1 Prémisses

Ces trois articles sont consacrés aux Résurrections dans lesquelles la tombe du Christ est montrée ostensiblement fermée, de manière à suggérer la traversée miraculeuse de la dalle.

Le premier article étudie les prémisses de cette idée, avant que ne se développe pleinement l’iconographie typiquement germanique de la dalle perméable (à partir de 1437).

Article précédent : Deux Résurrections atypiques



Un précurseur lointain : la Résurrection du Missel de Stammheim

1170 ca stammheim_missal_resurrection Paul Getty Museum, MS. 64, fol. 111Résurrection
Vers 1170, Miissiel de Stammheim (Hildesheim), Getty Museum, MS. 64, fol. 111

Cette composition cruciforme comporte, aux angles, quatre scènes de l’Ancien Testament liés typologiquement à la Résurrection :

  • Élisée ressuscitant le fils de la Sunamite (2 Rois 4:8-36) ;
  • Samson enlevant les portes de Gaza (Juges 16 :3) ;
  • David tuant Goliath (1 Rois 17:51) ;
  • Benaiah tuant le lion [1] (2 Samuel 23 :20) ;

Le registre médian

Le registre médian suit l’iconographie ancienne de la Résurrection :

  • à gauche le soldats endormis
  • au centre l’ange accueillant les deux saintes femmes ;
  • à droite Isaïe pointant du doigt le tombeau vide et disant « son tombeau sera glorieux » (Isaïe 11:10).

On comprend que cette formule inclut obligatoirement la cuve vide, avec son couvercle déplacé sur lequel l’ange est assis :

« Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus ». Matthieu 28,2

Malgré le texte de Mathieu, l’art occidental représente très rarement la pierre roulée (voir Deux Résurrections atypiques), et lui préfère la dalle décalée ou brisée.


Le bas et le haut

Les montants verticaux de la croix montrent :

  • en bas le phénix renaissant de ses cendres le troisième jour, prêt à s’envoler vers sa patrie [2] ;
  • en haut, le Christ traversant la coupole pour retourner vers son Père, avec un dialogue extrait du psaume 57,8 : « Réveille-toi, mon âme…. Je me réveillerai à l’aube ».

On voit que cette traversée tout à fait exceptionnelle résulte de la composition d’ensemble :

  • analogie verticale avec l’envol du phénix ;
  • analogie horizontale avec deux scènes miraculeuses, qui évoquent les deux parties du dialogue :
    • le réveil du fils de la Sulamite ;
    • Samson en pleine puissance (matérialisée par ses cheveux), quittant sa prison à minuit.

La porte .de Gaza défoncée, avec son cadre bleu clair et son fond rouge, fait écho au sarcophage décapoté.


En Italie

Impossible dans l‘iconographie ancienne de la Résurrection, la formule de la tombe fermée va devenir possible dans l’iconographie moderne, où l’ange et les saintes femmes sont supprimés, laissant les soldat seuls face au Christ [3] . Elle restera néanmoins extrêmement minoritaire par rapport à la représentation canonique, où le sarcophage est béant.

Le Christ en lévitation

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Two miniatures from a Laudario, by Pacino di BonaguidaColla madre del be(ato gaudiamo), Feuille d’un Laudario de la Compagnia di Sant’ Agnese, Florence
1330-1340 , Fizwilliam Museum, MS 194

Cette page superpose les deux formules de la Résurrection :

  • en bas l’ancienne, avec le tombeau ouvert, les saintes femmes et l’ange assis ;
  • en haut la moderne, avec le tombeau fermé et le Christ lévitant, dans une mandorle rayonnante aspirée par le firmament.

Ce débordement remarquable permet de caser le Christ debout dans un format horizontal (voir 8 Débordements gothiques : quelques cas locaux).


