3b Dieu sur le Globe : la Renaissance carolingienne
La Renaissance carolingienne peut se résumer, comme plus tard l’italienne, en deux formules :
- le goût pour l’Antiquité ;
- le respect des livres.
Article précédent : 3a Dieu sur le Globe : Byzance et les Iles
En annexe : – Le Globe dans le Psautier d’Utrecht
St Luc, fol1r | Le Christ, fol 3r |
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Evangéliaire de Charlemagne, ou de Godescalc, 781-83, BNF Lat 1203 Gallica.
Les Evangélistes précèdent, sur quatre feuillets distincts, la figure du Christ. Ce dernier, vu de face et tenant fermé le livre du Logos, fait de la main droite le signe de la prise de parole, se comportant comme un maître d’études.
Chaque Evangéliste, vue de profil, à égalité de taille, assis sur un coussin et un banc de pierre similaires aux siens (en un peu moins ornés), est montré en train d’écrire. Dans le cas de Saint Luc, on le voit prendre en note ce que lui dit son Ange, qui fait de la main le même signe que le Christ.
Il s’agit en somme d’une Majestas Domini décomposée en cinq pages [4], de manière à pouvoir rendre dans tous ses détails la transmission de la Parole.
On comprend ici que, dans les Majestas Domini carolingiennes, le Tétramorphe ne joue pas qu’un rôle d’identification visuelle : il explique aussi, concrètement, comment le message du Christ a pu se transmettre à chaque Evangéliste, par inspiration (du moins pour les trois qui ne l’ont pas connu directement).
Evangéliaire de Saint Croix de Poitiers,
vers 820, Poitiers BM MS 17(65) fol 31r
Le Christ est assis dans un trône bien terrestre, avec pattes de lion, dossier tendu de tissu, et tabouret pour les pieds. De manière inédite, chaque Vivant forme une chimère mi-tête mi-corps avec son Evangéliste, en opposition avec la représentation séparée introduite par le Codex Amiatinus : c’est cette dernière qui va s’imposer définitivement à l’époque carolingienne ([5], p 217, note 4).
Le Christogramme Phos-Zoe
On remarque en haut, coupant les mots latins LUX et VITA, les eux mots PHOS et ZOE qui en sont l’équivalent en grec.
Eglise de Jil-Anderin, Syrie, Dictionnaire d’archéologie Chrétienne, tome 7, p 2529
L’inscription du livre, Φως Ζωή (Phos / Zoe, Lumière / Vie) apparaît souvent dans l’orfèvrerie byzantine, en général sur des objets en forme de croix (la lettre Omega étant au milieu).
Les symboles ordonnés en X
Les symboles des Evangélistes sont disposés d’une manière encore différente, formant une sorte de X. Il se trouve que les quatre signes fixes du Zodiaque (ceux qui tombent au milieu des saisons) correspondent assez bien aux quatre symboles des Evangélistes, pourvu d’assimiler l’Ange au Verseau et l’Aigle au Scorpion. Une association traditionnelle s’est donc établie de longue date entre les quatre Evangélistes et les Quatre Saisons. Cette disposition en X est celle qui permet une lecture cyclique selon les Saisons de l’Année.
D’un point de vue symbolique, elle permet également une lecture chronologique selon les étapes de la vie du Christ et du Credo :
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La renaissance du globe-siège paléochrétien
Dans la Psychomachia
Psychomachia (réalisé à St Denis, 825-50), cod Burm Q.3 f 148v, Universiteitbibliotheek Leyden | Psychomachia (réalisé à Reims, 875-900), BnF Latin 8085 f.69v, gallica |
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Le globe-siège réapparaît dans cette iconographie très particulière, pour illustrer la Sagesse qui siège dans sa « demeure intérieure, soutenue par sept colonnes de cristal ». Les sept colonnes se voient bien dans la version de Leyde. Le rempart, qui permet d’illustrer littéralement la « demeure intérieure », s’orne dans la version de Leyde des douze portes que mentionne le texte, souvenir de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse.
Dans cette iconographie, le globe-siège sert donc comme métaphore de la Puissance. Il convient parfaitement pour illustrer les vers 875-76 :
Ici trône la puissante Sagesse qui, de sa haute cour, met en ordre tout le gouvernement de son royaume. |
Hoc residet solio pollens Sapientia et omne consilium regni celsa disponit ab aula. |
Dans l’Apocalypse de type Trèves
Cette Apocalypse carolingienne serait le seul vestige, avec l’Apocalypse de Cambrai qui la copie, d’une iconographie très spéciale remontant à un manuscrit disparu du 6ème siècle.
Jean écrit à l’Ange de l’Eglise de Laodicée, fol 12v | Le Trône de Dieu et les vingt quatre vieillards, fol 14v |
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Apocalypse de Trèves, 800-25, Staatsbibliothek Trier Cod 31
Dans l’image de gauche, la voix de Dieu, au dessus de Jean, lui commande d’écrire à l’église de Philadelphie. Dans l’image suivante, Jean (à droite) est monté par une porte dans le ciel rejoindre la voix qui l’inspirait, maintenant assise à la droite de Dieu : on comprend qu’il s’agissait du Fils. le Père lui-même trône sur un globe, surmonté d’une gloire circulaire :
« Après cela, je vis, et voici qu’une porte était ouverte dans le ciel, et la première voix que j’avais entendue, comme le son d’une trompette qui me parlait, dit « Monte ici, et je te montrerai ce qui doit arriver dans la suite. Aussitôt je fus ravi en esprit; et voici qu’un trône était dressé dans le ciel, et sur ce trône quelqu’un était assis ». (Apocalypse 4,1-2)
Majestas domini, fol 15v | Le Livre aux sept sceaux, fol 16v |
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La disparition de la gloire circulaire et le rotulus tenu dans la main gauche montrent que c’est désormais le Fils qui trône sur le globe, au dessus des sept lampes d’abord, puis des vingt quatre vieillards acclamant le livre aux sept sceaux.
