1 Le début du chemin

Ce petit tableau est l’archétype de la peinture réversible, oscillant au gré des commentaires entre la version matinale et la version  vespérale.
Au point que le seul  titre satisfaisant devrait être : « La Femme au  Cacher de soleil » !

Femme devant le lever de soleil

(Femme devant le coucher de soleil)

1818-1820, Museum Folkwang, Essen

caspar david friedrich femme soleil levant couchantCliquer pour agrandir

La fin du chemin

Symbole évident de la Mort, le chemin coupé militerait en faveur de la version « soleil couchant » : la Femme en grande prêtresse des fins dernières. Cinquante ans plus tard, en plein période symboliste, l’interprétation serait recevable. Mais en 1818, nous baignons dans le romantisme, et la femme n’est pas n’importe quelle Femme.

Astres cachés

Non seulement le soleil est caché, mais aussi le visage de l’être aimé. En 1818, à l’âge de 44 ans, Caspar, célibataire prolongé, s’est enfin décidé à convoler. Nul  doute que la femme du tableau ne soit son épouse Caroline, dans la première année de leur mariage.

Apothéose de la Rückenfigure

caspar david friedrich femme fenêtre

Ce dos adoré, Friedrich le peindra à nouveau en 1822 en version intimiste, dans son propre atelier : la robe à ceinture haute est la même.  Dans Femme à la fenêtre (voir  Le coin du peintre), les plis souples de la robe verte seront utilisés pour faire contraste avec les orthogonales sombres de l’atelier et les verticales des peupliers : la féminité sera posée comme exception, comme étrangeté, sur  fond de réel ordinaire.

Ici au contraire, dans la version « en extérieur sur fond de gloire », les plis semblent prolonger les rayons du soleil, de même que les bras en position d’extase, et les mèches en étoile de la chevelure. En 1818, la silhouette de Caroline s’intègre au décor de l’arrière plan, au point de fusionner avec lui : « Elle devient le soleil que nous ne pouvons pas voir » J.L.Koerner, Caspar David Friedrich and the subject of landscape, Reaktion books Ltd, 2009, p 271

Rayons X

Les rayons du soleil convergent, non pas bien sûr vers le sexe, mais vers le ventre de Caroline, révélant une réalité secrète : en 1819 naîtra Emma, la première fille du couple. Le tableau est donc un ex-voto pour une maternité espérée ou confirmée.

Un tableau des origines cachées

Comme le remarque Koerner, ce tableau « est la vision par Friedrich des origines :  l’homme en situation d’expérience subjective, comme source de l’art ; le soleil, comme donateur de lumière et de vie ; et la femme, en tant que mère d’ un autre lui-même pour l’artiste. Mais ces origines ont été cachées ou retournées, mises hors du regard de l’artiste et de nous-même. »

Le chemin comme paradoxe

Dans le contexte d’une maternité, la version « soleil levant » est donc certaine. Mais alors, pourquoi avoir planté Caroline au bout d’un chemin  qui s’interrompt  ?

Pour l’expliquer, Koerner développe une interprétation subtile du caractère réversible du tableau  : « Friedrich met en place un mouvement vers l’absence :  le lever de soleil imite son coucher, l’enfant attendu apparaît à la fois comme une aube et un roi-soleil renversé, la naissance est une impasse sur un sentier qui ne mène nulle part. Cependant, notre position, face à cette convergence du passé et du futur, n’est pas du tout celle de la mélancolie. Si le soleil était réel, sa lumière nous aveuglerait. S’il était peint, ses couleurs nous décevraient. La lumière du soleil, comme l’origine de la peinture, est un moment qui est nécessairement passé, et qui ne peut être imaginé que rétrospectivement. »

Le chemin comme morale

Il y a peut-être une explication plus simple… Remarquons tout d’abord qu’il s’agit d’un chemin moraliste, limité par des rochers bruts qui empêchent de batifoler dans la campagne : Caroline a su jusqu’ici  rester dans le droit chemin, entre les bornes que l’homme a posées  pierre à pierre, comme Dieu lui-même a posé les montagnes lointaines.

Regardons de plus près : le bord gauche du chemin s’interrompt net au niveau du pré, mais le bord droit n’est pas visible jusqu’au bout. Il ne s’agit donc pas d’un chemin coupé, mais simplement d’un chemin qui, derrière le rocher et le talus, tourne à droite !

Caroline est à un tournant, un moment douloureux de sa vie (les rocs tranchants), mais son époux ne doute pas qu’elle ne poursuive sa route vertueuse.

Au delà du tournant, la route encore cachée va longer un vaste champ qui descend en pente douce jusqu’à un clocher lointain, à peine esquissé entre les deux arbres. Caroline a terminé sa vie de femme, ici commence sa vie de mère laquelle -nous dit Friedrich – sera féconde et pieuse.

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