– Le symbolisme du perroquet
Le perroquet est un exemple parfait de symbole à deux faces, selon qu’il se situe dans un contexte profane ou dans un contexte sacré. [1]
Face Hide : un sacré gaillard !
Un amateur de vin
Les effets de l’intempérance
Jan Steen, 1663-65, National Gallery
Cette réputation remonde à l’Antiquité :
Il devient insolent quand on lui fait boire du vin . Aristote, Des animaux; Livre 8, chapitre 14, 12
Le vin surtout le met en gaité, Pline, Histoire naturelle, livre X, chapitre 56
De plus, il est allergique à l’eau :
« Il habite les côtes orientales ou indiennes. Il vit sur la montagne Gilboa, en raison de la sécheresse, car il meurt s’il pleut abondamment sur son plumage ». Physiologus
La mort de Vert-Vert, Couder Louis Charles Auguste, vers 1830, Musée de Beauvais | Vert-Vert, Jean-Baptiste Mallet (attr.), 1810-20, collection privée |
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Ces deux images s’inspirent « du « spirituel et malicieux » poème « Vert-Vert » publié en 1734 par l’amiénois Jean-Baptiste Gresset (1709-1777), qui connut un grand succès, depuis sa parution jusqu’au milieu de XIXème siècle. Ce poème raconte l’odyssée d’un talentueux perroquet élevé dans la dévotion par les Visitandines de Nevers ; admiré pour son vocabulaire recherché, il est ainsi envoyé aux Visitandines de Nantes par la Loire. Au cours du voyage, il s’imprègne du langage grossier des bateliers et de certains passagers (moine paillard, filles de joie), qu’il s’empresse d’utiliser devant les sœurs de Nantes ; celles-ci, horrifiées par la verdeur des propos, le renvoient à Nevers, où les sœurs, après l’avoir jugé, le mettent en pénitence au cachot, le condamnant au jeûne, à la solitude et au silence. Enfin revenu à de meilleures manières, le volatile pécheur est alors pardonné, puis si généreusement récompensé qu’il meurt d’une indigestion de dragées, « bourré de sucre et brûlé de liqueur ». » [1a]
Pochard et paillard
« Comme le dit Aristote, il boit volontiers du vin et c’est un oiseau excessivement luxurieux. Ce n’est pas étonnant, puisque dans le vin est la luxure. » Thomas de Cantimpré, De naturis rerum, Livre V (De avibus), CIX |
Ut dicit Aristoteles, vinum libenter bibit, et est avis luxuriosa nimium. Nec mirum, quia vinum libenter bibit, vinum in quo est luxuria. |
« Le perroquet est d’une telle flatterie qu’il veut souvent embrasser une personne qu’il connaît, lorsqu’il est à la maison. Mais si on place devant lui un miroir, comme Narcisse, il se laisse tromper par sa propre image, et tantôt heureux, tantôt triste, simulant les gestes d’un amant, il semble désirer le coït. » Alexandre Neckham, De Naturis Rerum Libro Duo, ed. Thomas Wright, Rolls Series XXXIV (London, 1863), p. 88. |
Psittacus tantae etiam adulationis est, ut hominem osculari sibi notum frequenter velit cum domesticus est. Admoto autem speculo instar Narcissi propria deluditur imagine, et nunc laetanti similis nunc dolenti, gestus amantis praetendens, coitum appetere videtur. |
Le perroquet des Jardins d’Amour
A la fin du Moyen-Age, un graveur germanique très original, Maître ES, met le perroquet au service de l’ironie et du sous-entendu. L’idéal courtois est largement écorné, au profit soit d’un discours moralisateur contre les faiblesses de la chair, soit d’une intention érotique, voire les deux simultanément.
Petit jardin d’Amour
Maître E.S., 1460-67, collection Schedels, Münich
Dans la partie gauche, un couple mature se livre à une étreinte rapprochée. La dame au double hennin, avec son regard entendu vers le spectateur et la bourse qu’elle porte à sa ceinture, est possiblement une prostituée ([2], p 110).
Dans la partie centrale, deux jeunes gens se regardent de loin. Le damoiseau tripote de la main gauche le manche de sa dague ; la demoiselle tient de la même main son perroquet, à la manière d’un faucon : deux attitudes qui parodient trivialement les nobles manières. Entre les deux, la gourde mise à refroidir dans la fontaine évoque l’ivresse des sens à venir. Au dessus, un fou joue de la cornemuse – métaphore en ce temps des parties viriles (voir ZZZ). On peut imaginer que le perroquet est son émissaire à l’oreille de la belle, redoublant par son babil la séduction de la musique.
Dans la partie droite, le couple manquant, que l’on peut reconstituer grâce à une copie, s’abandonnait à une étreinte nettement plus audacieuse (ce pourquoi sans doute il a été coupé) : la dame ne porte pas de coiffe et se laisse retrousser la robe.
La Fontaine de Jouvence
Maître aux Banderoles
Non content de recopier les trois couples, le Maître aux Banderoles a développé l’idée du perroquet superviseur des galanteries. Perché à droite de la fontaine, du côté de ceux qu’elle a revigoré, il les salue en ces termes :
Ô noble et fleurissante jeunesse |
O nobilis floridaque juventus |
Musiciens à la fontaine
Maître E.S., 1460-67
Les deux amoureux communiquent non plus par le regard, mais par le concert de leurs instruments. Juste devant la gourde, le perroquet trempe le bout de son bec dans la fontaine, geste dans lequel Janez Höfler ([2], p 109) voit une allusion à la copulation. C’est plutôt un clin d’oeil humoristique : en attendant de pouvoir accéder au vin, l’oiseau se contente de l’eau, tout comme le couple de la musique.
Un substitut de l’Amoureux
Wenzel von Olmütz, La joueuse de Luth, 1481-1500, British Museum
En l’absence de son amoureux, la musicienne s’entraîne à charmer son oiseau favori : non sans succès, puisqu’il lui amène dans ses griffes un anneau.
Texte en allemand du Sud :
J’ai trop envie de toi, mon cher amour crois-moi |
och mich vrlaget zir dv gros mein libes, lib noch dir das gelavb mr vor vns |
Un luxurieux et un voyeur
Le Fou et la jeune fille au miroir, Maitre ES, 1450-68 | Le Philtre d’Amour (Der Liebeszauber), vers 1480, Meister des Bonner Diptychons , Museum der Bildenden Kuenste, Leipzig |
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Dans la gravure de gauche, le perroquet se combine avec le miroir comme attribut de la Luxure, qui déboutonne de la main gauche le col du Fou, lequel en perd son pantalon [2a]. Son regard vers la femme nue redouble celui du Fou dans le Miroir, introduisant un nouveau vice qui, dans les pays germaniques, vient compléter la panoplie : le voyeurisme.
