L'effet Droste
L’effet Droste est un effet purement graphique, qui imite l’effet optique des miroirs en abyme (voir Quelques variations sur l’abyme), mais réplique l’image sans se soucier de l’inverser.
Couverture d’une boîte de chocolat Droste
Debut XXème siècle
La marque néerlandaire Droste est célèbre pour avoir bâti sa communication sur l‘image récursive (comme en France La Vache qui Rit [1]).
Ici, l’effet se complique avec une double récession, par la boîte et par la tasse : à chaque étape, il y a deux chocolatières, l’une grande (sur la boîte), l’autre petite (sur la tasse). Cette différence de taille, contrariée par le fait que la tasse est située devant la boîte, produit un inconfort visuel délibéré : il semble que la tasse « s’enfonce plus vite » dans la récession que la boîte, alors que pourtant cette dernière est plus proche de nous.
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D’autres marques ont repris ensuite la formule, misant sur son effet hypnotique. La suite de cet article s’intéresse à ses utilisations non spécifiquement publicitaires.
Alice au travers du miroir,
Carte postale, début XXème siècle
Le miroir suggère un effet d’abyme inexistant, dans ce photo-montage obtenu en superposant la même image tirée avec une dizaine d’agrandissements progressifs.
Livre pour s’endormir (The Bed-Time Book)
Jessie Willcox Smith, début XXème siècle
L’effet Droste fascine les enfants, qui se demandent où la récession s’arrête… Ici, celui qui possède le livre peut s’identifier avec l’enfant de l’image, qui lit sans savoir que, derrière sa page, se cache une porte directe vers le rêve.
Couverture de Vogue
A.E.Marty, 1932
Par la magie flatteuse de l’effet Droste, la lectrice de Vogue s’identifie avec le mannequin de couverture.
Kiosque à journaux dans la neige (Newsstand in the snow)
Norman Rockwell, Couverture du Saturday Evening Post, 20 décembre 1941
Ce kiosque bien fermé au milieu de la neige est également refermé sur lui-même à l’infini, figure d’une protection maximale. En même temps, en tant que couverture du Post, il se multiplie en largeur, figure d’une diffusion maximale.
La pancarte « Buy defense bonds » rappelle que nous sommes le deuxième week-end après Pearl Harbour. L’image combine la régression et l’expansion comme si, par le pouvoir paradoxal de l’effet Droste; il était encore possible de concilier l’isolationnisme bien au chaud et l’interventionnisme dans un monde glacial. [2]
Kangourous
Illustration de Andrew Teague
Démonstration astucieuse des idées d’emboîtement et d’auto-génération, qui sous-tendent l’effet Droste.
Exlibris signe Severin Belgique annees 1950
Même principe, en moins marsupial…
Une chatte faite de dix neuf chatons
Estampe de Kuniyoshi Utagawa, 1847-1852
Curiosité graphique, cette chatte faite de chatons tient à la fois d’Arcimboldo par son procédé de pavage, et d’un effet Droste avant la lettre, interrompu à la première récursion.
Alfred E. Newman
Couverture pour Mad
Dans cette variante amusante, le motif récursif est lui-même à deux étages : le magicien tenant un chapeau d’où sort un lapin tenant un chapeau.
Coles Phillips
Illustration pour Life, 1909
Même procédé dans cette illustration qui, en inversant la droite et la gauche à chaque étape, construit un semblant d’effet d’abyme, sans miroir ! Mais il s’agit toujours d’un motif à deux étages, composé d’une artiste droitière peignant une artiste gauchère.
Un autoportrait du peintre anglais Orpen, en 1924, repose sur le même principe (voir Orpen scopophile)
« Prise sur le fait, dans un coup de génie, ne montrant personne à part vous-même »
Au premier niveau, cette pin-up métaphysique ajoute un voile à sa première itération, laquelle ajoute un bas à sa deuxième, laquelle ébauche à peine la troisième.
On se perd en conjecture sur cette oeuvre insondable qui, sous prétexte de vanter un engin sans huile (d’où les tâches sur le sol), semble conçue pour rendre hommage à l’infinie profondeur des glacis.
Calendrier Sylvania, Gil Elvgren, 1948
Ici, l’emboîtement s’arrête net : montrer une pinup s’intéressant à la récession à l’infini serait contraire au fantasme bien plus porteur de l’auto-érotisme féminin : seule une belle fille en nylons peut vraiment peindre une belle fille en nylons.


