita est. Unde dictum est ei: In dolore paries. Quod dictum est ei in dolore, maledictio est, sed paries, benedictio est. Maledicta enim est sterilis |
Antependium de Sant Andreu de Sagàs (flanc gauche), 1175-1200, Musée de Solsona
Cette composition rustique place la scène de la Tentation en pendant de la Passion, résumée en une seule image (Arrestation, Descente de Croix et Mise au Tombeau). Tandis que l’arbre renvoie à la croix, le rôle d’Eve vis à vis d’Adam est ici assimilé au rôle de Judas vis à vis du Christ.
Contemporaine de l’Histoire Scolastique, cette composition reflète plus probablement les croyances populaires (l’étranglement d’Adam) que le texte de Pierre le Mangeur : elle montre que le rôle primordial d’Eve dans la Chute était alors compris partout, jusque dans une église perdue dans les montagnes catalanes.
Psautier Peterborough de Bruxelles (Angleterre),
1220-1225, Bruxelles, Bibliothèque royale MS 9961-62 fol 25
Dans cette page typologique, la Tentation du Christ par Satan, en haut à gauche, est mise en parallèle :
- verticalement, avec la Mort d’Absalon, faisant de celui-ci un équivalent de Satan :
Tandis qu’Absalon accable son père de guerres. il est lui-même tué. Ainsi, Satan est-il servi lorsqu’il tente le Seigneur. |
Dum patrem bellis gravat absalon. ipse necatur. Sic Sathanas dominum dum temptat suppediatur. |
- horizontalement avec la Tentation d’Eve par Satan, faisant de celle-ci l’antithèse du Christ.
Dans la case terminale, Eve passe de droite à gauche, de Tentée à Tentatrice, comme l’explique le texte en jouant sur le double sens du mot malum :
Eve donne la pomme à l’homme. Ils mangent tous les deux ce présent. Tout le mal (malum) naît de là, par ce triste fruit (malum). |
Eva viro pomum dat. edunt pariter duo donum. Nascitur inde malum totum. per flebille malum. |
Ainsi l’inversion Eve-Adam marque indubitablement la responsabilité d’Eve dans la Chute.
1220-25, Chapelle Saint Guillaume, Notre Dame, Paris | 1225-1235, psautier latin dit de saint Louis et de Blanche de Castille, Arsenal. Ms-1186 reserve fol 11v Gallica
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La Tentation
Ces deux compositions très semblables à celle de Chartres donnent elles-aussi à Eve le rôle dominant dans la Chute.
L’image du psautier développe sa gestuelle : elle mange son fruit de la main gauche et en tend un autre à Adam de la main droite. S’introduit également ce qui est la signature la plus significative de l’influence de l’Histoire Scolastique, le serpent à tête féminine, une vieille légende juive que Pierre le Mangeur avait trouvé dans les Antiquités judaïques de Flavius Josephe [2b] :
Lucifer, chassé du paradis des esprits, enviait l’homme d’être au paradis des corps ; il savait que s’il le poussait à la transgression, il en serait lui aussi chassé. Craignant cependant d’être découvert par le mari, il décide de s’attaquer à sa femme, moins prudente et moins décidée. Et cela à travers le serpent, parce qu’à cette époque le serpent était debout comme un homme, puisqu’il est tombé suite à la malédiction, et pourtant, comme on le traduit, le « pareias » avance debout. Il choisit aussi une certaine sorte de serpent, comme le dit Bède, ayant le visage d’une vierge, parce que les semblables accueillent favorablement les semblables. Et celui-ci bougea sa langue pour parler, quoique ignorant, tout comme il parle par l’intermédiaire des fanatiques et des possédés, tout aussi ignorants, et il dit : Pourquoi Dieu vous a-t-il ordonné de ne pas manger des fruits de tous les arbres du jardin, c’est-à-dire de manger des fruits des arbres, mais pas de tous ? Histoire Scolastique, De suggestione serpentis sive daemonis [2a] |
Lucifer enim dejectus a paradiso spirituum, invidit homini quod esset in paradiso corporum, sciens si faceret eum transgredi, quod et ille ejiceretur. Timens vero deprehendi a viro, mulierem minus providam et certam, in vitium flecti aggressus est. Et hoc per serpentem, quia tunc serpens erectus est ut homo, quia in maledictione prostratus est, et adhuc, ut tradunt, phareas (pareias) erectus incedit. Elegit etiam quoddam genus serpentis, ut ait Beda, virgineum vultum habens, quia similia similibus applaudunt, et movit ad loquendum linguam ejus, tamen nescientis, sicut, et per fanaticos, et energumenos loquitur, nescientes, et ait: Cur praecepit vobis Deus ut non comederetis de omni ligno paradisi, id est, ut comederetis de ligno, sed non de omni |
Psautier de Rutland (Angleterre), 1260, BL Add. 62925 fol 8v | Bible d’Utrecht Vers 1430, La Haye, Meermanno Koninklijke Bibliotheek, 78 D 38 I, fol. 8v |
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Le geste d’étranglement d’Adam est facultatif dans l’inversion : certains illustrateurs le reprennent de loin en loin.