1388, Fragment de Graduel, Don Simone Camaldolese, Resurrection, coll partFragment de Graduel, Don Simone Camaldolese, 1388, collection particulière 1410 ca Lorenzo_Monaco,_Graduale Corali_3,_Biblioteca_Medicea_Laurenziana,_FirenzeLorenzo Monaco, 1410, Graduel Corali 3, Laurenziana, Florence

L’opposition entre les deux scènes et les deux tombeaux n’a rien de systématique :

  • à gauche, ils sont tous les deux ouverts ;
  • à droite, seule la formule moderne est conservée, répartie sur les deux compartiments de la lettre.

1370 Resurrection - Jacopo da Cione National GalleryJacopo da Cione, 1370, National Gallery 1390-1410 Lorenzo di Niccolò coll part fototeca zeriLorenzo di Niccolò, 1390-1410, collection particulière (fototeca zeri)

Résurrection

Autant le Christ en lévitation au dessus du tombeau ouvert est fréquent en Italie, autant la formule avec tombeau fermé est rare. Tandis qu’un couvercle pivoté ou renversé ouvrait des possibilités graphiques innombrables, le formule fermée pouvait passer pour une solution de facilité. Aussi fallait-il l’agrémenter d’un détail pittoresque :

  • dans le premier cas, couvercle en bâtière vu de biais (comme le montent les six motifs du flanc) ;
  • dans le second, scellement par des lanières.


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Le pied sur la margelle (SCOOP !)

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1324-25. Ugolino_di_Nerio._The_Resurrection.__London National GalleryRésurrection
Ugolino di Nerio, 1324-25, National Gallery

La formule où le Ressuscité sort du tombeau en prenant appui d’un pied sur la margelle est courante en Italie.


1371 Lorenzo Veneziano, Résurrection, Milan, Pinacothèque du Château SforzaRésurrection
Lorenzo Veneziano, 1371, Pinacothèque du Château Sforza, Milan

Lorenzo Veneziano lui donne une tonalité toute vénitienne, en couvrant le Christ d’une robe rouge et or, ouverte pour montrer la plaie du flanc, et dont la somptuosité rivalise avec le pourpre du marbre. Les soldats sont tous endormis, sauf un qui se cache les yeux, ébloui par le rayonnement. Deux monts déchiquetées flanquent les bords, l’un portant une ville forte (Jérusalem), l’autre abritant la grotte du sépulcre.


 

1371 Lorenzo Veneziano, San Pietro trittico della sete Accademia VeniseSaint Pierre, Accademia, Venise 1371 Lorenzo Veneziano, Résurrection, Milan, Pinacothèque du Château SforzaRésurrection, Milan 1371 Lorenzo Veneziano, San Marco trittico della seta Accademia VeniseSaint Marc, Accademia, Venise

Trittico della Seta

Le panneau constituait la partie centrale d’un triptyque réalisé pour l’Office de la Soie, ce qui peut expliquer le luxe des tissus, y compris pour les panneaux latéraux :

  • du côté de la ville, et de la main qui bénit, est placé Saint Pierre avec ses clés, tenant un rotulus fermé ;
  • du côté du sépulcre et de l’étendard victorieux est placé Saint Marc tenant ouvert son Evangile à la page de la Résurrection (Marc 16,1-7).

On voit que la composition équilibre subtilement la puissance papale et la puissance vénitienne.


1371 Lorenzo Veneziano, Résurrection, Milan, Pinacothèque du Château Sforza detail
La comparaison avec la cuve ouverte d’Ugolino di Nerio rend évidente une autre subtilité qui n’a pas été relevée : tandis que le tissu rouge et le tissu blanc se replient à droite en se posant sur la margelle, le tissu blanc tombe verticalement sur la gauche. On pourrait à la rigueur imaginer que le bord intérieur de la margelle (ligne pointillé) est masqué entièrement par les tissus : reste que la margelle serait beaucoup trop large pour laisser un vide central suffisant, et de plus son bord arrière est manquant (ligne rouge).

