Accueil » Interprétations » = PEINTRES = » Le Corrège » Les pendants du Corrège

Les pendants du Corrège

 Les pendants du Corrège sont très peu nombreux, mais extrêmement originaux et novateurs : peu après les premiers essais de Mantegna (voir Les précurseurs : sujets religieux et mythologiques), ils serviront de modèles pour un genre promis à un grand développement : celui des pendants à sujets mythologiques, et les plaçant d’emblée à un très haut niveau de qualité graphique et de profondeur sémantique.

Le tout premier pendant du Corrège est à sujet religieux :

Correge 1524 ca martirio_dei_quattro_santi Galerie nationale ParmeMartyre de Saint Placide, de sa soeur sainte Flavia et de leurs petits frères Eutychius et Victorinus (160 cm × 185 cm) Correge 1522 ca Compianto_sul_Cristo_morto Galerie nationale ParmeLamentation sur le Christ mort (157 x 182 cm)

Le Corrège, vers 1524, Galerie nationale, Parme [1]

Les deux tableaux ornaient les murs gauche et droit de la chapelle Del Bono, dans l’église San Giovanni Evangelista de Parme (le tableau de l’autel est une petite Madonne).



Correge 1522 ca Galerie nationale Parme
Ils ont été conçus, selon une scénographie palpitante, pour être parcourus depuis l’entrée de la chapelle :

  • coté gauche, l’oeil du spectateur s’enfonce en diagonale, depuis le bourreau debout levant son épée, jusqu’à la tête décapitée au pied du second bourreau ;
  • côté droit, l’oeil ressort par la même diagonale descendante, depuis Saint Jean au fond soutenant Marie soutenant le torse de Jésus, puis le long de ses jambes jusqu’à ses pieds et à Marie-Madeleine en prières, où se termine la visite.

Ainsi le spectateur imite visuellement à gauche le geste de la lame, à droite le trajet des pleurs.



Correge 1525 ca Venus with Mercury and Cupid The School of Love National Gallery 155.6 x 91.4 cmVénus et Mercure enseignant à lire à Cupidon, National Gallery ( 155.6 x 91.4 cm) Correge 1525 ca Venus_et_l'Amour_decouverts_par_un_satyre Louvre 1,8 x 1,2 mUn satyre découvrant Vénus et Cupidon endormi, Louvre (188 x 125 cm)

Le Corrège, vers 1527

Ces deux oeuvres sont décrites ainsi en 1627 dans l’inventaire de la collection des Gonzague, avec une importante différence de prix : 150 ecus pour la toile de Londres, 100 pour celle de Paris. Plus tôt, en 1589, on les trouve dans une chambre à coucher du palais du comte Nicola Maffei à Mantoue, qui est probablement le commanditaire [2].

Les deux sujets semblent complémentaires :

  • le tableau avec Vénus debout, dans lequel les trois personnages portent des ailes (y compris la déesse, ce qui est très rare) représenterait le versant intellectuel et céleste de l’Amour (« Cupidon » serait en fait Antéros) ;
  • le tableau avec Vénus endormie représenterait le côté charnel et terrestre de l’Amour ; satyre au sexe dressé sous le tissu, flèches, brandon allumé. Les trois personnages ont un lien avec l’animalité : pattes du Satyre, carquois en fourrure, peau de lion sous Cupidon, qui serait en fait Eros.

Un obstacle à cette théorie est qu’Eros porte des ailes plus grandes que celles d’Antéros, lesquelles sont par contre irisées : si Le Corrège avait vraiment voulu opposer amour céleste et amour terrestre, n’aurait-il pas inversé la taille des ailes ?


Correge 1525 schema
Il se peut néanmoins que le thème soit bien celui-ci. Mais il suffit de comparer les deux tableaux à la même échelle pour comprendre que, même si celui de Londres a été recoupé, les points du vue et les tailles des personnages sont trop différents pour que les deux aient vraiment fonctionné en pendants (comme d’ailleurs le confirme leur différence de prix dans l’inventaire de la collection Gonzague).