Dans le tableau de droite, on retrouve la même association entre perroquet, miroir et mateur.
Pour une analyse plus précise de ce tableau, et pour d’autres perroquets dans l’oeuvre du Maître ES, voir Une vieille histoire.
Gravure de Nicolaes van Lijnhoven d’après Andries Both, 1632-1702
Cette gravure fait partie d’une série de paysans dansants, dans des attitudes comiques et plus ou moins obscènes. Ici l’oiseau qui sort sa tête par la braguette est accompagné d’objets au symbolisme équivalent : la plume plantée dans le turban, les saucisses et le couteau suspendu dans son étui. La gravure complète porte en bas les vers suivants :
di que c’est a mon perroquet
de faire entendre son caquet
L’attribut de la Femme fatale
Portrait dit de Marguerite de Navarre, vers 1527, Walker Art Gallery
S’opposant vertement à l’interprétation habituelle du tableau, Anne-Marie Lecoq [3] propose qu’il s’agisse du portrait d’une courtisane :
« Le petit Cupidon bandant son arc sur l’enseigne du chapeau concorde assez bien avec cette interprétation, de même que le perroquet vert, symbole amoureux. Une chose est sûre en tout cas: on ne peut imaginer un seul instant Marguerite de Navarre se faisant portraiturer avec ces attributs, dans ce costume à la fois italien (la résille) et hispano-nordique (le chapeau), et fortement décolleté. Il y a là une impossibilité tenant aux mœurs générales de l’époque (Marguerite était, en 1527, à la fois veuve et reine) et au caractère particulier de la sœur du roi, grave et dévote femme s’il en fut. L’histoire de l’art, et tout particulièrement celle du portrait, exige un minimum de psychologie de la part des historiens. »
Le couple mal assorti
Jan Massys 1566, National Museum, Stockholm
Le vieillard a posé sur la table ses cadeaux – un coupe avec des pièces d’or et une broche – et la courtisane le remercie en l’embrassant. L’entremetteuse est contente et la vieille passante rigole.
Les deux animaux imitent les deux principaux protagonistes :
- à droite, le vieux singe tente de croquer la pomme ;
- à gauche, le perroquet tient entre ses griffes une amande qu’il vient de casser.
Sa griffe gauche tient l’amande comme la main gauche de la fille tient le crâne de sa victime, tandis que l’entremetteuse fait le geste obscène de la figue (voir – Faire la figue).
La Femme au Perroquet, Angelo Jank, 1898
L’iris rubicond du gourmand répond à la pomme tentatrice que lui tend sa maîtresse, nouvelle Eve.
Femme au perroquet, Norman Lindsay, 1917
Ce favori délicat se sustente du bout du bec, tandis que sa maîtresse se satisfait du bout du doigt.
Georg Erler, 1925
Ce bavard surexcité, dont les couleurs et le plumage exubérants font contraste avec le chemisier noir et la demi-nudité de la jeune fille, est par elle remis à sa place.
La Folie, la Vanité
Le fait que le perroquet reproduise à la perfection la voix humaine, mais sans comprendre ce qu’il dit, a pu en faire, très marginalement, une figure de la Folie (un discours insensé) ou de la Vanité (une Merveille, mais qui ne sert à rien).
La série des Avares (SCOOP !)
Les Avares, Ecole de Marinus van Raymerswaele (1548-51) Hampton court
On connaît une soixantaine de variantes de ce thème très populaire au XVIème siècle [3a], dont la chronologie et l’interprétation sont très discutées. Dans un article récent, Larry Silver [3b] a bien souligné les aspects contradictoires de la composition. Les visages sont caricaturaux et les vêtements archaïques, ce qui pousse à une lecture critique de ces professionnels de l’argent. Les différentes inscriptions, parfaitement lisibles, sont en revanche contemporaines de la peinture, et permettent de distinguer deux types de métiers pour l’homme de gauche : ici un changeur (il écrit une série de taux de changes pour les pièces de monnaies, taux correspondant à la plage 1548-51), dans d’autres variantes un collecteur d’impôt (il écrit une liste de taxes, bien réelles, dont il assure la perception). L’homme de droite, avec sa bourse vide, est alors soit un assistant du changeur, soit un contrôleur chargé de vérifier la collecte.
Les lunettes sont typiques de cette ambiguïté, puisqu’on peut y voir tout aussi bien un indice négatif (la courte vue) que positif (l’application, le scrupule).
Quant au perroquet, qui apparaît ici hors de ses contextes habituels, il a été interprété par Sigrid et Lothar Dittrich comme un symbole de la Folie [3c] , ce qui forcerait à adopter la lecture négative de ces manipulateurs d’argent, ruinant la subtilité de la composition [3d].
Les collecteurs d’impôts ,
Quinten Massys, fin des années 1520, Collection du prince de Liechtenstein, Vaduz
Pour Larry Silver, le prototype serait cette composition, qu’il attribue à Quentin Massys. L’atelier de Marinus van Raymerswaele l’aurait recopié une vingtaine d’années plus tard, en accentuant les aspects caricaturaux (comme s’est souvent le cas lorsqu’il recopie Massys) et en remplaçant, de manière énigmatique, les ciseaux par le perroquet.
On peut remarquer que ces ciseaux, avec leurs poignées, s’inscrivent entre deux objets homologues : les lunettes et les deux sceaux qui, sur l’étiquette à l’intérieur de la boîte de poids de Cologne, certifient leur exactitude. Poids, ciseaux et lunettes sont ainsi trois instruments professionnels positifs.
A contrario, on peut remarquer que les ciseaux se situent à l’aplomb d’une boîte à sable posée sur la table (nécessaire d’écriture permettant d’absorber l’encre) et en pendant des ciseaux à moucher, sous la bougie en train de s’éteindre. Sable; bougie qui s’éteint et ciseaux (de la Parque) constituent trois symboles de la Mortalité, auquel on peut sans doute ajouter la porte qui s’entre-baille, laissant entrer un courant d’air fatal pour la bougie.
Jan Proovost, vers 1515, Groeninge Museum, Bruges
Mon interprétation de cette série de tableaux est donc celle d’une Vanité, reprenant de manière allusive le sujet de l’Avare et la Mort, que Jan Proovost avait traité de manière explicite dans deux revers de triptyques (voir La mort recto-verso : diptyques, triptyques). La moralité serait en définitive : « Tiens tes comptes scrupuleusement, car la Mort viendra à son heure ». D’où l’insistance sur la vieillesse caricaturale du changeur/collecteur, et l’index menaçant de son « assistant » à la bourse vide, qui personnifie la Mort et la reddition terminale des comptes.