Compte-tenu du caractère très ambitieux de la composition, la maladresse est exclue : c’est donc bien intentionnellement que Lorenzo Veneziano, pour la seule et unique fois en Italie, à représenté le Ressuscité émergeant directement de la pierre.


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Autres Résurrections italiennes avec tombe fermée

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1430 ca Livre de prières (Milan) Michelino (de' Molinari) da Besozzo. Morgan library MS M.944 fol 26v
Livre de prières (Milan), Michelino da Besozzo, vers 1430, Morgan library MS M.944 fol 26v.

Le Christ est ici perché sur un sarcophage en bâtière, sans couvercle et avec chargement frontal. L’ouverture est obturée par un rocher brut, scellée par trois bouts de papier tenus par des points de cire.


1430-35 Antonio_vivarini_e_aiuti,_polittico_della_passione,_13_resurrezione Ca d'Oro VeniseRésurrection
Antonio Vivarini et atelier, 1430-35, Polyptyque de la Passionne, Ca d’Oro, Venise

On trouve ici le même type de sarcophage, sans pommes de pins, et avec quatre bouts de papier et quatre points de cire. Le sigle SPQR, le scorpion et l’aigle sont des symboles péjoratifs qui apparaissent couramment sur les écus ou les oriflammes des soldats païens [4]. Leur position couchée de part et d’autre du Christ triomphant et l’association entre un animal venimeux et un oiseau monstreux font ici probablement allusion à la victoire du Christ sur le mal :

 » Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic » Psaumes 91:13 .


1446-47 giovanni Boccati Montee au calvaire Galleria Nazionale dell'Umbria PérouseMontée au calvaire
Giovanni Boccati, 1446-47 Galleria Nazionale dell’Umbria, Pérouse

On retrouve en tout cas l’association basilic-scorpion en tête de ce cortège tragique.

1440 ca Maestro dell’Osservanza (Sano di Pietro) prédelle du Polittico della Passione Detroit Institute of ArtsRésurrection (prédelle du Polittico della Passione)
Maestro dell’Osservanza (Sano di Pietro), vers 1440, Detroit Institute of Arts

Autre résurrection tout à fait extraordinaire avec ce Christ s’échappant sur un nuage dans une mandorle rayonnante : peu après le coucher du soleil, au milieu d’un paysage noir, la puissante lumière aveugle les soldats et projette sur la colline l’ombre du tombeau intact.



En Catalogne


1398-Pere-Nicolau-Retablo-de-los-siete-gozos-de-la-Virgen-Maria-museo-bellas-artes-BilbaoRetablo de los siete gozos de la Virgen María, 1398, Museo bellas artes, Bilbao 1404 Pere Nicolau Retaule dels Set Gojos de la Mare de Déu, museo bellas artes valenciaRetaule dels Set Gojos de la Mare de Déu, 1404, Museo bellas artes, Valencia

Résurrection, Pere Nicolau

Ces deux compositions proposent deux solutions bien différentes quant à la sortie du tombeau fermé :

  • dans la première, le Christ est simplement posé dessus, sur le biais incurvé du couvercle en bâtière assujetti par six sceaux ;
  • dans la seconde, il flotte en avant du tombeau parallélépipédique, dans une mandorle noire soutenue par deux anges.

1432-34. Jaume Ferrer II Retable de Verdú, La résurrection Musee Episcopal de Vic 1432-34. Jaume Ferrer II Retable de Verdú, La résurrection Musee Episcopal de Vic detail

Résurrection (Retable de Verdú), Jaume Ferrer II , 1432-34, Musée épiscopal de Vic

Jaume Ferrer II retient une solution étrange : il supprime les anges et pose la pointe de la mandorle sur le couvercle plat, vers l’avant. Cependant, le pommeau de l’épée du garde situé à l’arrière masque la mandorle, en faisant un objet optiquement impossible.


