– La chaleur de Joseph
Dans la plupart des Nativités, Joseph ne fait pas grand chose : il s’agenouille devant l’Enfant Jésus ou bien, fatigué, il se repose sur son bâton.
On examine ici une iconographie bien plus rare : celui des Nativités dans lesquelles, d’une manière ou d’une autre, Joseph s’occupe du feu. [1]
Eclairer
L’iconographie de loin la plus fréquente est celle où Joseph tient précautionneusement une bougie allumée, symbole compréhensible par tous de la petite vie qu’il est chargé de protéger.
De manière plus savante, ce motif tire son origine de la Vision de Sainte Brigitte de Suède (1372), selon laquelle, au moment de la Nativité « le rayonnement divin… annihila totalement la lumière naturelle » . Pour une oeuvre dans lequel le thème des trois lumières (surnaturelle, humaine, naturelle est particulièrement développé, voir Fils de Vierge et Pierres de Feu.
Nativité (détail), Campin, Dijon, Musée des Beaux Arts
Faire chauffer la soupe
Nativité, Meister Bertram, 1385, retable de Grabow, église St. Peter, Hambourg
Joseph est celui qui s’occupe des subsistances : il porte une gourde, fait chauffer à ses pieds une marmite dans un brasero circulaire, et n’a pas oublié de nourrir l’âne et le boeuf : il leur a bricolé, juste à côté, une mangeoire elle-aussi circulaire.
Nativité, Conrad_von_Soest,1403, Niederwildungen Altarpiece, église de Bad Wildungen
Ici, le Père nourricier est entièrement concentré sur sa cuisine.
Nativité, Livre d’heures a l’usage de Rome, entre 1409 et 1419,Paris, BNF, Mss, NAL 3055, f. 89v
Une sage-femme baigne l’enfant près du feu, tandis qu’un Ange aux ailes bleues tire le rideau pour révéler la scène aux bergers. Au fond, Joseph apporte un bol de soupe à Marie, provenant visiblement de la marmite.
L’attitude affligée de Joseph, assis la main sur la joue, relève de l’iconographie, démodée en Occident, du Doute de Joseph (voir le mystère du Doute de Joseph). Les Frères de Limbourg l’ont ici accommodée au goût du jour, en rajoutant une marmite tripode et un feu de bois, lequel répond terrestrement au feu céleste de l’Etoile.
Même iconographie du Doute de Joseph amélioré par la soupe. Mais l’artiste n’a pas pensé à mettre en balance le foyer et l’Etoile.
Nativité, Heures Lamoignon,vers 1420, Gulbenkian Foundation, Lisbonne, ms LA 237, f.60v
Dans cet aménagement plus confortable, Joseph a suspendu sa soupière, par une crémaillère, à une poutre posée entre les deux étables. A voir la porteuse de seaux juste derrière, on comprend qu’il ne s’agit pas ici de cuisiner, mais de faire chauffer l’eau pour baigner l’Enfant. Le paysage de neige, à l’arrière-plan, met en valeur la chaleur du foyer que le bon Joseph s’époumone à entretenir.
Sainte Famille, Xylographie, Bohème ou Moravie, vers 1410 |
Missel franciscain, 1400-1415, Le Mans BM ms 0249 f 016v |
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La Vierge s’occupe de l’enfant, tandis que Joseph nourricier s’occupe de la soupe.
Même l’arrivée des Rois Mages ne trouble pas ses activités culinaires.
Pour l’anecdote, voici une autre Adoration des Mages où, à l’arrière-plan, Joseph prépare visiblement l’apéro…
Nativité, Meister von St. Sigmund, vers 1440, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne
Il est enfin temps de servir la soupe, tandis qu’au dessus de Joseph un ange apporte un lange propre.