Correggio 1531Allegory_of_Virtu LouvreAllégorie de la Vertu  Correggio 1531Allegory_of_Vice LouvreAllégorie du Vice

Le Corrège, 1531 Louvre

Allégorie de la Vertu

Trois femmes ailées, avec lyre et trompette, volent dans une gloire lumineuse ; la quatrième descend décerner la palme et la couronne de laurier à la Vertu Victorieuse, personnifiée par Minerve avec son casque et son bouclier orné de la tête de Méduse. Elle a brisé sa lance dans un monstre sur lequel elle pose le pied, à tête de loup, à pied de chèvre et à queue de serpent. Sa compagne blonde, à gauche, exhibe les symboles des quatre Vertus cardinales : l’épée de la Justice, la bride de la Tempérance, le Lion de la Force et le serpent de la Prudence. Son autre compagne à l’aspect oriental, à droite, mesure le globe céleste avec un compas et montre le ciel de son bras gauche.


Allégorie du Vice

Un personnage barbu, évoquant à la fois Silène ivre ou Marsyas écorché, est attaché par les deux mains et un pied à une souche d’arbre. Trois Ménades ou Erinyes le tourmentent : l’une le fait mordre par des serpents qu’elle tient dans ses mains ; les deux autres, qui ont gardé les serpents dans leur chevelure, s’attaquent avec une flûte à son oreille et avec un couteau à son mollet. Au premier plan, un amour tenant une grappe prend le spectateur à témoin : tels sont les effets de l’ivresse, elle excite vos vices et les retourne contre vous. Un pampre de vigne grimpant le long du tronc réitère discrètement le message : le vice tel une liane vous ligote.


La logique du pendant

Second Studiolo Palais Ducal Mantoue corrigeReconstitutution (d’après Verheyen [2a])

Réalisés pour le second studiolo d’Isabelle d’Este à Mantoue, les deux tableaux étaient accrochés de part et d’autre de la porte d’entrée, encadrés par les deux pendants de Mantegna et rivalisant avec eux. L’inventaire de 1642 précise la position des tableaux sur les murs latéraux , mais pas celle des deux Corrège. Je suis ici la reconstitution de Vermeyen, qui se base sur trois arguments :

Second Studiolo Palais Ducal Mantoue schema

  • la direction de la lumière, inverse dans les deux tableaux (en jaune) ;
  • des raisons formelles : l’ouverture au centre (rectangle blanc), les deux figures fermantes sur les bords (en bleu), les obliques convergentes de la lance et de la flûte (en rose) ;
  • la topographie d’ensemble de la salle :

« Le côté droit de la pièce (en entrant dans la pièce, donc à gauche sur la photo) a été choisi pour les œuvres montrant l’aspect spirituel de Vénus, le royaume des valeurs supérieures, la défaite de la sensualité et donc le rétablissement de l’ordre moral représenté par Minerve et Diane, et enfin, dans une allusion directe à Isabelle, la réalisation de cet ordre dans le monde réel. En revanche, le côté gauche, ou « sinistre » de la pièce montrait la présence des vices dans le jardin de la vertu et l’emprisonnement de la Mère de la Vertu, ainsi que les vices tentant d’entrer et de troubler le royaume dans lequel la Vénus céleste et Apollon sont unis malgré l’opposition de la Vénus terrestre. » ([2a], p 55)



La série des Amours des Dieux

Elle se compose de deux tableaux en format horizontal et de deux en format vertical.

Sur la provenance de ces quatre tableaux, deux grandes théories ont été proposées :

  • Pour E.Verheyen [3], les quatre auraient été commandés par Frédéric Gonzague pour décorer la salle d’Ovide du Palais du Té à Mantoue.
  • Pour C.Gould [4], les deux horizontaux auraient été, comme le dit Vasari, commandés par Frédéric Gonzague comme cadeaux pour l’Empereur Charles V d’Autriche. Les deux verticaux (dont Vasari ne parle pas), auraient pu être d’abord commandés par Frédéric pour son propre usage, puis donnés après 1540 à Charles V.