1451-54 Jaume Ferrer II Retaule de la Verge dels Paers Paeria de LleidaRetaule de la Verge dels Paers
Jaume Ferrer II,1451-54, Paeria de Lleida

Dans cette version tardive par le même peintre, l’influence du réalisme flamand a fait son chemin, et gommé le surnaturel : le Christ est campé sur le sarcophage tel Sartre sur son bidon à Billancourt, son sang dégoulinant sur la pierre.



A Avignon


1390 Jean de Toulouse et collaborateur bohémien, Missel de Clement VII BNF Lat 848 fol 160rMissel de Clément VII, Jean de Toulouse et collaborateur bohémien, 1390, BNF Lat 848 fol 160r 1384-1398 Jean de Toulouse Missel (Avignon) Cambrai BM 0150 (146) fol 181vMissel, Jean de Toulouse, 1384-1398, Cambrai BM 0150 (146) fol 181v

On a attribué à cet enlumineur avignonnais, actif à la fin du XIVème siècle, une série de manuscrits, dont certains comportent une Résurrection [5]. Ces deux initiales R montrent un Christ debout ou montant sur le tombeau fermé. On remarquera dans le premier cas que le sarcophage est construit en perspective inversée (le point de fuite en avant).


1390-95 Jean de Toulouse Atelier Livre d'Heures (Avignon) Spencer 49 II, fol. 11v New York Public LibraryRésurrection, fol. 11v 1390-95 Jean de Toulouse Atelier Livre d'Heures (Avignon) Spencer 49 II, fol. 12r New York Public LibraryDescente aux Limbes, fol 12r

Livre d’Heures (Avignon) , Jean de Toulouse (Atelier), 1390-95, Spencer 49 II, New York Public Library

Dans ce bifolium pleine page très exceptionnel, la figure du Christ faisant un pas en avant a été utilisée pour la Descente aux Limbes.

Pour la Résurrection, un Christ debout sur le tombeau aurait créé une disproportion de taille : l’enlumineur a donc inventé cette posture très inhabituelle d’un Christ à genoux sur la dalle, se retournant vers le seul soldat réveillé (qui fait le geste de l’éblouissement). Deux grands rubans noirs masqués par le vêtement barrent la route à l’idée que la jambe gauche cachée pourrait être prise dans la pierre : ces scellés très voyants sont à mon avis la preuve que le dessinateur était conscient de l’ambiguïté graphique quant à la perméabilité de la dalle, et a cherché à l’éviter.


1380-1400 Jean de Toulouse Atelier) Livre d'Heures (Avignon) Harley 2979 fol 94v detailLivre d’Heures (Avignon)
Jean de Toulouse (Atelier), 1380-1400, Harley 2979 fol 94v

Cette miniature tout à fait unique dénote le choix inverse : l’arrière de la robe tombe droit et le scellé a été supprimé (on devine encore sa trace). Ne sachant trop comment traiter l’émersion hors de la pierre, l’illustrateur a tracé une sorte de fente tout près du bord, par où se faufile un Christ bidimensionnel.


L’habitude très particulière du tombeau fermé, vu en perspective inversée, a conduit l’atelier de Jean de Toulouse à différentes expérimentations, dont une au moins a voulu développer l’idée du Christ traversant la pierre, mais avec des moyens graphiques insuffisants.



Dans les pays germaniques

A Cologne

 

1403 Conrad von Soest Wildunger Altars Sankt Nikolaus Kirche, Bad Wildungen INVERSEConrad von Soest, 1403, Wildunger Altars, Sankt Nikolaus Kirche, Bad Wildungen (inversé) 1410 Maitre de Sainte Veronique Trityque volet droit Cologne Museum Boijmans Van Beuningen RotterdamMaitre de Sainte Véronique (Cologne), 1410, Triptyque (volet droit), Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

