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Liquéfactions parisiennes


En 1867,  Monet obtient la permission de planter son chevalet sur la colonnade du Louvre.  De là, il peint deux tableaux qui montrent la même vue de Paris, mais qui s’opposent par le cadrage et la saison : le Quai du Louvre se déploie en largeur, et se situe en automne ; le Jardin de l’Infante s’étage en hauteur, et se situe au printemps.

Le quai du Louvre

Monet, 1867, La Haye, Gemeentemuseum

La composition, toute en longueur, s’établit selon trois bandes horizontales. La moitié supérieure nous montre les maisons et les toits de Paris : la coupole du Panthéon, un peu à droite du centre, équilibre le clocher de Saint Etienne du Mont.

La moitié inférieure du tableau se divise encore en deux bandes : la Seine,  dont les eaux boueuses s’harmonisent avec les frondaisons jaunies ; et le quai, envahi par les piétons et les fiacres.

De part et d’autre de la Seine, des correspondances discrètes s’établissent : à la coupole du Panthéon répond celle du kiosque à journaux, au clocher de Saint Etienne correspond la colonne Morris. La statue équestre d’Henri IV, bien visible au centre du tableau, semble se démultiplier dans tous les chevaux qui passent. Et les fiacres, les chapeaux, les ombrelles,  nous apparaissent soudain comme autant de maisons mobiles et de toitures amovibles.

Ainsi, en descendant de la moitié supérieure au  quart inférieur du tableau, notre regard, à la traversée de la Seine, s’imprègne de sa fluidité, et acquiert la capacité de mobiliser les maisons : nous comprenons alors que les parisiens, dans la rue, ne sont autres que la forme liquéfiée de Paris.


Le Jardin de l’Infante

Monet, 1867, Art Museum, Oberlin (Ohio)

La composition s’étage cette fois en hauteur, et frappe par son équilibre. Pile sur l’axe central , la Coupole du Panthéon met en balance le clocher de Saint Etienne et la coupole du Val de Grâce.

Tout le centre du tableau est occupé par des frondaisons touffues, et tout le bas par le jardin de l’Infante, où des massifs en fleur encadrent une pelouse vide. De sorte que les maisons et les toits n’occupent qu’une zone minuscule, coincée entre le ciel et les arbres. Paris au printemps devient une ville champêtre, reculant sous l’expansion du vert.

Nous retrouvons la colonne Morris et le kiosque du tableau précédent, exactement à la même place : mais ici, ils se trouvent décentrés et ne se détachent plus au dessus du parapet : devenus des détails insignifiants, ils n’évoquent en rien les monuments qui se découpent sur le ciel.

Quant aux Parisiens, fiacres et piétons imbriqués, ils se trouvent confinés dans l’étroite bande entre les arbres et la grille du jardin. La haute densité de la foule, son traitement impressionniste qui contraste avec la précision des arbres et des maisons, accentue le caractère fluide de cette substance humaine.

Un drapeau français flotte entre les arbres, comme planté au dessus de la colonne Morris : à la réflexion, nous saisissons qu’il est en fait situé sur l’autre rive, sur le square du Vert Galant, dont la statue équestre est occultée par les arbres. Et la Seine se réduit, sans doute, à ce minuscule triangle beige, à gauche de l’établissement de bains.

Nous prenons alors conscience que, en même temps que la Seine, le Pont Neuf s’est lui aussi évanoui, ainsi que les parapets :  tous les  signes d’une présence fluviale ont été délibérément gommés, subtilisés par le point de vue et la saison que Monet a choisis. En substitut à l’eau,  la foule s’écoule entre ces deux nouvelles berges imperméables que sont le parapet et le grille du jardin. Liquéfiés par le pinceau de Monet, les parisiens se révèlent comme la forme humanisée de leur fleuve.

SUBTILISATION

Ancien terme de chimie. Action de subtiliser certains liquides par la chaleur du feu.

Les deux paysages parisiens de 1867 relèvent du même type de recherche que La pointe de la Hève à marée basse ou La Plage à Trouville : étudier les modifications d’un même paysage selon la saison mais aussi selon la composition.
Il n’y a pas de marée sur la Seine : néanmoins, par l’intelligence de son cadrage, Monet réussit à la faire apparaître ou disparaître, et à traduire  picturalement la métaphore de la marée humaine.

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