Sous les apparences d’un effet d’abîme dans un miroir, c’est bien un effet Droste similaire aux précédents.
Autoportrait, Louise Fenne, 2017
Encore un simili effet d’abîme : dans le miroir le tableau n’est pas inversé, et l’artiste n’est pas vue de dos.
Dino Valls
Un exemple récent d’effet Droste, très facile sous Photoshop mais bien difficile en peinture. La rotation du motif permet d’esquiver la régression à l’infini. L’inclinaison de l’horizon accentue l’effet d’étrangeté.
Enigma
Michael Cheval, 2015
Voici ce que dit le peintre de cet élégant effet Droste :
« L’homme est un enfant de la nature, il est sa partie essentielle. Tous les processus qui se produisent dans la nature se produisent chez l’homme aussi. De la naissance à la mort – la floraison, la maturité, le déclin. Et puis a nouveau, il y a une naissance, peut-être sous une apparence différente. Les générations précédentes subsistent-elles dans les suivantes ? Les enfants répètent-ils leurs parents ? Le modèle de la ‘matryoshka’ illustre le mieux ce concept. «
https://www.parkwestgallery.com/6-michael-cheval-artworks-explained-by-the-artist/36934
![]() , Michael Cheval, 2015 |
![]() , Michael Cheval, 2015 |
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Voici l’explication de ce tableau réversible :
« Wolfgang Amadeus Mozart a servi d’inspiration pour cette peinture. Comme beaucoup d’autres créateurs, il a toujours ressenti l’incompréhension des gens, même ceux qui étaient proches de lui. Le créateur et la solitude sont des concepts proches. Le créateur vit toujours dans une autre dimension. Difficile de décider celle qui convient. Mozart, assis sur le sol, ou sa compagne, assise au plafond ? Essayez de tourner la peinture à l’envers et maintenant elle sera assise au piano sur le sol, et lui – au plafond. Qu’importe celui qui est le plus proche. Quelque soit celui qui aime. «
Sans aller jusqu’à l’effet Droste stricto sensu, il arrive aux peitres de flirter avec l’auto-similarité.
L’échelle des générations ne permet pas de monter bien haut : sagesse japonaise.
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Le fou et son double, José Frappa
On voit bien le côté mi-ironique mi-diabolique de s’amuser avec un modèle caricatural de soi-même.
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Adieu à l’Academie (Pożegnanie z Akademią) |
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En Pologne, en 1949, le vieux professeur Weiss, un an avant sa mort, utilise un faux effet Droste pour signifier l’impossibilité de poursuivre : adieu à l’Académie-bâtiment, mais aussi adieu à l’Académie-discipline et à ses modèles qui se défaisaient, pour un moment, de leur châle traditionnel chatoyant.
![]() Paul Kelley |
![]() Paul Kelley |
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Pourvu que les postures soient homologues, le tableau dans le tableau constitue un effet Droste arrêté, dont la puissance attractive est ici transférée aux vertigineuses gambettes.
L’effet d’attraction est ici très atténué, bien que le mobilier des deux liseuses ait des similarités étudiées.
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Christian Vincent
Quatre manières de taquiner la répétition du même.
Autoportrait, Erik Bulatov, 1968, Musée Maillol, Paris
Dans cet autoportrait pénétrant, l’artiste anticonformiste combine avec audace le thème des poupées russes, de Big Brother et de l’homme déshumanisé…
Magritte semble s’être fait une spécialité de la récession déceptive qui, tel le coïtus interruptus, s’arrête juste avant l’abyme…
Les liaisons dangereuses
Magritte, 1936, Don promis au Los Angeles, County Museum of Art
La paradoxe ici tient à ce que la jeune femme, en voulant cacher son recto, nous dévoile son verso : le miroir-voyeur rend publique la fille pudique, l’endroit de l’une montre l’envers de l’autre.
C’est cet effet vice-versa, typique des miroirs en abyme, qui nous donne l’illusion qu’il s’agit d’une seule jeune fille, et donc d’une image impossible.
Or celle qui baisse les yeux n’est peut être qu’une fausse pudique, qui manipule son miroir non pour cacher son propre sexe, mais pour nous montrer le postérieur d’une compagne : celle-ci, la vraie pudique, se cache les seins avec les mains au lieu de tenir un miroir, interrompant la récession.