La similitude des deux compositions plaide sur une influence de Conrad von Soest, de Dortmund, sur le Maitre de Sainte Véronique, un des artistes marquants de l’école colonaise du début du XVème siècle. Ce dernier a inversé certaines parties de la composition : le tombeau en biais, la jambe gauche du Christ tendue à l’extérieur, les bras croisés du soldat du premier plan. Mais tandis que Conrad von Soest montrait la dalle pivotée, le Maitre de Sainte Véronique l’a supprimée, de manière à gagner de la place dans le format étroit du volet d’un triptyque [6], et à caser le troisième soldat. Mais n’osant pas la suppirmer complètement, il a conservé une demi-dalle à l’arrière-plan, pour que le soldat du fond puisse y poser ses coudes.


1410 Maitre de Sainte Veronique Trityque volet droit Cologne Museum Boijmans Van Beuningen Rotterdam1410, Maitre de Sainte Véronique, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam 1415-1430 Maître de Saint-Laurent (Cologne) Wallraf-Richartz, Cologne WRM 00291415-1430, Maître de Saint-Laurent, Wallraf-Richartz, Cologne (WRM 0029)

C’est un élève du Maître de Sainte Véronique qui fit le pas décisif, en refermant la dalle sur la gauche. La solution est un compromis :

  • le manteau repose sur la dalle, comme le montre le revers retourné à l’extrémité gauche ;
  • la jambe invisible ne peut être repliée sous le manteau (le genou droit devrait être au niveau du bord, comme le genou gauche).

C’est donc par pure déduction qu’on comprend qu’elle est encore prise dans la pierre, tandis que le manteau a totalement émergé : on en arrive ainsi à la conception purement théorique d’une dalle perméable à la chair divine, mais imperméable au tissu.


1400-20 Heures à l'usage de Cologne (Cologne) Avignon, BM, 0208 fol 42v IRHTMise au tombeau, fol 42v 1400-20 Heures à l'usage de Cologne (Cologne) Avignon, BM, 0208 fol 43v IRHTRésurrection, fol 43v

Heures à l’usage de Cologne, Peintre colonais travaillant à Avignon, 1400-20, Avignon, BM, 0208 IRHT

Cet illustrateur a bien vu la difficulté : en reculant le corps, il laisse suffisamment de place au genou droit pour se poser sur la dalle. On notera l’influence de Jean de Toulouse :
dans la perspetive inversée du tombeau ;

  • dans le geste du Christ se retournant vers le soldat qui se protège les yeux ;
  • dans le choix de la Résurrection avec tombeau fermé, qui crée ici un contraste marqué avec la miniature précédente, celle de la Mise au Tombeau.

Ce contraste pourrait être une des raisons de l’apparition de cette formule, bien qu’aucun manuscrit conservé de l’atelier de Jean de Toulouse ne présente la même séquence Mise au Tombeau / Résurrection. Par ailleurs, cet artiste prouve l’existence de liens qui ont pu propager, d’Avignon vers Cologne, la formule de la Résurrection avec tombeau fermé.


1420 maitre-de-st-laurent Wallraf-Richartz 1420 maitre-de-st-laurent Wallraf-Richartz WRM 0737 schema

1420, Maître de Saint-Laurent, Wallraf-Richartz, Cologne (WRM 0737)

A Cologne, le Maître de Saint-Laurent essaye cette variante, dont l’intention semble être de laisser au spectateur le choix entre les deux options : dalle imperméable ou dalle perméable. L’inclinaison du corps impose un appui du côté droit, mais le tissu masque aussi bien l’appui du genou replié sur la dalle, ou de la jambe tendue sur le fond.


1430-35 Meister der Passionsfolgen, Leben und Leiden Christi in 31 Bildern, Wallraf-Richartz-Museum Cologne
Leben und Leiden Christi in 31 Bildern (détail), Meister der Passionsfolgen, 1430-35, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne

Au final, c’est cette formule indécidable qui s’impose à Cologne, avec un tissu suffisamment couvrant pour offrir les deux possibilités. En masquant le pied posé derrière le soldat, l’artiste a même laissé le choix entre le gauche ou le droit. On notera le couvercle en bâtière et, pour la première fois en Allemagne, l’ajout des scellés rouges, qui étaient omniprésents à Avignon.