Adoration de Dieu, fol 61r
Apocalypse de Trèves, 800-25, Staatsbibliothek Trier Cod 31
Le même type de composition revient dans la scène d’adoration après la chute de Babylone (Apocalypse 19,4-6). Au registre inférieur Jean se trouve à côté des « serviteurs de Dieu, petits et grands », représentés par cinq personnages de la même taille (les grands) et six petits devant.
fol 67r, Apocalypse de Trèves, 800-25, Staatsbibliothek Trier Cod 31 | fol 39, Apocalypse de Cambrai, BM, 0386 |
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Le jugement dernier
Entouré de six anges et à côté de la Jérusalem céleste, Dieu préside au Jugement dernier.
« Puis je vis un grand trône éclatant de lumière et Celui qui était assis dessus; devant sa face la terre et le ciel s’enfuirent et il ne fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône. » (Apocalypse 20,11-12)
Le copiste de l’Apocalypse de Cambrai a modifié le globe-siège pour mieux coller avec le texte : les dents de scie du globe, apparentées à des rayons, illustrent ici son caractère lumineux. L’introduction de l’arc-en-ciel, qui fait allusion à la Nouvelle Alliance après le Déluge, explique que ce globe symbolise le nouveau Monde, qui remplace la terre et le ciel disparus.
fol 68r, Apocalypse de Trèves, 800-25, Staatsbibliothek Trier Cod 31 | fol 40, Apocalypse de Cambrai, BM, 0386 |
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La descente de la Jérusalem céleste
Dans l’image suivante, la Jérusalem nouvelle est descendue sur Terre et, dans la copie de Cambrai, l’Arc en Ciel a été supprimé, puisque le monde a terminé son renouvellement.
L’image illustre avec précision tous les détails du texte :
« Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n’y avait plus de mer. Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, une Jérusalem nouvelle, vêtue comme une nouvelle mariée parée pour son époux. Et j’entendis une voix forte qui disait: » Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes: il habitera avec eux, et ils seront son peuple…Et Celui qui était assis sur le trône, dit : »Voici que je fais toutes choses nouvelles. » Et il ajouta: » Ecris, car ces paroles sont sûres et véritables. » …. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables les meurtriers, les impudiques, les magiciens, les idolâtres et tous les menteurs, leur part est dans l’étang ardent de feu et de soufre: c’est la seconde mort. « (Apocalypse 21,1-8)
A l’opposé des réprouvées jetés dans l’étang ardent, l’espèce de réverbère à gauche de Jean figure donc le tabernacle de Dieu.
La grande logique de ces manifestations du globe-siège, dans les Apocalypses de Trèves et de Cambrai, reflète le caractère familier et sophistiqué que la figure avait atteint dans le prototype du 6ème siècle. On ne peut que regretter la disparition complète des oeuvres de cette période, dont le psautier d’Utrecht conserve un autre témoignage (voir – Le Globe dans le Psautier d’Utrecht).
Dans l’Apocalypse de type Valenciennes
Apocalypse de Valenciennes, 800-25, BM Ms.99 fol 29r gallica | 890-910, BNF NAL 1132, fol 21v gallica |
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Ces deux Apocalypses appartiennent à un groupe différent de manuscrits [5a]. Le globe-siège, dont l’aspect nuageux souligne la nature céleste, y est utilisé pour illustrer littéralement un épisode bien précis, celui du Christ à la faucille :
« Puis je regardai, et voici que parut une nuée blanche, et sur la nuée quelqu’un était assis qui ressemblait à un fils de l’homme ayant sur sa tête une couronne d’or, et dans sa main une faucille tranchante ». Apocalypse 14,14
Dans les Majestas Dei
Evangile de Xanten, vers 810, Ms.18723, fol. 16 v°, Bibliothèque Royale de Belgique, kbr.be.
Ce qui caractérise les Majestas Domini de l’époque carolingienne est l’abandon de la formule « trône » et le retour de la formule « globe » ([5], p 197), dont cette image est le tout premier exemple.
La valorisation du savoir, de l’étude, s’illustre dans la caisse de livres que chacun a posée devant lui.
Un paysage mystique (SCOOP !)
Extrêmement originale, l’image est construite comme un paysage : le Christ semble en lévitation au premier plan, à l’aplomb et de la même taille que les Evangélistes assis en dessous
Dans la plage intermédiaire et à l’arrière-plan, les quatre Vivants se profilent indistinctement, comme des nuages derrière une chaîne de montagne. La composition se creuse ainsi dans la profondeur et devient auto-référente :
- les caisses sous les Evangélistes
- les montagnes sous le Tétramorphe
- le globe sous le Christ.
Psautier d’Utrecht, 816-850, Utrecht Universiteitsbibliotheek, MS Bibl. Rhenotraiectinae I Nr 32 fol 18r.
Dans les nombreux paysages du Psautier d’Utrecht, les copistes ne pratiquent pas la diminution des tailles des personnages, mais utilisent des masquages (par les rochers ou par les nuages) pour figurer la profondeur.
