1 Dieu sur le Globe : époque romaine
La représentation officielle du Seigneur en majesté (Maiestas Domini) n’a rien d’une vue d’artiste : le plus codifié de tous les sujets a néanmoins évolué au cours des siècles, selon des voies que nous ne comprenons pas toutes, dont les chaînons manquants ont disparu, et qui ne font pas consensus parmi les historiens d’art. Le sujet étant inépuisable, je me focalise ici sur une formule peu courante qui se prête à une étude isolée et chronologique : celle où le Seigneur est assis ou debout sur un globe.
La question de l’influence de l’iconographie antique sur l’iconographique chrétienne est très large et controversée. Pour André Grabar, les représentations du Dieu trônant ne sont qu’une transposition chrétienne du vocabulaire impérial de la souveraineté [1]. Thomas Mathews [2], au contraire, refuse toute influence du politique sur le religieux.
Sans entrer dans la discussion, il est utile de présenter auparavant les six formules sous lesquelles, à Rome, on peut trouver un haut personnage debout ou assis sur un globe (le cas où il le tient en main est hors du cadre de cette série d’articles).
1 Un pied sur le globe
L’Empereur Auguste
Apothéose d’Auguste
Bas relief, 43 ap JC, Ravenne
Auguste a ici les attributs de Jupiter : la main droite devait tenir un sceptre ou une lance et la gauche la foudre. Il pose son pied gauche sur le globe céleste entouré des signes du zodiaque. J. Charbonneaux ([3], p 266) fait remarquer qu’un des trois signes visibles, le Scorpion, fait sans doute allusion à l’Eloge d’Auguste par Virgile :
« soit que, nouvel astre d’été, tu te places parmi ceux qui président aux longs mois, entre Érigone et le brûlant Scorpion, qui déjà retire devant toi ses serres enflammées et te cède le plus grand espace des cieux », Géorgiques, chant 1
Le cercle zodiacal sous le pied de l’Empereur illustre quasi littéralement l’expression de Virgile dans le même passage : « souverain régulateur des saisons ».
La Victoire
Néron, Hémidrachme de Caesaria (Cappadoce), 54-63
Le pied droit sur le globe, la Victoire grave une inscription sur un bouclier (probablement les lettres SPQR que nous verrons plus bas, sur une autre monnaie de Néron).
L’Eternité
La déesse Aeternitas (symbolisant l’Eternité de l’Empereur) apparaît ici tenant un sceptre et une corne d’abondance, le pied gauche posé sur le globe en signe de domination. L’abréviation SC signifie SENATVS CONSVLTO (par décret du sénat)
Isis Fortuna
Isis Fortuna entre Hélios ou Harpocrates et Hespérus Maison de Philocalus, Pompéi |
Isis Fortuna, latrines de la maison IX.7.21, Pompéi |
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A Rome, l’attribut usuel de la Fortune est un gouvernail posé sur une globe, pour signifier qu’elle mène le Monde. Dans la fresque de gauche, elle a de plus, exceptionnellement, le pied posé dessus.
Dans celle de droite, l’inscription au dessus de l’homme accroupi attaqué par deux serpents en explique le sens :
Malheur à celui qui défèque ici. |
Cacator Cave Malu(m) |
Jupiter trônant avec l’aigle et le globe, Casa dei Dioscuri., Pompei. Musée Archéologique, Naples | Domus A. Herenuleius Communis (Maison d’Apollon), photo Jackie and Bob Dunn, https://pompeiiinpictures.com/ |
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Posé par terre ou tenu en main, le globe est également l’attribut de Jupiter ou d’Apollon.
2 Le globe piédestal
Isis Fortuna
Isis Fortuna, fresque disparue de la boulangerie de Proculus, Pompei [3a]
De la même insula que la maison de Philocalus où se trouve la fresque d’Isis un pied sur le globe, provenait cette fresque où elle a cette fois les deux pieds posés sur un globe étoilé. Elle prend appui sur un pilastre et sur un gouvernail, qui soulignent d’emblée la difficulté de la formule : son instabilité.