Dans cette lecture, le perroquet surenchérit assez naturellement sur les ciseaux : perché derrière l’homme et inspectant ce qu’il écrit, il est à la fois un symbole positif (l’application, la reproduction fidèle) et un symbole de Vanité (il ne comprend rien).
Autres exemples
Le festin dans la Maison de Levi (détail)
Véronèse, 1573, Gallerie dell’Accademia , Venise
Cet immense tableau, dont le titre initial était La Cène, donna lieu à un procès devant l’Inquisition à cause des nombreux détails profanes ou triviaux du premier plan, notamment le Fou tenant un perroquet. Véronèse invoqua la liberté de l’artiste de meubler sa composition par de multiples personnages et formes décoratives, à la manière de Michel-Ange dans son Jugement dernier. Finalement, Véronèse dut corriger certains détails et rebaptiser le tableau en Festin dans la Maison de Levi, inscrit en bonne place sur la balustrade.
Nature morte au perroquet
Adriaen van Utrecht, 1636, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
Le perroquet sépare l’atelier de l’Alchimiste et une table couverte d’orfèvreries précieuses, ornées de scènes religieuses (Abraham et Melchisédech) ou mythologiques. L’oiseau symbolise à la fois la Folie de l’Alchimiste et la Vanité des richesses.
Le Banquet de Cléopâtre
Jacob Jordaens, 1653, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (Russie) [4]
« Il y avait deux perles, les plus grosses qui eussent jamais existé, l’une et l’autre propriété de Cléopâtre, dernière reine d’Égypte; elle les avait héritées des rois de l’Orient. Au temps où Antoine se gavait journellement de mets choisis, Cléopâtre, avec le dédain à la fois hautain et provocant d’une courtisane couronnée, dénigrait toute la somptuosité de ces apprêts. Il lui demanda ce qui pouvait être ajouté à la magnificence de sa table ; elle répondit qu’en un seul dîner, elle engloutirait dix millions de sesterces. Antoine était désireux d’apprendre comment, sans croire la chose possible. Ils firent donc un pari. Le lendemain, jour de la décision, elle fit servir à Antoine un dîner, d’ailleurs somptueux –il ne fallait pas que ce jour fût perdu-, mais ordinaire. Antoine se moquait et demandait le compte des dépenses. Ce n’était, assurait-elle, qu’un à-côté ; le dîner coûterait le prix fixé et seule, elle mangerait les dix millions de sesterces. Elle ordonna d’apporter le second service. Suivant ses instructions, les serviteurs ne placèrent devant elle qu’un vase rempli d’un vinaigre dont la violente acidité dissout les perles. Elle portait à ses oreilles des bijoux extraordinaires, un chef-d’œuvre de la nature vraiment unique. Alors qu’Antoine se demandait ce qu’elle allait faire, elle détacha l’une des perles, la plongea dans le liquide et lorsqu’elle fut dissoute, l’avala.» Pline IX 119-121
Marc-Antoine se trouve en situation d’infériorité dans le tableau : face à lui le numide qui apporte le vinaigre, un dignitaire en turban, et un fou qui place son perroquet au dessus de la reine, soulignant son extravagance. Les deux chiens ont également une signification :
- le grand, dont la tête frôle le manche phallique de l’épée , symbolise Marc-Antoine dans son état antérieur : amoureux mais libre ;
- le petit, lové en position foetale dans le giron de la Reine d’Egypte, représente son état suite à son pari perdu : soumis et diminué.
Face Jekyll : un petit Ange !
Une métaphore christique
Le Physiologus et les premiers théologiens chrétiens voient une métaphore christique dans la manière dont on apprend à parler à un perroquet. En effet, on place le perroquet devant un miroir, qu’il regarde, tandis que par derrière un homme lui parle. De même le Christ, bien qu’il soit le fils de Dieu, a pris forme humaine pour enseigner à l’homme la langue de Dieu :
« L’homme qui veut apprendre à parler à un oiseau
Se cache derrière un miroir, quand il enseigne.
Si l’oiseau se tourne vers la parole,
il voit sa propre image
et pense que c’est un ami qui lui parle…
Ainsi le Christ s’est transformé en un Etranger pour enseigner :
c’est à travers l’Homme qu’il a parlé à l’Homme. »(Hymne d’Ephrem le Syriaque).
Un oiseau oriental et paradisiaque
Les Indes, Mappa Mundi d’Ebstorf, vers 1300 (détail)
Pline précise bien que le perroquet vient des Indes. Soit à proximité du Paradis terrestre dans les cartes médiévales.
L’apparition de la Vierge à Saint Jean l’Evangéliste | L’enlèvement de sainte Marie Madeleine par des Nages |
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Maître ES, 1460-70
Maître ES multiplie les perroquets, aussi bien dans un contexte profane que dans un contexte sacré, où ils prennent une acception contraire à celle des Jardins d’Amour : ici le trio de perroquets accompagne les deux saints dans leur expérience mystique, et contribue à sacraliser le paysage. De même, on voit sept perroquets dans la gravure représentant la stigmatisation de Saint François.
La Chute de l’homme
Maître ES, 1460-70
Nous sommes après la Chute, comme le montre la pomme tombée au sol. Dans une sorte d’anticipation du Déluge, un fleuve coupe désormais le Paradis en deux, et les êtres se regroupent par couples :
- du côté des humains, des prédateurs : lion et lionne, deux faucons sur le rocher ;
- du côté de Dieu, des couples d‘oiseaux pacifiques : faisans, perroquets, canards (l’un plongé à l’envers dans l’eau).
Plantés telles des sentinelles à la frontière du monde divin, les perroquets apparaissent ici comme les antithèses de leur prédateur, le serpent grimpé dans l’arbre, trois plumes hérissées sur sa tête. Dürer se souviendra de ce détail, ainsi que de l‘antagonisme entre perroquet et serpent, dans sa propre gravure sur le même thème (voir 3 La Chute de l’Homme.).
Adam and Eve, 1628-29, Rubens, Prado
En recopiant la Chute de Titien, Rubens rajoutera un perroquet rouge derrière Adam, le bec dressé contre l’enfant à queue de serpent. Il sert ici d’antithèse domestique au renard sauvage qui, aux pieds d’Eve, symbolise la fourberie du démon.