A noter que ce manuscrit, copie d’un manuscrit du début du 6ème siècle, fait le lien avec l’iconographie du globe-siège de l’époque paléochrétienne (voir 2 Epoque paléochrétienne).
En évitant ici tout masquage, le copiste a délibérément fait le choix de laisser ouvertes les deux lectures :
- un Christ de taille humaine au premier plan ;
- un Christ de taille gigantesque à l’arrière de la chaîne de montagnes.
Dans les deux cas, lecture à plat ou en profondeur, le Tétramorphe apparaît encore comme l’intermédiaire de transmission de la Parole entre le Christ et les Evangélistes.
Cette notion va être très vite supplantée par une autre, où les quatre Vivants vont être distribués comme les points cardinaux d’un univers quadratique.
Le scriptorium de Saint Germain des Près
La manuscrit carolingien le plus connu rattaché (hypothétiquement) à cette école est le Psautier de Stuttgart, qui présente plusieurs globes-sièges.
L’idée de jugement
Une première série illustre la fonction de Juge du Christ, en complément de la balance :
fol 9v, Psaume 9,5 et 5 et 9,8 | fol 76r, Psaume 65,5-6 |
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Psautier de Stuttgart, vers 820, Wurttembergische Landesbibliothek. Stuttgart
Car tu as fait triompher mon droit et ma cause, tu t’es assis sur ton trône en juste juge. Psaume 9,5 Mais Yahweh siège à jamais, il a dressé son trône pour le jugement. Il juge le monde avec justice, il juge les peuples avec droiture. Psaume 9,8-9 |
Heureux celui que tu choisis et que tu rapproches de toi. pour qu’il habite dans tes parvis! Puissions-nous être rassasiés des biens de ta maison, de ton saint temple! Par des prodiges, tu nous exauces dans ta justice, Dieu de notre salut, espoir des extrémités de la terre, et des mers lointaines. Psaume 65,5-6 |
L’idée de protection et de domination
fol 22r, Psaume 18,48 | fol 60r, Psaume 48, 4-5 |
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Dieu qui m’accorde des vengeances, qui me soumet les peuples, qui me délivre de mes ennemis! Oui, tu m’élèves au-dessus de mes adversaires, tu me sauves de l’homme de violence. Psaume 18,48 |
Dieu, dans ses palais, s’est fait connaître comme un refuge. Car voici que les rois s’étaient réunis, ensemble ils s’étaient avancés. Psaume 48, 4-5 |
fol.28r, Psaume 22, 30 | fol 112v, Psaume 98,5 |
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Les puissants de la terre mangeront et se prosterneront; devant lui s’inclineront tous çeux qui descendent à la poussière. Psaume 22, 30 |
Exaltez Yahweh, notre Dieu, et prosternez-vous devant l’escabeau de ses pieds. – Il est saint! Psaume 99, 5 |
On notera dans la seconde illustration l’ajout de l’escabeau, et l’allusion à la justice dans le texte du rotulus :
Vous observerez mes lois afin d’être heureux dans l’Eternité (paraphrase de Deutéronome 4-40) |
custodite leges meas et bene vobis erit in aeternum |
A noter que ces globes n’illustrent pas les mêmes psaumes que dans le psautier d’Utrecht, où ils abondent (voir – Le Globe dans le Psautier d’Utrecht) : il ne s’agit donc pas d’une copie de l’iconographie ancienne, mais d’un recyclage du motif du globe-siège dans deux acceptions précises :
- illustrer l’idée de Justice : Dieu sur la sphère est en équilibre, à l’instar de la a balance ;
- illustrer l’idée de puissance et de refuge contre les ennemis.
Le scriptorium de Tours
Vers 830 naît dans la région de Tours une conception toute différente et particulièrement stable, véritable schéma de pensée dont on peut suivre l’enrichissement dans toute une série de compositions.
Evangéliaire de Weingarten, vers 830, HB II 40 fol 1v, Württembergisches Landesbibliothek Stuttgart.
Le Christ imberbe, portant dans sa main droite une croix hastée, est entouré par le Tétramorphe, situés au plus près de lui : après la vue en profondeur des Evangiles de Xanten, encore réminiscente des paysages de l’Antiquité, on a ici une image totalement nouvelle : une sorte de diagramme, une vue à plat.
L’intention de l’image est probablement d’illustrer les quatre vers de Sedulius ( Carmen paschale, I, vers 355-358) qui y sont inscrits.
Celui du haut décrit le Tétramorphe :
Dès l’aurore, les animaux éclairent le monde par leur perception céleste. |
Aurorant mundum aetherioque animalia sensu |
On retrouve sur le livre, présentés cette fois en colonnes, les deux mots PHOS et ZOE. Le fond sombre renforce l’association entre l’Incarnation, la Lumière et l’Aurore.
L’inscription sur la barre horizontale explique quant à elle la présence de la croix hastée, à la fois lance et hâche, emblème ici d’une autorité royale :
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Ici trône, de la terre et du ciel, |
hic mundi caelique sedet |
Le globe sous les pieds représente donc la Terre, et celui sur lequel il est assis le Ciel, conformément à la métaphore d’Isaïe : « Ainsi parle Yahweh: Le ciel est mon trône, et la terre est l’escabeau de mes pieds » Isaïe 66,1
Les Vivants sont répartis ici dans l’ordre de la Vision d’Ezéchiel ([5b], p 152) , bien adapté à la lecture ascensionnelle de la croix.
fol 1v | Saint Jean, fol 146v |
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Evangéliaire de Weingarten, vers 830, HB II 40 , Württembergisches Landesbibliothek Stuttgart
A noter que, parmi les trois portraits d’Evangélistes du manuscrit, Saint Jean est le seul à être assis sur un globe. Comme l’a remarqué Meyer Shapiro, c’est aussi le seul dont la banderole, qui porte les premiers mots de son Evangile, est colorée en bleu céleste : manière d’illustrer le vers de Sedulius juste en dessous :
En volant à la façon de l’aigle, Jean, par le Verbe, atteint les astres |
More volans aquilae verbo petit astra Johannes |
Avec l’Aigle en position haute, les deux images forment une sorte de pendant qui ouvre et ferme les Evangiles.