Ce tableau qui semble surréaliste est en fait physiquement possible pourvu qu’il y ait deux filles et non une seule. Ce qui mène à un conclusion étonnante : celle qui montre ses fesses au miroir en regardant par dessus son épaule… c’est nous.
Ainsi le tableau n’est ni un effet d’abyme, ni un effet Droste : simplement le reflet d’une fille dans le miroir d’une autre.
![]() Femme à la toilette (inversée de gauche à droite) Picasso, 1906, Albright-Knox Art Gallery, New York |
![]() Kirchner, 1912, Brucke Museum, Berlin |
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Pour obtenir le Magritte 1936, retournez le Picasso 1906 et rajoutez le Kirchner 1912.
Foucault a relevé ce qui ,en définitive, est le seul élément « surréaliste » du tableau :
« De l’ombre il manque une partie – celle de la main gauche qui tient le miroir. Normalement on devrait la voir sur la droite du tableau ; or elle n’y est pas, comme si l’ombre du miroir n’était portée par personne ». Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe, Fata Morgana, 1973
Une autre remarque intéressante de Foucault :
« …dans le mince espace qui sépare la surface polie du miroir, qui capture les reflets, et la surface opaque du mur, qui n’attrape que des ombres, il n’y a rien. »
Si la conclusion est fausse (il y a parfaitement la place entre le mur et le miroir), le contraste entre le miroir et le mur est bien vu :
- l’un de toutes les couleurs, l’autre d’aucune (gris uniforme) ;
- l’un luisant, l’autre mat ;
- l’un cadré, l’autre illimité.
Pour conclure philosophiquement :
- le mur de Magritte est platonicien, en reflétant une ombre fausse ;
- mais son miroir est cartésien, en nous montrant un reflet on ne peut plus exact.
La reproduction interdite
Magritte, 1937, Musée Boymans-van-Beuningen, Rotterdam
Le titre ne ment pas : ce n’est pas la réflexion qui est interdite, mais la reproduction à l’infini. Le dos dans le miroir amorce un effet Droste, mais le livre, en se reflétant normalement , bloque la récession dès la première itération (1).
Le choix des Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe, n’est pas l’effet du hasard. On y trouve deux passages mettant en garde contre les méfaits du miroir, en premier lieu à l’encontre du narrateur lui-même :
« Lorsque enfin je me contemplai dans un fragment de miroir qui était pendu dans le poste, à la lueur obscure d’une espèce de fanal de combat, ma physionomie et le ressouvenir de l’épouvantable réalité que je représentais me pénétrèrent d’un vague effroi« (chapitre VIII, le revenant)
Mais surtout, dans ce morceau de bravoure sur les ravages de l’effet d’abyme :
« Too-wit fut le premier qui s’en approcha, et il était déjà parvenu au milieu de la chambre, faisant face à l’une des glaces et tournant le dos à l’autre, avant de les avoir positivement aperçues. Quand le sauvage leva les yeux et qu’il se vit réfléchi dans le miroir, je crus qu’il allait devenir fou ; mais, comme il se tournait brusquement pour battre en retraite, il se revit encore faisant face à lui-même dans la direction opposée ; pour le coup je crus qu’il allait rendre l’âme » (Chapitre XVIII, Hommes nouveaux)
(1) Le miroir et la cheminée se retrouvent à l’identique dans un autre tableau de Magritte, La durée poignardée (voir Le train sous le pont)
Eloge de la dialectique
Magritte, 1937, Musée d’Ixelles, Belgique
Dans la maison dans la maison, la fenêtre en haut à gauche est fermée.
Clairvoyance
Magritte, 1936, Art Institute of Chicago.
Dans le tableau, l’artiste regarde un oeuf posé sur la table, mais voit un oiseau, qu’il peint sur le tableau dans le tableau.
Photographie de Magritte peignant son tableau Clairvoyance
Dans la photographie, l’artiste ne regarde rien, et fait éclore un tableau directement de son imaginaire.
La photographie amorce un effet Droste interrompu, dans lequel Magritte se transforme en oiseau à la seconde itération.
Bill Brandt,
Photographie de René Magritte, 1963
Ici, l’effet Droste interrompu transforme Magritte en pomme.
Le film est emouvant aux larmes je kiffe de ouf j e n chiale même c est rocambolesque voila c est tout bisous de geraldine