La Sobriété
Sobriété et gloutonnerie, 1295, Somme le Roi, Bibl. Mazarine, MS 870 (IRHT)
La Sobriété porte en triomphe le Perroquet et foule aux pieds l’Ours glouton, lequel regarde tristement en direction du banquet tandis que l’oiseau modèle n’a d’oeil que pour sa maîtresse. La source de l’image est très certainement les Amours d’Ovide, un texte dont il existe de nombreux manuscrits médiévaux. Le poète y fait le panégyrique du perroquet mort de Corinne :
« La moindre nourriture te rassasiait, et tu aimais trop à babiller pour aspirer sans cesse après des aliments. Une noix faisait ton repas ; quelques pavots t’invitaient au sommeil ; quelques gouttes d’eau étanchaient ta soif. « Ovide, Amores 2,6
La Pureté
On disait que la femelle perroquet fait son nid en direction de l’Orient, où il ne pleut pas, et ne peut donc pas être souillée par la boue.[5]
D’où sans doute la comparaison de Conrad de Wurtsbourg (mort en 1287) dans un poème à Marie :
« Ainsi que cet oiseau, sans jamais s’exposer ni à la pluie ni à la rosée, resplendit dans sa parure comparable à l’herbe fraîche , ainsi Notre – Dame a toujours conservé sa fraîcheur virginale » , Conrad de Wurtsbourg, Goldenen Schmiede
La Madone au Chanoine Van der Paele (détail)
Van Eyck, 1434-36, Groeningemuseum, Bruges
C’est cette symbolique qui, pour la plupart des historiens d’art, explique la présence du perroquet au beau milieu de ce très célèbre tableau [6].
Liber precum, Anglais, 1415-40, BNF Latin 1196 fol 113v
Ici c’est en tant que messager extraordinaire qu’il figure dans la marge. Sa banderole adresse à la Vierge les mots « memento finis », rapelle-toi de la Fin, qu’il faut comprendre ici comme une avertissement à Marie de la fin tragique de son Fils : le geste de toucher le pied de l’Enfant, à l’endroit de sa future blessure, est une autre manière classique de signifier la Prémonition de la Passion (pour d’autres exemples, voir La Sainte Famille de Nuit).
En pendant du perroquet, la colombe ne peut pas ici évoquer l’Esprit Saint, en raison de sa couleur grise.
Il faut se reporter aux banderoles, aux deux bouts de la verdure, pour comprendre que ce pigeon gris porte un autre message tragique, cette fois destiné au lecteur :
Souvenez-vous du « Deum time » (Crains Dieu) |
remembrez deum time |
Juste à côté, le singe mirant un urinal et la coccinelle menacée par un oiseau sont, sous l’apparence de drôleries anodines, des allusions à la Maladie et à la Mort.
Deux variations sur la Pureté
Le perroquet rouge de Carpaccio
Le perroquet rouge apparaît dans trois cycles très différents – la Vie de la Vierge, la vie de Saint Georges et la vie de Saint Etienne – et dans des épisodes très différents : il est donc impossible qu’il ait une valeur symbolique unique.
On remarque en revanche des similitudes formelles fortes :
- il est placé au premier plan ;
- il est apparié avec un quadrupède rapide (lapin ou lévrier).
Les deux dernières occurrences fonctionnent par autocitation :
- présence en bas d’un escalier ;
- fleur dans le bec de l’oiseau (dans le cas de Saint Etienne, un enfant tend aussi une fleur sous le museau du chien).
Comme le remarque Herbert Friedmann [8], le perroquet rouge est une pure invention de Carpaccio : les Lori unicolores n’ont été découverts que deux siècles plus tard. Pour en trouver la source, il faut remonter à sa toute première apparition, quinze ans auparavant, dans l’oeuvre de Carpaccio.
Méditation sur la Passion, Carpaccio, vers 1490, MET
Dans cette composition extrêmement originale :
- à droite Job prend la parole (comme le montre son index tendu), croisant les jambes au dessus d’un crâne ;
- à gauche Saint Jérôme reçoit sa parole (main sur le coeur) au dessous de deux livres : le Livre de Job (avec les nombreux signets) et son propre Commentaire sur Job ; on notera deux inventions bizarres, le chapelet de vertèbres et le pommeau de la canne en forme de main ;
- au centre le Christ descendu de la croix est assis sur un trône en ruine (Israël).
A ce tableau sans titre, on a donné le nom de « Méditation sur la Passion« , car le Livre de Job, comme le démontre notamment Saint Jérôme dans son Commentaire, est en bien des points une anticipation de celle-ci.
Dans la littérature surabondante sur ce tableau très intellectuel, le perroquet rouge n’a guère été commenté. On aurait dû remarquer sa symétrie avec le lion, attribut de Saint Jérôme. La composition nous indique clairement que le perroquet rouge doit être compris comme l’attribut, inventé ad hoc, de « Saint Job » (la sanctification de San Giobbe est un particularisme vénitien). Inutile de chercher ailleurs un équivalent : les représentations de Saint Job sont rarissimes.
Le lion, blessé par une épine, puis guéri par saint Jérôme, est souvent compris comme une métaphore de celui-ci, sauvé par ses mortifications au désert. Le perroquet rouge doit donc être une métaphore de Job, purifié par ses souffrances.
Une autre symétrie vient alors à notre aide : opposé en diagonale au perroquet rouge, on trouve un autre oiseau au symbolisme très connu : le chardonneret, qui doit sa tâche rouge au fait de s’être posé sur la couronne d’épines, en la prenant pour un chardon.
Le perroquet rouge est en fait un perroquet rougi, à la fois par les souffrances de Job et par celles du Christ (il est posé entre la plaie à la main et la couronne d’épines).
Ainsi trois compagnons saignants (le lion blessé, le chardonneret tâché et le perroquet rougi) accompagnent discrètement trois hommes qui chacun ont vécu leur Passion [9].
D’où le fait qu’il n’y a pas de dichotomie, comme on l’a prétendu, entre un arrière-plan dramatique côté Saint Jérôme et un arrière-plan pacifié côté Saint Job : mais deux moments d’une même Passion : le cerf poursuivi par un léopard, puis rattrapé parce que son chemin est bloqué par un loup. [10]
La logique suivie par Carpaccio devait être assez transparente pour ses contemporains :
- à l’époque, tous les perroquets sont verts, et symbolisent la Pureté de Marie et/ou le Renouveau ;
- le perroquet rougi symbolise la purification et la rénovation par le Sang.