La Victoire
La Victoire à la Pyrrhus
En 273 avant JC, Pyrrhus avait fait édifier à Tarente, après sa victoire (provisoire) à Héraclée, une statue de la Victoire debout sur un globe, aujourd’hui perdue.
La victoire stéphanophore
Victoriat, 211 av JC
Mis à part cette statue, la Victoire à cette époque n’est pas figurée sur un globe. Son attribut distinctif est la couronne de lauriers qu’elle élève pour l’offrir à un trophée, comme ici, ou à un vainqueur.
Vénus victrix
Denier de César, 44 avant JC, collection privée
Dans cette représentation de Vénus Victrix, la déesse tient de la main droite une petite Victoire et de la main gauche un bouclier posé sur un globe céleste.
Le globe nicéphore
Quinze ans plus tard, après sa victoire à Actium, Auguste fait ramener à Rome la statue élevée par Pyrrhus à Tarente.
Denier d’Octave | Aureus d’Octave |
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30-29 av JC, Collection privée
C’est donc montée sur un globe que la Victoire apparaîtra désormais sur les monnaies, tenant de la main gauche une palme ou un étendard (vexilum).
Le Phénix
Aureus d’Hadrien, 117-118
Le phénix, symbole de la renaissance éternelle, apparaît sous Hadrien, période à partir de laquelle le concept d’Eternité se transfère de l’Empereur à Rome.
Sesterce d’Antonin le Pieux avec le buste de Faustine, 141-161 | Aureus de Volusien, 251-53, British Museum |
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On le trouve rapidement posé sur un globe, comme attribut de la déesse Aeternitas, assise ou debout sur le trône.
Cultes à mystères
Phanes debout sur son oeuf et zodiaque, 2e siècle, Modène, Italie | Léontocéphale provenant de la Villa Albani, 2e siecle, Museo Gregoriano Profano, Musées du Vatican, Rome |
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Dieu principal de l’orphisme, Phanès est né de l’œuf primordial créé par Nyx, brisé en deux par Chronos et sa femme Ananké. Une fois l’œuf brisé, la partie du dessous devient la Terre et la partie du dessus le ciel. Il ne s’agit donc pas ici d’un globe à proprement parler.
Sur l’idole mythraïque de droite, le mystère est complet.
3 Le globe-siège
Urania
Aphrodite Urania, monnaie d’Uranopolis Macédoine, 300 av JC
La plus ancienne figuration d’une divinité assise sur un globe est grecque, et concerne la forme céleste d’Aphrodite, née selon Hésiode des organes génitaux sectionnés d’Uranus, le dieu du Ciel. Le globe représente donc ici, très naturellement, le Cosmos.
Uranie, fresque de Pompei, Louvre | Uranie, dessin d’après une fresque de la maison W.338 Salle 9, Pompei. Photo Tatiana Warscher. Deutsches Archäologisches Institut, Abteilung Rom, Arkiv. |
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Cette figuration est rare : le globe est habituellement tenu en main ou montré.
La Victoire
7-8, Auguste, Lugdunum, British Museum
Beaucoup moins souvent que debout sur une boule, on rencontre parfois la Victoire assise sur un globe : ici elle tient à deux mains sa couronne de lauriers.
L’Eternité
As d’Antonin le Pieux avec le buste de Faustine, 141-161, vcoins.com
En même temps que la formule où Aeternitas est assise sur un trône, on la trouve assise sur un globe : mais pour éviter la redondance, le globe avec le phénix a disparu.
Denier d’Antonin le Pieux, 140-44, Bristish Museum
Ici, le globe-siège de l’Eternité est attribué à l’Italie, portant une couronne tourellée et tenant un sceptre et une corne d’abondance.