Bible de Moutier-Grandval. vers 840, British Museum, Londres, Ms. Add. 10546, f 352 v
On retrouve le Tétramorphe dans le même ordre, mais il n’y a plus ici qu’un seul globe (la Terre est figurée par une montagne à l’intérieur). L’ovale qui unifiait les Vivants et le Christ se resserre ici sur lui-seul, laissant la place pour une zone en losange hébergeant les quatre Vivants.
En haut un distique de Sedulius explique l’image :
Ici rayonne dignement le Roi des Cieux, et aussi les Prophètes, |
Rex micat aethereus condigne sive prophetae |
Ainsi les quatre personnages à l’extérieur du losange sont quatre prophètes, tenant des rotulus qui manifestent leur antériorité, tandis que les Evangéliste sont figurés à l’intérieur du losange, par leurs symboles tenant des livres.
Majestas agni
Evangéliaire de St Gauzelin, vers 830, fol 3v, Cathédrale de Nancy
Cette composition en losange était apparue une dizaine d’années plus tôt, dans cette Majesté de l’Agneau. Les Prophètes, toujours tenant des rotulus, sont ici nommés. L’ordre des Vivants, chacun tenant son Livre, est toujours celui d’Ezéchiel, dont la prééminence quant à la vision du Seigneur est souligné par sa place d’honneur en haut à gauche ; les deux Séraphins à six ailes renvoient quant à eux à Isaïe, en deuxième place en haut à droite.
Bible d’Alcuin, vers 840, Bamberg Staatsbibliothek Msc Bibl 1 fol 339v
Dix ans plus tard, cette Majestas Agni montre deux grandes évolutions qui vont dans le même sens, l’accentuation du caractère diagrammatique de l’image ;
- la lance et le roseau forment un X qui décompose le grand losange en quatre petits losanges identiques, chacun hébergeant un des symboles des Evangélistes ;
- ceux-ci ne sont plus disposés dans l’ordre d’Ezéchiel, mais dans l’ordre des Saisons (comme dans l’Evangéliaire de Sainte Croix).
Très à la mode dans les temps carolingiens puisqu’elle constitue le centre des monogrammes impériaux, la figure du losange trouve un emploi encore plus prestigieux au centre des Majestas dei et des Majestas Agni.
Tetragonus mundus
Manuscrit d’astronomie et de comput, 9ème siècle, Vienne ONB Cod. 387 HAN MAG p 279
Ce schéma inscrit le T de la Terre (qui sépare les trois continents tout en symbolisant la Croix) dans un schéma des Quatre Eléments (disques dans les angles du carré), des Quatre Saisons (lignes obliques) et des Quatre Vents (cercles aux bouts des obliques).
Ce schéma très riche combine :
- une lecture en croix des quatre Qualités élémentaires : l’axe horizontal allant du Sec à l’Humide, l’axe vertical du Froid au Chaud ;
- deux lectures circulaires : l’enchaînement « harmonieux » des Eléments (Terre -> Eau -> Air -> Feu) dans le sens des aiguilles de la montre et l’enchaînement des Saisons en sens inverse.
Emporté par le sens de rotation naturel, le copiste s’est trompé en positionnant les Saisons sur les côtés du losange : les inscriptions sont correctes (par ex : VER CALIDUM ET HUMIDUM) mais interverties par rapport à la verticale (VER est placé côté CALIDUS ET SICCUS).
Première Bible de Charles le Chauve, 845-46, BNF Latin 1 fol 329v
Cette composition, véritable apothéose du Scriptorium de Tours, invente deux iconographies majeures, auxquelles j’ai consacré par ailleurs des études détaillées :
- le petit disque doré tenu entre les doigts de la main droite, dont la signification est très discutée (voir Disque digital) ;
- la double mandole en forme de huit (voir 3 Mandorle double symétrique) .
Pour les Vivants, la composition reprend celle de la Bible d’Alcuin : à l’intérieur des pointes du losange, dans l’ordre des Saisons. Les Prophètes sont décalés à l’extérieur des pointes (dans un ordre différent), ce qui libère les quatre angles pour y ajouter les Evangélistes.
Tous regardent vers le Christ au centre de l’image, dans un mouvement centripète.
Cette nouvelle formule ne va pas sans difficultés, car les Vivants se trouvent séparés de leur Evangéliste (ils semblent plutôt rattachés à chaque prophète).
Cette théophanie complexe puise clairement son inspiration dans le schéma bien connu des Quatre Eléments et des Quatre Saisons.
Seul élément rompant la symétrie du diagramme, le globe-siège ne représente pas la Terre, mais bien le Cosmos dans sa totalité, avec le Jour, la Nuit et les Etoiles.