Quoiqu’il en soit, tout les monde s’accorde sur le fait qu’au final la série se décompose en deux pendants, même si l’ordre de leur réalisation reste discuté.

sb-line

correge 1530 ca leda Staatliche Museen, Berlin 152 x 191 cmLéda et le cygne, Staatliche Museen, Berlin (152 x 191 cm) [5] correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cmDanaé et la pluie d’or, Galleria Borghese, Rome (158 x 189 cm) [6]

Le Corrège, vers 1530

Léda et le cygne

La tableau comporte en fait trois cygnes. Certains les interprètent comme trois moments successifs :

  • 1 en bas à droite, la première rencontre dans le lac
  • 2 au centre, l’accouplement sur la terre ferme ;
  • 3 à droite, le cygne qui s’envole tandis que Léda le suit de yeux en se rhabillant.

Cette interprétation est très superficielle (les trois scènes ne sont pas dans l’ordre chronologique, et aucun des autres tableaux du Corrège ne comporte l’archaïsme des épisodes juxtaposés).



correge 1530 ca leda Staatliche Museen, Berlin 152 x 191 cm detail
La partie gauche du tableau montre un couple d’amours soufflant dans une corne et une flûte, et un jeune homme ailé jouant de la lyre. Pour E.Verheyen, le contraste entre les deux types d’instruments est une allusion érudite au concours entre Marsyas (la flûte) et Apollon (la lyre).



correge 1530 ca leda Staatliche Museen, Berlin 152 x 191 cms schema
En outre, il remarque que les trois instruments de musique (deux terrestres et un divin) recoupent exactement la situation des trois cygnes (deux ordinaires et Jupiter métamorphosé) : l’association, commune à l’époque, entre le chant harmonieux des cygnes et la Musique justifierait cette astuce de composition.


Un pendant interne (SCOOP !)

correge 1530 ca leda Staatliche Museen, Berlin 152 x 191 cms schema interne
Mais si on se focalise sur les figures plutôt que sur leurs attributs, on voit que la composition suit un type très particulier de construction auto’référentielle, dans lequel une partie de la scène fait écho à l’ensemble : j’ai proposé de nommer « pendant interne » ce type très rare de construction auto-référentielle (voir un autre exemple dans Un pendant très particulier : les Fileuses).


Danaé et la pluie d’or

correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cm detail

Eros montre dans sa main une pièce d’or tombée du nuage qui a pénétré sous le ciel de lit.

Servant d’intermédiaire entre le dieu et la mortelle, il tient l’un bout du drap pour aider Danaé à recueillir la céleste semence.



correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cm amours
Les deux amours, l’un ailé et l’autre aptère, ont été diversement interprétés : ils symboliseraient l’amour sacré et l’amour profane, ils graveraient une tablette avec une flèche. Pourtant la bonne interprétation, difficile à imaginer, se trouve dans Vasari : ils éprouvent sur une pierre de touche le matériau de la pointe de flèche (Cupidon tirait des flèches d’or pour inspirer l’amour, des flèches de plomb pour inspirer la répulsion) ([3], p 188).


Un pendant interne (SCOOP !)

Personne n’a à ma connaissance noté que les gestes des deux amours sont étrangement semblables à ceux des personnages principaux :


correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cm detail correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cm amours
  • tout comme Eros ailé tient sa pièce d’or de la main droite et le drap de sa main gauche, l’amour ailé tient sa flèche d’or de la main droite et la pierre de touche de l’autre ;
  • tout comme Danaé sans ailes tient le drap entre ses deux mains, l’amour sans ailes tient la pierre entre ses deux mains.



correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cm schema
Ainsi, porté par le thème de l’or, Le Corrège développe une métaphore inspirée entre le drap ensemencé et la pierre de touche rayée par le même métal précieux (en violet).

Et du coup apparaît un second pendant interne, similaire à celui celui que nous avons détecté dans le premier tableau.


La logique du pendant (SCOOP !)

correge 1530 ca leda danae schema 1
Cette double utilisation d’une construction rarissime est déjà une première preuve du haut degré d’élaboration du pendant. Mais il y a plus.



correge 1530 ca leda danae schema
Le fait que dans les premier tableau les deux putti soient l’un ailé et l’autre aptère renvoie directement au couple du second panneau, de même que l’Eros jouant d’une lyre dorée renvoie à l’Eros tenant une pièce d’or (en ver).