Roma aeterna
Aureus de Maximinus II, 306-07, British Museum
Pour éviter également la redondance, comme le globe est sous les pieds de la petite Victoire, c’est sur un bouclier rayonnant que Rome éternelle est assise…. pour une des toutes dernières fois :
« Désormais au IVe siècle, chaque Empereur est qualifié d’aeternus : point n’est besoin du truchement de Roma qui disparait des revers monétaires…. l’éternité est un attribut direct du pouvoir impérial, qualifié aussi de perpetuus et de sempiternus. Cette éternité des Empereurs est liée comme auparavant à la Temporum renovatio et chaque début d’année «recharge» cette éternité qui apporte la prospérité générale. C’est le mouvement perpétuel, c’est l’agitation continue, ces voyages sur les frontières d’une capitale à une autre qui renvoient le mieux l’image de cette éternité… C’est le mouvement cosmique qui est transposé sur terre grâce à la présence d’un Empereur qui semble avoir un don d’ubiquité…. Les éternitée de Dieu et de l’Empereur ne peuvent entrer en conflit : parallèles, elles ne sauraient se rencontrer qu’à l’infini » Robert Etienne ([4], p 449)
Le fils de l’Empereur
Aureus de Domitien, avec buste de Domitia, 82-83, Bristish Museum | Denier de Domitien, 88-96 |
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Il s’agit ici d’un cas très particulier : après la mort de son enfant (vers 77-81), Domitien le fit représenter comme un jeune Jupiter assis sur un globe, avec ses mains levées vers sept étoiles (peut être les sept planètes ou bien les Septentriones, les sept étoiles de la Grande Ourse). Cette figuration a soulevé de nombreuses spéculations en lien avec la datation du texte de l’Apocalypse, qui fait mention de sept étoiles dans la main de Dieu.
Ce cas unique d’étoiles à l’extérieur du globe pourrait militer en faveur d’un globe terrestre [4a] : mais le qualificatif « Divus » sur l’inscription et les bandes orthogonales renvoient à la sphère cosmique et à son mouvement : il faut imaginer le méridien en rotation, comme le suggèrent les bras et les jambes écartées de l’enfant, assis au pôle Nord comme sur l’axe d’un manège .
La déesse Tellus
Médaillon de Commode en Janus, 187, orichalque
Sans soute frappé à l’occasion de la nouvelle année en 187, ce médaillon à portée cosmique présente d’un côté l’Empereur sous forme de Janus, le Dieu des commencements et des fins, et de l’autre « Tellus stabilita« , « la Terre solidement établie«
Tellus, déesse de la Terre, est représentée allongée en compagnie de ses quatre enfants, les Saisons, qui courent autour du globe étoilé. Celui-ci est donc une image de fixité, de stabilité. Et si bien sûr la déesse de la Terre ne peut décemment pas s’asseoir sur le Ciel, quelqu’un d’autre, trente ans plus tard, va le faire à sa place.
L’Empereur
On ne connait qu’un seul cas où l’Empereur est figuré, à la manière d’Aeternitas, assis sur le globe cosmique.
Médaillon de l’Empereur Severe Alexandre, 222-35 [5]
« C’est un médaillon à l’effigie d’Alexandre Sévère et de Julia Mammaea : on voit, avec la légende Temporum Felicitas, au revers, Alexandre assis de face sur le globe étoilé, portant le sceptre de la main gauche, la droite posée sur le cercle zodiacal que traversent les Saisons; il est couronné par la Victoire et à sa droite le Génie du siècle d’or porte le sceptre ». [3]
Médaillon de l’Empereur Tacite, 276
La même figuration a été reprise par l’Empereur Tacite, avec le mot « Aeternitas ».
Son grand intérêt est que, malgré la répugnance romaine pour la redondance, elle combine deux figures circulaires :
- la sphère étoilée sur lequel siège l’Empereur, qui représente l’éternité statique du cosmos ;
- le cercle zodiacal qu’il fait tourner avec sa main, et au travers duquel passent les quatre saisons : l’Eternité vue sous sa forme dynamique, comme répétition infinie.