Évangéliaire de Lothaire, vers 850, BNF Lat.266 f2v, Gallica
Dans l’Évangéliaire de Lothaire, l’inscription reprend la métaphore paléochrétienne entre les quatre Evangiles et les quatre fleuves du Paradis :
Quatre ici rayonnent, coulant d’une unique source Les livres de Mathieu, de Marc, de Luc ainsi que de Jean |
Quatuor hic rutilant uno de fonti fluentes Matthaei , Marci , Lucae libri atque IohannIs [6] |
Comme dans le codex Amiatinus, les quatre Vivants sont disposés dans les quatre angles selon l’ordre de la Vulgate (qui est aussi l’ordre du distique), ce qui privilégie une lecture cyclique de l’image. Par ailleurs les deux quadrupèdes sont très logiquement placés sur terre, les deux volatiles dans le ciel.
Evangéliaire de Dufay, 843-51, BNF MS Lat 9385 fol 179v, Gallica
L’Évangéliaire de Dufay suit le même ordre de la Vulgate, mais en miroir. Un distique d’un auteur anonyme attire l’attention sur le globe et les Vivants :
Rendu visible, tu te tiens sur ton siège sublime, Rédempteur, |
Conspicuus resides sublimi sede redemptor |
Ces vers ont dû être rédigés ad hoc : car « tu remplis tout de lumière » semble faire allusion aux bandes violet bleu et vert qui, derrière les Vivants, reprennent les couleurs internes de la mandorle.
Evangile du Mans, IXème siècle, BNF lat 261 fol 18, Gallica
On retrouve ici la même inscription à gauche de la mandorle, tandis que le partie droite offre un texte qui fournit une clé importante sur la signification du globe-siège :
Ici trône Dieu au sommet Roi du Monde, Gloire du Ciel. |
Hac sedet arce Deus, Rex mundi, Gloria caeli |
Le mot « arce » signifie sommet, mais aussi citadelle, et a une forte assonance avec le mot « arcu » qui signifierait « sur l’arc ».
Ainsi la figure du globe-siège n’a pas nécessairement une signification cosmique précise : c’est la figure géométrique la plus simple permettant à la fois de traduire visuellement l’idée de sommet et d’isolement (on trouve en somme le thème de la mosaïque de Saint Laurent hors les Murs, voir 2 Dieu sur le Globe : époque paléochrétienne).
Evangéliaire de Prüm, 852, Staatsbibliothek Berlin Lat 2 733 fol 17v
Offert par Lothaire à l’abbaye de Prüm, cet Evangéliaire porte exactement le même titulus. Le graphiste a rajouté un arc doré, non pas devant, mais imbriqué sous le globe : ce détail unique ne se comprend que comme illustrant littéralement « sedet arce », « il trône sur l’arc ».
Le semis d’étoiles dorées et rouges concerne toutes les zones de l’image : l’ensemble se trouve donc dans le ciel, illustrant littéralement « gloria caeli », « gloire du Ciel ».
Cette Majestas Dei montre l’habileté du Scriptorium de Tours à adapter, à un texte particulier, le schéma générique qu’il a mis au point pour les Evangéliaires :
- Vivants dans l’ordre de la Vulgate ;
- pas de Prophètes ni de losange organisateur, réservés aux Bibles.
Evangéliaire de Dufay, 843-51, BNF MS Lat 9385 fol 179v, Gallica | Evangéliaire de Charles IX, 850-900, BNF MS Lat 269 fol 37r, Gallica |
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L’Evangéliaire de Charles IX comporte de nombreux éléments le rattachant à l’Ecole de Tours, mais bien après l’âge d’or de l’abbé Vivien. La Majestas domini rappelle celle de l’Evangéliaire de Dufay, en supprimant le Tétramorphe et en traitant bien plus grossièrement les plis des vêtements et le dégradé de couleurs à l’intérieur de la mandorle.
L’école de Saint Denis (dite aussi de Corbie ou du Palais de Charles le Chauve)
Le Sacramentaire de Charles le Chauve, 869-870
Le Christ imberbe adoré par les Anges, fol. 5r,
Sacramentaire de Charles le Chauve (ou de Metz), , vers 869-870, BnF, Manuscrits, Latin 1141, Gallica
Autour d’un Seigneur imberbe, les Vivants sont placés selon l’ordre des saisons. L’image est composite : la présence des animaux évoque la vision d’Ezéchiel, tandis que celle du grand chérubin à six ailes renvoie à la vision d’Isaïe.
Scoop ! Les quatre Evangélistes sont bien là, anonymes, désignés par les deux anges latéraux. Coincés sur une tribune nuageuse, ils regardent par en dessous le globe qui sort en avant de la page : manière subtile de signifier que eux n’ont pas vu de leurs yeux Celui dont Isaïe a eu la vision.
Le Christ barbu adoré par la hiérarchie céleste, fol 6r
La seconde Majestas dei, qui apparaît lorsqu’on tourne la page, comporte des différences significatives :
- le Seigneur a retrouvé sa barbe habituelle ;
- il est rentré dans sa mandorle ;
- il n’est plus accompagné que par deux chérubins et deux divinités antiques, au dessus du texte du Sanctus :
Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sabaoth. Pleni sunt cœli et terra gloria tua. Hosanna in excelsis. Benedictus qui venit in nomine Domini.
Cette légende explique clairement que l’image représente un autre aspect du Seigneur, le Deus Sabaoth qu’on invoque au moment le plus sacré de la messe. Plutôt que « Dieu des armées » comme on le traduit généralement, c’est plutôt le Principe de tout ce qui se meut avec ordre.
A l’intérieur de la mandorle, il représente ce qui « emplit la terre et le ciel » (Pleni sunt cœli et terra), et qui règne sur la Nature, personnifiée en bas par deux extraordinaires figures antiquisantes : l’Océan et la Terre nourricière.