A Nuremberg

1430-35 Meister der Passionsfolgen, Leben und Leiden Christi in 31 Bildern, Wallraf-Richartz-Museum Cologne recomposéMeister der Passionsfolgen, 1430-35 (recomposé) vRetable de Deocarus (volet droit), 1436-37, Eglise Sankt Lorenz, Nuremberg (photo Theo Noll).

On peut facilement, en coupant la figure du Christ à la taille, inverser la diagonale du tombeau.

C’est ce qu’on trouve dans le retable de Deocarus, considéré par Schrade comme un des premiers exemples de dalle perméable en Allemagne : mais on peut tout aussi bien considérer qu’il s’inscrit dans la continuité des expériences menées à Cologne depuis une quinzaine d’années, puisqu’il conserve encore l‘ambiguïté sur la jambe masquée : repliée ou traversante.



En Bohème

Le Christ debout

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1380 ca Mise au tombeau maitre de trebon Galerie nationale PragueMise au Tombeau 1380 ca Resurrection_maitre de trebon Galerie nationale PragueRésurrection

Maître de Trebon, retable de Trebon, vers 1380, Galerie nationale, Prague

La Résurrection vient en contrepoint de la Mise au Tombeau, dans deux vues plongeantes très novatrices. La cuve, identique dans les deux vues, se complète d’un couvercle ostensiblement hermétique : bombé, muni de deux anneaux pour le déplacer et scellé aux armes de quatre autorités différentes. Le Christ donne l’impression de descendre de la dalle mais en fait il flotte en avant : seul le bas du manteau prend appui sur la pierre.

Le tombeau fermé donne à la figure du Christ une élongation maximale : c’est donc le choix purement compositionnel d’un artiste exceptionnel, qui ne s’inscrit pas dans une tradition antérieure.

[

1410-1420, Graduel de České Budějovice, Musée de Bohême du Sud, České BudějoviceGraduel de České Budějovice, 1410-1420, Musée de Bohême du Sud, České Budějovice 1470, Graduel de Kourim, Bibliothèque nationale tchèqueGraduel de Kourim, 1470, Bibliothèque nationale tchèque
1425-35 Österreichische Nationalbibliothek cod. 485 fol. 69v (c) imareal1425-35 Österreichische Nationalbibliothek cod. 485 fol. 69v (c) imareal 1439-42 Chanoine Friedrich Zollner de Langerzenn, , Bibliothèque de l'Abbazzia di Novacella, BolzanoChanoine Friedrich Zollner de Langerzenn, 1439-42, Bibliothèque de l’Abbazzia di Novacella, Bolzano

Cette composition frappante aura une grande fortune au siècle suivant, en Bohème et dans les régions avoisinantes.


1420 ca Speculum humanae salvationis Boheme Prague, Knihovna Národního muzea, III.B.10 fol 36rSpeculum humanae salvationis, vers 1420, Prague, Knihovna Národního muzea, III.B.10 fol 36r

Ce dessinateur a même osé faire dépasser le tombeau en avant-plan, dans un des très rares débordements du manuscrit. Ainsi est mise en évidence la valeur symbolique des trois sceaux rouges, qui encadrent les deux blessures sanglantes. Il aurait été facile de les fixer un peu plus bas, sur le joint que l’artiste a omis : placés sur l’arête, ils se transforment en gonds et font de la dalle une sorte de porte horizontale : ainsi est confrontée la sortie miraculeuse du tombeau et la sortie fracassante de Gaza.