Cette invention ayant dû être remarquée, Carpaccio l’a reprise ensuite de loin en loin, hors de son contexte initial, en clin d’oeil aux amateurs.
Un symbolisme cumulatif
Suzanne et les vieillards, copie d’après Rubens, vers 1624, Nationalmuseum, Stockholm
Cette copie d’après un tableau perdu de Rubens propose une lecture amusante à plusieurs niveaux. On voit rapidement que les trois statues renvoient aux trois protagonistes : les deux faunes aux deux vieillards lubriques, l’amour nu avec son urne abondante à Suzanne. Le perroquet surnuméraire s’exclut de ce jeu d’écho (il a probablement été rajouté par une main facétieuse, puisqu’il ne figure ni dans le dessin préparatoire ni dans la gravure de Paulus Pontius de 1624).
En première lecture, il se pose comme l’emblème chatoyant de la Chasteté de Suzanne ou tout aussi bien comme celui de la Luxure des vieillards. En deuxième lecture, sa position sur la margelle et son plumage ébouriffé évoquent plaisamment sa Propreté, ou tout aussi bien sa phobie aquatique. Enfin, dans une troisième lecture, son œil intéressé ajoute une touche aviaire au thème principal du tableau, le voyeurisme, celui des vieillards comme celui des spectateurs.
Suzanne et les vieillards
Jacob Jordaens, 3e quart 17e siècle, Lille, Palais des Beaux-Arts.
Cette irruption du perroquet dans le thème n’est pas tout à fait unique : Jordaens affuble également Suzanne de ce symbole ambivalent, en pendant au paon de la coquetterie et du chien qui défend mollement sa maîtresse.
Autres significations classiques
Le salut à l’Empereur
« Il salue les empereurs, et prononce les paroles qu’on lui a apprises » Pline
Charlemagne et le perroquet
Der Naturen Bloeme, vers 1287, Lippische Landesbibliothek, Ms. 70 fol 74r
« Alors que Charlemagne errait dans les déserts de Grèce, il fut accueilli par des perroquets qui le saluèrent comme en langue grecque en criant : « Bonjour, empereur ! ». Conclusion qui peut être considérée prophétique, puisque à cette époque Charles n’était que roi des Gaules, et ne devint empereur des Romains que plus tard. » Thomas de Cantimpré, De naturis rerum, Livre V (De avibus), CIX [10a]
Tribut à César
Andrea del Sarto,1519-21, Villa Medicis, Rome
Il est possible que le perroquet, en bonne place dans cette composition, soit une allusion savante à cette ancienne légende de la salutation impériale, tout en ajoutant sa touche colorée aux cadeaux exotiques reçus par César (dindon d’Amérique, singes, girafe des Médicis à l’arrière-plan).
Le Salut à la Vierge
« Il a une grande langue , plus large que celle des autres oiseaux . De là vient qu’il prononce des mots articulés , au point que , si on ne le voyait pas , on croirait entendre parler un homme. Il salue naturellement en disant « Haue » ou « Khaire » » Isidore de Séville
C’est sans doute parce que le cri du perroquet évoque le mot grec pour « Salut ! » que Pline, puis Isidore de Séville, ont compris qu’il disait Ave.
Defensorium inviolatae virginitatis Mariae, Franciscus de Retza, 1485-90, imprimé par Hurus, Saragosse
Si un perroquet peut dire ave par nature, pourquoi une vierge pure ne peut enfanter par l’ave ? Isidore de Séville, Etymologies, Chap 7 |
Psitacus a natura, si ave dicere valet, qoare virgo pura per ave non generaratet |
Pour la plupart des auteurs de traités zoologiques du Moyen Age, c’est parce que le perroquet était capable de prononcer le mot AVE qu’on le considérait comme le prophète de l’Annonciation : puisque l’Ave Maria avait déclenché la conception miraculeuse de la Vierge, il était logique que cette scène-culte de la parole performative soit associée à notre spécialiste du Langage.
Annonciation, Heures (Bruges), 1425-59 ,BM Boulogne sur Mer, MS 0089 fol 36, IRHT
Cette miniature cumule les exceptions : Annonciation inversée (l’Ange à droite) et présence très intrusive de la donatrice, qui correspond probablement à un souhait personnel de maternité (voir 7-4 Le cas des Annonciations inversées).
Motif assez fréquent dans les bordures ornementales, le perroquet est ici convoqué en tant qu’alter-ego de l’Ange, juste en dessous du mot AVE.
Annonciation, Anonyme (provenant de Lucques), vers 1500, Bode Museum, Berlin
Pour souligner son statut de messager, le perroquet est perché au dessus de l’Ange, et un livre dans un étui bleu est suspendu à son perchoir.
L’Eloquence
Cicero, De imperio Cn. Pompei ,vers 1450, BNF Latin 7782 fol 1r
Ce n’est pas par hasard que deux perroquets verts encadrent le frontispice de ce traité de Cicéron.
Portrait de Francois Ier en saint Jean-Baptiste
Jean Clouet 1518 Photo (C) RMN photo Rent-Gabriel Ojeda
Le roi tend l’index vers l’Agneau, dans le geste classique de Saint Jean Baptiste annonçant la venue du Christ (voir 1 L’index tendu : prémisses). Le parallèle avec Saint Jean Baptiste s’explique par plusieurs circonstances, politiques et biographiques (François I étant né d’un couple dont on redoutait la stérilité).
La présence du perroquet est en revanche plus controversée. Anne-Marie Lecoq [11] réfute l’idée qu’il saluerait le roi en tant qu’empereur (celui-ci étant l’ennemi des rois de France). Le plus probable est qu’il fait allusion à l’« éloquence cicéronienne » que chacun reconnaissait au jeune roi.
Un argument supplémentaire est que le perroquet se substitue au compagnon aviaire de Saint Jean Baptiste, la colombe : l’éloquence du monarque ne craint pas de se comparer à celle qu’insuffle directement l’Esprit Saint.
Ripa, Icologia, édition de 1603, p 127.JPG
A partir de Ripa, l’oiseau devient le symbole officiel de l’Eloquence, représentée par une jeune fille avec une cage ouverte, et un perroquet posé dessus : « parce que l’éloquence ne connait pas de limite, son but étant de savoir parler de manière probable sur n’importe quel sujet »
Article Perroquet,Hieroglyphiques de Jean-Pierre Valerian, 1615 [12]
L’oiseau met ici sa liberté de parole au service de la propagande.
Quel bec d’or ! (Que pico de oro)
Goya, 1799, Caprices No 53
Il s’agit ici de fustiger « les orateurs qui se copient avec des auditoires d’idiots » [12a].