Sarcophage avec imago clipeata, Museée des Thermes, Rome
Plusieurs sarcophages antiques, à partir du IIIème siècle, montrent les figures affrontées de Tellus et d’Océan, encadrant un médaillon du défunt emporté par des génies ailés : c’est probablement dans un de ces vestiges que le copiste du sacramentaire a trouvé son inspiration.
Le Codex Aureus de Saint Emmeran, 870
Centre de la reliure (plat supérieur),
Codex aureus de Saint EmmeranVers 870 Bayerische Staatsbibliothek Munich, Clm 14000
Le centre de la couverture est occupé par une représentation de Dieu imberbe entouré des quatre Evangélistes, chacun rejoint par son Vivant. Leur disposition est ici celle de la Vulgate (en commençant par Matthieu en haut à gauche, puis Marc, Luc et Jean dans le sens inverse des aiguilles de la montre).
Le Christ est assis sur un coussin à l’intersection de deux cercles : cette figure en en forme de huit doit donc bien être ici comprise comme un trône en deux parties (voir 1 Mandorle double dissymétrique).
Il pose les pieds sur le globe de la Terre : donc les deux cercle du huit ne représentent pas le Ciel au dessus de la Terre.
Il fait de la main droite non pas le signe de la bénédiction, mais celui de la prise de parole, et ce qu’il nous dit est inscrit sur le livre :
Moi je suis la Voie, la Vérité et la Vie, Jean 14,1-6 |
EGO SUM VIA, VERITAS ET VITA |
Codex aureus de Saint Emmeran, vers 870 Bayerische Staatsbibliothek Munich, Clm 14000
Cette composition peut être considérée comme l’apogée de la Majestas Dei carolingienne , puisque toutes les difficultés sont magistralement corrigées.
Comme sur la reliure, les Vivants sont adjoints à chaque Evangéliste. Les prophètes sont quant eux reliés au centre avec le Seigneur. Ce qui organise un double mouvement centripète, de Dieu aux prophètes d’une part (flèches bleues), des Vivants aux Evangélistes d’autre part (flèches jaunes).
Cette image très complexe présente de nombreux textes explicatifs, qui permettent de cerner son arrière-plan cosmologique : voir l’étude que je lui ai consacrée dans Majestas Dei et astronomie.
Fol 6v, Fol 7
L’image prend encore plus de relief si on la replace dans son contexte, face à la première table des canons, qui met en correspondance les passages communs aux quatre Evangélistes.
Son titulus, « Canon primus in quo quatuor » est porté par les quatre Vivants formant une croix, dans l’ordre canonique des quatre colonnes (les pages suivantes des canons suivent la même charte graphiques, avec un nombre décroissant de colonnes).
La Bible de Saint Paul Hors les Murs, 870-75
Le dernier grand manuscrit de l’école de Saint Denis propose non pas une, mais trois Majestas Dei, placées à des endroits stratégiques.
La première Majestas : l’Ancien Testament
Bible de Saint Paul Hors les Murs, 870-75 fol 117v
La première Majestas Dei du manuscrit, qui sert de frontispice au Livre d’Isaïe, apparaît dans le registre supérieur de l’image.
En dessous, sur une bande de nuages, une assemblée de seize saints représente probablement les prophètes de l’Ancien Testament.
Le registre du bas replace dans son contexte historique la Prophétie d’Isaïe (Isaie 7,1-14) : au roi Achaz qui tente vainement d’attaquer Jérusalem avec son armée, Isaïe dévoile le signe que le Seigneur lui donnera : « Voici que la Vierge a conçu ».
La comparaison avec le Sacramentaire de Charles le Chauve, réalisé quelques années plus tôt par le même atelier, montre toute la différence entre une « interprétation libre » de la Vision divine, et une illustration plus respectueuse des textes :
- pour Isaïe, deux séraphins en vol (et non un seul par terre) :
« Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes; deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. » (Isaïe 6,2)
- pour Ezéchiel :
- quatre têtes pour chacun des Vivants, qui se distinguent uniquement par leur corps : c’est l’un des très rares exemples en Occident de cette représentation graphiquement ingrate ;
- présence de l’arc-en-ciel :
« Comme l’aspect de l’arc qui est dans la nuée en un jour de pluie, tel était l’aspect de l’éclat tout autour de lui. Tel était l’aspect de la ressemblance de la gloire de Yahweh » (Ezéchiel 1,28).
Le disque digital est conservé. Le globe-siège reste présent, mais à peine discernable. Le remplacement de la mandorle en amande par une mandorle en huit peut s’expliquer par la nécessité graphique de caser les deux Vivants qui volent (voir 3 Mandorle double symétrique).
Le registre intermédiaire (les seize Prophètes) semble être une normalisation de l’idée trop originale des quatre Evangélistes cachés.
La deuxième Majestas : les Canons du Nouveau Testament (SCOOP !)
Adoration de l’Agneau, Canons IIII, fol 254v | Christ en majesté, Canons V et VI, fol 255r |
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Cette Majestas très atypique (a la fois Majestas Agni et Majestas Dei) n’a à ma connaissance jamais été reconnue en tant que telle, car elle se développe sur les quatre pages des canons. Ce bifolium en constitue le centre, entre les quatre Evangélistes debout dans une mandorle et accompagnés par leur symbole :
- Mathieu et Marc à la page précédente (Canon I, fol 254r) ,
- Luc et Jean à la page suivante (Derniers canons, fol 255v)
La troisième Majestas : le Nouveau Testament
Codex de Saint Emmeran, vers 870 | Bible de Saint Paul Hors les Murs, 870-75 fol 259v |
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Très proche à première vue de celle du codex de Saint Emmeran, la troisième Majestas Dei constitue un retour à la formule la moins savante, celle de la Première Bible de Charles le Chauve :
- absence de tout texte ;
- interversion en haut, de Jean et de Matthieu, qui ramène à la disposition selon l’ordre des Saisons.