Bible Historiale, 14ème siècle, BNF Français 155 fol 4v | La tentation Maître de Jean de Mandeville, 1360-75, Bible Historiale Ms. 1, v1 (84.MA.40.1), fol. 9, Getty Museum |
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L’inversion est particulièrement appropriée dans le cas de la Bible historiale, puisque l’image précède immédiatement un long dialogue entre Eve et le Serpent. Ce récit en français, rédigé à la fin du XIIIème siècle par Guyart des Moulins, s’inspire largement de l’Histoire Scolastique de Pierre le Mangeur.
Le Maître de Jean de Mandeville péjore la gestuelle d’Eve, en lui faisant tendre la pomme à Adam de la mauvaise main.
La Tentation
Bible Historiale, 1347 BNF Français 152 fol 15r
Il faut noter que certains illustrateurs de la Bible historiale n’inversent pas Adam et Eve. Celui-ci a rajouté par pudeur les feuilles de vigne, renonçant ainsi à la lecture chronologique. Il lui a préféré un ordre hiérarchique : Dieu du haut de son arbre observe Adam mangeant la pomme en catimini, tandis que depuis l’arbre central le serpent à tête de femme baratine sa semblable.
14ème s, Saint Etienne, Mulhouse ( photo ndoduc.free.fr) | Hans Acker, vers 1430, Bessererkapelle, Ulmer Münster |
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1405-08, grande verrière Est, York Minster
La Tentation et l’Expulsion
Aux 14ème et 15ème siècles, on retrouve encore l’inversion associée au serpent féminisé, dans des lieux éloignés : ce qui suggère la transmission via le texte très répandu de la Bible historiale (on en connaît 144 manuscrits [2c]).
1500-30, Eglise de la Conception de la Vierge, Puellemontier, photo Denis Krieger mesvitrauxfavoris.fr
Comme l’a relevé Denis Krieger [2d], l’inversion associée au serpent à tête de femme a donné lieu à une tradition locale dans plusieurs églises champenoises, peut être parce que l’influence de Pierre le Mangeur, originaire de Troyes, y était particulièrement vivace.
Un indice supplémentaire est la feuille de figuier dorée, anachronique puisqu’Adam n’a pas encore honte d’être nu. Cette insistance trahit probablement l’influence de l’Histoire Scholastique qui explique pourquoi, après la malédiction, Adam et Eve se firent des culottes avec des feuilles de figuier :
Et les feuilles de figuier ne sont pas sans raison, car si l’on mange le jus des figues, la chair humaine, ainsi humectée, ressent immédiatement la démangeaison du plaisir, comme si par là on montrait qu’ils ressentaient déjà la démangeaison du plaisir dans leur chair. Histoire Scolastique , De maledictionibus serpentis, viri et mulieris [2a] |
Nec sine causa de foliis ficuum, quia de succo eorum si teratur, caro hominis inuncta statim ibi sentit voluptatis pruriginem, ut quasi per hoc ostensum sit quia pruriginem voluptatis jam in carne senserant |
Saint-Georges, Chavanges | Saint Remi, Ceffonds (baie 4) |
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1500-30, photo Denis Krieger mesvitrauxfavoris.fr
L’inversion a également pour avantage de placer Eve en position de prescription, comme Dieu dans les autres scènes (Création d’Adam, d’Eve, Admonition, Malédiction). On notera que les deux artistes ont corrigé l’anomalie de la feuille dorée, en ne la faisant porter à Adam qu’après la Chute.
fol. 46v | fol. 48v |
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Heures d’Anne de France, Jean Colombe et atelier, vers 1473, Morgan Library MS M.677
Ces deux miniatures consécutives exprimaient déjà la même idée d‘Eve prenant la place de Dieu.