Nativité, Heures à l’usage de Rome 1450, Bibliothèque municipale deTours, BM ms 0217
Ici se sont des anges qui s’occupent de l’intendance : l’un attise les flammes avec un soufflet, l’autre ramène de l’eau. A l’arrière-plan, un troisième présente un lange propre et un quatrième retape le coussin. Joseph n’a rien à faire qu’entretenir son doute, contemplant Marie d’un air soupçonneux.
Nativité, Missel de Eberhard von Greiffenklau,1425-50, Walters library W.174, fol. 19
Dans cette lettrine comique, nulle élévation spirituelle : Joseph est un vieillard gourmand qui mange sa soupe en se chauffant les pieds.
Se chauffer
Nativité,Federico Tedesco, 1420, Pinacoteca civica, ForlìCette Nativité introduit une intéressante symétrie entre le berceau et le brasero :
- à gauche, les personnages officiels – les Rois Mages, les quatre Evangélistes représentés par leurs symboles, et même l’âne et le boeuf (qui font allusion aux anciens cultes domestiqués, le judaïsme et le paganisme) – viennent rendre hommage à l’Enfant ;
- à droite les personnages prosaïques – les bergers en contrebas, dont deux se sont approchés pour mieux voir, et Joseph qui ne songe qu’à se chauffer) forment un contrepoint familier.
Nativité, Grande Bible historiale complétée à prologues 1411, British Library, 19 D III f 460 | Nativité Gravure de Israhel van Meckenem, ca. 1460–1500 |
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Car lorsqu’il s’agit seulement d’illustrer la vieillesse de Joseph, le plus simple est de le montrer, sa canne entre les jambes, cherchant la chaleur en dehors du lit de Marie, en guise de compensation [2].
Ici le brasero profite à toute la Sainte Famille.
Nativité
Benvenuto Tisi (le Garofalo), 1522-24, Städel Museum, Francfort
Gorafolo invente ici un brasero mobile, qui aide à faire comprendre le geste de Marie : dans une rare iconographie médiévale, celle-ci porte la main vers la cheminée pour s’assurer que la chaleur n’est pas trop grande (voir un exemple de Robers Campin, dans 1.2 A la loupe : le panneau central).
Faire sécher le lange [3]
Nativité, Petites heures de Jean de Berry1375-90, BNF gallica, f143r
Tandis que Marie se repose, laissant la sage-femme coucher l’enfant Jésus emmailloté, Joseph fait sécher au dessus du brasero un linge blanc : on comprend qu’il s’agit du lange mouillé. Ainsi le vieillard se chauffant au feu perd son côté égoïste, et prend à nos yeux des allures de père moderne : à l’époque, on devait voir dans cette tâche moins l’Humidité que l’Humilité.
Deux sages-femmes préparent le bain de l’Enfant, tandis que Joseph fait chauffer la serviette (ou sécher le lange) qui l’enveloppera. Le thème trop prosaïque des deux sages-femmes (voir 4.1 Une cuisante expérience (Campin) ) était alors en perte de vitesse en Occident, supplanté par la nouvelle notion d’accouchement instantané qu’avait propulsé la vision de Sainte Brigitte. L’invention à ce moment précis de l’image de Joseph prenant la main sur la gestion des serviettes semble une tentative d’iconographie alternative, qui n’allait pas se développer très loin.
Nativite Book of Hours, 1415-1420, Pays Bas, The Morgan Library and Museum, MS M.866 fol. 33v
Même composition, une seule sage-femme qui présente le lange propre et Joseph qui fait sécher le lange mouillé. Une plaque mobile à trois degrés (semblable à celle que l’on voit dans la Nativité du Livre d’heures a l’usage de Rome) protège des flammes le lit de Marie.
NativitéAllemagne du Sud, vers 1420, Musée des Beaux Arts, Bâle
La cheminée de fortune se trouve ici installée sous un appentis, qui place Joseph en symétrie des autres présences rassurantes, l’âne et le boeuf dans leur enclos. A noter les détails amusants : les licous qui les attachent à la poutre, le portillon avec ses charnières en corde.