Dans ce rôle de garant des rythmes universels, l’Empereur emprunte les prérogatives du dieu spécialisé, Aiôn.
4 Dans un cercle (Aiôn)
Selon l’expression de Marie-Henriette Quet [5] Aiôn représente « la Durée éternelle, garante du déroulement régulier et continu des cycles du Monde. »
Aiôn
Mosaïque d’une villa de Sassoferrato, 200-250 Glyptothek, Munich
Parfois il est représenté au centre du cercle zodiacal qu’il fait tourner de la main. On retrouve également Tellus et ses quatre enfants, les Saisons.
Plat de Parabiago
Fin du IVème siècle, Musée arxchéologique, Milan
Sur ce plat d’un culte à Cybèle et à son fils Attis (les deux assis dans le char), on reconnaît à droite Aiôn dans son cercle, à côté d’un serpent enroulé qui représente probablement le Temps. On se sait pas qui est la figure qui soutient le cercle zodiacal à bout de bras. En revanche on reconnaît Tellus allongée un peu plus bas, les quatre Saisons, et le dieu Océan.
Aureus au zodiaque d’Hadrien (119-122), British Museum
Aiôn est représenté faisant tourner le Zodiaque de la main gauche, et tenant dans la droite le phénix sur son globe. Pour Marie-Henriette Quet [6], l’inscription SAECulum AUReum montre qu’il personnifie ici l' »Eternité d’Or » : tandis que sous Trajan s’était établie une équivalence spatiale entre l’Empire et le Cosmos (le globe sous sa forme statique), ce nouveau concept ajoute « une équivalence temporelle assimilant l’éternité de Rome non plus à la succession de siècles linéaires, mais au déroulement sans fin des cycles cosmiques. »
5 En contact lointain avec un globe
Neron, As, 54-58 collection privée
Le globe apparaît ici sous une forme très discrète : un signe de ponctuation effleuré par la pointe du buste de l’Empereur. Côté pile, la Victoire à pieds porte un bouclier marqué SPQR (Senatus PopulusQue Romanus) .
L’empereur Commode avec les attributs d’Hercule
180-193, Musée capitolin, Palais des Conservateurs, Rome
Le globe céleste apparaît tout en bas d’une figure tellement chargé de symboles (une Victoire agenouillée, deux cornes d’abondance, une pelta, plus tous les attributs d’Hercule) que certains lui prêtent une intention ironique, devant le déséquilibre évident entre le buste énorme et son support [7]. La bande zodiacale montre les signes du Taureau, du Capricorne et du Scorpion.
6 Sous une voûte (Caelus)
Je résume ici l’analyse de D.Colling et L.Zeippen [8]
Caelus lors de la Bataille de Tapae contre les Daces, Colonne Trajane (photo D.Colling )
Caelus, le Dieu des Cieux, est l’équivalent d’Uranus chez les Romains : il est ici représenté avec un voile en arc-de-cercle au dessus de sa tête, représentant la voûte céleste :
« Varron, expliquant un vers d’Ennius, dit que ce rideau arrondi, nommé courtine d’Apollon, figurait l’espace compris entre la terre et le ciel : « Cava cortina dicta, quod est inter terram et cœlum, ad similitudinem cortinae Ap0llinis » Xavier Barbier de Montault [9]
Nox, Colonne Trajane Rome (photo D.Colling )
Cette métaphore entre la voûte céleste et un voile se retrouve, sur la même colonne Trajane, dans cette figuration de Nox, déesse de la Nuit, qui selon certains poètes est la fille de Caelus et de Tellus.
Dioclétien et Maximien au-dessus de Coelus et Tellus Arc de Galère, Thessalonique
Ici, au lieu de surplomber la scène, on trouve Caelus et Tellus servant de repose-pieds aux deux empereurs, que des Victoires de part et d’autre viennent couronner de lauriers.