Cas particuliers
Le Mariage d’Adam et Eve
1420, Rhin moyen, Spencer 15, fol. 2v
Speculum Humanae Salvationis (warburg iconographic database)
Dans le Speculum Humanae Salvationis, la scène comporte une certaine ambiguïté : elle illustre un texte sur le mariage, et comporte souvent la légende « Accouplement (copulatio) d’Adam et Eve« . Mais souvent, comme ici, la légende fait allusion à l’interdiction par Dieu, sous peine de mort, de manger le fruit de l’arbre du Bien et du Mal : épisode qui manifestement ne correspond pas à l’image, car elle n’est faite qu’à Adam seul (Genèse 2,16).
Ce glissement sémantique est lié à l’image en pendant, qui présente la présente la scène opposée à l’Interdiction : le Serpent autorisant Eve à manger ce fruit. D’où la logique de la position d’Eve, à droite dans les deux cas.
France vers 1450 BNF Fr 188 fol 6r
Speculum Humanae Salvationis (warburg iconographic database)
Sporadiquement, on trouve quelques cas où Eve est représentée à gauche dans la scène du mariage, que l’on croirait pourtant très codifiée. Le même flottement se rencontre dans toutes les enluminures représentant un mariage : lorsque les mariés s’avancent vers l’autel, l’homme (vu de dos) est à droite, de manière à se présenter au regard de Dieu dans l’ordre héraldique ; mais lorsque les mariés se retournent, c’est à la foule qu’ils se présentent dans l’ordre héraldique (le mari à gauche). Les deux situations sont donc possibles, selon qu’on se situe avant ou après le mariage.
Speculum Humanae Salvationis, édition imprimée, vers 1468
La version imprimée restaure le parallélisme entre les deux scènes, en plaçant Eve à gauche dans les deux cas.
Livre des Propriétés De Choses, Maître de la Mazarine, vers 1415, Fizwilliam museum, Ms 251 fol 16r |
Antiquités judaïques 1475-1500, BNF Ms 11 fol 3v |
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Le Mariage d’Adam et Eve
Dans d’autres livres, le mariage est représenté au sein du Paradis. Le couple humain est toujours dans l’ordre héraldique, tout comme le couple soleil/lune au dessus (sur les inversions des luminaires, voir Les inversions Lune / Soleil) .
Une inversion cosmique (SCOOP !)
Antiquités judaïques
Maître du Hannibal de Harvard, 1420, BNF Ms Fr 247 fol 3r
Fait exception cette image complexe, qui cumule la scène du mariage, en bas, et la Création du Monde, en haut : Dieu est entouré de ses instruments d’architecte (le niveau, le compas et l’équerre) et de ses outils d’artisan (la tarière et le marteau).
Le couple des luminaires est remplacé par un demi zodiaque, sur lequel se répartissent les sept planètes. Le Soleil, au centre, représenté deux fois (dans le zodiaque et en dessous), ce qui l’assimile à Dieu, lui aussi représenté deux fois. Comme le montrent les signes, le Soleil est entre Gémeaux et Scorpion, au Solstice d’Eté.
Il est possible que l’inversion soit motivée par la symbolique des saisons, chaque sexe se plaçant du côté où il culmine : la femme du côté de la Jeunesse (le Printemps) et l’homme du côté de la Maturité (l’Eté).
Un couple d’amoureux
L’inversion de l’ordre héraldique sous-entend parfois qu’il s’agit d‘amants, et non d’un couple marital voir 1-3a Couples germaniques atypiques).
Les amoureux vénitiens, 1515-30, Brera, Milan | Couple d’amoureux, 1555-60, National Gallery, Londres |
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Pâris Bordone
Bordone est très fidèle à cette convention. Le premier tableau représente soit un accord en vue d’un mariage (un témoin, la future épouse et le prétendant qui lui offre une ceinture nuptiale), soit plus probablement la scène de genre classique du souteneur, de la courtisane vénitienne, et du client qui lui offre en paiement une ceinture de plus [3].
Quarante ans plus tard, les deux amoureux en voie de déshabillage mutuel, couronnés par Cupidon, représentent là encore un couple non marital.
Adam et Eve debout
Pâris Bordone, Louvre
C’est la même idée de libre sensualité qui s’applique ici à Eve et Adam.