De même, la chemise remise sous le cygne qui s’envole annonce, dans le second tableau, le drap tiré sous le nuage qui arrive (en rose).

Ainsi Jupiter monte au ciel dans la scène en extérieur, et en descend dans la scène en intérieur.



sb-line

Le second pendant des Amours des Dieux est tout aussi extraordinaire. Les deux toiles sont encore accrochées côte à côte, au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

sb-line

Correge 1530 ca Enlevement de ganymede Kunsthistorisches Museum Wien 163,5× 72 cmEnlevement de Ganymède (163,5× 72 cm) [8] Correge 1530 ca Jupiter et Io Kunsthistorisches Museum Wien 184 x 92,5Jupiter et Io (184 x 92,5 cm) [9]

Le Corrège, vers 1530, Kunsthistorisches Museum, Vienne

L’Enlèvement de Ganymède

La présence du chien est une nouveauté iconographique, justifiée par le fait que Ganymède, selon la tradition, était soit un chasseur soit un pâtre.


Ganymede 1528-30 saguine Offices

Ganymède
Michel-Ange, 1528-30, sanguine, Offices, Florence

L’idée est dans l’air du temps : Michel-Ange représente le chien levant la tête, à côté du manteau et de la besace du berger.

Mais Le Corrège, en cadrant uniquement la tête levée, en augmente l’expressivité, un peu comme dans le procédé, alors courant en Italie, du donateur dont seule la tête apparaît en bas du cadre (voir 2-8 Le donateur in abisso).

Comme de nombreux commentateurs l’ont remarqué [7], la tête de chien joue plusieurs rôles :

  • amorcer l’effet d’élévation, (le spectateur se mettant implicitement à la place du chien) ;
  • matérialiser l’arrachement (échec à protéger son maître, enlevé comme un mouton) ;
  • servir d‘antithèse à l’aigle (l’amour du domestique mis en échec par l’appétit du rapace).


Rapt et ravissement (SCOOP !)

Correge 1530 ca Enlevement de ganymede Kunsthistorisches Museum Wien 163,5× 72 cm detail
Le désir de l’aigle léchant sensuellement le poignet se substitue à l’affection du chien pour son maître, et inverse le rapport de domesticité (Ganymède va devenir l’échanson de Jupiter).

Plastiquement, le regard direct de Ganymède fait monter le spectateur de la place du chien à la place de l’adolescent ravi (dans le double sens du mot).

Toute la subtilité du tableau tient à l’ambiguïté des gestes : de sa main droite Ganymède enlace le cou de son ravisseur, tandis que de l’autre il empêche le battement de l’aile.



Correge 1530 ca Enlevement de ganymede Kunsthistorisches Museum Wien 163,5× 72 cm detail serres
Le désir de l’aigle est en revanche univoque : des deux serres il agrippe le manteau de l’agréable proie, et l’emporte pour sa propre consommation autant qu’il le déshabille à l’usage du spectateur.


Les deux arbres

Correge 1530 ca Enlevement de ganymede Kunsthistorisches Museum Wien 163,5× 72 cm detail arbres

Le tronc creux et la jeune pousse ont clairement un sens symbolique. La situation du chien entre les deux – animal terrestre et prosaïque – suggère une première interprétation : si haut que pousse un arbre sur la terre, il finit toujours par s’effondrer ; seule l’élection par un Dieu propulse un mortel dans les hauteurs.

Nous reviendrons bientôt  sur ce sens symbolique, à la lumière du second tableau.


sb-line

Jupiter et Io

Correge 1530 ca Jupiter et Io Kunsthistorisches Museum Wien 184 x 92,5 Pastel XIXeme retaille

Tout comme les relevés de l’abbé Breuil pour les peintures rupestres, une copie au pastel du XIXème siècle va nous permettre d’étudier ce tableau tellement vu, mais si peu regardé.