Le demi arc-en-ciel qui séparait en deux la zone de chaque Evangéliste a été atténué en une simple bande nuageuse, améliorant la lisibilité de l’ensemble.
L’illustrateur semble avoir eu l’intention d’atténuer le privilège accordé aux Prophètes de cohabiter dans le losange avec le Seigneur : il les a séparés de lui, et isolés entre eux, par quatre cordelettes qui s’entrelacent ; et il a appliqué le même dispositif aux Evangélistes (en oubliant l’entrelac du bas).
Tout se passe comme si l’on avait cherché à gommer l’arrière-plan littéraire et théorique du Codex de saint Emmeran, au profit d’une représentation plus immédiatement compréhensible. Ceci s’explique sans doute par la destination du manuscrit : plutôt qu’une image privée réalisée pour Charles le Chauve et son entourage de lettrés, il s’agit du cadeau officiel offert au pape Jean VIII à l’occasion du couronnement de Charles comme empereur, la nuit de Noël 875.
A la page précédente, un titulus décrit l’image (d’où l’absence de tout texte à l’intérieur) :
Demeure assis sur le trône, toi qui pèses le monde entier, |
Sede troni residens , mundum qui ponderat omnem , |
A noter la même idée de pesée que dans la Majestas Dei de Saint Emmeram (voir Majestas Dei et astronomie ).
Dans le Sacramentaire, les deux Majestas dei consécutives, montraient l’une Dieu tel qu’il a été vu par les Prophètes, l’autre Dieu Sabaoth, autrement dit organisateur du Cosmos.
Dans la Bible de Saint Paul hors les murs, la première et la troisième Majestas Dei forment également un pendant :
- Vivants disposés dans le même ordre, celui des Saisons ;
- frontispice du Livre D’Isaïe (Ancient Testament), frontispice du Nouveau Testament.
L’opposition entre Dieu imberbe et Dieu barbu recoupe celle du Sacramentaire :
- à gauche la vision d’Isaïe comme événement historique,
- à droite le schéma intemporel du monde s’organisant autour de Dieu.
Les Evangiles de Noailles, 850-75
Ce manuscrit de date imprécise, mais rattaché à la même école du Palais de Charles le Chauve, possède deux globes-siège.
Evangiles de Noailles, 850-75, BNF Lat 323 couverure (Gallica)
La couverture (qui peut provenir d’un autre manuscrit) est une traditio legis et clavis d’esprit très antiquisant : entre Saint Paul et Saint Pierre figure le dieu Océan dans sa figuration habituelle (renversant un vase de la main droite et saisissant un poisson de la gauche), et complété par un serpent qui symbolise la Terre.
Le globe et sa mandorle sont figurés par deux couronnes végétales.
Evangiles de Noailles, 850-75, BNF Lat 323 fol 13v (Gallica)
Le titulus reprend la formule habituelle des Evangiles carolingiens (Quatuor hic rutilant uno de fonti fluentes).
L’image a pour particularité d’unifier le globe et la mandorle en une zone unique semée d’étoiles dorées à six branches : devenue abstraite, cette zone sacrée préfigure la disparition du globe et le développement de la mandorle en huit dans l’art ottonien, au siècle d’après.
Un cas atypique : le globe-siège d’Esculape
Esculape, Scolapius Medicus Magnus, 800-50, 2 Ms. phys. et hist. nat. 10 fol 1v, Kassel.
En tête d’un herbier carolingien figure cette figure étonnante : Esculape, le fils d’Apollon, est représenté en Christ assis sur le globe terrestre, rempli des fleurs qui sont l’objet du livre. Il tient de la main droite un rouleau où est inscrit le mot MEDICINA et de la main gauche son bâton autour duquel se love un serpent. La « mandorle » comporte l’inscription : Scolapius medicus mag(nus). Deux disques intermédiaires rouge forment dossier.
« Cette représentation d’Esculape est tout à fait originale. En effet, l’emboîtement de sphères sur lesquelles il siège constitue probablement un emprunt à l’iconographie du Christ en majesté, majestas domini, assimilant ainsi Esculape à la figure du Christ médecin, un thème populaire au Moyen Âge. Au début de la chrétienté, le Christ est dans certains cas présenté comme le « nouvel Esculape » car, par le sacrifice de son corps, il put guérir l’âme des hommes. Cependant, ce type du Christ médecin n’a pas été conservé dans l’iconographie du Moyen Âge. » [7]
Article suivant : 4 Dieu sur le Globe : art ottonien et Beatus
https://pdfs.semanticscholar.org/55f8/59ac883662c1cd60cc5de59b54bc2435bd81.pdf?_ga=2.250866694.1605357372.1589711672-1713277297.1589711672
bonjour, le Codex Amiatinus montre un séraphin à gauche qui a la main enroulée dans sa toge , et celui de droite non. ON retrouve cette image à Moissac sur le tympan. Pourquoi sa main enroulée ? Le séraphin de gauche est-il solaire et celui de droite lunaire comme on le voit sur certains tympans espagnols?
merci
Merci pour vos très intéressantes remarques. Du coup j’ai pris un peu de temps pour approfondir la question, et j’ai rédigé un petit article : Dissymétries autour de Dieu
Je ne sais pas si vous y trouverez les réponses qui vous intéressent. Mais si d’autres exemples vous viennent en tête, je suis preneur !