7 Le globe en main
Sol de Maximien II Daia, 305-07, British Museum | Sol de Constantin, 321, British Museum |
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Pratiquement tous les empereurs ont été figurés tenant un globe dans la main. On voit dans ces deux monnaie qu’il s’agit aussi d’un attribut du soleil, le dieu Sol avec sa couronne radiée. Dans la seconde monnaie, le dieu a confié le globe à l’Empereur et se contente de le couronner par derrière : dernière passation de pouvoir païenne malgré la légalisation du christianisme, en 313.
337-340, Solidus de Constance II, RIC 6 (VIII, Constantinople) | 340-351, Solidus de Constance II, RIC 57 (VIII, Constantinopolis) |
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Dans certaines pièces, on rencontre un bouclier portant le millésime du règne : ici, Voeux (VOT) du XXème anniversaire du règne, et espérés (MLT, et plus) pour son XXXème :
- dans la pièce de gauche, le bouclier est porté par un génie et la Victoire y grave l’inscription ;
- dans la pièce de droite, il est tenu conjointement par Rome à gauche et Constantinople à droite (le pied sur une galère).
Donner le globe
Antoninien de Dioclétien, 293-95, RIC V Diocletian 322
Dioclétien, à gauche, reçoit de Jupiter un globe nicéphore.
Antoninien de Maximien, 285-86 RIC 583 Siscia
Ici c’est le co-empereur Maximien qui reçoit de Dioclétien le globe du pouvoir.
Multiple d’Or de Constance Chlore, 305-07, RIC VI Siscia 148 B
Un Auguste (plus grand) donne à un César (plus petit) le globe du pouvoir.
Le globe dupliqué
Lors de la division de l’Empire en deux, la solution la plus simple est de dupliquer les Empereurs :
CONCORDIAE AUGUSTORUM NOSTRORUM
Aureus de Dioclétien, 284-94, RIC V Diocletian 313.
Dioclétien et Maximien sont assis côte à côte en parallèle, chacun tenant son globe et son parazonium. La Victoire couronne les deux.
Solidus de Valens, 367-75, RIC IX Antioch 20G
Frappée par le co-empereur d’Orient Valens, cette monnaie montre côté face son neveu Gratien, co-empereur d’Occident. Côté pile les deux co-empereurs sont présentés en symétrie, assis, chacun tenant sa lance et son globe. Entre les deux, un bouclier porte le millésime du règne.
Le globe partagé
L’autre solution est de représenter un seul globe, tenu conjointement par les deux empereurs.
VIRTVS ROMANORVM
Aureus de Valens, 364-67, RIC IX Constantinople 5A
Frappée par le même co-empereur d’Orient Valens quelques années plus tôt, cette monnaie montre côté face son frère Valentinien Ier. Côté pile les deux empereurs sont présentés en symétrie, debout, tenant d’une main une lance et de l’autre un globe unique, portant une Victoire qui leur décerne deux couronnes.
SALUS REPUBLICAE
Solidus d’Anthemius, vers 468, RIC 2825
Un siècle plus tard et huit ans avant la fin de l’Empire d’Occident, le globe nicéphore est devenu crucigère, tenu conjointement par l’Empereur d’Occident Anthémius et l’empereur d’Orient Léon I. Le motif en dessous n’est pas une étoile à six branches, mais un chrisme.
8 Un cas énigmatique : le globe quadriparti
A l’époque païenne
Médaillon de Numérien, 283-84, Biblioteca apostolica vaticana
Notons tout d’abord que ce motif n’a rien de chrétien, puisque cet empereur ne l’est pas. Probablement issus du khi platonicien (voir 2 Cercles intersectés), deux méridiens sont ici représentés orthogonaux. Les étoiles à l’intérieur des quadrants prouvent bien que ce globe est céleste.
Les globes constantiniens
Antoninien de Constantin, 310-13, Atelier de Trèves, British Museum
A peu près à l’époque de le conversion de Constantin (312), le même globe quadriparti apparaît non pas comme globe impérial, mais dans la main de Sol Invictus. Cette formule est fugitive et ne concerne que certains ateliers (Trèves).