Nicolas Halin d’après Jean Cousin père (attr), 1550-1600, Rijksmuseum
Cette composition établit un parallèle entre le bras du serpent, tâtant la pomme, et celui d’Adam, tâtant le sein. Le couple de lapins et le bouc, dissimulé dans les hachures, assimilent la Chute à la découverte de la sexualité.
L’inversion des rôles
Adam et Eve devant l’Arbre de la connaissance
Gravé par Jan (Pietersz.) Saenredam, dessin Abraham Bloemaert, 1604, NGA
Dans cette série de gravures, une seconde scène figure en miniature, à l’arrière-plan (voir aussi 8 Le nu de dos dans les Pays du Nord). Ici, il s’agit d’Eve, debout à côté d’Adam couché, dans un rayon de lumière divine. Le couple se retrouve au premier plan dans le même ordre, Eve tirant derrière elle un Adam interrogatif.
L’inversion des positions traduit l’inversion des rôles, Eve prenant le dessus sur Adam :
Il avait ordonné que tout bois porte un fruit aux cheveux d’or, Le créateur des choses, que l’homme vive dans les forêts heureuses, Qu’il adore et observe la loi du pays, étant donné qu’il pouvait en jouir ; sa volonté, inclinant aux écarts, lui a été ravie. |
Jusserat auricomo nemus omne gravescere foetu Rerum opifex, hominem silvas habitare beatas, Et colere, et legem ruris servare fruendi Posse datum ; rapta est per devia prona voluntas. |
Variations et filiations
L’influence de Dürer
La Chute de l’Homme (Petite Passion)
Dürer, 1509-10
En décalant le tronc à l’extérieur du couple, cette gravure invente une nouvelle symétrie : Eve enlaçant Adam fait pendant au serpent enlaçant l’arbre.
Triptyque Malvagna (fermé)
Gossaert, 1513-15, Palazzo Abatellis, Palerme
C’est cette symétrie qui a intéressé Gossaert pour les deux volets de ce triptyque :
- derrière le couple fautif se profile déjà la porte de l’Expulsion ;
- le second volet montre le Paradis après la Chute, purgé de toute présence humaine.
Entre les deux, la couronne de fruits, autour du blason des Lanza, restaure l’opulence de ce Paradis perdu. L’inversion d’Eve et d’Adam résulte mécaniquement de ce parti-pris narratif.
Adam et Eve
Heinrich Aldegrever, 1540
Aldegrever plagie, jusqu’au lion, la gravure de Dürer. La seule différence est le geste d’Adam, qui reçoit sa pomme du serpent, et non plus d’Eve. L’inversion est ici seulement due à la mécanique de la copie.
Les variations de Baldung Grien
Les trois Ages de la femme et la Mort, 1509-10, Kunsthistorisches Museum, Vienne | La Chute du genre humain, 1511 |
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Hans Baldung Grien
Baldung Grien a inventé vers 1509 le thème à la fois émoustillant et moral de la jeune fille nue que surprend, par derrière, la Mort ou le Temps (sur ce thème voir 3 Fatalités dans le miroir). Dès 1511, il applique la même composition à Eve, déjà pourvue de sa pomme, et qui attire dans son dos Adam en train de cueillir la sienne.
La jeune Fille et la Mort, 1517 | Adam et Eve, 1519 |
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Hans Baldung Grien, Kunstmuseum Basel
Quelques années plus tard, le principe menaçant passe à gauche : Eve se trouve ici comme violée par Adam, qui absorbe toute la négativité du serpent.
La Mort et Eve, 1525, National Gallery of Canada, Ottawa | Adam et Eve, 1531, MuséeThyssen-Bornemisza, Madrid |
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Plus tard encore, le composition s’inverse à nouveau. La Mort, brandissant une pomme et liée par l’anneau du Serpent à l’éternel féminin, s’assimile complètement à Adam (une assimilation facilitée par la langue, puisque Tod est du genre masculin).
Les variations de Lucas de Leyde
Lucas de Leyde a tant de fois représenté le couple originel qu’il était inévitable de voir apparaître des inversions Eve Adam, sans signification particulière. Je les présente pour mémoire, afin de permettre d’apprécier l’évolution du style, entre la jeunesse et la maturité.
vers 1506 | vers 1514 |
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Ces deux variantes montrent, dans le sens de la lecture, Eve passant à Adam une seconde pomme.