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Le Christ assis sur le tombeau

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1380-90 Bohemian_School_coll part ancienne collection WaldesAnonyme bohémien, 1380-90, collection particulière (ancienne collection Waldes)

Cette oeuvre bohémienne, contemporaine du retable de Trebon, témoigne d’un autre type de Résurrection présent en Bohème, où le Christ est assis au centre du tombeau (ici fermé), dans une composition très symétrique : deux arbres à l’arrière-plan, et deux soldats au premier plan, l’un endormi et l’autre aveuglé (plus un troisième sur le bord droit).


1360 Prag_Emmauskloster_resurrectionFresque du cloître du monastère d’Emmaüs, Prague

Le Christ en robe blanche est ici placé au centre du tombeau ouvert, la jambe droite passant à l’extérieur.

La symétrie est assurée par les deux anges de l’arrière-plan, Ce motif de remplissage se rencontre assez souvent, avec des attitudes variées : anges en adoration (retable de Quedlinburger, 1270), tenant des encensoirs, des cierges, jouant de la harpe ou du violon, soulevant le linceul du Christ (retable de Schotten, 1385) ou déplaçant le couvercle comme ici (quadriptyque d’Anvers Baltimore, 1380).


1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny MuzeumVolet droit du Triptyque de Garamszentbenedek
Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás), 1427 , Esztergom, Kereszteny Muzeum

Cette composition de très haut niveau, due à un maître hongrois connu par ce seul triptyque, cumule les singularités.

  1. Le tombeau pourrait être ouvert, puisque le moitié gauche est absente : mais le sceau posé sur le joint nous prouve qu’il est bien fermé.
  2. Les deux anges tiennent chacun un linge blanc : probablement une allusion aux deux linges, les bandes et le suaire couvrant la tête, qui étaient resté à l’intérieur du tombeau (Jean 20,6-7) : ainsi les anges exhibent ce que nos yeux ne peuvent pas voir sous la pierre.
  3. La mandorle rayonnante est ici située à l’arrière-plan : alors que dans toutes les oeuvres avec tombeau fermé qui l’utilisent, elle enveloppe le Christ et sert de véhicule à son échappée hors de la pierre. De forme parfaitement circulaire, elle tangente l’auréole de la tête, et fonctionne comme une seconde auréole autour du torse du Christ.

1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny Muzeum detail

La jambe visible échappe au regard du soldat aveuglé, de même que la plaie presque refermée échappe à la pointe de son épée. La jambe invisible, du côté du soldat endormi, est indubitablement fusionnée avec la pierre.

Dans une étude récente [7], cette singularité a été utilisée comme argument pour une influence de l’école de Nuremberg : or, comme nous l’avons vu, la première oeuvre avec couvercle fermée est le retable de Deocarus en 1437, qui joue encore la double lecture de la jambe manquante : repliée sur la dalle ou prise dedans. Ici toute ambiguïté est exclue : Tomas de Kolozsvar veut nous faire voir que son Christ est encore pris dans la pierre.


1427 Tomas de Kolozsvar (Kolozsvári Tamás) Triptyque du Calvaire de Garamszentbenedek, Esztergom Kereszteny Muzeum schema

Toute l’oeuvre semble imprégné d’une réflexion sur la vision : les anges montrant les linges, et le Christ en train de se matérialiser au dessus de la dalle nous donnent à voir ce dont les soldats dont incapables, l’un parce qu’il est ébloui par le rayonnement et l’autre parce qu’il dort.


D’où la possibilité d’une oeuvre théorique, illustrant la double nature du Christ :

  • divine et céleste dans sa partie circulaire,
  • humaine et terrestre dans sa partie rectangulaire.

La jambe manquante a pour effet de mettre en exergue la nudité de l’autre jambe, qui est parfois, depuis l’époque gothique, le symbole de l’Humanité du Christ (voir 1 Toucher le pied du Christ : la Vierge à l’Enfant).