Le pastel a pour premier mérite de mettre en évidence les deux éléments anthropomorphes dans la nuée : le visage du jeune homme, mais aussi sa main, qui passe souvent inaperçue.


Le « cerf assoiffé »

Correge 1530 ca Jupiter et Io Kunsthistorisches Museum Wien 184 x 92,5 detail cerf
Tous les commentateurs du passé ont parlé de cet animal, que les commentateurs d’aujourd’hui passent en général sous silence. E.Verheyen en a donné l’explication ([3] , p 181) : il s’agit d’une référence, courante à l’époque, à un passage du psaume 41 :

Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.

Le cerf assoiffé deviendra un peu plus tard, dans l’Iconologie de Ripa, le symbole du Désir de Dieu. On comprend le lien avec Danaé épousant son nuage :

Le Corrège fait cohabiter dans la même toile deux images, l’une antique et l’autre biblique, de la Soif de divin.

Mais il y a plus étonnant.


De la vache au cerf (SCOOP !)

Correge 1530 ca Jupiter et Io Kunsthistorisches Museum Wien cerf
Notre copiste anonyme a fait beaucoup d’efforts pour faire ressembler à un cerf l’animal dessiné par Le Corrège : il a allongé et incliné le museau, et considéré que les quatre pointes constituaient une seul corne.



Geweihe_Pierer
Or il n’existe aucun bois de cervidé qui y ressemble. Dans un tableau destiné à un duc ou à un empereur de la Renaissance, comment imaginer que Le Corrège ait commis une telle erreur ?



Correge 1530 ca Jupiter et Io Kunsthistorisches Museum Wien vache cerf
La seule possibilité que je vois – et je suis conscient du sacrilège vis à vis de l’Histoire de l’Art – est qu’il s’agit d’un unicum iconographique : Le Corrège n’a pas représenté un cerf, mais une vache qui s’abreuve, et dont poussent sur les deux cornes une excroissance vers l’avant : autrement dit une vache qui se transforme en cerf !

Il n’y a ni dans la mythologie ni dans les Fables aucun exemple d’une telle transformation. En revanche, il existe une très célèbre transformation en vache : et c’est justement celle d’Io, ainsi punie par Junon de s’être accouplé avec Jupiter. Et c’est probablement ce que le tableau nous montre :

Io déchue en vache qui boit après s’être accouplée avec son nuage, puis de nouveau promue, par le pouvoir métamorphosant et christianisant de la Peinture, en symbole de la Soif de Dieu.


Les racines et le vase (SCOOP !)

Correge 1530 ca Jupiter et Io Kunsthistorisches Museum Wien vase tronc
Notre pastelliste anonyme a fait un effort méritoire pour transcrire un autre détail dont personne n’a jamais parlé : le récipient au dessus de la bête qui boit. Or pas plus que celle-ci n’est un cerf, celui-ci n’est un « pot à fleurs ».

Il s’agit en fait d’un vase rempli d’eau à ras-bord (voir l’horizontale blanche qui marque la surface, et les verticales blanches des filets qui débordent).

Et la masse terreuse au-dessus n’est pas une motte de gazon, mais un arbre déraciné, dont une racine tente de descendre jusqu’à la flaque, tandis qu’une autre s’entoure vainement autour de l’anse : un arbre déraciné et qui a soif !

A ce stade, ce qu’indubitablement nous voyons outrepasse ce que nous pouvons comprendre : aucune source, aucun texte sur lequel s’appuyer – pas plus d’ailleurs que n’en avaient les spectateurs de l’époque. Mais là où la logique interne est en défaut, il nous reste heureusement une autre voie…


La logique du pendant (SCOOP !)

On a remarqué que les deux figures principales, Ganymède le jeune homme et Io la jeune femme, sont liés par leur destin commun : finir sous forme de constellation (le Verseau pour Ganymède, le Taureau pour Io). Mais ceci est loin d’épuiser la richesse du pendant. Partons plutôt de l’idée que les deux ont été choisis pour des raisons symboliques :

  • Ganymède comme symbole de l’Aspiration à s’élever,
  • Io comme symbole de la soif du Divin, ou plus précisément de la Pureté (l’eau).