Adam et Eve, Lucas de Leyde, vers 1530 | La Création d’Adam (inversée), Michel-Ange |
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Dans la variante la plus moderne, Lucas préfère l’esthétisme au réalisme : l’arbre est décentré, Eve tend la pomme de la main gauche, et la pose d’Adam est une citation de la célèbre fresque de Michel-Ange.
De Raphaël à Jordaens
Raphaël, 1509, Salle de la Signature, Vatican | Atelier de Raphaël, 1519, Loges du Vatican |
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Adam et Eve
En 1509, Raphaël inaugure une composition où Adam, assis, se trouve dominé par Eve, debout de l’autre côté de l’arbre. En 1519, il inverse la composition et exagère certains traits (les spires du serpent, la chute en arrière d’Adam, Eve vue de dos), probablement dans une sorte de surenchère par rapport à Michel-Ange (voir Adam et Eve vus de dos)
Titien, 1550, Prado
Titien reprend la première composition de Raphaël. Il édulcore le serpent en une sorte de Cupidon, dont la nature diabolique est trahie par les petites cornes et la queue bifide. Le renard derrière Eve rajoute une notion de ruse. Le geste d’Adam est savamment ambigu, entre tentative de dissuasion et prémisses du désir.
Le jardin d’Eden, Brueghel le Vieux et Rubens, 1616, Mauritshuis, La Haye | Adam et Eve, Rubens, 1628-29, Prado |
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Rubens s’inspire à deux reprises de la composition de Titien. Profitant sans doute d’un voyage en Espagne vers 1628, il la recopie même fidèlement : il supprime seulement le cache-sexe démodé d’Adam et rajoute la tâche rouge du perroquet, symbole polyvalent de la Luxure (du couple) et de l’Eloquence (du serpent) (voir Le symbolisme du perroquet).
1640, Musée national, Budapest | 1642, Toledo Museum of Art |
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La Chute de l’Homme, Jordaens
Dix ans plus tard, Jordaens se place en concurrence avec Rubens. Le format paysage oblige à asseoir Adam à terre et Eve sur le talus. La chaîne des responsabilités est clairement rétablie : le serpent donne la pomme à Eve, qui va la transmettre à Adam.
La seconde variation reprend fidèlement le bestiaire de Rubens, en coinçant Eve entre les deux mêmes attributs animaux du Serpent, l’Eloquence et la Ruse. L’inversion d’Eve et Adam permet, à peu de frais, de se différencier du modèle.
Un triptyque à transformation (SCOOP !)
Triptyque de Modène
Le Greco (attr) 1568, Galleria Estense, Modène
Ce triptyque portatif, attribué au Greco, propose lorsqu’il est ouvert une iconographie déconcertante :
- à gauche et à droite, deux scènes de la Vie du Christ, dans l’ordre chronologique : l’Adoration des Bergers et le Baptême ;
- au centre une allégorie : le chevalier chrétien couronné par le Christ ressuscité, au dessus d’un paysage de Jugement dernier.
Le choix de ces scènes s’explique par les possibilités qu’offre la fermeture partielle du retable (sur un autre triptyque à transformation de Memling, voir 5 Le Polyptyque de Strasbourg).
En fermant le volet droit, l’Annonciation peinte au revers vient précéder l’Adoration des Bergers, dans une lecture de droite à gauche, où la Vierge conclut chaque scène.
En fermant le volet gauche, Dieu réprimandant Eve et Adam après la Faute précède, dans une lecture de gauche à droite, le début de la Rédemption, Jean Baptiste baptisant le Christ.
L’inversion Eve-Adam sert ici à avertir le spectateur qu’il ne s’agit pas d’une représentation classique de l’Interdiction, mais de la conséquence de la Faute, la Réprimande : comme le montre le visage d’Eve, qui se détourne de honte.
En Anglais : https://www.gutenberg.org/files/618/618-h/618-h.htm
En vieil anglais : https://projetocaedmon.wordpress.com/wp-content/uploads/2013/02/the-junius-manuscript.pdf
Dans cet autre Exultet influencé par l’atelier du Montecassino, le Felix culpa n’est pas inversé, car il est suivi non par le Noli me tangere (qui se trouve au tout début) mais par une Résurrection. Jacqueline Lafontaine-Dosogne, CR de « Guglielmo Cavallo. Rotoli di Exultet dell Italia meridionale. » Scriptorium Année 1976 30-1 pp. 152-155 https://www.persee.fr/doc/scrip_0036-9772_1976_num_30_1_2788_t1_0152_0000_2
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