La Docilité
Aux XVIIème et XVIIème siècles, le perroquet introduit sa touche colorée dans d’innombrables portraits, d’enfants, de couples, ou de la famille tout entière. Il forme très souvent un heureux contraste avec l’autre favori obligé, le petit chien : plume contre poil, exotisme contre domesticité, hiératisme contre dynamisme. Voir Le perroquet et le chien
En particulier, dans les portraits de jeunes enfants, il fait souvent allusion à l‘éducation idéale, à savoir l’imitation obéissante :
Quand on lui apprend à parler, on lui frappe le bec avec une baguette de fer; autrement il ne sent pas les coups. Pline, Histoire naturelle, livre X, chapitre 56
Ripa en fait un emblème de la Docilité :
Elle porte sur sa tête, avec une belle grâce, un Tarochino (espèce de perroquet) ou une Pie, car ces oiseaux sont très dociles dans l’imitation des mots et de la voix humaine ; Tarochino dont Monsìgnor della Casa dit : « Joli petit oiseau aux plumes vertes, Quel pèlerin, qui apprend notre langue ». Ripa, Iconologia, 1618 [12b]
Frontispice du poème Les Armes de la Vierge (Maeghde Wapen)
Jacob Cats, édition de 1642 de Houwelick (Le mariage)
Au centre la tulipe assaillie par les abeilles illustre ce qui menace les jeunes Vierges. A gauche la Docilité (leersucht) a pour emblèmes un perroquet et un chien qui fait le beau, à droite la Simplicité (eenvoudicheyt) arbore quant à elle un pigeon et un agneau [12c]. A noter que le perroquet, cette fois en cage, apparaît dans un autre emblème de Cats avec un sens différent : celui du captif heureux de son sort [12d].
Portrait d’un garçon avec un club de kolf et une balle
1628, Jan Anthonisz van Ravesteyn (attr), Collection privée
Ce portrait amusant joue sur les motifs en noir et blanc qui harmonisent le damier du manche, les pointillés de la balle, le pelage et le collier du chien, avec la robe et le bracelet du garçon. On devine sur la chaise deux baguettes de tambour, et derrière la crinière d’un cheval de bois.
En mettant strictement en parallèle, d’un côté l’enfant, de l’autre les deux animaux plantés aux deux extrémités d’une même verticale, la composition nous livre une vérité d’évidence :
le perroquet est du côté du manche, le chien est du côté de la balle.
Si le chien représente l’enfance brute, terre à terre, toute en pattes et en énergie, le perroquet sans membres visibles – grosse tête et corps atrophié surplombant les opérations – figure l’enfant bien élevé, qui a appris à parler, sait se tenir et mène son jeu :
le couple du perroquet et du chien fonctionne comme la tête et les jambes.
Princesse inconnue avec un perroquet
Cercle de Frans Pourbus le Jeune, 1620, Collection privée [13]
Le tableau joue sur le mimétisme, en orange et vert, entre les tissus rutilants et le plumage de cet Amazone à tête jaune, une espèce renommée comme un des plus douées pour apprendre à parler. Outre son caractère d’objet d’importation luxueux, le perroquet a donc peut-être ici une valeur d’exemple, ou de récompense, pour une princesse incitée à être aussi docile que lui.
Le Toucher
Tactus, Gravure de Cornelis Cort d’après Frans Floris I, 1561
Dans la seconde moitié du XVIème siècle, la popularité du perroquet en Hollande lui vaut de s’intégrer dans les séries des Cinq Sens comme représentant le Toucher, s’ajoutant ainsi aux autres animaux emblématiques de ce sens, l’araignée, la tortue ou l’escargot (non présent ici).
Il se semble pas que cette promotion lui vienne de sa manière très humaine de manger en portant une griffe à son bec, mais plutôt de la précision de celui-ci : l’oiseau est représenté becquetant sans la blesser les doigts de sa maîtresse, dans une sorte d’ennoblissement du moineau de Lesbie chanté par Catulle [13b].
Allégorie des sens, le Toucher : Recueil de figures de la Bible de Jean Mès
Martin de Vos, vers 1590-1591
Un nouvel animal s’ajoute à la thématique :
Si on le touche, le scorpion irrité blesse avec sa queue |
Scorpius irata tactus dat vulnera cauda |
Le Toucher, série des Cinq sens, Crispin de Passe, 1590-1615, Victoria and Albert Museum
Après le toucher vient l’acte |
Post tactum factum |
Et maintenant, gros Jorglein, qu’est-ce qu’il y a, comment mors-tu mon petit oiseau ? Mon doigt sait probablement mieux lequel a mordu l’autre |
Wie nun , plumps lorglin , was sols sein , wie beiẞt du so das vöglin mein ? Mein finger solchs wohl besser wissen , Wer ein den andern hab gebissen |
Tout en reprenant les codes de l’Allégorie du Toucher, la légende développe un sous-entendu grivois, qui à trait à l’acte (sexuel) et à la déconfiture du « doigt » du garçon.
Loin de la Hollande, Ripa remplace le perroquet, le bec et le doigt par un emblème moins exotique et plus noble : le faucon, les griffes et le bras :
Le toucher : une femme avec le bras gauche nu, sur lequel se tient un faucon, qui la serre avec ses griffes ; et par terre on fera une tortue. Ripa, Icologia, édition de 1593
Cette formule aseptisée et peu réaliste (quelle fauconnière oublierait son gant) n’aura guère de succès, et le perroquet perdurera.
Abraham Janssens II, Le Jeune, 1630-40, collection particulière | Gravure anonyme, Rijksmuseum |
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Allégorie du Toucher
Allégorie des Cinq Sens (détail), Gérard de Lairesse, 1668, Glasgow Museum | Attribué à Otto_van_Veen, coll part |
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Le Toucher
Sur le tableau de Gérard de Lairesse, voir Les pendants complexes de Gérard de Lairesse.
Quelques cas particuliers
Un pape gaulois
Portrait de Charles de Guise, cardinal de Lorraine, archevêque de Reims
Greco, vers 1572, Kunsthaus Zurich
« A cette date, Le Greco ne parvient pas à s’imposer sur un marché romain déjà encombré, si bien qu’il a pu accepter de se plier aux exigences d’un commanditaire prestigieux et ayant peut-être un avenir romain… commanditaire qui a pu vouloir un portrait à la vénitienne réalisé à Rome pour se présenter en papabile. Cette prétention est en effet affichée de façon fort explicite par la présence d’un perroquet dont le profil apparaît parallèle à celui du cardinal. Symbole d’éloquence, domaine dans lequel le cardinal de Lorraine excellait, le perroquet est en italien pappagallo, ce qui peut aussi bien signifier pape gaulois.« [14]
Cette lecture est d’autant plus probable que, dans une copie gravée réalisée à Reims après la mort du cardinal, le perroquet-calembour, devenu obsolète, est remplacé par un crucifix.