Nativité, Livre d’Heures, 1410-1420, Flandres, Folio MS 500005 British Library 22v
En plus de faire sécher le lange posé sur le tabouret, le brasero réchauffe les pieds du bon Joseph.
Exit définitivement las sage-femmes, puisqu’il n reste plus qu’un seul lange. Le thème sert de prétexte à comparer, sur la verticale centrale, le rayonnement issu du Père Céleste, les flammes allumées par le Père Terrestre et, entre les deux, leur Fils à la fois divin et humain, dont le corps nu est enveloppé de lumière.
Triptyque de l’Epiphanie (volet gauche), Jérôme Bosch1495, Prado, Madrid
Sur le volet privilégié du triptyque (à droite de Jésus et de la Vierge), Bosch représente, derrière Saint Pierre et le donateur, Joseph, identifié par sa hâche, assis sur un panier à linge en train de faire sécher ce que nous reconnaissons maintenant comme le lange de l’Enfant Jésus. Loin d’être une figure grotesque, le Père Terrestre occupe sa place à la fois humble et obstinée,abritant son foyer sous un appentis de fortune, en dessous d’une cheminée en ruine.
Les deux couples qui dansent dans le pré au son de la cornemuse [4], derrière la cheminée éteinte, rappellent les plaisirs auxquels il a renoncé.
Faire chauffer le bain
Maître de Vyssi Brod (Hohenfurth), vers 1350, Narodni Galerie, Prague
Dans cette rare iconographie, Joseph aide la Sage Femme à préparer le bain de l’Enfant (elle semble vérifier la tempérture de l’eau, mais le feu n’est pas représenté).
Adoration des Mages (détail),Konrad Witz, vers 1444, Musée d’Art et d’Histoire, Genève | Nativité (détail), volet droit du retable de l’Intercession (Furbittaltars)Konrad Witz (Atelier), 1440-50, Musée des Beaux Arts, Bâle |
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Dans le retable de Genève de Konrad Witz, Joseph n’apparaît que de manière liminaire, en tant que porteur d’eau (pour l’analyse détaillée de ce panneau, voir Effet de loupe, contre-pieds et rébus chez Konrad Witz ).
La Nativité de Bâle développe ce rôle :
- la grande cruche vide à ses pieds a servi à transporter d’eau ;
- le vase de cuivre posé à côté du feu produit l’eau chaude ;
- la bassine dorée posée sur le tabouret a servi au bain de l’Enfant, maintenant étendu sur un lange propre et bien plié.
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[2] Il ne faut pas négliger la dimension humoristique des représentations prosaïques de Joseph à cette époque.
Repos durant la fuite en Egypte, détail du Petri-Altar (Grabow Altar),1379–83 | Nativité, détail de l’autel de la Petri-Kirche de Buxtehude, ca. 1410 |
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Meister Bertram von Minden , , Hamburg, Kunsthalle
Une autre forme de compensation sexuelle est la nourriture et la boisson. A noter à gauche la posture animalisée de Joseph, qui mord dans son pain avec le même apétit que l’âne dans sa botte d’avoine.
Sur ce sujet voir Anne L. Williams, « Satirizing the Sacred: Humor in Saint Joseph’s Veneration and Early Modern Art « https://jhna.org/articles/satirizing-sacred-humor-saint-josephs-veneration-early-modern-art/
Nativité, panneau du Polyptyque Anvers-Baltimore de Philippe le Hardi, ca. 1400, Musée Mayer van den Bergh, Anvers
[…] Et je vous conseille aussi, concernant la figure de Joseph dans la représentation de la Nativité, de consulter cet excellent article sur Artifex in opere : La chaleur de Joseph. […]
Bonjour et merci pour vos écrits et recherches.
C’est un vrai plaisir de vous lire et de voir toutes ces peintures.