BEATA TRANQUILLITAS
Follis réduit de Constantin I , Lyon, 321 RIC.126
La figure du Sol invictus disparaît en 319 et le globe quadriparti réapparaît, posé cette fois sur un autel. Les trois étoiles au dessus sont tantôt associées à la sphère, tantôt intégrées dans l’inscription. Elles sont souvent interprétées comme Constantin et ses deux fils, mais Raymond V. Sidry a proposé récemment des arguments convaincants en faveur d’une allusion à la Trinité (c’est en 318 qu’Arius s’était élevé contre ce concept chrétien) :
« Bien que Constantin n’ait peut-être pas encore été officiellement chrétien, il soutenait souvent la religion chrétienne. Il a voulu montrer que la «Trinité des trois étoiles» contrôlait la sphère céleste ou terrestre en dessous, et offrait à tous les citoyens un empire romain joyeux, heureux et pacifique. » Raymond V. Sidry ([9a] , p 152)
Tiré de Raymond V. Sidry ([9a] , p 156)
Le fait d’être posé sur le globe n’induisant aucun contrainte, les globes de la BEATA TRANQUILLITAS sont remarquablement variés. Pour les spécialistes de la question (Dieter Alten et Carl-Friedrich Zschucke), ils sont aussi bien célestes que terrestres, et représentent le pouvoir divin et séculier de l’Empereur.
Demi-maiorina, Constance II, 348-351, RIC 129 (VIII, Antioch)
Dans la dynastie constantinienne, on retrouve chez Constance II, un des fils de Constantin Ier, le globe quadriparti comme piédestal du phénix, couronné de sept rayons à la manière de Sol. Le choix du motif en X obéit peut être à une raison purement graphique : laisser la place aux pattes de l’oiseau. Mais ce choix va plus loin, puisque l’idée de rotation autour de l’axe des pôles laisse place à une notion de stabilité. Comme le note Raymond V. Sidry ([9a] , p 159) l’interprétation est ici compliquée par la présence de l’étoile isolée, en dehors du globe. Faut-il en conclure que celui-ci n’est pas céleste ? Ou bien que l’étoile a une valeur symbolique, Dieu le Père à côté du phénix représentant le Christ ressuscité ? En cette période de recyclage des formules païennes, une forme d’ambiguïté était probablement de mise.
SECURITAS REI PUBLICAE
362-63 Julien II l’Apostat, Double maiorina, RIC 127 (Hellespont)
A titre d’indice indirect sur la signification de l‘étoile comme le Dieu unique, cette pièce résolument réactionnaire en montre deux au dessus du Taureau (symbole de Mithra ou du paganisme vu par les Chrétiens), tandis que l’empereur païen reprend la barbe des philosophes.
Multiple d’or de Constance II (RIC VIII Antioch 68 B), 347-55
Cette autre monnaie de Constance II montre le globe étoilé devenu globe impérial. Le motif en X facilite la préhension sans gêner le positionnement de la Victoire, les pieds sur les deux méridiens. Ici encore prévaut l’impression de stabilité : le globe perd de plus en plus son origine cosmique au profit d’une représentation abstraite du Pouvoir, tenu d’une main ferme par l’Empereur. Côté pile, Constance II en Auguste auréolé (D N CONSTANTIVS VICTOR SEMPER AVG) tient dans sa main un globe sans marque distinctive, et supplante l’ancienne figure de Sol invictus en rajoutant deux chevaux à son char.
La période valentinienne et théodosienne
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valens, 364-367, RIC.2 b 1 (R3) Siscia (Pannonie) (nummus-bible-database.com)
Dans l’aureus frappé par Valens à la même période (voir plus haut), les co-empereurs Valentinien Ier (Occident) et Valens (Orient) étaient debout et couronnés par la Victoire.