La reverdie
Recueil Robertet, 1490-1520, BNF Français 24461 fol 110r
Tout comme la couronne de fleurs, le perroquet est pris ici comme attribut de cette personnification de la couleur Verte, et associé à la Joie :
Le jolis moys de may,
Tant doulx, frisque et joyeulx,
Mignon et gay,
Vert come ung papegay,
Amoureux, gracieux.
Chanson populaire parisienne, vers 1515 [1]
Le mois de Mai était celui des concours d’archerie, dont la cible était un « papegai » en bois peint en vert, fixé en haut d’une tour, d’un arbre, d’un mât ou d’une aile de moulin [14a].
Le perroquet en vient à illustrer la thématique de la reverdie, le retour du Printemps, dans l’iconographie très particulière du Miroir d’Armide :
Dominiquin, 1600-25, Louvre (c) RMN photo Martine Beck-Coppola | Carrache, 1601, Musée de Capodimonte |
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Renaud présentant un miroir à Armide,
Il faut se reporter au texte pour comprendre la présence du perroquet, à la fois orateur et chantre du printemps :
« Parmi ces chantres ailés, il en est un dont le plumage est varié de mille couleurs : son bec à l’éclat de la pourpre; sa langue forme des sons qui ressemblent aux nôtres: il commence à chanter, tous se taisent pour l’entendre et les vents, dans les airs, retiennent leurs haleines.
« …ainsi un seul jour voit flétrir la fleur de notre vie : le printemps vient ranimer la nature, mais notre jeunesse fuit pour ne revenir jamais. Cueillons la rose dès le matin, le soir elle sera fanée. » Renaud et Armide [15]
Sur le thème du Miroir d’Armide, voir 2 Le Bouclier-Miroir : scènes modernes .
L’Ingéniosité
Allégorie de la Technologie, Pietro Paolini, collection particulière
C’est son habileté à broyer les coques et la force de son bec qui valent au perroquet cette comparaison avec un armurier.
Embleme 79 fol 593.
Diego de Saavedra Fajardo, Idea de un principe politico christiano, Munich 1640, (c) Biblioteca Nacional de Espana [16]
Les conseils s’éludent par les conseils |
Consilia consiliis frustrantu |
Le perroquet fait son nid suffisamment haut pour que ses oeufs échappent au serpent, et même le piègent. Cette légende est inventée en 1640, dans un livre de conseils politiques qui sera traduit dans toute l’Europe :
« Cardano raconte que parmi les oiseaux, il surpasse tous en ingéniosité et en sagacité, et qu’il apprend non seulement à parler, mais aussi à méditer, avec un désir de gloire. Cet oiseau est très franc, une qualité d’une grande ingéniosité. Mais sa franchise n’est pas exposée aux tromperies, et il sait les prévenir à temps. Et, bien que le serpent soit si rusé et si prudent, il se moque de ses arts, et pour en défendre son nid, il le sculpte avec une admirable sagacité, en attendant les branches les plus hautes et les plus fines d’un arbre, sous la forme montrée dans cette Compagnie, pour que lorsque le serpent essaie de les traverser pour massacrer ses enfants, il tombe sous son propre poids. Il est donc commode de frustrer l’art par l’art et le conseil par le conseil. En ce que le roi Ferdinand le Catholique était le grand maître des princes, comme il le montrait dans tous ses conseils… »
L’idée est trop tardive pour justifier les nombreux perroquets qui apparaissent souvent, à partir du XVIème siècle, dans les images du Paradis et de la Chute.
Joseph Zoller, Mira satis ac sine omni peccato Mariae sanctissima conceptio 1712 p 33 [17]
Le serpent trompé |
Fallitur anguis |
Au siècle suivant, l’emblème est repris, plus chrétiennement, dans une apologie de Marie qui « sait mieux que le perroquet accabler le serpent malfaisant ».
Un intrus
Le Baptême du Christ
Bellini,1500-02 Santa Corona, Vicenza
On a prétendu, sans aucune autre justification que la couleur rouge, que le perroquet symbolise ici la Passion [18].
Simona Ciofetta [19] rappelle la vieille histoire de l’Ave et exhibe un texte de Bernardino da Novara dans lequel des perroquets de couleur verte saluent le Christ cheminant avec sa mère. Elle ne s’étonne pas que le perroquet, qui n’est pas vert, n’apparaisse que dans la toile de Bellini, et dans aucune des nombreuses répliques qu’elle a suscitées à l’époque.
Le naturaliste Francesco Mezzalira [20] identifie ce perroquet comme étant un Lorius domicella parfaitement représenté, et souligne la rareté de cet animal, qui n’aurait pu être ramené à l’époque que par les premiers marins portugais explorant l’Indonésie. Selon lui, le perroquet pourrait symboliser ici la pureté du Christ, ou bien l’éloquence de Saint Jean Baptiste (la voix de celui qui crie dans le désert) ou encore le salut au nouvel Empereur.
En fait, l’aire de répartition de cette espèce est très étroite, quelques îles des Moluques que les portugais n’atteindront qu’en 1511. Ceci n’exclut pas un commerce antérieur (les clous de girofle, connus depuis les Romains, venaient exclusivement des Moluques) mais souligne l’extraordinaire rareté d’un tel spécimen.
Francesca Marini [21], remarquant que l’oiseau a été rajouté par dessus les couches picturales de Bellini, ne craint pas de l’attribuer à la fantaisie d’un restaurateur (tout le haut du tableau a été entièrement refait au XIXème siècle).
Cas d’application : le perroquet chez Marteen Van Heemskerck
Saint Luc Peignant la Vierge
Marteen Van Heemskerck, vers 1545, musée des Beaux Arts, Rennes
Dans cette composition très complexe, le perroquet a été diversement interprété :
- virginité de Marie et victoire sur le Péché Originel (E. K. J. Reznicek, [22]) ;
- virginité de Marie ; la noix représente la Passion (fruit amer) ( R Grosshans, [23]) ;
- Annonciation (AVE) : la noix représente le Crucifixion (bois et chair) [24] ;
Le problème est que la métaphore de Van Heemskerck est totalement originale : l’Enfant Jésus donne au perroquet des noix qu’il casse avec son bec, tour de force dont l’oiseau est en effet capable.