1290 The-Resurrected-Christ-Photograph-Wolfgang-Brandis-(C) Kloster-WienhausenRésurrection, 1290, (C) Kloster-Wienhausen, Photo Wolfgang Brandis

En définitive, l’étrangeté de cette nouvelle conception devient toute relative si on la compare, non pas aux représentations picturales de la Résurrection, mais à des groupes sculptés montrant le Christ assis sur un tombeau plein : les conventions de la sculpture justifient le fait que le tombeau ne soit pas évidé, et la jambe manquante ne choque pas : d’autant plus qu’elle concentrait la dévotion des moniales, à l’aplomb de la plaie du flanc et piétinant l’impie, sur le seul pied visible, offert à leurs baisers.

La Résurrection de Tomas de Kolozsvar est ainsi le tout premier témoignage, en peinture, de cette iconographie du Christ unijambiste qui va exploser en Allemagne exactement dix ans plus tard.



Synthèse

DallePermeable_PremissesSchema
Les plus anciens précurseurs de la dalle perméable germanique sont, paradoxalement, méditerranéens :

  • en Italie, l’expérimentation très discrète de Lorenzo Veneziano n’a eu aucune fortune,
  • en Avignon, les essais sont restés cantonnés à un atelier spécialisé dans les Résurrections avec tombe fermée, celui de Jean de Toulouse.

Le cas d’un artiste de cet atelier ayant travaillé pour Cologne permet d’établir un lien fragile avec l’apparition du motif dans cette ville vers 1420, puis de là à Nuremberg une quinzaine d’années plus tard.

Dans l’état actuel du corpus, la version de Tomas de Kolozsvar en Bohême apparaît comme une invention ex nihilo, tout comme l’avait été celle de Veneziano en Italie.



Article suivant : 2 La dalle perméable

Références :

[2] Physiologus latin version Y :

Le troisième jour, on trouvera un grand aigle : et, en s’envolant, il salue le prêtre et se rend à son ancien lieu.

Tertio die inueniet aquilam magnam: Vet evolans, salutat sacerdotem, et vadit in antiquum locum suum.

[3] Tandis que la formule ancienne illustre avec précision des textes évangéliques, la formule nouvelle résulte d’une construction progressive, sans source textuelle claire (un peu comme l’appariton un peu plus tardive de l’iconographie de la Mise au Tombeau, voir 1 Les Mises au Tombeau : quelques points d’iconographie). La question de l’apparition de cette formule nouvelle , au milieu du XIIème siècle à Reichenau [3a], a fait l’objet de nombreux travaux et théories. Pour une synthèse récente , voir Lotem Pinchover « Representations of the Resurrection in the Convents of the Luneburg Heath », Master dissertation, 2012 https://www.academia.edu/38712009/Representations_of_the_Resurrection_in_the_Convents_of_the_Luneburg_Heath_Part1
[3a] Franz Rademacher « Zu den frühesten Darstellungen der Auferstehung Christi » Zeitschrift für Kunstgeschichte , 1965, 28. Bd., H. 3 (1965), pp. 195-224 https://www.jstor.org/stable/pdf/1481590.pdf
[4] Jean Louis Schefer « L’Hostie profanée: Histoire d’une fiction théologique » p 23 et ss https://books.google.fr/books?id=eKmbDwAAQBAJ&pg=PA23
[5] Francesca Manzari, « Harley MS. 2979 and the Books of Hours Produced in Avignon by the Workshop of Jean de Toulouse » Electronic British Library Journal 2011  https://bl.iro.bl.uk/downloads/060e0966-40c1-41ed-ab85-fa9b29d98155?locale=en
Francesca Manzari, « La miniatura ad Avignone al tempo dei papi, 1310-1410 » https://archive.org/details/laminiaturaadavi0000manz/page/220/mode/2up
[7] Zsombor Jekely, « Painting at the Court of Emperor Sigismund: the Nuremberg Connections of the Painter Thomas de Coloswar », Acta historiae artium Volume: 58 Pages: 57-83 2017 https://real.mtak.hu/72067/1/170.2017.58.1.3.pdf

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