Dans le solidus, ils sont représentés assis, partageant le même trône, tandis que la Victoire, reculée derrière le dossier, les couvre tous deux de ses ailes. Leurs jambes sont parallèles (le genou gauche découvert) mais leurs bras sont disposés de manière à ce que chacun touche le globe de la main droite, par dessous pour Valentinien Ier et par dessus pour Valens. Le motif en X du globe laisse la place pour les mains, tout en faisant écho graphiquement à la silhouette de la Victoire, ailes écartées et bras ouverts en V. Cette disposition laisse visible la main gauche de Valens tenant la mappa (pièce de tissu blanche, attribut de la fonction consulaire).
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valens, 367-75 RIC.17 e 3 (S) Treves (nummus-bible-database.com)
Lorsque la monnaie de Trèves rouvre en 366-67, elle reprend le modèle avec quelques modifications :
- le globe passe en position basse afin de symétriser les gestes (mains droite en dessous) ;
- dans la place libérée on rajoute un motif en X évoquant un dossier en treillis ;
- on rajoute des points intercalaires sur les X du globe ;
- on rajoute une palme verticale entre les pieds des empereurs.
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valens, 367-75, RIC.39 b 1, Treves (nummus-bible-database.com)
Au fil des frappes et des ateliers (il y en avait trois à Trèves) des simplifications s’opèrent :
- la Victoire n’écarte plus ses bras, mais les tient verticalement, épousant la forme du banc ;
- le globe devient lisse ;
- son motif (le X plus les points) est fusionné avec le X du dossier.
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valens, 367-75, RIC 17e.4 (IX, Treveri) Treves (dirtyoldcoins.com)
Le nombre de points varie selon les frappes (parfois trois, le plus souvent aucun).
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valens, 367-75, RIC.17 c 1 (S), Treves, (nummus-bible-database.com)
Certaines frappes développent au contraire le motif en treillis du dossier…
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valens, 367-75, RIC.17 c 2, Treves, (nummus-bible-database.com)
…parfois de manière brouillonne.
Solidus de Valens, 375-78 RIC.39 d (S), (nummus-bible-database.com)
Dans la dernière période apparaît cette formule étrange où le X se duplique à nouveau sur le globe, et où la taille de Valens diminue, comme en hommage à la prééminence de Rome.
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valentinien II, 378-79 RIC. 49c 2, Treves (www.cgb.fr)
Valens est tué par les Wisigoths en 378 à la désastreuse bataille d’Andrinople. On émet alors un solidus à l’effigie de Valentinien II, en gardant la même composition côté pile : d’où l’étrange situation de l’empereur-enfant (Valentinien II avait seulement de sept ans) écrasant de sa taille le nouvel empereur d’Orient Théodose 1er (trente et un ans).
Mais le détail le plus intéressant est le redressement du motif du globe, du X à la croix. S’agissant d’une monnaie frappée juste après la défaite contre les wisigoths, il est possible que la croix serve à réaffirmer la protection du Christ sur l’Empire [9b] .
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Magnus Maximus, 383-84, Trèves, British Museum
Cinq ans plus tard, Théodose retrouve sa juste taille et le motif du globe redevient un X (probablement avec des points intercalaires), dans cette monnaie frappée dans des circonstances très particulières : l’usurpateur Magnus Maximus avait pris le pouvoir en Gaule en vainquant Gratien (qui gouvernait en Occident pendant la minorité de Valentinien II) et tâchait de se faire reconnaître Empereur d’Occident par l’empereur d’Orient, Théodose Ier. Les deux étant catholiques (nicéens), il est clair que le remplacement de la croix par un X n’obéit pas à une raison religieuse. Plus probablement, il s’agissait d’éviter la connotation de scission qu’aurait pu suggérer la barre verticale de la croix : le X proclame au contraire la cohésion et l’indissociabilité de l’Empire.
VICTORIA AUGUSTORUM
Solidus de Valentinien II, 389-90, RIC.38 a (Lyon) , www.cbg.fr
Après la mort de l’usurpateur en 388, le pouvoir revient à Valentinien II, avec toujours Théodose en Orient. Les deux augustes sont auréolés (attribut impérial, sans connotation de sainteté). Le globe en X est définitivement adopté, avec ses quatre points.