Je pense que ce geste disqualifie toutes les interprétations de type médiéval reliant l’oiseau à Marie : on voit mal la Virginité cassant une noix, d’autant plus que cette dernière constitue elle-aussi un symbole de la Virginité. Je vais résumer et prolonger l’interprétation d’Irving Lavin [25], pour qui le perroquet symbolise ici la Rhétorique ou l’Eloquence, la signification moderne que lui donneront les iconographes du XVIIème (Ripa, Van Mander).
Ancien Palazzo del Valle Heemskerck, Berlin Kupferstichkabinett |
Bocca delle Verita, Santa Maria in Cosmedin |
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La gueule grotesque sur le sol semble à la fois s’inspirer d’une dalle antique qui était insérée dans la cour du Palazzo del Valle,et d’une autre plaque antique, la Bocca delle Verita : cette curiosité romaine était sensée mordre la main des menteurs. La difformité de la figure imaginée par Heemskerck, une oreille dedans et une oreille dehors, en fait une figure négative : logiquement, elle devrait symboliser le mensonge, les mauvaises paroles. Peut être faut-il comprendre, à sa moue, qu’elle déplore la véracité du pinceau de l’Evangéliste.
Tout l’arrière-plan du tableau s’inspire d’un autre haut lieu romain, la collection d’antiques de la cour du Palazzo Sassi, que Heemskerck avait dessiné lors de son séjour à Rome. Irving Lavin, qui a retrouvé le nom des statues telles qu’on les connaissait du temps d’Heemskerck, note avec raison un effet d’écho (en jaune) :
- Rome et Jupiter renvoient à Marie et Jésus ;
- le sculpteur (qui évoque Michel-Ange) renvoie au peintre Saint Luc.
Le livre vierge du premier plan à gauche, sur lequel le taureau de Saint Luc pose sa patte, est l’Evangile qu’il écrira après la mort du Christ ; tandis que les livres de médecine, dans la niche renvoient à son métier de médecin ; et le tableau en cours à son troisième talent : celui de peintre (en vert).
Je rajouterai pour ma part que les trois autres statues (en bleu), emblèmes de la maîtrise antique du nu, renvoient au livre d’anatomie du premier plan, emblème des connaissances modernes sur le Corps :
Alors que les Anciens montraient le corps sous toutes ses faces, les Modernes ont réussi à décrire son intérieur.
Le détail de l’urinal renversé par la patte du taureau est un morceau de bravoure montrant la virtuosité du peintre.
Ainsi Heemskerck met ici au point une structure très originale, où l’arrière-plan antique du tableau fait écho au premier-plan chrétien (pour un autre exemple d’un tel « pendant interne », voir Un pendant très particulier : les Fileuses).
Le perroquet, qui croque les noix opaques et dévoile leur vérité, apparaît comme l’homologue moderne de l’antique Bocca della Verita, qui croque les mains des menteurs.
… le point ultime de l’allégorie de Heemskerck, s’incarne dans le perroquet que l’enfant Jésus présente au spectateur, symbole standard de la Rhétorique. Par là, il définit le tableau comme l’équivalent visuel du sermon idéal envisagé par Erasme et les défenseurs humanistes d’une rhétorique chrétienne, qui combinerait l’apprentissage de l’antiquité avec la simplicité expressive, divinement inspirée, de la Bible. » Irving Lavin [25]
Apollon et les muses
Marteen Van Heemskerck, 1555-60, New Orleans Museum of Art
On a pensé que l’organiste était Polymnie, la muse de l’Eloquence, et que le perroquet perché sur l’orgue symbolisait cet art.
Sa position ,entre les tuyaux de l’orgue et ceux de la flûte de Pan, pourrait aussi vouloir dire que l’orgue imite la flûte (la musique savante imite la nature).
Il est également possible que cette proximité avec les tuyaux s’explique par une référence à Martianus Capella, poète latin auteur de Noces de Philologie et de Mercure, très obscure encyclopédie dont le Livre IX, l’Harmonie, présente l’art de la Musique. On y lit que « les oiseaux sont attirés par les tuyaux en roseau » [26].
Le fils prodigue, Marteen Van Heemskerck, Collection privée
Dans cette oeuvre récemment retrouvée, le perroquet répond aux deux mêmes allusions :
- attirance par le tuyau,
- imitation de la flûtiste qui le surplombe.
Pour des détails intéressants sur l’acidité du vinaigre à l’époque romaine :
Maria Teresa Schettino, La boisson des dieux. À propos du banquet de Cléopâtre, dans Dialogues d’histoire ancienne, Année 2006, Volume 32, Numéro 2, pp. 59-73
http://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_2006_num_32_2_3015
Voir Élisabeth Mornet « Le chanoine, la Vierge et la réforme. Hypothèses de lecture du tableau de Jan Van Eyck, La Vierge au chanoine van der Paele » dans « RELIGION ET MENTALITÉS AU MOYEN ÂGE » p 409-18 https://books.openedition.org/pur/19844?lang=fr
Voir Atara Moscovich. « A Leopard or a Panther? The Pairs of the Stag and the Predator in Vittore Carpaccio’s ‘Meditation on the Passion’. » Review of European Studies vol. 11 (November 22, 2019) https://ccsenet.org/journal/index.php/res/article/view/0/41350
https://www.academia.edu/7363365/_David_s_Sling_and_Michelangelo_s_Bow_a_Sign_of_Freedom_
Bonjour,
J’ai beaucoup apprécié votre blog. Merci de partager vos connaissances !
Je possède un portrait de jeune fille de peintre et d’origine inconnus, mais sans doute d’origine française. Il a peut-être été peint au XVIIIè siècle. La jeune fille âgée de 12-15 ans est habillée comme une dame et tient un perroquet dans la main gauche tout en tenant une patte d’un chien de l’autre main. Le chien la regarde mais les yeux de la jeune fille sont dirigés vers le spectateur.
Que vous suggère le double symbolisme représenté par la présence de ces deux animaux dans le même tableau ? La fidélité ? Si vous m’écrivez je peux vous envoyer une photo du tableau.
Merci d’avance pour les pistes à explorer.
[…] Pour aller plus loin, je vous conseille l’excellent site Artifex in opere qui explore la symbolique du perroquet à travers l’analyse de nombreux tableaux : Le perroquet, sur Artifex in opere. […]
Pour une référence littéraire complémentaire, il est présent dans la nouvelle Un Cœur Simple de G Flaubert. Eloquence et mysticisme religieux se rejoignent alors…. Bonne lecture