Il se trouve que les figures secondaires du chien et de la vache-cerf forment aussi un couple : chien et ruminant, auxiliaire du berger et bétail. Et que ce couple animal s’inscrit dans la même polarité : museau dressé pour regarder en l’air, mufle baissé pour boire.

Nous avons maintenant un autre élément commun : le tronc brisé d’un côté et déraciné de l’autre : autrement dit un arbre qui ne peut plus s’élever, et un arbre qui ne peut plus boire.

Il reste mécaniquement un quatrième couple : la jeune pousse et le pot rempli d’au. Autrement dit l’arbre qui s’élève et le récipient qui se remplit.



Correge 1522 ca Synthese Ganymede Io
Sans grimper grandement dans l’abstraction, on peut baptiser assez simplement ces quatre niveaux, transversaux aux deux grands thèmes de l’Elévation et de la Soif :

  • l’expérience primitive (chien et vache-cerf) (en bleu) ;
  • l’expérience de l’absence (tronc mort, tronc déraciné) (en rouge) ;
  • l’expérience commune (arbre qui pousse, récipient qui se remplit) (en vert) ;
  • l’expérience transcendante, réservé à celui ou celle que le Divin a choisi.



correge 1530 ca ganymede io quatre niveaux
Ces quatre niveaux se répartissent dans le pendant en sections assez symétriques.



sb-line

Muni de cette grille de lecture, il est tentant de revenir au premier pendant : fournira-t-il, lui aussi, deux autres modalités de la Fusion avec le Divin, qui deviendrait ainsi le nouveau titre de la série ?

sb-line

La Fusion avec le Divin (SCOOP !)

Evidemment cela fonctionne (c’est le propre de toute bonne lecture) en considérant simplement que :

  • Léda illustre la recherche de l’Harmonie (symbolisée par le cygne) ;
  • Danaë illustre la recherche de la Perfection (symbolisée par l’or).



correge 1530 ca danae Galleria Borghese 158 x 189 cm detail tour
Il faut auparavant rappeler que Danaë avait été enfermée par son père dans une tour, afin de protéger sa virginité. Pour E.Verheyen ([3] , p 181), le fenêtre montre une seconde tour, encore en construction : un bon candidat pour illustrer la non-Perfection.


correge 1530 ca leda danae quatre niveaux
Correge 1522 ca Synthese
On retrouve assez facilement les quatre niveaux, cette fois déclinés selon deux autres grandes aspirations, à l’Harmonie et à la Perfection.


La logique des deux pendants (SCOOP !)

Indépendamment de cette grille détaillée, on voit clairement que c’est l’ensemble des deux pendants qui fait système :

Correge 1522 ca Schema general
Le pendant vertical fonctionne selon le même principe que le pendant horizontal : montée à gauche, descente à droite (flèches jaunes).

Les quatre avatars de Jupiter choisis forment deux couples animal / matière antagonistes :

  • cygne blanc / or pesant et inaltérable
  • aigle noir / nuée légère et évanescente.



Références :
[2] Guido Rebecchini, « New Light on Two ‘Venuses’ by Correggio » , Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 60 (1997), pp. 272-275 https://www.jstor.org/stable/751238
[2a] Egon Verheyen, « The paintings in the studiolo of Isabella d’Este at Mantua » p 52 https://archive.org/details/paintingsinstudi0000verh/page/52/mode/2up
[3] Verheyen, Egon (1966). « Correggio’s Amori di Giove ». Journal of the Warburg and Courtauld Institutes. XXIX: 160–192 https://www.jstor.org/stable/750714
[4] Gould, Cecil (1976). The paintings of Correggio. London. pp. 130–131 https://archive.org/details/paintingsofcorre0000goul/page/130
[7] Frédérique Villemur, « Le chien de Ganymède : contrepoint au sublime ? » dans GANYMÈDE OU L’ÉCHANSON, Véronique Gély https://books.openedition.org/pupo/1770

Aucun commentaire to “Les pendants du Corrège”

Leave a Reply

(required)

(required)