Missorium de Théodose Ier, 388, Real Academia de la Historia, Madrid
Les images officielles de ce type, qui ont dû être nombreuses, ont pratiquement toutes disparu. On y reconnait généralement :
- l’empereur Théodose Ier au centre,
- à sa droite le co-empereur d’Occident Valentinien II, avec un sceptre ;
- à sa gauche le jeune fils de Théodose, Arcadius, de taille plus petite et sans sceptre [3b].
Les deux augustes latéraux, de taille inférieure à l’empereur du centre, portent cette fois deux globes en X, toujours emplis de points : figuration sophistiquée qui entérine la séparation de l’Empire en deux parties tout en affirmant, par la supériorité de l’empereur central, par l‘égalité des deux disques et par le signe du X, la cohésion du Pouvoir.
En conclusion : globe céleste ou terrestre ?
Je me contente ici de reprendre la conclusion inattendue d’Arnaud Pascal qui, après avoir établi la typologie détaillée des globes présents sur les monnaies antiques, conclut qu’ils ne représentent jamais la planète Terre (dont on connaissait pourtant la rotondité depuis Eratosthène) mais toujours le Cosmos dans son entier, avec des significations variables :
« il est en effet probable que la sphère céleste, dans la mesure où elle ne cesse jamais d’être perçue comme telle, peut avoir eu plusieurs sens différents selon le contexte dans lequel elle a été placée… Il est vain de considérer que le globe céleste est l’attribut de l’empereur en soi : selon qu’il est à ses pieds, que l’empereur appuie un pied sur lui, qu’il le tient à la main, qu’il est surmonté ou non d’une victoire, que l’empereur est debout ou assis, nu, en toge ou cuirassé, qu’il appuie sur lui un gouvernail ou qu’il se trouve par rapport à lui dans l’attitude d’un philosophe ou d’un astronome, le sens peut varier de façon considérable, dans la mesure où le globe sera moins l’attribut de l’empereur que celui de l’allégorie dont il choisit de prendre l’attitude et les symboles ». ([10], p 110)
Le globe quadriparti
Le monde selon Cratès
Dans un article récent, Tomislav Bilić [4a] a étudié tous les globes quadripartis connus de l’époque romaine, afin de voir si certains pouvaient illustrer la Terre telle que conçue par le philosophe grec Cratès : l’ensemble des terres connues se regroupant dans un quart du globe, séparé du reste par des océans.
La conclusion de Tomislav Bilić est que très certainement, cette théorie n’a inspiré aucun des globes quadripartis connus, sans doute à cause de son caractère contre-productif :
« Plutôt que de souligner le règne de Rome sur une grande partie du territoire connu (oikoumenê), il aurait souligné son incapacité à régner sur les trois autres parties ».
Sur la distinction entre sphère terrestre et céleste, Bilić reprend pour l’essentiel les conclusions d’Arnaud Pascal, tout en admettant que certains globes, en tant que symbole du pouvoir impérial, ont pu représenter la Terre ; mais aucun indice ou source littéraire ne l’affirme sans ambiguïté.
Une série de ruptures
Contrairement à d’autres emblèmes du pouvoir romain, le globe n’est pas passé continûment de la figure de l’Empereur païen à celle du Dieu chrétien. Bien au contraire, il faudra des centaines d’années d’oubli pour que réapparaissent puis s’éclipsent à nouveau certaines des formules que nous venons de voir :
- le globe-piédestal (époque paléochrétienne puis fin du Moyen-Age) ;
- le globe-siège (époques paléochrétienne puis carolingienne) ;
- le cercle englobant (époque romane, sous la forme de la mandorle).
Le globe sous un seul pied ne refera pas surface, mais le Christ finira par adopter une posture inconnue des Empereurs romains : assis les deux pieds sur le globe.
Prochain article de la série : 2 Dieu sur le Globe : époque paléochrétienne
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