Bonjour! Voici un très interessant dossier; je vous livre quelques remarques pour faire avancer le schmilblic.
* La « boite »placée en exergue dans les cercles du ms de l’Evangéliaire de Lothaire suit successivement l’hostie rouge du Sang du Christ, puis l’hostie blanche du Corps du Christ, et devait logiquement se trouver en rapport étroit avec la communion, et donc, être une custode: il s’agit de ne pas oublier les malades qui ne peuvent se rendre aux offices. La custode fait partie de l’attirail d’objets symboliques placés sur les étagères des cabinets de st Jérôme ou de st Augustin, portraiturés au Moyen Âge tardif, certes bien plus tard, mais l’objet accompagne la Chrétienté depuis le Haut Moyen Âge, les Ordres monastiques gèrent les hôpitaux.
Merci de m’avoir lu avec autant d’attention, et de vos intéressantes suggestions auxquelles je vais essayer de répondre point par point. Précisons que vos commentaires portent sur l’article annexe https://artifexinopere.com/blog/interpr/iconographie/dieu-sur-le-globe/3a-lenigme-du-disque-digital/
Si les cercles de l’Evangéliaire de Lothaire sont en rapport avec l’eucharistie, la custode est une hypothèse aussi valable que l’autel (bien que je n’ai pas trouvé d’exemple de custode quadrangulaire, elle sont plutôt circulaires). Personnellement, je pense que ces cercles n’ont rien à voir avec des hosties, et j’en ai profité pour enrichir l’article d’une nouvelle illustration (fol 172r) qui appuie mon identification « cosmique » du disque dorée, comme représentant le « mundus mundus », le Monde purifié par la venue du Fils.
Je poursuis:
* Le manuscrit d’Utrecht est certes réalisé vers 820, mais constitue une copie d’un Psautier composé vers la fin du Ve ou le début du VIe siècle, probablement peu avant la peste de 541 (voir Suzy Dufrenne à ce sujet). Si l’on observe le retour du Christ assis sur la « boule-monde » à peu près à cette même époque, ce n’est pas un hasard !
Il pose donc le problème de ce dont il témoigne du temps tardo-antique de sa conception, et de son impact sur l’iconographie carolingienne et pré-romane en suivant, soit: de ce que lui doit la « Renaissance carolingienne ».
Merci de m’avoir fait remarquer le rôle charnière du Psautier d’Utrecht. Du coup, j’ai repris mes notes sur le sujet et ai rédigé un nouvel article : https://artifexinopere.com/blog/interpr/le-globe-dans-le-psautier-dutrecht/
J’espère qu’il vous intéressera.
* Je crains que vous n’ayez écarté un peu rapidement la possibilité de la tessère. Vous ne me semblez pas avoir relevé (malgré votre sens du détail assez impressionnant) la façon dont le Christ tient le disque énigmatique : jamais avec l’index (sauf sur le ms de Tour lat 266), et plutôt avec le majeur ou l’annulaire opposé au pouce. Un geste précieux pour un objet symbolique précieux entre tous. Il ne s’agit pas d’un don dans l’immédiat mais d’un truc futur, en rapport avec les noms inscrits dans le Livre de Vie. Il s’agirait donc d’une tessère: un « laisser passer »pour le Ciel. L’emprunt de l’objet au monde byzantin est étonnant, mais correspond aux « tickets d’accès » aux banquets donné par de riches personnages à des pauvres, auxquels était encore remis une pièce d’or…
Votre idée de la tessère comme laisser-passer vers le ciel est très astucieuse, mais souffre à ma connaissance d’un manque total de références dans le contexte occidental. Concernant le « geste précieux pour un objet symbolique précieux », le problème est que dans les trois ivoires byzantins qui nous restent, la figure de Rome tient la tessère de manière on ne peut plus banale, entre le pouce et l’index.
Le geste qui nous occupe a probablement été inventé pour se démarquer des gestes antérieurs. Il évoque clairement la bénédiction byzantine, mais je pense que le point-clé est que le disque est tenu par trois doigts. Pour moi, c’est une illustration directe du passage d’Isaïe « adpendit tribus digitis molem terrae ».
Voir le site du Musée de Genève qui possède une belle collection, et explique cela en commentaire.
Il y aurait un sacré système de contamination entre ces symboles dorés (le plus souvent, sinon vert, couleur de l’Espérance)qui trahit une circulation d’échanges : le fidèle donne le denier rond et doré (à l’Eglise), reçoit l’hostie blanche comme voie d’accès au salut (mais non suffisante) en retour, et le Christ exhibe le disque-tessère symbolique du salut valant comme promesse de salut pour ceux qui Lui sembleront les plus méritants.Si le denier n’est pas figuré, il fait partie du cycle des dons/contre-dons entre l’Eglise-Christ, Dieu et les fidèles. Et ce serait pour cette raison que l’identification des ces disques s’avère délicate…
Merci pour la référence au Musée de Genève, que je ne connaissais pas (https://collections.geneve.ch/mah/galeriemah/les-tesseres-de-charite?view=masonry&sort=default)
Les tessères présentées sont exclusivement byzantines. L’idée que le disque digital carolingien résulterait de la byzantophilie de l’époque ne trouve plus guère de défenseurs aujourd’hui, faute de toute référence dans les textes occidentaux. Auriez-vous des exemples à l’appui ?